ANNEXE 4
Mouvement des Sourds de France
René BRUNEAU, Président Jeudi 2 avril
2009 Durée : 45 minutes
Monsieur Bruneau, pourriez-vous me présenter vos
missions au sein de l'UNISDA et au sein du Mouvement des Sourds de France
?
Bon alors, mes missions... C'est que je suis secrétaire
général de l'UNISDA depuis 2004 et je suis aussi président
du Mouvement des Sourds de France depuis mars de l'année 2008. J'ai
été vice-président jusqu'en 1994, en 1994 je suis devenu
secrétaire général jusqu'à 2008 où je suis
passé président.
Pourquoi le Mouvement des Sourds de France est
fédéré au sein de l'UNISDA et pourquoi cette division au
sein du mouvement des Sourds avec d'un côté l'UNISDA qui
fédère des associations de Sourds et la FNSF qui
fédère de son côté d'autres associations
?
Euh... Bonne question et je crois que vous avez mis le doigt
exactement sur... C'est-à-dire que le Mouvement des Sourds de France
s'est créé en 1985. Et pourquoi il a été
créé ? Tout simplement c'est parce que la
Fédération Nationale des Sourds de France, bah... elle ne faisait
rien. Je vais être critique mais de toute façon c'est de
notoriété donc euh... je ne vais rien raconter. Elle se
contentait de faire des réunions de temps en temps dans l'année
et d'encaisser, d'empocher les dons qu'elle pouvait recevoir puisqu'elle est
reconnue d'utilité publique. Et de cet argent là elle n'en a
jamais rendu compte et il y a des personnes sourdes qui se sont
fâchées, qui ont dit « y'en a marre », leur rôle
c'est de défendre le droit des personnes sourdes, ils ne font absolument
rien si ce n'est se promener avec l'argent des dons. Euh... je vous citerai
181
pas où ça allait mais ça allait dans des
endroits euh... bon, bref. Et donc bah c'est une personne qui s'appelle Jean
KACZMAREK qui a décidé de fonder le 28 novembre 1985 le Mouvement
des Sourds. J'ai adhéré en 86, donc trois mois après j'ai
adhéré au Mouvement des Sourds. On a fait une importante
manifestation un 1er février 1986 à Paris, nous
étions environ 4000 personnes sourdes à défiler. Donc
c'est de là qu'a démarré le Mouvement des Sourds. C'est
vrai que la Fédération a tout fait pour nous sabrer, pour pas
qu'on existe, parce qu'on devenait concurrent. On a joué notre
rôle, on a rencontré les partis politiques, on a rencontré
les responsables administratifs et les responsables gouvernementaux. Il s'est
trouvé que beaucoup d'associations se sont affiliées chez nous
parce qu'elles ont trouvé qu'on était à la pointe de la
bataille et en 1989 nous avons changé de titre en mettant Mouvement des
Sourds de France. Nous sommes devenus association nationale, dont la
première association qui s'est affiliée chez nous est
l'association des Sourds de La Persagotière...
D'accord et...
C'est la première association qui s'est jointe à
nous. D'autres après bien sûr. Ensuite, et bien, nous avons
continué notre travail, nous avons été dans l'amendement
Fabius, bah le fameux amendement Fabius... nous avons été
l'association principale qui nous sommes battus avec un Monsieur BOUILLON
à l'époque de l'Education Nationale pour faire reconnaître
la langue des signes à l'école, l'enseignement de la langue des
signes à l'école. Euh... Fabius dans un DMOS a, c'était
d'ailleurs la veille d'un Noël 90 je crois, euh... a donc fait une
Décision Modificative d'Ordre Social qui disait que la langue des signes
devait être enseignée à l'école, enfin bref, tout ce
que nous avons sur la loi de 1991 sauf qu'il n'y a jamais eu de décret
qui sont parus par la suite. Donc l'Education Nationale n'a jamais pris en
compte... ça a été... bon, disons que Monsieur FABIUS a
voulu nous faire plaisir peut-être mais enfin en attendant rien n'a
été fait. Nous avons continué le combat, le combat aussi
pour la télévision, on s'est battu pour les sous-titrages
à la télévision hein en 92-93, nous avons saisi les
182
autorités, nous avons eu des promesses, nous avons eu...
enfin bref, euh je vais pas tout vous raconter... Et il s'est trouvé que
la Fédération, plutôt que de jouer le jeu de partenariat
avec nous, ou tout au moins de nous accompagner d'une manière
parallèle a continuellement euh... s'est continuellement battue contre
nous. Je ne vous citerai pas la pléthore de présidents qu'ils ont
eue, euh la pléthore de problèmes qu'ils ont eu, de
problèmes financiers avec des faillites avec des euh... mise en
tribunal, enfin bref. Et puis il y a même des gens qui se sont
barrés avec la caisse, hein si des fois vous avez le temps vous vous
renseignerez là-dessus. Bref, avec la Fédération nous
n'avons jamais été en odeur de sainteté. Malgré
tout, dans les dernières années, il y a un rapprochement qui
s'est fait. Euh, le rapprochement le plus important qui s'est fait c'est avec
l'actuel président, euh qui est euh... mais bon ça reste toujours
euh... disons un rapprochement euh disons de politesse. Hein, on pourrait dire
ça. Mais il se trouve qu'à l'intérieur de la
Fédération, il y a des gens qui ne nous aiment toujours pas, bon.
Malgré tout le président de l'UNISDA, Jérémie BOROY
a été membre du Mouvement des Sourds de France pendant de
nombreuses années et, il y a trois ans, a décidé de
rejoindre le Conseil d'Administration du Mouvement des Sourds de France. Donc
il est administrateur au Mouvement des Sourds de France. Et pour ne pas faire
de polémique a accepté aussi d'être administrateur à
la Fédération et ensuite est passé secrétaire
général de la Fédération.
D'accord. L'objectif c'était d'unir un peu ce
mouvement ?
Voilà. Euh... avec nous deux nous avions l'intention
euh... à peine déguisée d'essayer de nous rejoindre.
C'était une sorte de pont qui était jeté. En fait ce pont
que Jérémie BOROY a entamé du côté de la
Fédération et moi du côté du Mouvement des Sourds de
France n'a jamais été un pont bien solide. C'était un pont
provisoire et euh chacun dans son coin et personne bouge. Voilà, hein...
C'était un peu ça. Alors que nous nous étions prêts
à faire des actions communes et tout, on n'a jamais eu de
réponse, on n'a jamais eu de retour là-dessus.
183
L'UNISDA a été
créée...
Alors l'UNISDA a été créée, alors je
vais y venir, l'UNISDA a été créée voici plus de
trente ans, et dont la Fédération Nationale avec le BUCODES
(Bureau de Coordination des Associations de Devenus Sourds et
Malentendants), avec euh... l'Association Nationale des Parents euh
l'ANPEDA (Association Nationale des Parents d'Enfants Déficients
Auditifs) étaient fondateurs. Malheureusement il s'est
trouvé qu'il y a eu un... des problèmes. La
Fédération a posé des problèmes à
l'intérieur de l'UNISDA, c'était en 98, euh elle ne payait pas
ses cotisations. Malgré qu'elle ait de l'argent elle ne voulait pas
payer des cotisations. A fait une sorte de discrimination négative en
disant qu'elle ne voulait pas être avec des Entendants ou des
Malentendants parce qu'ils n'étaient pas vraiment sourds. Et puis bah y
a eu alors, une autre chose, c'est qu'il était prévu qu'il y ait
un poste tournant de président au sein de l'UNISDA mais ça ne
s'est pas fait quand ça a été au tour de la
Fédération. Là aussi effectivement ils avaient raison
quand même de protester parce que bon euh à l'époque ceux
qui étaient à la Fédération n'étaient pas
crédibles. Et on sait une chose, c'est que pour prendre des
responsabilités au sein de l'UNISDA il faut être
crédible.
Pourquoi ils n'étaient pas crédibles
?
Bah parce que les comptes n'étaient pas nets. Tout le
temps en redressement judiciaire, avec des problèmes financiers quoi,
bon. Donc ceux qui étaient vraiment les gardiens de l'UNISDA ont dit on
ne va pas confier la responsabilité de l'UNISDA à des gens qui ne
savent pas gérer leur propre association. De la sagesse, hein, bon.
Bref, alors la Fédération a claqué la porte et nous, nous
avons posé notre candidature et nous sommes rentrés à
l'UNISDA en 1998. Donc c'est nous qui avons remplacé la
Fédération, puisque eux représentent les Sourds gestuels
et que nous aussi on représente les Sourds gestuels. Et le premier
représentant à l'UNISDA, c'était moi. Ensuite on a eu
droit à un siège supplémentaire. Nous sommes deux à
siéger au sein
184
de l'UNISDA en tant qu'administrateurs. Dont le vice
président est Jacky CORREIA, qui était ancien président du
Mouvement des Sourds de France et qui est maintenant vice-président du
Mouvement des Sourds de France. Donc nous nous avons toujours un travail
parallèle : un travail commun avec l'UNISDA et qui n'est pas du tout
contradictoire parce qu'il est complémentaire, dans notre
spécificité, puisque l'UNISDA regroupe toutes les personnes
sourdes ou malentendantes, y compris les parents d'enfants sourds.
C'est la raison pour laquelle dans le mot UNISDA on
retrouve Déficient Auditif et pas Sourd ?
La surdité c'est une déficience auditive,
après c'est un catalogue d'échelles.
Alors c'est quoi justement être sourd ?
Etre sourd c'est de plus rien entendre. C'est être
handicapé, malade...
C'est l'équivalent d'aveugle et de malvoyant hein. On est
malvoyant on voit mal euh... Si j'ai des lunettes c'est parce que je vois mal
hein. Je suis malvoyant jusqu'à un certain degré. Mais je ne suis
pas malvoyant tel que d'autres qui pourraient à peine distinguer des
visages ou distinguer des ... Ils voient que des ombres. C'est des malvoyants.
Mais ils voient quand même quelque chose, alors que l'aveugle vous pouvez
mettre dans les yeux le phare de je ne sais pas quel coin de France, il ne
verrait rien du tout. Bon. Un Sourd vous pourriez le mettre au pied de la
cloche de Notre Dame, il entendrait pas la cloche. Il la sentirai puisque
ça vibre, avec la caisse de résonnance de l'air dans les poumons,
enfin ils entendent avec leurs pieds on dit, on dit qu'ils entendent avec leurs
pieds. Mais ils entendraient pas la cloche. Bon, donc, ça c'est les
Sourds. Le Sourd il est sourd. C'est comme si il n'avait pas du tout
185
de conduit auditif. Parce que malentendant, c'est celui qui a des
restes auditifs, le malentendant.
La FNSF est très attachée quand même
à ce...
Alors voilà. Elle dit que les vrais Sourds ce sont eux et
les autres ce sont des faux Sourds. Bah oui euh... le vrai français
c'est celui qui est depuis cinquante générations sur le
territoire français, celui qui y est que depuis quatre, cinq
générations, c'est pas un vrai français. On pourrait
raisonner de la même manière. Euh... nous on appelle ça de
la discrimination, de la ségrégation, nous ne l'acceptons pas
ça. Nous disons bah on naît sourd, on naît sourd mais on le
devient aussi... avec l'âge, on devient sourd par accident, par maladie
euh pour différentes raisons. Mais quand on est sourd on est sourd. On
est confronté exactement aux mêmes problèmes. On recherche
pas l'origine. Et eux ils ont tendance à dire, non le vrai Sourd c'est
celui qui est sourd de naissance.
Ils considèrent qu'ils appartiennent à une
minorité linguist...
Mais on est tous des minorités. Euh, le, le... Il y a
environ 10% de la population française qui est malentendante. Et dans
ces 10%, il y en a 0,5%, je dis bien 0,5% de ces 10% qui pratique la langue des
signes française. Donc qui sont sourds profonds. On peut
considérer 99% qui sont sourds profonds, de naissance. Voilà.
Est-ce que vous considérez qu'on peut tout de
même parler des Sourds comme d'une catégorie qui relèverait
de la médecine. Est-ce...
Non, le Sourd n'est pas un malade. Il va falloir un jour que
ça cesse. Le Sourd c'est pas un malade. C'est un sens qu'il n'a plus.
C'est pas une maladie qu'il traîne. La surdité n'est pas une
maladie. C'est un handicap de naissance que la personne elle a,
186
hein. Il y a le toucher, l'odorat, la vue, l'ouïe euh...
le cinquième, le cinquième... Et le goût, voilà. Bah
là c'est l'ouïe, point, c'est tout. C'est pas une maladie.
D'acc...
Donc, euh, vous m'excuserez parce que là vous touchez
à l'endroit où je suis très sensible. Moi les docteurs je
veux les voir à 50 000 kilomètres d'ici. Je ne veux pas voir un
seul médecin s'occuper des Sourds. Ils s'occupent des Sourds quand...
« ah oui, vous êtes sourd à 70%, à 70 décibels,
à 90 décibels... », là d'accord. Les audiogrammes
c'est leur secteur, ok. Ils évaluent et puis après : « au
revoir ». Ils ne sont pas chargés d'éducation, ils ne sont
pas chargés... rien ! Et l'orthophonie, ok. Bah les Sourds sont pas
obligés de passer par l'orthophonie, s'il a pas envie de parler. Vous
allez pas obliger quelqu'un à parler si il a pas envie de parler, bon.
Quelque part, on a tendance à imposer sous prétexte que, que...
Moi je comprends qu'une opération du coeur à un enfant en bas
âge, parce que si il a plus de coeur il meurt, il n'existe plus. Mais un
Sourd, alors quand il naît sourd, bah... des Sourds toute leur vie,
ça les empêche pas de vivre comme tout le monde. J'ai des tas de
preuves, des wagons de preuve moi, hein. Alors quand on dit il faut les
implanter très jeunes : dégagez là. Vous voulez faire du
fric sur la surdité parce que je sais, moi j'ai vu des films et tout.
J'ai discuté avec le professeur MORGON de Lyon... Il en arrive
même à dire : « bah on leur apprend quand même la
langue des signes parce que de toutes façons ça nous aide
».
Quel est l'intérêt d'implanter alors
?
Bah de faire du fric. Ca coûte très cher à
la sécurité sociale, la rééducation c'est cinq ans.
Un enfant qui est opéré, il est pris pendant un mois à
l'hôpital, il sort mais bon, c'est tous les jours pratiquement. Mais un
enfant, il ne vient pas tout seul par taxi, il vient avec ses parents, alors sa
mère ou son père peu importe. Mais si elle travaille, c'est pris
en charge par la sécurité sociale. Ensuite, c'est tous les mois
pendant un an,
187
c'est tous les jours, ensuite c'est tous les deux mois, ensuite
c'est tous les trois mois, après tous les six mois et après tous
les ans. Pendant cinq ans. La rééducation, les réglages et
tout. Alors rééducation orthophoniste, réglage des
appareils, et après qu'est-ce qui se passe ? On vous dit, bon, c'est
réussi, tant mieux. C'est pas réussi, tant pis on recommence. Et
n'oubliez pas que l'implant cochléaire, on met un fil qui vibre à
l'intérieur de la cochlée. Et ces appareils sont garantis dix
ans. Un enfant qui naît et qui vit jusqu'à quatre-vingt ans, c'est
huit fois sur le billard. Vous pensez qu'au bout de huit fois la cochlée
elle est encore intacte ? On nous prend pour quoi là ? Pour des
imbéciles. Par contre, il y en a qui se sont fait du fric pendant ce
temps là. Ca coûte, un enfant euh... une fois implanté
jusqu'au moment où il est censé être en autonomie
complète, c'est de trente mille à quarante mille euros, que
ça coûte à la sécurité sociale.
Et le dépistage précoce, qu'en pensez-vous
?
Alors le dépistage, ça peut avoir un avantage,
alors là, là... je serais très favorable, je vais vous
dire pourquoi très, parce que un enfant qui naît, quand il ne
parle pas, on dit : « ah bah tiens, il fait de l'autisme ». Combien
d'enfants sourds ont été pris pour des autistes. C'est pour
ça qu'il est nécessaire de dépister. S'il entend,
même si il veut pas parler, il réagit aux sons. Vous savez comment
ça se passe, quand on fait du dépistage de surdité, on
leur fait passer des fréquences, on leur fait passer... et puis bon ils
ont des réactions, on voit avec l'histoire du ludique, du jeu, du train
qui passe dans un tunnel, qui ressort ou qui ressort pas... y a un petit «
tut tut », vous regardez les yeux de vos enfants, bon il entend ou il
entend pas. Il y a d'autres tests aussi, hein, bon. Déjà voir
ça. Si il entend, bon là il peut y avoir un problème
d'autisme, d'accord. Mais si le môme il est distrait pas autre chose et
pis que bon... il entend pas point. Moi j'ai ma... ma fille, qui a eu ma petite
fille qui a sept ans maintenant. Parce que ma fille elle travaille... Vous
allez rester longtemps ici ?
188
Non, non, je repars demain.
Parce que ma fille, elle exerce à la
Salpêtrière. Elle fait l'accueil sourd ma fille. J'aurais des tas
de choses à vous raconter là-dessus. Bref. Ce monde des Sourds
j'y vis depuis ma naissance, parce mes parents étaient sourds-muets, et
j'ai ma technique perso pour savoir si l'enfant est sourd ou pas, parce que je
connais bien la réaction d'un enfant sourd.
(Le téléphone sonne, la discussion est
interrompue)
Donc, dans l'idée du dépistage
précoce il y a l'intention de faire un dépistage
immédiatement, dès la naissance.
Oui, dans la semaine, dans les semaines qui suivent, dans les
semaines... hein, bon. C'est pas à un jour près. Oui, mais moi je
pense que c'est nécessaire. Parce que la surdité, plus tôt
on la prend en charge, mieux ça vaut pour l'enfant. Le prendre en
charge, ça veut dire on considère que l'enfant il est sourd mais
on sait pas à quel niveau de surdité. Après on peut lui
faire des tests, des tests pour savoir bah... il réagit à telle
fréquence, il réagit à telle hauteur de décibel,
bon vous voyez... parce qu'il y a un problème de fréquence et un
problème de puissance, hein, dans le petit test. Donc ils peuvent
entendre certaines fréquences et pas d'autres, hein. C'est pas
linéaire, hein. Ca fait comme ça, hein. Ils ont parfois des
courbes descendantes, hein. Ca c'est une chose. Et à partir de là
vous pouvez adapter son éducation. L'éducation orale moi je suis
pour. Mais il faut pas que ce soit la priorité. Parce que le
côté cognitif d'un enfant, avant qu'il parle, avant qu'il
comprenne, il a ses yeux. Il comprend par les yeux. Vous savez un enfant qui a
un mois, deux mois, vous lui faîtes voir un biberon, hein, et vous lui
dîtes rien. Il sait que c'est pour boire, il sait bien que c'est pas...
bon. Donc les yeux, pour un enfant sourd, c'est très, très
important. Tout ce qu'il voit, il l'enregistre et il lui donne une
signification. Donc la communication elle doit passer par le geste. C'est ce
que je défends depuis des
189
décennies parce que je sais, et de toute façon, je
ne changerai pas là-dessus, parce que je sais que c'est pas par la
parole puisqu'il n'entend pas. C'est pas en parlant, parlant, parlant... en
croyant qu'il va comprendre. Bon, c'est tellement simple que de parler, hein.
Vous savez c'est par les yeux, c'est la communication par les yeux et par
l'image, par l'image en fait.
Alors justement, la loi de 2005 elle reconnaît la
langue des signes...
Alors là la loi de 2005. Alors je vais vous raconter quand
même parce que c'est très important. Bon, il y en a quelques uns
qui savent, parce qu'ils ont été aussi partie prenante avec moi.
Mais bon, il s'est trouvé que depuis la loi de 2005 j'ai
préparé, enfin avec les députés et tout... j'ai
été en amont de cette loi de 2005 avant qu'elle soit
présentée d'abord au Sénat, puis elle a été
présentée à l'Assemblée Nationale. Elle a
été présentée en première lecture au
Sénat, ensuite elle est venue à l'Assemblée Nationale, et
en deuxième lecture au Sénat et après retour à
l'Assemblée Nationale. C'est l'opération inverse qui s'est fait,
bon. Donc, quand nous sommes allés pour la présentation au
Sénat, donc la Fédération avait proposé, on avait
rencontré, moi j'étais pour, on était pour, la
reconnaissance officielle de la langue des signes. Euh, c'est un
député du Loiret, euh... monsieur... je ne me rappelle plus de
son nom, enfin bref, qui est député du Loiret, qui avait fait la
proposition... euh qui était sénateur du Loiret, pas
député mais sénateur du Loiret, qui avait fait la
proposition, nous on va pas faire une deuxième proposition du moment
qu'il y a une proposition, nous on est pour. Effectivement, le projet de loi
avait été accepté. Verdict : donc la reconnaissance
officielle de la langue des signes. Moi je dis bah c'est très bien, bon.
C'est arrivé sur le bureau de l'Assemblée Nationale, bon
très bien. Moi j'ai participé pratiquement à tous les
débats. J'y allais presque tous les jours. Et bon, des fois
c'était le matin, des fois c'était l'après-midi parce
qu'il y avait un truc urgent alors il faisait passer ça le lendemain,
mais bon. Des fois c'était pas toujours facile d'y aller. Donc euh...
j'y suis allé et, bah puisqu'elle avait été votée,
connaissant pas trop les
190
méandres de... Elle a pas été citée
à l'Assemblée Nationale. Donc je me suis dit bah si elle n'a pas
été citée, c'est parce que on revient pas dessus. Ca a
été voté, ils vont pas la rediscuter. Discuter de cet
article reconnaissant... En fait ils l'avaient escamoté. Et je m'en suis
pas rendu compte tout de suite. Ce n'est que trois jours avant l'ouverture au
Sénat en deuxième lecture, quand j'ai regardé la
présentation au Sénat de tous les textes, je me suis rendu compte
que la langue des signes elle était squizzée.
Et vous avez eu des explications ?
Aucune... Quand j'ai vu ça j'ai prévenu monsieur
FOURASTIE, qui était le président de la Fédération
à l'époque. Et monsieur FOURASTIE était surpris lui aussi
parce qu'il ne s'en était pas rendu compte. C'est moi qui l'avais
averti. Et avec l'ancien président du Mouvement des Sourds qui
était Patrick LIGER, euh, moi j'ai dit il faut qu'on se batte
là-dessus. Donc euh... nous sommes allés au Sénat le jour
où la loi a été... le premier jour nous sommes
allés. J'ai rencontré la, comment dire euh... un sénateur
du... ancien maire d'Orléans... euh Monsieur SUEUR, Jean-Pierre SUEUR,
qui est sénateur maintenant. Je l'ai rencontré accidentellement.
Il était en train de manger, de boire son petit café et de manger
ses petits croissants dans un bistrot juste devant le Sénat. Le
connaissant puisque j'allais souvent à Orléans, le connaissant
j'ai été le trouver. Je lui ai dit « voilà le
problème », je lui explique. Il m'a dit « mais mon bon
monsieur, vous me prenez en retard là, c'était il y a quinze
jours, il y a quinze jours j'aurais pu réclamer, demander à ce
que ce soit rajouté, mais moi en tant que sénateur je ne peux
plus du tout intervenir là-dessus. Si l'Assemblée Nationale s'est
prononcée, c'est terminé. Ca a été retiré,
personne n'a rien dit, à moins que nous quinze jours avant... on dit on
rajoute, on rétablit ». J'ai dit « attendez euh... ». Il
a dit « bon, je vais essayer de voir ce que je peux faire pour vous
». Très bien. On rerentre au Sénat et avant de rentrer au
Sénat, moi je connais bien le groupe communiste, parce que bon, j'ai des
affinités de ce côté-là, vous m'excuserez hein...
euh... depuis très longtemps d'ailleurs. Donc j'ai été
voir Michelle DEMESSINE, qui est sénatrice,
191
et Michelle je lui ai exposé exactement la même
chose que Jean-Pierre SUEUR et elle m'a dit « je veux bien moi t'aider
à essayer d'intervenir auprès... Y'a que le gouvernement qui peut
faire quelque chose. Si le gouvernement dit il faut le rétablir, il peut
le faire ». Seul le gouvernement pouvait le faire ça. Et alors
euh... et à l'époque c'était Madame MONTCHAMP et
j'étais très bien avec son Cabinet et Monsieur MILANO qui
était son Chef de Cabinet. Serge MILANO. Et je suis aussi toujours
très bien d'ailleurs, oui, toujours, Madame MONTCHAMP aussi, bien qu'on
n'ait pas la même couleur politique mais on s'entend très bien. Et
monsieur euh... Patrick GOHET (Délégué
Interministériel aux Personnes Handicapées). Et donc il y a
eu une interruption de séance en matinée et donc Michelle
DEMESSINE, d'en bas, elle me fait signe pour que je descende. Donc je suis
descendu, j'étais dans les tribunes, je suis descendu et elle m'a dit :
« on va aller au bar pour essayer d'arranger ça. On va voir s'il y
a du monde qui puisse... ». Effectivement, nous on peut pas rentrer au bar
mais si on est invité on peut y aller au bar. Alors le bar... Vous
l'avez jamais vu le bar ?
Non.
Bon, le bar du Sénat, c'est euh... cinquante mètres
de long hein. Bah oui, il y a quand même quatre cents sénateurs,
s'ils doivent tous se mettre au bar... hein, bon, bref. C'est un bar. Et donc
on commence à étudier le dossier et tout. Elle me dit je ne peux
absolument rien faire, il va falloir qu'on voit. Et moi j'aperçois donc
Monsieur GOHET et Monsieur MILANO, Serge MILANO, qui était le Chef de
Cabinet de Madame MONTCHAMP. Alors je lui dis « mais y a du ponte
là, on pourrait peut-être voir avec eux ? ». Elle m'a dit
« Oui, bonne idée ». « Vous les connaissez ? ».
« Ah bah oui je les connais ». Hop, j'prends le dossier sous le bras,
j'vais au bout du bar, ils étaient au fond, carrément au fond
hein. J'y vais. Bon, salut tout. « Ah bah qu'est-ce que vous faîtes
là ? ». « Bah vous savez la loi... ». « Bah oui
c'est vrai ... » Voilà, très bien. Monsieur MILANO, je lui
dis voilà y a un problème, comment se fait-il que - et
192
là je ressors bien sûr le texte qui avait
été voté au Sénat - et là, il a l'air...
tombé du ciel apparemment. Bon, tombé du ciel. Monsieur GOHET dit
« oui, c'est pas normal, c'est pas normal. Les sénateurs ont
voté et là ça a été supprimé, on sait
pas pourquoi. Il y a eu un squizzage quelque part, je voudrais pas accuser qui
que ce soit, je ne sais pas hein, mais ça a été
squizzé quelque part, y a quelque chose... ». Bon. Alors je lui dis
« écoutez qu'est-ce qu'on fait maintenant ? ». J'ai dit «
maintenant... d'après ce que je sais.. ». Alors Madame euh...
comment dire euh... Michelle DEMESSINE me rejoint, elle me rejoint avec le
président, d'ailleurs le président de la Fédération
FNSF était là, et le président du Mouvement des Sourds
était là. Alors j'ai dit « voilà, y a deux
président de deux importantes associations nationales, ils sont pas
contents du tout ». Alors MILANO il dit « bon bah oui, oui, non,
mais... attendez... nous on y est pour rien, y a quelque chose. Je vais en
parler à la ministre. Vous pouvez me laisser vos dossiers ? ».
« Pas de problème, je vous laisse mes dossiers, tout ». Et je
lui en parle à savoir ce qu'on peut faire. Il va la trouver, on voit
d'ailleurs en haut des tribunes, on voit, il discute avec elle sur le banc
là, du gouvernement. Il discute, il ressort tout. Trois minutes
après, il était déjà arrivé... un huissier
vient me chercher : « Monsieur BRUNEAU, y a monsieur MILANO il veut vous
parler ». Donc Monsieur MILANO il me dit « Bon bah écoutez,
Madame euh... Madame MONTCHAMP est d'accord, elle veut bien rétablir
mais elle ne sait pas exactement dans les termes. Faudrait que vous puissiez
faire les termes exacts et on discutera sur les termes exacts. » Donc
c'était nous qui étaient chargés de la rédaction
qu'on voulait ! ». Bah oui... Ce qui y a, c'est que vous êtes au
Sénat, pas d'ordinateur sous la main, rien du tout, vous faîtes
quoi ? Quand vous voulez rédiger quelque chose. Elle dit vous l'envoyez,
une fois que vous l'avez rédigé vous l'envoyez par fax au
ministère et le ministère vous renvoie le texte, parce qu'on ne
pouvait pas directement. Donc il fallait envoyer ça au ministère
pour qu'il nous le renvoie. Bon... on avait de la chance, c'est que parmi les
visiteurs sourds, un monsieur Jean-François LABBE, vous n'en avez pas
entendu parler de Jean-François LABBE ? Toujours un monsieur entre deux
eaux hein... ça c'est mon neveu par alliance. Mais bon, je vais pas
raconter toute
193
ma famille. Et alors donc Jean-François il monte et il dit
« alors ? ». Je lui dis « écoute je suis emmerdé
» en expliquant. Il me dit « ah ! j'connais une sourde qui travaille
au Sénat, dans un bureau, on va aller la voir ». Je lui dis «
bah attend euh... ». « Mais te casse pas la tête, allez suivez
moi ». On est sorti du Sénat, passé le côté de
la rue, dans les bureaux du Sénat, elle s'occupe de la
vérification des dépenses des sénateurs pour les
rembourser. Bon, un rôle subalterne. Donc, on va, on monte, bon elle
parle la langue des signes, tout. Donc on bavarde. Et elle me dit « bon,
bon, pas de
problème ». « On peut accéder à
internet ? ». « Oui, oui ». Moi sur internet j'ai tout de suite
retrouvé les textes et tout, j'ai pu reprendre, j'ai fait un
copier-coller comme on dit, j'ai repris un texte avec word. J'ai fait lire aux
deux présidents du Mouvement des Sourds et de la
Fédération. Ils m'ont dit « ouais, ouais, très bien.
Bon bah faudra peut-être rajouter ça ». Bon j'ai
rajouté pour que ce soit bien, bien dans le contexte quoi. Et avec le
numéro de fax qu'on m'a donné, moi j'ai dit j'vais voir parce que
je voulais savoir où il atterrit. Je compose le numéro et puis je
prends le téléphone. Et j'entends quelqu'un qui décroche.
Oui ici le ministère de la Santé, enfin bon, personnes
handicapées, à l'époque c'était ça. J'ai dit
« bah je suis monsieur BRUNEAU euh... Monsieur MILANO m'a demandé
de vous transmettre un fax parce que... ». « Ah bah oui justement on
l'attend, dépêchez-vous, avant midi », qu'elle me dit. Donc,
il y avait quand même une continuité, hein. « Je vous
l'envoie tout de suite. Je raccroche et je vous l'envoie ». « Pas de
problème ». Je l'envoie, bon, très bien.
L'après-midi, on reprend à trois heures, parce que les
sénateurs il faut qu'ils aient le temps de manger hein. Ils
arrêtent à midi et ils reprennent à trois heures. C'est
trois heures... ah oui... bon. Et alors à trois heures tout le monde
reprend et tout. Et vers quatre heures et demie, cinq heures, je vois
Monsieur... Madame euh... Michelle DEMESSINE me fait un signe, elle me fait
comme ça (pouce en l'air), Jean-Pierre SUEUR il fait comme
ça (pouce en l'air), alors les huissiers distribuent des
papiers dans tout l'hémicycle, à tous les sénateurs. Bon
très bien et puis bon, mais Monsieur MILANO rien, il ne nous regardait
pas, rien du tout. Par contre j'ai bien vu qu'il y avait quand même avec
Monsieur MILANO et puis
194
Madame MONTCHAMP, que ça discutait entre eux. Et arrive
eux... huit heures moins le quart du soir euh... Madame MONTCHAMP prend la
parole et dit :
« Mesdames, Messieurs les Sénateurs, il s'est
trouvé que vous avez voté en première lecture la
reconnaissance de la langue des signes article tant... », enfin bon je me
rappelle plus. Enfin, elle fait tout son exposé, moi je l'ai encore ce
texte, je l'ai pas là mais je l'ai chez moi, je pourrais vous l'envoyer
ce texte. J'ai tout... la minute comme on l'appelle, l'extrait. Je l'ai hein.
Oui, oui, non mais c'est intéressant à lire, hein. Vous allez
voir. Elle dit « voilà alors écoutez Mesdames, Messieurs les
Sénateurs euh... d'ailleurs les président des associations de
Sourds sont actuellement dans les Tribunes en train de vous regarder ». Et
moi j'étais là je traduisais en langue des signes, hein. «
Alors je vous demande de bien vouloir rétablir le texte que vous ont
distribué les huissiers, de bien vouloir rétablir parce que c'est
pas normal. A l'Assemblée Nationale il semblerait que ça a
été supprimé, on ne sait pas à quel moment. Et on
aimerait que votre premier vote soit confirmé par un deuxième
vote, pour remettre cette loi de reconnaissance de la langue des signes ».
Et tout le monde a dit « ah oui bien sûr ». Y'en a même
un il a dit oui et il faudrait même reconnaître le braille ! On
voit à quel niveau ça plane des fois, hein. Oui, oui, non mais
c'est comme ça. Faudrait même reconnaître le braille !
J'vois pas. J'vois pas la logique, bref. Et donc, très bien, et
ça a été voté je vous jure, à
l'U-NA-NI-MI-TE, pas une seule abstention. Pas une seule abstention, ni un vote
contre. A l'u-na-ni-mi-té. Il était vingt heures dix, du soir. Et
puis il y a eu même des applaudissements en plus de ça. Alors bon
bah nous on était... Et alors, et ben on est descendu comme ça a
dû se clôturer, il était... D'ailleurs après ils ont
été mangé parce qu'après, c'était le dernier
article qui passait, après il fallait qu'ils aillent manger parce que
là...euh, bon. Après ils reprenaient, hein, ils reprenaient dans
la nuit hein parce que... ils ont tendance quand même à aller
tard, hein, jusqu'à deux heures du matin des fois, quand même
hein. Ils reprennent à dix heures jusqu'à deux heures du matin.
Bon, et là donc à huit heures alors Monsieur Jean-Pierre SUEUR et
comment elle s'appelle, Michelle DEMESSINE, nous ont attendu en bas, nous ont
félicité, et tout, et tout... Et monsieur
195
Jean-Pierre SUEUR nous a offert une bouteille de champagne qu'on
a bu au bar. Et j'ai même des photos, faut que je les retrouve
d'ailleurs. On est en train de boire le champagne avec eux. Voilà la
petite histoire de cette reconnaissance de la langue des signes.
Merci.
Donc, j'ai été largement bah... parce que j'ai
jamais accepté qu'on puisse comme ça, d'un coup de trait de plume
ou je ne sais pas trop quoi euh... supprimer quelque chose où je me
battais moi déjà depuis le début quoi... voilà,
ça s'est passé comme ça.
Et les conséquences alors de cette
reconnaissance... (Le téléphone sonne, Monsieur BRUNEAU
décroche).
On parlait donc de la reconnaissance de la loi de 2005 et
de la langue des signes. Quelles conséquences a la reconnaissance de la
langue des signes au niveau de l'éducation des enfants sourds
?
Alors là, bonne question. Je vais encore broder parce que
c'est utile. C'était encore le sujet d'hier soir chez Madame
euh...Machin.
Madame LETARD ?
Madame LETARD, euh... l'Education Nationale veut bien enseigner
la langue des signes à l'école parce que la loi l'y oblige. Par
contre elle ne veut pas enseigner le LPC (Langage Parlé
Complété).
D'accord.
Et le LPC gueule, ils disent « pourquoi vous faîtes
de la discrimination ? » « C'est pas nous c'est la loi. La loi elle
vous a oublié » donc euh..., a dit que il faut respecter
toutes les formes de communication et dans l'éducation des
jeunes sourds, la liberté de choix entre, entre... mais euh...
C'est le bilinguisme langue des signes, français
écrit.
Voilà, voilà. Et donc euh... voilà. Alors
donc l'éducation a été posée par le
représentant de la LPC, en disant euh... « c'est pas normal, il y a
une
discrimination ». Voilà. Moi j'y peux rien, c'est le
législateur. A moins qu'on change la loi, mais... tout au moins
l'article de la loi qui... de l'éducation. Mais pour l'instant
l'Education Nationale ne veut pas... elle veut rien faire. Et c'est vrai,
hein.
Et l'Education Nationale vous la sentez motivée,
prête à agir sur...
Obligée, pas motivée, obligée. Donc euh...
elle passe que la première, elle veut pas passer la seconde.
Il semblerait qu'il y ait des pôles ressources qui
soient envisagés dans chaque...
Oui
... au niveau de chaque académie.
Oui, oui, ils ont des tas de projets, oui. Mais bon, il faut
donner les moyens pour les faire fonctionner. Ils ne les donnent pas. Y'a
toujours de bonnes raisons pour dire « bah non, c'est pas... c'est
l'année prochaine ». Oui, oui, y'a pas... et bon... ils sont
assez... c'est le mammouth hein, j'suis désolé hein... mais
bon... j'pourrais faire bouger là d'dans moi, pfff....
196
Et l'intégration individuelle, vous en pensez quoi
? Parce que, en fait, cette loi...
197
Le mot intégration ça veut dire beaucoup de choses
et rien dire à la fois. On intègre quoi euh... Vous mettez un
chien avec un chat, c'est deux mammifères, bon... et on voit ce que
ça donne hein. Non, moi l'intégration je suis pour... le vivre
ensemble je suis pour, mais à partir de là, après du
moment... Alors après si vous voulez faire la ghettoïsation... On
va pas faire la ghetto... On va pas mettre euh... trois portugais, trois
chinois, et trois je sais pas trop quoi ensemble, ils discuteront jamais
ensemble si ils ne connaissent que leur propre langue. Un moment, on a beau les
mettre ensemble, ils vont pas, bon... On va essayer de voir, vivre un peu
ensemble mais ils communiqueront dans leur langue maternelle, c'est pareil les
personnes sourdes euh... Bon, alors donc moi je suis pour l'intégration
mais à certaines conditions. C'est-à-dire que, il faut euh qu'il
y ait euh... euh... des enfants... on sait au départ que c'est un enfant
sourd, il faut lui donner une éducation. La priorité c'est
ça. Bon. Qu'ils comprennent, parce que, ça suffit pas souvent,
les Sourds lisent mais ça veut pas dire qu'ils comprennent. Ils savent
lire, ah oui, donc ils savent lire donc il va comprendre. Bah non, j'suis
désolé. Même un Entendant, il sait lire des lignes. Il va
dire blablablablabla... Ca veut dire quoi ? Euh, bah euh...Voilà. Alors
un Sourd c'est pire. Donc c'est pas le tout de leur apprendre à lire.
Faut leur apprendre à comprendre, ce qu'ils lisent. Et ça c'est
pas évident. Et c'est pas en articulant, en articulant à un
Sourd, c'est la langue des signes, c'est une langue unique, c'est une langue
imagée, comme une communication qui est vraiment bien adaptée
pour comprendre les choses. Alors j'ai des Sourds des fois ils me demandent un
texte en français, je leur traduis en langue des signes et après
je rajoute ce qu'il faut pour compléter et après ils ont compris,
ils ont compris le sens. Même le sens figuré. Alors que le sens
figuré, ils le comprennent pas, hein, en lecture, les Sourds. Le sens
figuré, les sous-entendus tout ça, ils comprennent pas. Donc il
faut leur expliquer. C'est d'ailleurs le but ici. Je vais les former, on va
travailler avec internet, google... un mot, n'importe quoi, on va travailler...
vous voulez le savoir, vous allez cliquer et vous avez les explications
éventuellement et tout et tout.
198
Et cette loi c'est d'une part la reconnaissance de la
langue des signes et du bilinguisme à l'école et d'un autre
côté elle prévoit d'intégrer les enfants, j'utilise
ce mot d'intégration parce que c'est celui qui est employé dans
la loi, elle prévoit que chaque enfant soit intégré
individuellement. Est-ce qu'on peut...
Oui, c'est ça...
Est-ce qu'on peut en faire autant pour les Sourds
?
Bah oui, mais non. Qu'est-ce qui va se passer ? On va
intégrer un Sourd, allez deux, allez trois Sourds, dans une classe de
trente élèves. Bon, allez, on en met vingt. Ca existe pas
déjà au départ, hein. Trois Sourds dans une classe de
vingt. Qu'est-ce qui va se passer ? L'enseignant, qu'est-ce qui va faire ? Il
va dispenser son cours d'une manière oralisée. Les personnes
sourdes, elles vont pas pouvoir suivre. Si un élève au fond de la
classe qui pose une question, l'enfant sourd il sait pas qu'y a une question
qui est posée. Tout de suite, l'enseignant il va dire, oui bah
écoute euh... ta question est bonne, viens ici l'expliquer. Et là
ils auront pas compris. Donc c'est pas... non, l'intégration j'en veux
pas moi, j'en veux pas. Ils participent pas... C'est pas possible. Alors, ils
ont eu l'idée de créer des AVS, j'étais là moi il y
a trois ans, au ministère de l'Education Nationale, sous la direction
d'ailleurs de Patrick GOHET, qui était là aussi. Ils ont dit
« on va embaucher des AVS, des Auxiliaires de Vie Scolaire, alors soixante
heures de formation, euh voilà, nien nien... ». Soixante heures,
moi je lève le petit doigt : « Et concernant les enfants sourds, la
formation est de combien ? ». « Ah la formation elle est de quatre
heures ». Alors là j'ai dit : « non, écoutez on n'en
veut pas ». « Bah, c'est-à-dire que les handicapés...
c'est des enfants handicapés ». « Oui mais les Sourds, non.
Quatre heures, c'est pas une formation. C'est la communication chez eux, c'est
pas... il s'agit pas de pousser le petit chariot ou de leur donner euh... le
petit livre qu'ils ont besoin. C'est la communication. Si vous avez pas de
personnes compétentes pour communiquer avec eux, pour aider à la
communication, c'est pas
199
la peine ». Alors, voilà. C'est ça, ça
a commencé comme ça il y a deux ans. On s'est battu, on a
même été reçu par le ministre, comment... je
pêche... Qui a pris une veste d'ailleurs, il était, il s'est
présenté comme député dans la Manche, et il a pris
une veste...
Philippe BAS...
Voilà... C'est Philippe BAS. Dans le bureau, dans son
propre bureau, au cinquième étage du ministère de la
Santé, sixième étage c'était. Philippe BAS qui
était là. Y avait Jérémie BOROY et y avait moi :
« Monsieur BOROY je souhaiterais que vous fassiez un effort de
signer le papier ». Il voulait nous faire signer un papier pour les AVS !
Y a trois associations qui ont signé, y'en a qu'une qui n'a pas
signé, c'est l'UNISDA. On n'a jamais accepté de signer ce papier.
Jamais on n'a accepté. Jamais, aucun. Y'a bien quatre cases, trois de
signées mais pas notre signature. Non, non... Nous ce qu'on veut c'est
réellement des euh... des enseignants ou des anciens qui
maîtrisent la langue des signes, qui connaissent bien la communication
envers les enfants sourds quoi, suivant le libre choix des parents euh... Le
fameux questionnaire « Projet de Vie » pour les Maisons
Départementales, le précédent questionnaire il y avait
alors... « faîtes votre projet de vie », tout, et puis et bon,
voilà. Mais à aucun moment on disait euh... si vous voulez, dans
l'éducation des jeunes sourds, alors que la loi le dit bien, la
liberté de choix et tout dans l'éducation de leur enfant, et bien
c'était même pas porté dans ce projet de vie. On a
obligé la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour
l'Autonomie), mais il a fallu l'attaquer. Moi j'ai fait partie de la
commission au CNSA pour qu'ils le mettent dans les nouveaux questionnaires qui
sont en fonction depuis le mois de janvier là.
Une dernière question ? Votre sentiment sur
l'avenir de la langue des signes en France... c'est quoi ?
200
Bah, j'ai de l'espoir, beaucoup d'espoir. Sauf que, bah ça
suffit pas, l'espoir d'une chose, mais il faut mettre les moyens
derrière. Si y a pas des moyens pour que la langue des signes elle
puisse se faire accep... être connu de tous, quoique il y a de plus en
plus de... d'émissions qui ... « L'oeil et la main »... on en
parle de plus en plus de cette langue. Ce qu'il faudrait c'est qu'il y ait de
plus en plus d'émissions à la télévision, en langue
des signes, pour pouvoir justement vulgariser cette langue qui est une langue
de la communication, que je dirais universelle, parce que de toute façon
même si on ne parle pas la même langue des signes en France, qu'en
Allemagne, en Italie ou dans d'autres pays, euh, au bout de vingt minutes on se
comprend. Moi je suis allé, je sais pas si on peut le mettre ça,
m'enfin... je suis allé il y a quinze ans en Thaïlande, et je parle
pas le Thaï ! Avec ma femme on a rencontré à Bangkok des
Sourds, un groupe de Sourds, donc j'ai dit on va aller les trouver. «
Bonjour vous êtes Sourds ? ». « Ah oui, oui ». Alors
ça c'est facile à se comprendre. Voilà, au bout de vingt
minutes on se comprenait, je savais s'ils avaient du boulot ou pas, s'ils
avaient des enfants ou pas, s'ils étaient mariés, tout et tout,
je savais tout, au bout de vingt minutes, et j'parle pas l'thaï.
Voilà, c'est un bon exemple. Mais oui, non mais, les gens me... quand je
leur dis... mais la langue des signes c'est une langue universelle, on se
comprend. Parce que les gestes sont pratiquement les mêmes et on arrive
à se comprendre. La vue, les mimiques, ça y est, on a
trouvé le geste qui correspond à ce qu'on avait besoin quoi. Ah
non, non. Moi je suis un ardent, un fervent défenseur de la langue des
signes, moi de toutes façons, là-dessus...
Vous l'aimez cette langue.
Ah oui, oui... ah oui, oui, oui. Je l'ai toujours aimé et
puis bon, je la défends parce que s'il y avait pas ça euh... faut
quand même penser... c'est que quand la langue des signes elle est
arrivée, bon l'abbé de l'Epée, je vais pas refaire son
histoire mais, à l'époque, on considérait les Sourds comme
des imbéciles, comme des idiots. L'abbé de l'Epée qui est
le premier instituteur gratuit pour les Sourds, hein, euh... Bien sûr
enseignait la bible, bien sûr les prières, mais on
s'est rendu compte qu'il les a démutisés d'une certaine
façon, c'est-à-dire qu'ils ont pu communiquer. Et on s'est rendu
compte qu'ils étaient pas bêtes, qu'il suffisait d'adapter le
langage avec eux et on pouvait se comprendre. Bon, voilà. Et ça,
l'abbé de l'Epée a su le faire, y'en a eu d'autres hein, des
sommités au XIXème siècle, des sommités... Laurent
CLERC qui est parti aux Etats-Unis, c'était quand même quelqu'un
d'important. Y'a eu SICARD, l'abbé SICARD, qui étaient vraiment
des gens compétents en Sourds et tout hein. Alors euh... bon maintenant
un peu moins parce qu'il y a eu le Congrès de Milan en 1880 qui a fait
que, qu'il y a eu carrément le noir quoi, l'obscurité. Mais les
Sourds ont continué à communiquer en langue des signes. Ce qui
prouve que... à travers les associations sportives surtout. Parce que
bon, il y avait pas encore la loi de 1901 sur les associations, alors ils
étaient mis dans des associations sportives parce qu'ils voulaient
communiquer en langue des signes entre eux, et échanger entre eux. Sans
ça c'était interdit quoi. Dans les écoles et tout, hein.
Moi j'ai ma belle-mère qui était du Nord, elle était
d'Arras, quand elle était petite on lui attachait les mains dans le dos
pour pas qu'elle parle en langue des signes. Chez les bonnes soeurs
c'était ça. Elle prenait des coups de règle sur les mains
et tout, à chaque fois qu'elle était surprise en train de parler
en langue des signes. Ma belle-mère... c'était comme ça.
En Bretagne, beaucoup, Fougères euh... il y avait beaucoup
d'écoles... d'ailleurs ils sont très oralisés en Bretagne,
mais maintenant la langue des signes elle revient en Bretagne. Et pendant
longtemps ils étaient oralisés hein. Y'a que dans les INJS
où on pouvait autoriser la langue des signes. Dans les INJS
c'était toléré. Mais dans les écoles privées
euh... c'était des écoles de curés... parce que le
Congrès de Milan c'est des sommités catholiques qui, en Italie,
qui... qu'ont dit « non, il faut... c'est la langue des singes, la langue
des signes c'est la langue des singes »...
201
Il y a eu du chemin de fait...
202
Oh oui, il y a eu du chemin, et puis il faut que ça
continue, hein. Faut que ça continue, hein...
|
|