INTRODUCTION GENERALE :
PENSER LE MONITORING COMME UN
PHENOMENE POLITIQUE
« La volonté du peuple est le fondement de
l'autorité des pouvoirs publics : cette volonté doit s'exprimer
par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu
périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou
suivant une procédure équivalente assurant la liberté du
vote »1.
1
1Assemblée Générale des
Nations-Unies, Déclaration universelle des droits de l'Homme
(article 21.3), 10 décembre 1948, Résolution 21 A(III).
2
Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
Dans cette introduction, nous présenterons la
construction de l'objet d'étude
(I) et le cadre théorique et opérationnel et les
hypothèses de recherche (II).
I. Eléments de problématisation du
sujet
Les éléments de problématisation qui
participe de la construction de l'objet à ce niveau sont la
contextualisation et la justification du sujet (A), la revue critique de la
littérature (B) et la problématique (C).
A. Contexte et justification
Depuis le retour du multipartisme au Cameroun dans les
années 90, toutes les élections organisées ont
été, selon les partis politiques d'opposition et de nombreux
observateurs nationaux et internationaux, entachées de nombreuses
irrégularités parmi lesquelles l'incompétence, le
défaut de culture démocratique, les problèmes logistiques
et organisationnels le tout conduisant à l'intensification de la
fraude2. Dans son article intitulé La déviance
politique comme catégorie discursive de construction de la
réalité politique en Afrique, Janvier Onana, pose la
question de savoir d'où vient-il que, les restaurations chaotiques du
pluralisme politique en Afrique noire au début des années 1990,
aucune élection ne se soit déroulée sans que, pour de
bonnes ou de mauvaises raisons, des voix ne s'élèvent pour crier
à la fraude ?3 A cette interrogation nous pouvons tout
simplement dire que la majoritaire des pays africains ayant pendant longtemps
connu le régime de parti unique ne s'accommode pas au changement ; alors
pour conserver ou tout au moins se maintenir au pouvoir ils ont recours
à la fraude. Celle-ci constitue une violation du droit des peuples
à leur autodétermination, vue comme une entrave à la loi
pour favoriser un candidat ou une liste de candidats au détriment des
autres. Ainsi la fraude devient donc, ce que Janvier Onana appelle une
déviance politique et un instrument de pratique politique4.
Cette pratique est enracinée dans l'histoire politique du Cameroun. Elle
a été utilisée dès les premières
années de la vie politique du pays aussi bien dans la partie orientale
sous administration française que dans la partie occidentale sous
administration anglaise lors du référendum sur la
réunification du Cameroun en 19615. En effet, pour
empêcher l'expression de la volonté populaire et surtout
sauvegarder ses intérêts, les autorités coloniales firent
recours à la fraude électorale. Cette pratique a continué
avec les premiers leaders politiques camerounais pendant toute la
période du parti unique allant de 1966 à 1990.
La persistance de la fraude électorale dans le jeu
démocratique au Cameroun dès 1992, avec le retour au
multipartisme, n'est donc que l'actualisation d'une habitude. Elle reste
possible du fait que de nombreux systèmes électoraux sont loin de
faire le consensus. Malheureusement, elle a jeté un discrédit sur
les élections au Cameroun6, entraînant ainsi souvent un
désintéressement de la population de la
2 Friedrich Ebert Stiftung, Prévenir et
lutter contre la fraude électorale au Cameroun Manuel pratique,
Yaoundé, Edition Clé, 2012, pp. 9 À 10.
3 Onana, (J), « La déviance politique
comme catégorie discursive de construction de la réalité
politique en Afrique », in Cahier Africain des Droits de l'Homme
n° 9, 2003, pp. 85-114.
4 Onana, (J), « Art.cit. », pp. 85-114.
5 Entretien avec Monsieur Nsoé Armand
Célestin, enseignant d'histoire et géographie et ancien Proviseur
à la retraite.
6 Friedrich Ebert Stiftung, Op. cit., pp. 9
À 10.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
chose électorale, et par conséquent l'apathie
électorale7 ; les dirigeants n'ayant pas la
légitimité nécessaire pour exercer leurs
fonctions8. Elle peut également être une source de
conflits et de chaos comme l'illustrent bien de cas à travers le
monde9.
L'analyse du monitoring des élections au Cameroun offre
l'occasion d'initier la discussion sur le rôle des acteurs
impliqués dans cette activité et la problématique de
l'organisation des élections libres, justes, périodiques et
transparentes dans notre pays.
D'abord, au plan sociopolitique, étudier le monitoring,
un phénomène lié aux élections et à la
démocratie, doit susciter la prise de conscience collective et la
participation de tous à l'édification d'un pays épris des
valeurs démocratiques. Il ne s'agit pas seulement d'une exigence venant
de l'extérieur comme d'aucuns le pensent, mais d'une volonté de
promouvoir des valeurs communes à l'humanité.
Au plan scientifique ensuite car, notre étude se situe
dans une approche critique de la pratique électorale dans un pays
où la loi électorale a connu plusieurs modifications et où
la démocratie est sans cesse en transit10. En effet, alors
que les études sur les différents processus de
démocratisation en Afrique abondent, l'on peut affirmer que très
peu d'écrits sont connus en ce qui concerne le monitoring des
élections au Cameroun. Notre travail s'inscrit donc dans une
démarche pouvant contribuer à l'analyse scientifique du processus
démocratique au Cameroun à travers le monitoring des
élections de 1992 et 2011. Mais, il s'agit surtout de contribuer
à combler un vide épistémologique du contrôle
partisan et non-partisan du monitoring des élections
présidentielles.
Notre étude se limite au Cameroun et couvre la
période allant de 1992 à 2011, une période pendant
laquelle quatre élections présidentielles y ont été
organisées : les élections présidentielles du 11 octobre
1992, du 12 octobre 1997, du 11 octobre 200411 et du 09 octobre
2011. Ces scrutins ont connu la présence de nombreux observateurs tant
nationaux qu'internationaux parmi lesquels : le National democratic institute
for international affairs12, comme acteur de la
société internationale, l'administration à travers le
MINAT, des administrations indépendantes et les organisations de la
société civile camerounaise. C'est aussi la période au
cours de laquelle un véritable coup d'accélération fut
donné pour le passage du Cameroun au modèle démocratique
de gestion de la cité13 au début de la décennie
90. Un déploiement considérable d'acteurs internationaux et
nationaux dans le champ électoral camerounais. C'est le
7 C'est ce que nous révèle les
rapports d'observation de Transparency International Cameroun
(présidentielle 2011), Cameroon Ô'Bosso (présidentielle
2011), justice et paix (municipales et législatives 2007).
8 Entretien avec Mme Toukombe Viviane, Responsable
de l'Unité Socio-Juridique de la Commission Diocésaine Justice et
Paix de Yaoundé (Mvolyé).
9 Lire Konadje, (J-J), L'intervention de l'ONU
dans la résolution du conflit intraétatique ivoirien,
Thèse de Doctorat en Science Politique, Université de Toulouse,
2010, pp. 94-96.
10 Eboussi Boulaga, (F), La démocratie en
transit au Cameroun, Paris, L'Harmattan, 1997, 4ème de
couverture.
11 Bougueli, (G), « Cameroun les nerfs
à fleur de peau, A cinq mois de l'élection présidentielle,
Paul Biya laisse planer le mystère sur sa candidature. En attendant, le
pouvoir fait feu de tout bois pour juguler la grogne sociale », in
Jeune Africaine Economique n° 2628, du 22 au 28 mai 2011, pp.
30-32.
12 Lire à ce sujet le Rapport de la mission
des observateurs internationaux du NDI, Élection
présidentielle anticipée du 11 octobre 1992 au Cameroun, in
Le livre Blanc de la République du Cameroun, 1993, p. 245.
13 Le Cameroun est perçu à tort ou
à raison comme anti-modèle en matière de
libéralisation de la vie politique, lire à ce sujet : Chege, (M),
« Between Africa's extermes », in Journal of Democracy,
January, 1995, vol. 6, pp. 44-51, ou encore Monga, (C), « L'indice de
Démocratisation : Comment défricher le nouvel aide-mémoire
de l'autoritarisme », in Afrique 2000, juillet-septembre 1995, p.
63, Sindjoun (L) « la culture démocratique en Afrique subsaharienne
: comment rencontrer l'arlésienne de la légende africaniste, in
Francophonie et démocratie, symposium sur le bilan des pratiques de la
démocratie des droits et des libertés dans l'espace francophone
», Paris, Pedone, 2001, pp.522-530, Sindjoun (L), « Cameroun : le
système politique face aux enjeux de la transition démocratique
», Afrique politique, Paris, Karthala, 1994, pp.143-165.
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Le monitoring des élections
présidentielles au Cameroun de 1992 à 2011
cas du NDI Organisation non gouvernementale (ONG)
américaine, qui a célébré en 2013 ses trente ans de
promotion de la démocratie à travers le monde par sa
participation à l'organisation des élections libres,
honnêtes, justes, périodiques et transparentes.
Nous avons aussi opté de travailler sur
l'élection présidentielle, non pas pour dire que les autres
élections14 sont moins importantes, mais tout simplement
parce que ce type d'élection renferme un enjeu majeur, surtout pour
celle du 11 octobre 1992. Elle a été la plus disputée et
la plus convoitée d'une part par les acteurs internationaux comme la
France, les Etats-Unis15, d'autre part par les acteurs nationaux
tels les partis politiques de l'opposition ayant pris part au dit scrutin.
Monsieur Paul Biya, l'occupant actuel de ce fauteuil, a obtenu 39,98%, son
challenger et chef de file de l'opposition camerounaise, Monsieur Ni John Fru
Ndi, suivait avec 38, 97% et Monsieur Bello Bouba Maïgari quant à
lui obtiendra 19%, représentant ainsi la troisième force
politique du pays16. En mai 1997, alors que l'élection
présidentielle de cette année se prépare, un des ministres
du gouvernement du président et futur candidat à sa propre
succession démissionne et déclare sa candidature à
l'élection présidentielle17. L'élection de
1997, connaîtra une autre issue et la particularité de cette
élection réside dans le fait que le principal chef de
l'opposition, Monsieur Ni John Fru Ndi l'a boycottera, ainsi une alliance va se
nouer entre UNDP et le RDPC, jusqu'à son dénouement lors des
élections sénatoriales du 14 avril 201318. Alors qu'en
2004, lors du scrutin présidentiel le chef de l'opposition fera son
retour et obtiendra 17,40%, le candidat sortant obtiendra 70,92%.
De ce qui précède il convient de faire
l'état des savoirs critiques sur la question.
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