2009
La loi handicap
du 11 février 2005
Quelle reconnaissance
de la langue des
signes française ?
Mémoire pour la maîtrise de sciences
politiques, Université de Droit et des Sciences Politiques de
Nantes
Magali Leské
08/06/2009
2
REMERCIEMENTS
A Monsieur Goulven Boudic, Maître de Conférences en
Sciences Politiques à la Faculté de Nantes. Je tiens à
vous témoigner ma profonde gratitude, pour avoir dirigé ce
mémoire. Je vous remercie également pour vos enseignements, vos
conseils et votre disponibilité.
Aux représentants de la Fédération Nationale
des Sourds de France, du Mouvement des Sourds de France et d'OSS 2007, pour
avoir accepté de me recevoir. Merci pour votre patience et votre
enthousiasme.
A Monsieur Daniel Corre, Inspecteur à la Direction
Générale des Affaires Sociales, et à Monsieur
Pierre-François Gachet, Chef du bureau de l'adaptation scolaire à
la Direction Générale de l'Enseignement Scolaire, pour m'avoir
reçue.
A Marie-Christine Le Goff, documentaliste à La
Persagotière, pour m'avoir permis d'accéder à la
littérature spécialisée.
A Isabelle, pour ton aide à la retranscription des
entretiens. A mes proches, à mes amis, pour leur soutien sans faille.
A Angela, à Enzo, parce que vous m'enrichissez, parce que
vous êtes riches de vos différences.
3
INTRODUCTION
« Si nous n'avions point de voix, ni de langue et que
nous voulussions nous montrer les choses les uns aux autres, n'essaierions-nous
pas, comme le font en effet les Muets, de les indiquer avec les mains, la
tête et le reste du corps ? 1». L'auteur de ces
lignes n'est autre que Platon, pour lequel le langage est imitation. Il nous
permet de rendre compte de l'origine lointaine de la langue gestuelle.
Déjà au Vème siècle avant Jésus-Christ, ceux
qu'il nomme les Muets usaient de leurs mains pour communiquer, faute d'entendre
et de pouvoir parler. Mais si ce langage du corps s'impose à Platon,
comme une évidence, il reste que le regard porté sur le Sourd et
sa langue portera très tôt à controverse.
Considérant, en effet, que l'homme est le seul animal à
être doué de parole, par laquelle il exprime un raisonnement, une
morale2, Aristote affirme clairement dans son « Histoire des
Animaux » que les « sourds de naissance », à
l'instar des animaux, « sont également tous muets. Ils
émettent des sons mais n'ont pas de langage 3». La
déduction établie par Aristote entre la parole et le langage, la
parole et la pensée nous invite très directement à la
remise en cause des facultés intellectuelles des « sourds de
naissance ». Ne sont-ils rien d'autre, sous une forme humaine, que des
animaux ? Cette représentation du Sourd traversera les siècles,
et pénètrera le Siècle des Lumières. «
Parle et je te baptise » dira le cardinal de Polignac à
l'orang-outan du Jardin du Roi4. La parole est divine, le Sourd qui
ne peut, faute de pouvoir parler, être baptisé, serait
renvoyé au rang animal. Dans son « Essai sur l'origine des langues
», Rousseau va aussi établir que ce qui distinguerait
fondamentalement l'homme de l'animal, ce serait le langage, la parole...
L'humanisme d'un Montaigne n'aura pas suffit, trois siècles plus
tôt, à renverser l'idée dominante d'un Sourd proche de
l'animal, sauvage, et non pas politique. Dans « Les Essais », Michel
de
1 Platon, Le Cratyle XXXIV, 422d-423b
2 Aristote, La Politique, Livre I, ch.II
3 Aristote, Histoire des Animaux, Livre IV, ch.9
4 Diderot, Le rêve de d'Alembert
4
Montaigne déclarait en effet que « Les Muets
disputent, argumentent et content des histoires par signes... si souples et
formés à cela, qu'à la vérité il ne leur
manquoit rien à la perfection de se sçavoir faire entendre
5». Pourtant, au milieu du
XVIIIème siècle, un homme d'Eglise, Charles Michel
Lespée dit l'abbé de l'Epée, va consacrer une partie de
son existence au développement de la langue gestuelle. Disciple de
Saint-Augustin, qui pensait que l'enseignement des Evangiles pouvait se faire
au moyen des signes gestuels6, son ambition première est de
démontrer que tous les sourds-muets sont éducables, et qu'ils
peuvent ainsi faire de bons chrétiens. Cette intention est
révolutionnaire. Si quelques sourds-muets issus de bonnes familles
reçoivent les enseignements de précepteurs, pour garantir la
transmission de l'héritage qui se fait alors par voie orale, si Etienne
de Fay, qui était lui-même sourd-muet, a ouvert une école,
qui s'éteindra avec lui, pour quelques-uns de ses semblables, il reste
que l'éducation de masse envisagée par l'abbé de
l'Epée n'a connu aucun précédent. Son souhait de mener
à Dieu ces sourds-muets en marge de la société, sa
méthode qui repose sur une codification de la langue française en
signes, rencontreront les faveurs de la Révolution française.
L'idéologie révolutionnaire tend à la construction d'une
communauté unitaire, voire uniforme. La philosophie universaliste qui
s'impose viendra contrer les particularismes, jusqu'à vouloir les
éradiquer. Le paradigme de l'inclusion sociale, cette vision du monde
qui tend à la construction d'une société dans laquelle
chaque individu est incorporé, formant un tout, anime les esprits
révolutionnaires. Le peuple, masse informe
dépossédée de tout particularisme, ne pourra exprimer sa
diversité. Les sourds-muets seront à l'époque
éduqués dans des Instituts spécialisés. Le
politique fera appel à la médecine pour les rendre à la
société des semblables. A la fin XIXème
siècle, la consolidation de la Révolution conduira à
l'interdiction de leur langue, la langue des signes. Cette langue a
survécu à cent ans d'interdiction. Ca n'est qu'à partir de
1976 qu'un arrêté ministériel, du Ministère de la
Santé, autorisera à nouveau l'enseignement de la langue des
signes au sein des
5 Michel de Montaigne, Les Essais, Livre II, Chapitre
XII.
6 Jean-René Presneau, ..., dans Le Pouvoir des
Signes, 1989, P20.
5
établissements spécialisés. Pour autant,
l'éducation spécialisée ne donne pas satisfaction aux
Sourds, qui ne se considèrent ni malades, ni handicapés. Les
Sourds demandent la reconnaissance de leur langue, une reconnaissance
officielle, par l'Etat, pour pouvoir recevoir un enseignement en langue des
signes à l'école ordinaire. La loi du 11 février 2005 pour
l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées comportera deux articles
sur la langue des signes. Désormais, la langue des signes est une langue
à part entière. Quel changement va générer cette
reconnaissance ? Pour répondre à cette question, nous allons nous
intéresser à l'histoire de la langue des signes et à
l'histoire de ses locuteurs. Puis nous nous pencherons plus
précisément sur la loi du 11 février 2005, pour envisager
la question du changement.
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