Année Université 2013-2014
Université Jean Moulin Lyon III - Faculté
de Droit
Master II Droit des Affaires, Mention Droit des Entreprises,
Spécialité Droit de la Propriété
Intellectuelle
L'auteur-interprète à l'ère
numérique : Applications et évolutions
Mémoire soutenu par Charles PAGE
sous la direction de
Monsieur Nicolas BOUCHE, Directeur du Master Droit de la
Propriété Intellectuelle Madame Anne-Emmanuelle KHAN, Directrice
du Mémoire
Remerciements
Je tiens à remercier avant tout,
Monsieur le Maître de conférences Nicolas Bouche,
pour m'avoir permis d'intégrer ce Master II d'étude de la
Propriété Intellectuelle et son plaisir non dissimulé de
transmettre son savoir à ses étudiants. Madame Anne-Emmanuelle
Khan, pour ses conseils avisés, son engouement pour la culture
artistique, et la qualité de son enseignement.
Je remercie également mes parents et leur regard
critique sur cette étude, et Mathilde Besnard, pour tous les
encouragements et conseils qu'elle m'a prodigué au cours de cette
année.
Sommaire
Introduction 4
Titre I - L'application délicate des droits
d'auteur sur
Internet 11
Chapitre 1 : Des phénomènes majeurs
difficilement appréhendables 12
Section 1 : L'incontrôlable phénomène du
téléchargement pair-a-pair 12
Section 2 : L'épineuse question du streaming 19
Chapitre 2 : Des solutions contemporaines insuffisantes 24
Section 1 : La réponse apportée par les mesures
techniques de protection 24
Section 2 : La réponse apportée par l'offre
légale 28
Titre II - Une modification sous-estimée des rapports
entre acteurs 33
Chapitre 1 : Des rapports auteur-producteur bouleversés
34
Section 1 : Une situation classiquement monopolistique des
majors 35
Section 2 : Un déclin annoncé de la figure
classique du producteur 37
Chapitre 2 : Des rapports auteur-public encouragés
39
Section 1 : L'Internet en faveur d'un rapport direct 40
Section 2 : Le public, au centre d'un nouveau modèle
économique ? 41
Conclusion 44
1
« La musique seule a une place dans le monde actuel,
précisément parce qu'elle ne prétend pas dire des choses
déterminées »
Mikhaïl Bakounine
1. Le droit de la propriété littéraire
et artistique a cet intérêt si particulier
d'être étroitement lié à la création,
à l'esthétique et à la culture. Parmi les nombreuses
déclinaisons de ce que l'on définit comme artistique, la musique
apparaît être l'expression la plus sensible de l'art. Tout un
chacun est sensible à la musicalité, sans considération de
son âge, origine, classe sociale ou personnalité1.
Cette universalité en fait donc un enjeu social, juridique, et
économique majeur.
2. Le concept même de « droit d'auteur »
naît à Rome, où l'on distinguait déjà entre
le support de l'oeuvre et son contenu. Sous l'Ancien Régime
français, le droit d'auteur n'existait pas en tant que tel et la seule
protection que le créateur pouvait espérer émanait alors
des privilèges octroyés de façon discrétionnaire
par le Roi. Cas rare, puisque l'usage était la vente de l'oeuvre de
l'auteur à l'éditeur, qui demandait alors l'octroi du
privilège à son propre compte. En matière musical,
l'auteur était alors soumis aux Académies de musique,
véritables corporations bénéficiaires de
privilèges. Ce n'est qu'en 1784 que Louis XVI leur accorde un
début de reconnaissance2. Il faudra attendre les
Décrets des 19 et 24 Juillet 1793 pour que les prémices d'un
réel droit d'auteur au profit des « compositeurs de musique
» soient reconnues, par l'octroi d'un droit de reproduction exclusif
d'une durée de dix ans post mortem auctoris. Le XIXème
siècle permettra ensuite la maturation progressive du droit d'auteur, et
les discussions internationales entraîneront la rédaction de la
Convention de Berne du 09 septembre 1886, socle de protection commune aux
différents Etats membres. Au début du XXème siècle
sont ensuite élaborés le principe de la protection de l'oeuvre
sans considération de son mérite (1902), la reconnaissance de la
distinction entre l'oeuvre et son support (1910), et le droit de suite (1920).
Et c'est près de 150 ans après la première
législation française du droit d'auteur que la grande loi du 11
mars 1957 est promulguée pour que soient misent en place les bases du
droit d'auteur appliqué aujourd'hui. Codification principalement
à droit constant, par la consécration des jurisprudences
nombreuses en la matière, elle reconnaît aux auteurs un droit
moral conséquent ainsi que des droits patrimoniaux : les droits de
reproduction de représentation, tout en prévoyant les
différentes modalités de conclusion des contrats de
représentation et d'édition. L'élargissement par la suite
progressif de la protection connaît un réel coup de fouet à
la
1 Barbara Tillman, Novembre 2008
« La musique, un langage universel » [en ligne]
http://www.pourlascience.fr/ewb
pages/a/article-la-musique-un-langage-universel-18508.php (consulté
le 02/06/2014)
2 Pierre-Yves Gautier.
Propriété Littéraire et Artistique.
Puf, Collection Droit Fondamental Civil, 2012
p.16
2
fin du XXème siècle par l'impulsion des
directives communautaires. L'arrivée au troisième
millénaire, synonyme de passage à l'ère numérique
et de consécration de la société de l'information, voit
naître alors trois grandes lois aux ambitions d'adaptation à cette
évolution technologique. Celle du 1er août 2006,
écho à la Directive relative aux droits d'auteur et aux droits
voisins dans la société d'information (Directive DADVSI), et
celles des 12 Juin et 9 Juillet 2009, derniers actes législatifs
franco-français en la matière, établissant la
célèbre mais non moins discutée Haute Autorité pour
la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI).
3. La conciliation entre droits d'auteur et numérique
est pourtant particulièrement délicate. Alors que le droit
d'auteur serait potentiellement nuisible au développement de la
société de l'information promise par le numérique,
celle-ci permettrait dans le même temps la multiplication des copies
illicites et autres violations des droits, rendant sa mise en oeuvre
impossible3. Le droit d'auteur, par le monopole d'exploitation
temporaire conféré à son titulaire, est manifestement un
mécanisme de réservation du marché visant à
ériger une barrière propre à sortir l'objet de la
protection de l'usage commun. C'est le but de rémunération de
l'effort créateur, ex post, de son titulaire4.
Néanmoins, la réservation n'est pas absolue. Le respect des
intérêts des utilisateurs a entraîné la
reconnaissance d'exceptions à l'exclusivité. Le droit admet il
est vrai certaines utilisations gratuites sur les oeuvres
protégées, avec pour objet d'assurer le respect du droit à
la vie privée des utilisateurs et la prise en compte de
l'impossibilité matérielle et juridique de contrôler chaque
utilisation frauduleuse potentielle, afin de favoriser un accès plus
large aux oeuvres, la critique, et l'apprentissage. Principalement, la copie
privée, la parodie, l'utilisation dans le cercle familial, l'utilisation
à des fins pédagogiques, la reproduction pour les
bibliothèques numériques, et accessoirement, toute utilisation
d'une oeuvre tombée dans le domaine public, une fois la durée de
protection de 70 ans post mortem auctoris expirée, avec pour
seule limite le respect du droit moral perpétuel de l'auteur et de ses
ayants-droits et ayants-cause. Le droit d'auteur peut donc être vu comme
un système de compromis social5. La sempiternelle question de
la conciliation entre le respect du travail de l'auteur, son apport pour la
société, et les intérêts du public, s'exacerbe
à l'occasion de l'apparition du numérique.
4. « Everything you always knew about intellectual
property is wrong ». Monsieur John P. Barlow, fondateur de
l'Electronic Frontier Foundation parvient à résumer par ce
postulat à la fois provocant et pertinent les turpitudes auxquelles doit
faire face le droit à l'ère du numérique. Si la
propriété intellectuelle est un concept bien établi depuis
plus d'un siècle, la démocratisation de l'internet en a
ébranlé le fondement, la légitimité, et
l'applicabilité. Si les débats portent sur l'ensemble de la
matière, leur intensité n'en n'est que renforcée en
matière musicale en raison de son caractère universel.
3 J. Farchy, 2001 « Le droit d'auteur est-il
soluble dans l'économie numérique » in Réseaux
Volume 19 - n°110/2001 - Edition La Découverte p.17
4 M. Vivant et J.-M. Bruguière, 203
Précis Droit d'auteur et droits voisins - Edition Dalloz p.
13.
5 J. Farchy, op. cit. p.23
5.
3
Mais pourquoi tant de remises en cause, pourquoi les
sentiments se déchainent-ils tant à cette occasion ? Selon
Jérôme Huet, l'internet est « un phénomène de
culture et de communication autant, si ce n'est plus, qu'il est un
phénomène marchand »6. Les internautes sont
imprégnés d'une culture non marchande. En effet, l'internet
repose depuis sa démocratisation sur les principes de gratuité et
de libre accès7. Alors que le numérique apporte
l'espoir d'une société d'information sans limites, permettant la
promotion et la diffusion exponentielle des contenus, le droit d'auteur vient
quant à lui en limiter la portée, excluant de ces avancées
une partie de la population : les « info-pauvres
»8.
6. Les critiques s'élèvent de tous
bords concernant la législation des droits d'auteur appliqués
sur internet. Tandis que Messieurs M. Vivant et J-M. Bruguière
n'hésitent pas à juger la loi DADVSI « sans philosophie
directrice, mal construite, mal écrite et partant d'une lecture
difficile [et] très timorée sur certains points
»9, d'autres voient le droit d'auteur comme un obstacle au
développement de la société de l'information10.
D'autres encore sont plus catégoriques, à l'image de Joost Smiers
selon qui le droit d'auteur est devenu « un moyen de contrôle du
domaine public intellectuel et créatif par un nombre très
limité de grands groupes », favorisant non plus les
créateurs mais seulement les investisseurs, le droit n'étant plus
au service de l'art mais du marché11. Foucault avait
d'ailleurs déjà considéré auparavant que le droit
d'auteur n'était qu'une « production économique,
idéologique et sociale visant à favoriser le commerce des oeuvres
et la surveillance de leur contenu »12.
7. En parallèle des critiques de praticiens
experts en droit, ont également émergées deux grandes
théories plus populaires : Le « No copyright » et le
« Copyleft ». Le « No copyright »
consiste à remettre en cause l'existence même du droit, en ce
qu'il serait un obstacle à l'accès à la connaissance et
« exclurait une partie de la population de la société de
l'information » creusant ainsi les inégalités entre
ceux qui ont les moyens de financer leur culture et ceux qui ne les ont
pas13. Cette théorie reprend notamment certains postulats de
Roland Barthes et plus spécifiquement les idées
rédigées dans « La mort de l'auteur »
publié en 1968, selon lequel l'auteur -si tant est qu'il le soit
vraiment, dépassant le cadre de l'intertextualité obstacle
à l'originalité de nouveaux écrits- cède sa place
au lecteur une fois son oeuvre transmise, ne justifiant dès lors plus le
monopole exclusif temporaire d'exploitation au profit du premier. En
conséquence, sans droit
6 Jérôme Huet,
in « L'internet et le droit - Droit français européen et
comparé de l'internet, actes du colloque organisé les 25 et 26
Septembre 2000 » Collection Légipresse.
7 Après paiement de
l'abonnement internet, bien entendu.
8 Joëlle Farchy, op.
cit. p.23
9 Michel Vivant et
Jean-Michel Bruguière, op. cit. p.25
10 Joëlle Farchy, op.
cit. p.17
11 Joost Smiers, «
L'abolition des droits d'auteur au profit des créateurs » in
Réseaux Volume 19 n°110/2001 - Edition La Découverte
p.61
12 Joëlle Farchy, op.
cit. p.23
13 Joëlle Farchy,
Internet et le droit d'auteur, la culture Napster. Paris, CNRS Ed.,
coll. CNRS Communication, 2003 p.77
4
d'auteur n'existerait plus l'industrie culturelle
monopolistique imposant une standardisation de la culture où
apparaissent quelques vedettes calibrées. Tout artiste pourrait alors
trouver plus aisément son public, notamment à l'échelle
planétaire, grâce à internet, et ainsi gagner sa vie de
manière plus décente. Cette multiplication des artistes
contribuerait alors à l'amélioration même de la
diversité culturelle14. Si cette théorie emporta
l'adhésion d'une partie considérable de l'opinion publique au
début des années 2000 et bénéficia d'une seconde
jeunesse lors des débats liés à l'HADOPI, elle
n'apparaît pas adaptée aux nécessités contemporaines
de certaines oeuvres nécessitant des investissements substantiels en
amont, qu'il s'agisse des réalisations
cinématographiques ou jeux vidéo. La seconde
approche apparaît quant à elle plus modérée. Si elle
reconnaît la légitimité d'un droit d'auteur, elle discute
la pertinence de son modèle économique. Alors que le
législateur et les lobbys cherchent à appliquer de façon
quasi identique le droit dans le monde numérique que dans le monde
réel, son effectivité est rendue particulièrement ardue
par les milliards de contrefacteurs potentiels et la difficile détection
des actes contrefaisants. Le postulat est donc clair : S'il devient presque
impossible d'interdire, faut-il encore persévérer dans une
logique d'interdiction ? Apparue en 1991 de l'esprit de Richard Stallman, elle
fait prévaloir le système des General Public Licences ou Licences
Art Libre favorisant la diffusion et le partage des oeuvres artistiques. Par ce
biais, l'auteur s'engage à délaisser ses droits en permettant aux
tiers d'utiliser, copier, redistribuer et modifier l'oeuvre, sauf à ce
qu'il soit sujet à utilisation commerciale ultérieure sans
accord15. Simplement, l'auteur resterait titulaire de droits, mais
conserverait la possibilité d'aménager ses prérogatives et
d'en délaisser certaines. Il s'agirait donc, in fine, d'une licence
légale sans rémunération, sur une oeuvre n'étant
pas libre de droit. Mais encore faut-il que le contributeur aménage la
preuve de son antériorité et de sa paternité en cas
d'appropriation frauduleuse. Par ailleurs, si l'ère numérique
permet à l'auteur d'aménager ses pouvoirs et d'abandonner ses
prérogatives patrimoniales, encore faut-il qu'il puisse accepter
d'abandonner la capacité d'être rémunéré par
sa création... D'autres préféreraient opter pour un
système proche à ce que l'on connaît aujourd'hui en
matière de copie privée : Si le caractère incitatif du
droit d'auteur est discuté, l'artiste ne créant en principe pas
parce qu'il est protégé, le caractère rétributif ne
fait aucun doute. A défaut d'assurer un monopole d'exclusivité
sur internet, il conviendrait de prélever une taxe sur toutes les
entreprises utilisant des oeuvres, sur tous les moyens permettant
d'accéder à l'Internet et d'accéder à des oeuvres
(via ordinateurs, abonnements, disques durs externes...), les recettes
étant ensuite placées sur des fonds spéciaux soumis
à des règles strictes de répartition catégorielles
: Groupes d'artistes, institutions culturelles, artistes individuels... Afin
que l'artiste ne soit plus en lien direct avec sa rémunération et
mettre alors fin au caractère devenu essentiellement mercantile de
l'art16. Mais encore faut-il que le système soit soumis
à des règles neutres, et soumettre la rémunération
d'un artiste à des critères spécifiques ne seraient-il pas
un
14 Joost Smiers, « L'abolition des droits
d'auteur au profit des créateurs » in Réseaux Volume 19
n°110/2001 - Edition La Découverte p.69
15 David Geraud, « Le copyleft : Un ver
dans le verger des titulaires de droit » in Réseaux Volume 19
n°110/2001 - Editions La Découverte p.155
16 Joost Smiers op. cit. p.65
5
risque de nouvelle standardisation de la culture, où
une administration composée de « sages » établirait les
critères de ce qu'est la musicalité, et de ce qui mérite
d'être subventionné ?17
8. Si la légitimité du droit est remise en
cause à l'occasion de l'apparition du numérique, son application,
seconde étape du processus, apparaît tout autant
problématique. Le numérique raisonne en terme de
dématérialisation. Alors que l'on pouvait auparavant
détecter les contrefaçons par la vente de CD-Roms ou cassettes,
le pirate est aujourd'hui fantôme anonyme. L'oeuvre se distingue
pleinement de son support et la copie ne se distingue plus de l'original.
L'immatériel devient absolu et se pose alors la question de la
possibilité d'interdire sa mobilité. Le rapport
Lévy-Jouvet présenté au nom de la Commission sur
l'économie de l'immatériel en Novembre 2006 avait
déjà établi ce constat selon lequel «
l'économie a changé. En quelques années, une nouvelle
composante s'est imposée comme un moteur déterminant de la
croissance des économies : l'immatériel [...]. Aujourd'hui, la
véritable richesse n'est pas concrète, elle est abstraite. Elle
n'est pas matérielle, elle est immatérielle ». Dès
lors, le droit d'auteur serait-il un héritage du passé, incapable
de survivre à la pratique massive de copiage des oeuvres permise par le
numérique ?18. Pas si sûr. En effet, l'on peut
distinguer trois grands moyens de lutte contre la piraterie :
- La mise en place de logiciels de recherche des
contrevenants : A l'image de l'HADOPI et sa « réponse
graduée », visant à envoyer un avis de supprimer la copie et
mettre fin aux actes contrefaisants, puis le cas échéant,
l'engagement de poursuites.
- L'élaboration de sanctions commerciales à
l'encontre des Etats dépendant de leurs exportations afin qu'ils
durcissent leur propre règlementation en matière de
contrefaçon.
- La mise en place de mesures techniques de protection,
introduites en droit français par la loi DADVSI et définies
notamment par l'article L331-5 du Code de la Propriété
Intellectuelle comme « Les mesures techniques efficaces
destinées à empêcher ou à limiter les utilisations
non autorisées par les titulaires d'un droit », ces mesures
pouvant consister, à titre d'exemple, en restrictions de lecteurs,
limitations géographiques, limitations de copie privée,
identifications ou tatouages numériques incorporés à
l'oeuvres, en permettant le traçage ultérieure sur
l'internet...
9. Mais l'auteur-interprète de musique à
l'ère numérique n'est pas soumis qu'à une simple
modification de ses droits. Sa situation même évolue,
renforçant sa position, légitimant ses prétentions, et
justifiant potentiellement de nouvelles transformations juridiques en sa
faveur. En effet, comme l'a noté Madame Anne-Emmanuelle Kahn, la faille
du droit d'auteur reste son instrumentalisation par d'autres que son premier
destinataire, et c'est ainsi que le plus grand risque pour la protection de
l'auteur est l'utilisation qu'en font les autres. Les enjeux économiques
sont conséquents : En 2013, le marché mondial de la
17 [En ligne]
http://cupfoundation.wordpress.com/2013/12/11/pourquoi-la-culture-numerique-doit-etre-marchande/(consulté
le 02/06/2014)
18 Joëlle Farchy, op. cit. p.28
6
vente de musique s'élevait à 15 milliards de
dollars19. La proportion des ventes numériques
représentait 39% des ventes totales. Pourtant, la répartition du
prix d'un téléchargement est loin d'être au profit de
l'auteur, puisqu'en moyenne, 61.6% du bénéfice revient au
producteur du disque, tandis que seulement 10% revient à
l'auteur20.
10. L'on peut néanmoins prédire -toutes
proportions gardées- un regain de profits pour l'auteur. Le
numérique se caractérise par l'instantané, la
communication directe et immédiate entre utilisateurs. Alors que,
classiquement, le producteur est celui qui organise et finance l'enregistrement
de l'interprétation puis en assure la fabrication, commercialisation et
promotion, ce rôle perd de son importance sur internet. S'il restera
toujours nécessaire de financer l'enregistrement, la fabrication n'est
plus nécessaire, la commercialisation peut s'effectuer à moindres
frais par le biais de sites hébergeurs et la promotion des titres peut
se faire par les différents réseaux sociaux et plateformes de
partages21. En outre, alors que le public intervient
traditionnellement en fin de processus par sa fonction de consommateur, le web
lui accorde un rôle progressivement actif et déterminant dans la
création par le biais de sites de financements participatifs, à
l'image du désormais célèbre « My Major Company
», plateforme comparable à l'investissement au capital social d'une
société : L'utilisateur investit un montant x destiné
à produire l'album de l'artiste et peut bénéficier
à la commercialisation d'un intéressement proportionnel sur les
ventes22. De là à conclure que le producteur perdra
progressivement sa position dominante sur le marché du disque à
mesure que l'auteur-interprète et le public renforceront leurs
relations, il n'y a qu'un pas.
11. Au regard de ces différentes
considérations, il conviendra donc d'étudier les
différentes activités numériques potentiellement nuisibles
aux droits d'auteur. Si le droit est subdivisé entre prérogatives
patrimoniales et morales, les dispositions extrapatrimoniales resteront
anecdotiques dans le cadre de ce propos principalement tournés vers
l'appréhension économique du droit. Qu'il s'agisse du fortement
critiqué téléchargement via réseaux pair-a-pair, le
streaming et l'offre légale, sont impactés aussi bien les droits
de reproduction et de représentation du titulaire. Ces diverses
pratiques présentent des failles importantes que le droit actuel n'est
pas en complète mesure de combler. L'analyse devra être donc
à la fois contemporaine, au regard du droit actuellement applicable,
mais aussi prospective, dans le but d'étudier les propositions non
encore retenues par les autorités et les pistes encore peu
abordées, qui justifient au moins en partie les échecs subis par
la règlementation contemporaine. Par ailleurs, le droit n'a de raison
d'être que dans une société complexe
caractérisée par son économie, ses caractéristiques
sociales et culturelles. Il sera ainsi indispensable de se prononcer sur les
évolutions apportées par le numérique sur ces
différents points, par leurs traductions dans les rapports entre
l'auteur-interprète et ses partenaires principaux, qu'il s'agisse des
producteurs ou du public, autant d'aspects sans doute négligés
lors de l'élaboration des dernières législations du
numérique.
19 IFPI Digital Music Report 2014 « Lighting up
new markets »
20 André Nicolas, Observatoire de la musique
2013 « Etat des lieux de l'offre de musique numérique »
21 L'on pense ici à Facebook, Myspace, Youtube,
Dailymotion ou encore Viméo.
22
http://www.mymajorcompany.com/about
7
12. Il apparaît donc opportun d'analyser l'approche
juridique des phénomènes numériques par le droit d'auteur
(Titre I), dans le but de déterminer l'efficacité et les lacunes
de celui-ci, pour ensuite mener l'étude des relations de
l'auteur-interprète et de ses partenaires dans l'ère
numérique (Titre II) sous-tendant une modification des rapports
juridiques entre ces acteurs.
8
TITRE I : L'APPLICATION DELICATE DES DROITS D'AUTEUR SUR
INTERNET
13. La problématique de l'application des droits sur
internet est relativement récente. Le sommet d'Ottawa de 1998,
organisé par l'OCDE, a pour la première fois cherché
à réunir les différents Chefs d'Etats pour discuter des
difficultés juridiques soulevées par ce nouveau moyen de
communication. La question était déjà essentielle et les
décideurs ont vite compris les implications de l'internet sur la
société : Qu'il s'agisse du commerce, de la protection des
consommateurs et des données personnelles. Néanmoins, la question
de la culture ne sera pas encore abordée23.
14. La particularité de l'internet, sa
nouveauté, en font un outil difficilement appréhendable par le
droit d'auteur « classique ». En effet, de nouvelles pratiques
apparaissent : Parmi elles, l'on peut en dégager deux grandes : Le
téléchargement d'une part, notamment via le système
pair-à-pair, et le streaming d'autre part. De cette grande
classification découlent nombres de subdivisions sous forme de divers
modes de diffusions.
15. Si ces modes de diffusion ne font pas l'objet d'un vide
juridique, la législation en la matière semble imparfaite. La
première loi franco-française mentionnant l'internet
apparaît en 1976. Son objectif principal : La protection des
données personnelles. Le web effraie : Ses prétentions
tentaculaires, sa nature dématérialisée, sa
démocratisation voient se dévoiler le spectre de l'utilisation
abusive d'informations confidentielles. La première réaction
législative incluant des dispositions propres au droit d'auteur fut la
Loi Perben II du 09 mars 2004 portant adaptation de la justice aux
évolutions de la criminalité, réaction répressive
portant la sanction de la contrefaçon en matière de droits
d'auteurs à 3 ans d'emprisonnement et 300.000 euros d'amende au lieu des
deux ans et 150.000 euros précédemment
prévus24. La loi de transposition du 01 août 2006
relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la
société de l'information (DADVSI) complète le dispositif
pénal par la répression du contournement des mesures techniques
de protection. La première rédaction prévoyait en outre la
contraventionnalisation des échanges illégaux pair-à-pair,
disposition néanmoins censurée pour violation du principe
d'égalité devant la loi pénale par le Conseil
Constitutionnel le 27 juillet 2006, en raison du traitement différent de
celui des autres services de communication au public en ligne sans
justification, puisque les mêmes actes de contrefaçon peuvent tout
à fait être effectués via ces autres moyens de
communication25. La Loi HADOPI 1 « Création et Internet
» du 12 juin 2009 repose sur une philosophie nouvelle, plus
éloignée de la répression pénale et du durcissement
des sanctions. La réponse pénale est modifiée : le
dispositif repose sur une obligation de surveillance de l'accès internet
par l'abonné qui
23 L'internet et le droit - Droit français,
européen et comparé de l'internet. Colloque des 25 et 26
septembre 2000 - Collection Légipresse p.183.
24 Alain Bensoussant, 2004 «
La loi Perben II renvorce la lutte contre la cybercriminalité»
[en ligne]
http://www.01net.com/editorial/240503/la-loi-perben-ii-renforce-la-lutte-contre-la-cybercriminalite/
(consulté le 02/06/2014)
25 « Considérant que les requérants
soutiennent que cette disposition méconnaît le principe
d'égalité devant la loi pénale en instituant une
différence de traitement injustifiée entre les personnes qui
reproduisent ou communiquent des objets protégés au titre du
droit d'auteur [...] selon qu'elles utilisent un logiciel de pair à pair
ou un autre moyen de communication électronique »
9
doit s'assurer que cet accès n'est pas utilisé
pour effectuer un acte de contrefaçon. Le cas échéant, le
célèbre système de sanction par « réponse
graduée » est enclenché : L'abonné reçoit dans
un premier temps un message d'avertissement par courriel, à pure
visée pédagogique, préventive et dissuasive. Si un acte de
contrefaçon est renouvelé sous six mois, l'abonné
reçoit une seconde recommandation par courriel et lettre
recommandé avec accusé de réception. Si dans les douze
mois un acte est de nouveau réalisé, l'abonné est soumis
à l'étape répressive : Il est coupable de l'infraction de
négligence caractérisée, sanctionnée par 1.500
euros d'amende ainsi que d'une coupure d'accès internet d'un mois
maximum. Si le Conseil Constitutionnel, dans une décision du 10 juin
2009 a mis fin à cette disposition en jugeant que « la
suspension [de la connexion internet] peut porter atteinte à la
liberté d'accès à internet, droit fondamental
rattaché à la liberté d'expression et de communication
» 26et ne peut ainsi être prononcée que par
un juge et non par une simple autorité administrative, le reste du
dispositif n'a pas été remis en cause. Suite à cette
inconstitutionnalité de fond, le législateur a réagi par
la rédaction de la Loi HADOPI 2 relative à la protection
pénale de la propriété littéraire et artistique
promulguée le 28 octobre 2009. Cette dernière prévoit la
création d'un juge unique, statuant par voie d'ordonnance pénale,
afin de respecter les prescriptions du juge constitutionnel. La suspension de
la connexion est rétablie et peut courir jusqu'à un mois pour
l'abonné, un an pour le pirate. La loi prévoit en outre une
contravention annexe de 3.750€ si le contrevenant souscrit un nouveau
contrat d'abonnement dans le délai de sanction. Par ailleurs, les Lois
HADOPI établissent un nouvel objectif : la labellisation de l'offre
légale destinée à aider les internautes à
repérer les sites licites.
16. Malgré un véritable arsenal
législatif à l'encontre des utilisations frauduleuses d'oeuvres
protégées sur l'Internet, l'application des droits sur internet
est pourtant mise à rude épreuve. D'une part du fait des
phénomènes nouveaux, difficilement appréhendables par le
droit (Chapitre I), d'autre part en raison de solutions contemporaines, sinon
mal rédigées, tout du moins insuffisantes (Chapitre II).
CHAPITRE I : DES PHENOMENES MAJEURS DIFFICILEMENT
APPREHENDABLES
17. Le numérique et son illustration la plus grande,
l'Internet, permettent de nombreuses pratiques nouvelles, mais certaines
prédominent. Si l'on parle de « phénomènes majeurs
», c'est bien parce que téléchargement et streaming sont des
pratiques tout à fait révolutionnaires et populaires. De
véritables phénomènes de société, voire
même de mode27, qu'il s'agisse du téléchargement
pair-à-pair (Section 1), ou du streaming (Section 2).
Section 1 : L'incontrôlable phénomène du
téléchargement pair-à-pair
18. Les systèmes pair-a-pair permettent à un
ensemble d'utilisateurs d'Internet de communiquer entre eux et de partager des
fichiers. Alors que la figure classique du téléchargement repose
sur des protocoles centralisés, entre un serveur et son client,
26CC 10/06/2009 n°2009-580 DC, HADOPI :
D.2009, point de vue p.2045n par L. Marino et point de vue p.1770 par J-M
Bruguière, RLDI 2009/51, n°1699 note D. Rousseau, RSC 2009, p.609,
obs. J. Francillon
27 Emmanouil Georgakakis, 2006 « Le
phénomène du peer-to-peer et la distribution de musique ».
Mémoire p.6
10
cette forme de partage est fondée sur un protocole
décentralisé : l'utilisateur devient à la fois serveur et
client, émetteur et récepteur de contenu. Le
téléchargement s'effectue via un « portail », logiciel
de dialogue entre ordinateurs et permettant l'échange de données,
le plus populaire restant BitTorrent. Plusieurs sources d'information agissent
alors simultanément, et plus les fichiers sont populaires, plus les
sources sont nombreuses, plus le téléchargement devient rapide,
et ce de façon exponentielle28. On entre alors dans un cercle
vicieux incitatif : plus la contrefaçon est effectuée, pas elle
est efficace, plus le contrefacteur est noyé dans la masse des
utilisateurs.
19. Si le téléchargement « classique
», centralisé, ne pose pas de problèmes particuliers quant
au fait de déceler le serveur et le client, les serveurs
décentralisés opposent des difficultés bien plus grandes :
En effet, en raison de la multiplicité des sources, quand bien
même l'on peut déterminer qui est client, on ne peut savoir
précisément de quelle source provient le fichier partagé.
Et c'est ici que le bât blesse : Est-il plus efficace de sanctionner le
récepteur, ou l'émetteur du fichier original ?
20. Le pair-à-pair n'est pas, en tant que telle,
illégal. Rien n'empêche plusieurs utilisateurs de partager des
contenus libres de droit, ou leurs propres créations,
protégées mais dont le partage est effectué avec leur
consentement. Mais il n'en n'est pas moins un moteur privilégié
des violations de droits d'auteurs : Permettant la copie à prix faible
ou nul, à qualité proche ou égale de l'original, rendant
la répression plus délicate en raison de l'anonymat des
réseaux, de la rapidité des échanges, des techniques de
brouillage de l'identification, du nombre toujours plus grand de plateforme et
portails de téléchargement, le pair-à-pair est
incontestablement la plateforme privilégiée des échanges
illégaux.
21. La meilleure illustration du sujet, qui en est aussi la
genèse, reste sans nul doute l'affaire Napster. Logiciel et site
informatique consacré aux phonogrammes numériques,
créé par Shawn Fanning en juin 1999, étudiant
américain d'à peine 20 ans, sa technologie est la première
à reposer sur le pair-à-pair. Le but était alors simple et
idéaliste : favoriser le partage de fichiers musicaux entre
utilisateurs, sans que le site ne contrôle l'origine et le contenu des
fichiers. Joëlle Farchy en a très bien résumé
l'idéologie, selon laquelle :
« plus que tout autre, Napster symbolisait le
rêve, grâce à Internet, d'une autre forme d'accès au
savoir et à la culture, rêve des internautes devenu cauchemar pour
les producteurs d'oeuvres protégées par la
propriété intellectuelle. Ce que la technologie nous promet d'une
main, le droit d'auteur ou le copyright nous le reprennent de l'autre
»29. Bien entendu, Napster n'avait pas pour objectif admis
d'enfreindre le droit d'auteur. Les volontés alternatives de No
copyright ou Copyleft n'étaient alors qu'à l'état
d'embryon - si tant est qu'elles fussent déjà
formalisées-. Mais indéniablement, Napster favorisait,
indirectement, la duplication non autorisée d'oeuvres
protégées. D'abord site de partage
28 Joëlle Bissonnette, 2009 «
L'industrie du disque à l'ère du numérique :
l'évolution des droits d'auteur et l'édition musicale »
Mémoire p.23
29Joëlle Farchy, Internet et le droit
d'auteur, la culture Napster. Paris, CNRS Ed., coll. CNRS Communication,
2003
11
sans prétentions mercantiles, Napster devint rapidement
une société ayant pour but de tirer profit de ses
activités publicitaires. Et c'est sans doute cette nouvelle politique
qui entraîna la violente réaction des ayants-droits.
22. Napster est ainsi poursuivi en 2001 par le groupe
Metallica devant l'US District Court du District Nord de la Californie. Selon
le juge Marilyn Hall Patel, qui présidait alors au Tribunal, Napster
était complice de contrefaçon, ou « contributory
copyright infringement », n'étant pas en mesure de «
prouver que son système [était] capable d'une utilisation
commerciale significative sans violer le copyright »30.
Napster se rendait également responsable du fait d'autrui, ou «
vicarious copyright infringement », puisque, selon la juridiction
« Napster [avait] le droit et la capacité de superviser la
conduite de ses utilisateurs ». En juillet 2001, la forme en cause du
site fut alors fermée par voie judiciaire. Racheté par la suite
par Best Buy, en faisant un magasin de musique en ligne, puis racheté
par Rhapsody en 2011, Napster a donc pris le chemin de la rédemption en
devenant un site d'offre purement légal.
23. Le système de téléchargement
pair-à-pair pose deux grandes questions, qu'il conviendra
d'étudier successivement. Tout d'abord, ce système remet en cause
les prérogatives patrimoniales classiques de reproduction et de
représentation par l'absence de distinction entre émetteur et
récepteur (Paragraphe I), Ensuite, ce système, confronté
aux limites du droit d'auteur, révèle d'autres
problématiques encore bien plus tumultueuse, rendant la pratique
particulièrement complexe à aborder (Paragraphe II).
Paragraphe I : Des prérogatives patrimoniales
classiques mises à mal par le pair-à-pair A] Les
violations des prérogatives patrimoniales par le système
pair-à-pair
24. Il n'est pas étonnant que des prérogatives,
créées à l'origine pour un univers matériel soient
difficilement applicables en l'état dans l'univers numérique.
L'article L222-1 du Code de la Propriété Intellectuelle indique
que l'auteur bénéficie sur son oeuvre d'un droit d'exploitation,
subdivisé entre droit de représentation et de reproduction.
L'article L222-2 du même Code définit le droit de
représentation comme consistant en « la communication de
l'oeuvre au public par un procédé quelconque ».
S'ensuit une liste de procédés, non exhaustive. L'auteur
dispose donc du droit exclusif de contrôler la diffusion de son oeuvre,
avec ou sans reproduction, qu'il s'agisse d'une diffusion directe ou indirecte.
La représentation peut prendre deux formes originaires : la
représentation primaire d'une part, lorsqu'une personne est à
l'origine de la représentation, et la représentation secondaire,
lorsqu'une personne donne accès à des oeuvres à des
personnes qui n'auraient pas dû y avoir accès. Le droit de
reproduction est quant à lui défini à l'article L122-3 du
Code de la Propriété Intellectuelle. Il s'agit de « la
fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui
permettent la communiquer au public d'une manière indirecte »,
quand bien même cette reproduction serait simplement
éphémère. L'adjectif « matériel »
renvoie donc à la fabrication d'exemplaires matériels,
palpables de l'oeuvre.
30 Giovanni B. Ramello « Napster et la
musique en ligne : Le mythe du vase de Pandore se répéterait-il ?
» in Réseaux Volume 19 n°110/2001 - Editions La
Découverte p. 131
25.
12
Si en matière de reproduction, la lettre du texte
laisse entendre que le droit se cantonne au matériel, la jurisprudence
en a apporté une lecture plus large et s'est rapidement saisie de la
qualification des actes propres à l'ère numérique. Dans
deux arrêts du 14 août 1996, le Tribunal de Grande Instance de
Paris a affirmé que l'acte de numérisation d'une oeuvre relevait
du droit de reproduction au motif que « toute reproduction par
numérisation d'oeuvres musicales protégées par le droit
d'auteur, susceptible d'être mise à la disposition de personnes
connectées au réseau Internet, doit être autorisée
expressément par les titulaires ou cessionnaires des droits
»31. Moins d'un an plus tard, la même juridiction
persiste et signe en indiquant que la numérisation « constitue
une reproduction de l'oeuvre qui requiert en tant que telle, lorsqu'il s'agit
d'une oeuvre originale, l'autorisation préalable de l'auteur ou de ses
ayants-droits »32. A la lecture des différents
arrêts, il semble évident que les juges - sans doute pour
conserver la lettre du Code - recherchent systématiquement un support
matériel nécessaire à la réalisation de l'acte.
Qu'il s'agisse de la fixation sur un support CD à la suite du
téléchargement33, ou du stockage sur la mémoire
de l'ordinateur, sur son disque dur34.
26. En matière de pair-à-pair, certains auteurs
ont néanmoins considéré que l'internaute «
émetteur », mettant l'oeuvre à disposition du public,
n'effectuait pas de copie de l'oeuvre, celle-ci n'étant
réalisée que par l'utilisateur « récepteur
»35. Si le postulat semble justifié pour la
première copie, l'on a déjà remarqué que le
téléchargement pair-à-pair s'effectuait entre une
multitude d'utilisateurs, étant à la fois « émetteurs
» et « récepteurs ». Dès lors, ne serait-ce non
pas seulement la réception, mais également l'émission, par
la numérisation nécessaire de l'oeuvre pour en assurer le
transfert numérique, qui constituerait une reproduction frauduleuse,
étant effectuée dans un but de communication indirecte au public
via le réseau pair-à-pair comme le prévoit le Code ?
27. Du point de vue du récepteur, celui-ci effectue
manifestement une reproduction de l'oeuvre sur son disque dur. Sa copie devient
ensuite « l'original » des reproductions ultérieures
effectuées par des tiers. Chaque utilisateur rediffuse l'oeuvre, sa
reproduction se liant alors à une communication indirecte de l'oeuvre.
Un acte de téléchargement, un seul « clic » sur un lien
entraîne donc une double lésion du droit d'auteur. Le Tribunal de
Commerce de Paris l'a d'ailleurs rapidement compris, sanctionnant la mise en
réseau d'une oeuvre de manière illicite car portant atteinte
à la fois au droit de reproduction et au droit de représentation
du titulaire36.
28. Ainsi, l'Internet n'est pas un « paradis »
où le droit d'auteur ne saurait être respecté. Le
réseau est un terrain de reproduction et de représentation
apparemment comme un
31 TGI Paris, ord. Réf. 14/08/1996 (deux
espèces « Brel » et « Sardou ») JCP E 1996, II. Note
Edelman B
32 TGI Paris, ord. Réf. 05/05/1997 «
Queneau I » JCP G 1997 II n°22906 note Olivier F.
33 TGI Montpellier 24/09/1999 Com. Comm. Electronique
2000, comm. 15, note Caron C.
34 CA Paris 29/09/1999 D.1999 act. Jurispr. P37 Com.
Comm. Electr. Déc. 1999, actual. 47, obs. Haas G.
35 G. Georgakakis, op. cit. p.13
36 Com. Paris ord. Réf. 03/03/1997, JCP G,
1997-II-22840, obs. Olivier et Barby ; RTD com. 1997, p.457, obs.
Françon S.
13
autre où la contrefaçon est omniprésente
et sa sanction applicable. Néanmoins, la nécessité
constante d'un support matériel à la contrefaçon et le
particularisme propre au numérique nécessitent de se questionner
sur la pertinence du schéma classique droit de reproduction/droit de
représentation.
B] La remise en cause du schisme classique entre droit de
reproduction et droit de représentation
29. Comme nous avons pu le voir précédemment,
l'application d'un droit prévu pour un univers matériel dans un
espace dématérialisé rend la distinction classique entre
droits de reproduction et de représentation ardue. L'avènement de
la société de l'information a bouleversé les notions
traditionnelles, et permet une reproduction parfaite, infinie, peu
coûteuse ainsi qu'une circulation instantanée par la voie des
réseaux. Les frères Lucas l'on résumé de
façon très simple, considérant que « la
dématérialisation liée aux nouvelles technologies de la
communication brouille la frontière entre le vecteur qui porte l'oeuvre
(donnant lieu à l'exercice du droit de représentation) et le
support qui la fixe (donnant lieu à l'exercice du droit de reproduction
»37, puisqu'en effet, l'Internet est le lieu par
excellence d'imbrication des exploitations. Ainsi, faudrait-il sans doute non
pas penser en termes de droits mais en termes d'utilisation des
oeuvres38. Il est clair qu'en matière de pair-a-pair, le
cumul entre reproduction et représentation est nécessaire et que
ce flou entraîne des complications pour la catégorisation des
pratiques.
30. Les pratiques de pair-a-pair impliquent une violation des
deux prérogatives comme il l'a été remarqué plus
tôt. Lorsque l'autorisation du titulaire n'a pas été
donnée, la seule difficulté réside dans la qualification
éventuelle des poursuites ou de l'indemnisation, de quantifier les
dommages subis par la représentation, et ceux infligés par la
reproduction. Mais lorsque l'autorisation porte sur une seule pratique, les
problèmes apparaissent rapidement. Si le titulaire a autorisé la
représentation, ou la reproduction seule, à une personne à
la fois représentatrice et reproductrice, les difficultés, non
insurmontable néanmoins, apparaissent et compliquent une situation
déjà fort complexe.
31. Pour une partie de la doctrine, l'instauration d'un droit
patrimonial unique, sans sous-distinction semble nécessaire « au
moment où la simplicité est d'or »39. Il
s'agirait d'un « droit d'exploitation numérique »
unique, mêlant les droits patrimoniaux classiques40.
Ainsi, une seule autorisation du titulaire des droits suffirait pour exploiter
l'oeuvre sur l'Internet. Il s'agirait alors d'une sorte de « droit
d'utilisation » de l'oeuvre sur les réseaux. Reste que le
contrefacteur semble être insensible aux qualifications juridiques et
qu'une telle dénomination ne mettrait pas fin aux pratiques abusives de
téléchargement illégal...
37 Lucas A et H-J, Traité de la PLA,
2ème édition, Paris, Editions Litec 2001, p.237
38 Passa J. Internet et droit d'auteur, J.-
CI. PLA, Fasc. 1970, juin 2001, n°14 s.
39 E. Georgakakis, op. cit. p. 17
40 P.Y. Gautier, op. cit.
14
Paragraphe II : La conciliation délicate du
pair-à-pair et des limites du droit d'auteur A] La
conciliation avec les exceptions légales
32. En droit français, la notion d'exception renvoie
à des actes qui, étant dans la sphère du droit d'auteur,
devraient nécessiter l'autorisation du titulaire mais qui
échappent pourtant à son monopole du fait de la volonté du
législateur. Selon le professeur Gautier, « l'exception
à un droit exclusif peut fort bien reposer sur un droit, voire une
liberté » et s'impose au titulaire des droits comme une «
sorte de servitude légale »41. Les
différentes exceptions au monopole exclusif d'exploitation
conféré au titulaire du droit sont listées à
l'article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle. Il
s'agit principalement des exceptions à l'usage privé de l'oeuvre,
telle la représentation privée et gratuite dans le cadre du
cercle familial, ou la copie privée ainsi que les exceptions permettant
un usage public, fondées sur la diffusion de l'information, la
liberté d'expression, par la parodie, pastiche ou caricature, et enfin
les exceptions dites « catégorielles », fondées
notamment sur la personne (commissaire-priseur, personne handicapé) ou
en lien avec un logiciel.
33. Ces différentes exceptions
bénéficient d'une rédaction limpide et précise et
n'opposent pas de particulières difficultés quant à leur
interprétation. Néanmoins, et c'est là tout
l'intérêt de notre sujet, il en est autrement lorsqu'il s'agit de
les appliquer sur l'Internet. Il a été par exemple
nécessaire de rappeler qu'un réseau intranet, sur lequel les
utilisateurs partageaient leurs fichiers musicaux, accessible par mot de passe,
ne relevait pas du cercle familial car composé d'un nombre trop
important de personnes n'ayant pas entre elles de liens assez
forts42. Quant à la copie privée, encore faut-il que
sa source soit licite. La preuve de l'achat d'une oeuvre spécifique ne
vous permettra donc pas par la suite de la télécharger de
manière illégale43.
34. Outre ces exceptions légales propres au droit
d'auteur, il semble opportun de mentionner une autre limite parfois
négligée, intervenant non au stade de l'autorisation mais au
stade de la contrefaçon. Il s'agit du respect de la vie privée,
exception à part, et à part entière. En effet, l'usage de
licences d'utilisations et autres Conditions Générales
d'Utilisation permettent aux plateformes de téléchargement
-légales et illégales-d'amasser les données produites par
les utilisateurs à des fins, non de prévention contre les
atteintes aux droits, mais à celles de fichage, profilage, au profit du
ciblage publicitaire44. Si l'usage privé fait obstacle au
droit exclusif, la prévention et détection des actes
contrefaisants, via les logiciels pair-à-pair notamment,
nécessite la collecte de données personnelles, collecte
chapeautée par la CNIL. Ces données personnelles -
essentiellement les adresses Internet Protocol (IP)- ne peuvent faire l'objet
d'une appropriation sans limite de la part des ayants-droits. En effet, si
l'adresse IP permet
41 P.Y. Gautier, op. cit.
42 TGI Paris, ord. Réf. 14/08/1996 (deux
espèces « Brel » et « Sardou ») JCP E 1996, II. Note
Edelman B : A propos d'un intranet composé par des étudiants d'un
réseau de grandes écoles.
43 CA Versailles 16/03/2007
44 Mélanie Dulong de Rosnay et Hervé
Le Crosnier, 2013 Propriété Intellectuelle,
Géopolitique et mondialisation - Les essentiels Hermès, CNRS
Edition 2013 p. 141
15
d'identifier un utilisateur, le lien n'est pas direct, et
l'anonymat relatif ne saurait être levé qu'en cas de
procédure judiciaire. Par ailleurs, si ce respect de la vie
privée est indéniablement nécessaire et supérieur
au respect du droit d'auteur, il révèle une difficulté
majeure pour contrôler et poursuivre la contrefaçon :
identification complexe, coûts élevés de recherche et donc
poursuite des « pirates » les plus gourmands seulement.
B] Un épuisement des droits comme limite au droit
d'auteur sur Internet ?
35. La théorie de l'épuisement des droits a
été décrite pour la première fois par Köhler
à la fin du XIXème siècle. Pour lui, le droit d'auteur
repose sur l'utilité sociale, ayant pour but ultime le renouvellement du
patrimoine commun de l'humanité. Le droit d'auteur n'est donc pas
fondé sur une rémunération ex post mais uniquement comme
une récompense due par la société à son titulaire
pour un temps limité, sans valeur absolue. Cet épuisement peut
avoir comme justification principale la liberté de circulation
-nationale ou européenne-, quand bien même certains auteurs,
à l'instar d'André Lucas, considèrent qu'il « est
impossible en effet d'admettre que la règle de libre circulation des
marchandises implique l'épuisement pur et simple du droit de
reproduction de l'auteur »45.
36. L'épuisement peut prendre plusieurs formes
géographiques. Lorsqu'il est national, il empêche au titulaire
d'exercer son monopole sur un produit précédemment
commercialisé sur le territoire de l'Etat par lui-même ou avec son
consentement. Lorsqu'il est européen, la première mise en
circulation de l'oeuvre sur le territoire de l'Union Européenne par le
titulaire ou avec son consentement épuise les droits patrimoniaux
afférents à la diffusion de l'oeuvre46.
37. La Cour de Justice de l'Union Européenne est venu
remettre en cause la théorie de l'épuisement comme elle
était jusqu'alors connue. Le 03 Juillet 2012, à l'occasion d'un
litige opposant UsedSoft GmbH et Oracle International Corp., les juges ont
considéré que l'épuisement s'appliquait non seulement aux
exemplaires physiques d'un logiciel, mais aussi aux logiciels
téléchargés légalement sur le serveur de
l'acheteur. L'on ne peut d'emblée affirmer que cet arrêt admet
l'existence d'un épuisement des droits absolu, applicable à
toutes les branches de la propriété littéraire artistique.
D'une part puisque l'espèce était particulière, concernant
des logiciels dont on sait que leur protection par le droit d'auteur est
étonnante au point que certains défendent une protection par la
propriété industrielle et les brevets, et d'autre part car un
contrat spécifique avait été conclu entre les parties, sur
lequel le juge n'hésite pas à s'appuyer pour rendre sa
décision. En effet, il est noté que « le droit de
distribution de la copie d'un programme est épuisé si le
titulaire, qui a autorisé le téléchargement de cette copie
sur un support informatique à partir d'Internet, a également
conféré à titre onéreux un droit d'usage de ladite
copie, sans limitation de temps ». Dès lors, si le contrat
n'autorise qu'un droit d'usage temporaire, il s'agit d'une location, non
couverte par cette décision.
45 A. Lucas, op. cit
46 CJCE 08/06/1971 Deutsche Grammophon
16
Apparaissent donc deux conditions pour qu'un logiciel puisse
être légalement revendu : Une durée illimitée et un
paiement forfaitaire. En outre, l'acquéreur devrait rendre inutilisable
la copie sur son propre PC après la revente, puisque le droit de
distribution est distinct du droit de reproduction, ce dernier ne
s'épuisant pas47. On peut donc parler d'une
semi-consécration de l'épuisement en matière de logiciel,
et la logique jurisprudentielle pourrait éventuellement se
généraliser à l'ensemble de la propriété
littéraire et artistique si de telles conditions sont réunies.
Section 2 : L'épineuse question du streaming
38. Le terme streaming renvoie à une notion
très particulière. Il peut être traduit en français
par « lecture en continu », « lecture en transit
», « diffusion en continu »...48Il
s'agit simplement de la lecture d'un fichier audio ou vidéo,
copié sur la mémoire local « cache » de
l'ordinateur de l'utilisateur afin d'en permettre l'écoute ou le
visionnage en instantané ou en différé. Ce
procédé se distingue du téléchargement par deux
grandes particularités. Premièrement, la lecture du fichier peut
s'effectuer immédiatement, avant même que ces données aient
été entièrement récoltées. En outre, le
fichier n'est pas stocké sur le disque dur de l'ordinateur de
manière durable, et on ne peut donc en principe le relire à
volonté une fois la première lecture achevé, et sans
connexion Internet au site hébergeur.
39. Le streaming se différencie du
téléchargement pair-a-pair en ce qu'il se limite à la
diffusion de contenu, représenté sans être
téléchargé et donc reproduit. Tout comme le pair-a-pair,
le streaming n'est pas en soi illégal, ce ne sont que certaines
utilisations spécifiques qui sont illicites, lorsque la
représentation porte sur une oeuvre protégée dont l'auteur
n'a pas consenti la diffusion.
40. Alors qu'existent pléthores de
règlementations quant à la lutte contre le « piratage
», le streaming, phénomène bien plus récent, reste
peu appréhendé par les différentes législations. Si
le 04 mars 2011 l'Espagne a voté une loi pour l'Economie Durable, dite
Ley Sinde, la France reste bien en retard en la matière et pour le
moment, les solutions ne se trouvent que dans le droit commun de la
contrefaçon et du recel. En effet, seul l'internaute qui met en ligne le
contenu est contrefacteur, puisqu'au terme de l'article L122-2 du Code de la
Propriété Intellectuelle, la représentation consiste
notamment en une télédiffusion de l'oeuvre, la
télédiffusion étant « la diffusion par tout
procédé de télécommunication de sons, d'images, de
documents, de données ». Si la qualification ne fait pas de
doute, l'on ne retiendra qu'un arrêt en la matière, concernant un
logiciel d'écoute et de partage non autorisé d'oeuvres musicales
protégées, condamnant ses propriétaires49.
L'hébergeur ne saurait quant à lui engager sa
responsabilité civile et pénale que s'il a été
prévenu de l'existence d'un contenu illicite et qu'il ne l'a pas
47Michèle Battisti « Le droit d'auteur
face au principe de libre circulation des oeuvres » [en ligne]
http://www.paralipomenes.net/archives/8361
(consulté le 02/06/2014)
48 J. Bissonnette, op. cit. p.23
49 Crim. 25/09/2012
17
supprimé promptement50.
L'utilisateur ne pourra être qualifié de complice de
contrefaçon puisqu'au terme de l'article 121-7 du Code Pénal,
n'est complice que la personne qui « sciemment, par aide ou
assistance, en a facilité la préparation ou la consommation
». Reste l'incrimination de recel-profit, prévue par l'article
321-1 du Code Pénal puisque l'utilisateur bénéficie du
produit du délit de contrefaçon, stocké provisoirement sur
la mémoire temporaire de son ordinateur. Mais reste à prouver que
ce recel est effectué « en connaissance de
cause ». Si telle démonstration est
aisée pour l'internaute visionnant le dernier film sorti au
cinéma ou le dernier album produit, et non encore commercialisé,
la preuve semble plus ardue pour des oeuvres plus anciennes.
41. Cette absence de règlementation
spécifique peut s'expliquer par une qualification juridique ardue
(Paragraphe I), qu'il est nécessaire de rapidement encadrer du fait de
son expansion de plus en plus rapide (Paragraphe II).
Paragraphe I : Une qualification juridique ardue
A] Une opération dans le champ du droit de
représentation
42. Si les réseaux pair-a-pair sont
principalement fournis par des particuliers, agissant sans but lucratif, la
diffusion d'oeuvres en streaming est bien plus souvent effectuée par des
entreprises professionnelles fournissant des services complémentaires
payants51 et se finançant en outre par les revenus
publicitaires. Megaupload était au streaming ce que
Napster était à son époque au
téléchargement.
43. L'article L335-2-1 du Code de la
Propriété Intellectuelle sanctionne d'une peine
de trois ans d'emprisonnement et 300.000€ d'amende le fait «
d'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer
au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel
manifestement destiné à la mise à disposition du public
non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés », ou
« d'inciter sciemment, y compris à travers une annonce
publicitaire, à l'usage d'un [tel] logiciel ». Cette
disposition, créée initialement pour les éditeurs
de logiciels de téléchargements
pair-a-pair52 peut s'appliquer également au streaming
même si une seule condamnation a été pour
le moment prononcée sur ce fondement53.
44. Quant à l'utilisateur d'un tel service,
l'on peut légitimement présumer que la lecture
des oeuvres protégées n'est pas effectuée
dans un schéma de représentation
ultérieure à un nouveau public. Les
autorités cherchent néanmoins à
sanctionner de telles pratiques du point de vue de leurs utilisateurs, et si
elle ne peut entrer dans le champ du droit de
50 Art. 6.I.2 et 6.I.3 de la
Loi de Confiance en l'Economie Numérique
51 Qu'il s'agisse d'une
augmentation du débit de chargement, d'une suppression de restriction de
temps de vision quotidien...
52 Marie-Françoise
Marais, «Rapport sur les moyens de lutte contre le streaming et le
téléchargement
direct illicites» p.33
53 Crim.
25/09/2012
18
représentation du titulaire, elle peut
éventuellement concerner son droit de reproduction.
B] Une opération dans le champ du droit de
reproduction ?
45. Le streaming est caractérisé par la
reproduction seulement temporaire effectuée sur la mémoire de
l'ordinateur de l'utilisateur du service. L'article L122-5 du Code de la
Propriété Intellectuelle dispose qu'une telle reproduction est
une exception au droit de reproduction du titulaire lorsqu'elle présente
« un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une
partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et
qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'oeuvre ou sa
transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à
un intermédiaire ». Comme nous avons pu le mentionner
précédemment, une exception légale exprime la
volonté d'autoriser certaines utilisations entrant pourtant dans le
champ des droits exclusifs du titulaire. L'on peut donc considérer
qu'effectivement, le streaming entre, du point de vue de l'utilisateur, dans le
champ du droit de reproduction.
46. Si une telle utilisation est par principe
autorisée, encore faut-il -comme en matière de copie
privée - que la source de celle-ci soit elle-même licite. A
défaut, l'exception ne saurait jouer et l'on pourrait considérer
que l'utilisateur d'un service de streaming effectue une reproduction au sens
de l'article L122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle.
Néanmoins, aucune jurisprudence n'est intervenue en ce sens54
à ce jour et l'on doute que l'évolution s'effectue au plus vite,
puisque telle décision serait alors même contraire à la
jurisprudence européenne55.
47. En outre, en raison du principe d'interprétation
stricte de la loi pénale, le streaming ne semble pas pouvoir entrer dans
le champ de la contrefaçon par reproduction. En effet, ni les travaux
préparatoires, ni la loi n'évoquent le streaming56.
Cette considération a d'ailleurs été clairement
confirmée par Marie-Françoise Marais, Présidente de
l'Hadopi, dans le cadre d'un rapport de recherche rendu le
15/02/201357, selon qui le caractère
répréhensible du streaming est bien moins certain que pour le
téléchargement pair-a-pair « notamment en raison des
exigences constitutionnelles de légalité des délits et des
peines, et d'intelligibilité de la loi ».
54 Crim 05/01/2005 : Les images n'ont
été « ni imprimées, ni enregistrées sur un
support, et [...] la simple consultation de sites pornographiques ne suffit pas
à caractériser le délit [de contrefaçon]
»
55 CJUE 04/10/2011 : « Le spectateur d'une
oeuvre, diffusée en streaming, sans l'autorisation des ayants droit ne
se rend pas coupable de contrefaçon, même lorsque l'oeuvre est
reproduite temporairement et partiellement dans une mémoire d'ordinateur
et sur l'écran du spectateur ». Ainsi, la théorie de la
licéité de la source est rejeté au motif que la «
simple réception de ces émissions en tant que telle, à
savoir leur captation et leur visualisation, dans un cercle privé, ne
présente pas un acte limité par la règlementation de
l'Union [...] cet acte étant par conséquent licite »
56 « Téléchargement direct et streaming,
des atteintes au droit d'auteur sur internet » [en ligne]
http://peregrinationsjuridiques.wordpress.com/2013/03/09/telechargement-direct-et-streaming-des-atteintes-au-droit-dauteur-sur-internet-3/
(consulté le 02/06/2014)
57 M.F. Marais, op. cit.
48.
19
A défaut d'incrimination spéciale pour les
utilisateurs, la répression ne porte que sur les éditeurs et
hébergeurs, sources des phénomènes de contrefaçon
sur l'Internet. Pour Madame Marais, « il n'y a pas une solution
unique, mais un ensemble de mesures cohérentes et complémentaires
à la fois efficaces et respectueuses des libertés fondamentales
(...),qui tendent à une implication des intermédiaires dans la
prévention et la cessation des infractions »58 .
Pour certains, il n'est alors nul besoin de perfectionner la
règlementation et de chercher à sanctionner les simples
utilisateurs, « puisque pour lutter contre le streaming de fichiers
protégés, la seule façon est de s'attaquer à la
source, à savoir les sites web diffuseurs »59.
Paragraphe II : Un phénomène en pleine
expansion
49. Avec l'annonce de l'arrivée en France en Septembre
2014 de la célèbre plateforme de streaming Netflix60,
l'on peut s'attendre à une réelle explosion du recours à
cette pratique par les utilisateurs. En effet, pour un abonnement mensuel
estimé à 10 euros, l'abonné pourra
bénéficier d'une bibliothèque proche de
l'exhaustivité, mise à jour quotidiennement et
bénéficiant même de certaines exclusivités. A ce
sujet, Aurélie Filipetti, alors Ministre de la Culture, avait
annoncé qu'elle n'était pas « fermée aux nouveaux
acteurs du numérique, surtout lorsqu'ils proposent une offre
légale de films et de séries, une de (ses) priorités pour
lutter contre le piratage », tout en précisant que «
Netflix doit se plier aux régulations qi font le succès de
nos industries (...). C'est une condition sine qua non pour préserver
notre « écosystème unique » (sic) ».
50. Néanmoins, nous avons déjà pu
remarquer que, tout comme en matière de téléchargement
illégal, le streaming peut faire l'objet d'abus et de
contrefaçons. Il apparaît donc nécessaire et urgent d'en
règlementer les contours de façon précise. L'on pense
immédiatement au contrôle des utilisateurs mais un débat
tout autre, semblant préoccuper certains artistes de façon plus
sérieuse, fait rage : Si les producteurs et autres cessionnaires de
droits semblent voir dans le streaming une nouvelle offre légale
prometteuse, une partie des auteurs remettent en cause des abus
déjà existants et qui n'iraient qu'en s'accroissant avec
l'encadrement de cette pratique.
A] Des producteurs séduits par le
procédé
51. La part du numérique ne cesse de progresser. C'est
le résultat d'une étude menée par l'IFPI en
201361. Les revenus de la musique s'élèvent alors
à 15 milliards d'euros, dont 39% de ventes numériques, soit 5.9
milliards de dollars, soit une augmentation de près de 50% en 5 ans. Sur
la même période, le streaming couvrait 9% des revenus
numériques en 2008 pour passer à 27% en 2013, parts de
marché gagnées avant tout sur les revenus
58 « Téléchargement direct et streaming,
des atteintes au droit d'auteur sur internet »
59 « Parlons Hadopi avec maître Eolas »,
Interview [en ligne]
http://journaldupirate.com/parlons-hadopi-avec-maitre-eolas/
(consulté le 02/06/2014)
60 Marie Charlotte, 2014 « Netflix arrive en
France en septembre » [en ligne]
http://www.madmoizelle.com/netflix-france-227025
(consulté le 02/06/2014)
61 Voir annexe 1
20
de sonneries pour téléphones mobiles (-21
points) et accessoirement sur le téléchargement (-3 points).
Annonce symbolique : Universal, première major mondiale du disque, a
annoncé que son chiffre d'affaire lié aux ventes
numériques dépassait celui réalisé par les ventes
physiques. En outre, pour la première fois en 2013, les plateformes
Spotify et Deezer ont dépassé le milliard de dollars de chiffre
d'affaires, avec 51% d'abonnés supplémentaires en 2013 à
des services d'écoute musicale en ligne62. Par ailleurs,
l'offre en la matière a explosé puisqu'on en compte
désormais 450 différentes. En la matière, les pays
scandinaves sont les plus à jour puisqu'en prenant l'exemple de la
Suède, 2.5 millions d'utilisateurs (soit environ 25% de la population)
sont abonnés au service Spotify, dont 81% par le biais d'un abonnement
payant. Au contraire, la France semble en retard sur ce modèle
puisqu'elle dispose du même nombre d'abonnés pour une population
près de six fois plus importante... Ce qui annonce d'importantes marges
de progression pour les industriels de la musique. Cette progression n'est
d'ailleurs pas limitée aux pays européens puisqu'en
Amérique latine, l'écoute via streaming a progressé la
même année de 149% au Pérou et de 85% en Colombie et au
Venezuela, sans évoquer la Chine, bien en retard avec 82.6 millions de
dollars de recettes mais à l'appétit grandissant de ses 618
millions d'internautes potentiellement mélomanes...
52. Placido Domingo, président du syndicat des majors,
confirme : « Nous voyons clairement des cieux dégagés
devant nous », tout en ajoutant que « la technologie change,
mais la musique reste ». Les industriels mettraient-t-ils donc en
arrière-plans les problématiques inextricables liées au
« piratage » pour se concentrer sur le nouveau
phénomène en vogue qu'ils espèrent contrôler le plus
rapidement possible et ne pas commettre une seconde fois l'erreur d'attentisme
qui leur avait valu d'être dépassé par le
téléchargement illégal ?
B] Vers de nouveaux abus de pratique ?
53. A côté de producteurs plus qu'enjoués
à l'idée de prendre d'assaut une pratique en pleine expansion,
certains auteurs n'hésitent pas à prendre le contre-pied et
à se retirer des plateformes pourtant particulièrement
appréciées des utilisateurs. L'exemple le plus frappant reste
celui de Thom Yorke, leader du groupe emblématique Radiohead qui a
décidé de retirer ses créations et projets personnels des
plateformes Spotify et Deezer, et de son producteur artistique, Nigel Godrich,
pour qui Spotify serait « mauvais pour la musique
»63. Selon le leader emblématique, « Ne
vous y trompez pas, les nouveaux artistes que vous découvrez sur Spotify
ne seront pas payés. Pendant ce temps, les actionnaires vont rapidement
s'en mettre plein les poches ». La critique apparaît purement
économique, loin des considérations juridiques du droit d'auteur.
Mais pourtant, si le droit d'auteur confère un monopole d'exploitation
à son titulaire, c'est
62Alain Beuve-Méry, 2014 « Les majors
de la musique veulent croire au streaming » [en ligne]
http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/03/18/les-majors-de-la-musique-veulent-croire-au-streaming
4384939 3234.html (consulté le 02/06/2014)
63 Philippe Vion-Dury « Pourquoi le chanteur de
Radiohead s'en prend à Spotify », le Nouvel
Observateur, 17/07/2013
21
principalement -exception faite des considérations
liées au droit moral- en vue d'une exploitation économique.
Dès lors, quel intérêt d'un droit sans
réalité économique ? L'écoute d'un titre
rapporterait entre 0.003 et 0.005 centimes d'euro à son auteur, et il
faudrait donc environ 200.000 lectures uniques pour que celui-ci puisse tirer
un SMIC - avant imposition...- de son oeuvre. En réponse, Spotify a
rappelé qu'elle versait annuellement 500 millions de dollars aux
artistes, sans préciser le détail des retours, sans doute dans
une mécanique de partage inégale ne favorisant qu'une frange
extrêmement restreinte des auteurs et artistes présents.
54. La situation semble délicate : Des artistes ayant
le sentiment d'être sous-rémunérés, des plateformes
au sentiment de légitimité, et des utilisateurs qui risqueraient
de voir le prix de leur abonnement augmenter si la rémunération
était plus élevée. Mais un abonnement plus
élevé est-il moins attractif ? Et la corrélation avec une
augmentation des pratiques illégales est-elle évidente ? Ces
nouvelles formes d'utilisation des oeuvres présentent des
questionnements pointus et les intérêts des différents
acteurs semblent divergents. Face à une situation sensible, le
législateur a mis en place différentes solutions qui, reposant
sur des principes légitimes, ne parviennent pas à satisfaire les
attentes de chacun.
CHAPITRE II : DES SOLUTIONS CONTEMPORAINES
INSUFFISANTES
55. Les solutions contemporaines propres à
l'ère numérique sont relativement récentes. Il s'agit
principalement des lois DADVSI et HADOPI précédemment
évoquées. Après une étape répressive
initiée par la Loi Perben II, l'objectif préventif et
pédagogique a été avancé face à
l'inefficacité de la répression et l'admission d'un
contrôle impossible du comportement de toute une population dans une
sphère immatérielle sans frontières. Comme l'on a pu
dégager deux grands phénomènes propres au
numérique, et plus spécifiquement à l'Internet, l'on peut
également dégager deux grandes mesures leur faisant écho:
Les mesures techniques de protection (Section 1) et la volonté de
développement de l'offre légale (Section 2)
Section 1 : La réponse apportée les mesures
techniques de protection
56. Ces mesures techniques de protection sont sans doute les
premiers outils technologiques avancés pour répondre aux
problématiques soulevées par le numérique. Pour les
étudier au mieux, il convient de les introduire en analysant l'objectif
et le régime juridique de telles mesures (Paragraphe I), avant
d'étudier les différentes raisons de leur imperfection et
disfonctionnement (Paragraphe II)
Paragraphe I : La protection juridique des mesures
techniques de protection
57. La première réponse apportée par les
instruments internationaux au téléchargement illégal
d'oeuvres protégées fut les mesures techniques de protection ou
Digital Right Management. L'article 9 de la Convention de Berne a
apporté la possibilité pour les Etats de mettre en place de
telles mesures, capacité confirmée par le Traité de
l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle sur le
droit d'auteur du 20 décembre 1996. Aux Etats-Unis, le fondement est le
Digital Millenium Copyright Act tandis qu'en France, c'est
22
la loi de transposition du 01 août 2006 de la Directive
DADVSI du 22 mai 2001 qui les a introduites. Ces mesures techniques peuvent
être appréhendées sous deux angles : D'une part, la
protection qu'elles confèrent aux oeuvres protégées, et
d'autre part, la protection entourant ces mesures elles-mêmes.
A] La protection offerte par les mesures techniques de
protection
58. L'article L331-5 du Code de la Propriété
Intellectuelle indique que les mesures techniques de protection sont des outils
techniques permettant aux titulaires des droits de contrôler
l'utilisation faite de leur oeuvre grâce à une technologie, un
dispositif, ou composant, leur permettant d'en empêcher ou limiter les
utilisations non autorisées. Il peut alors s'agir de l'application d'un
code d'accès, d'un procédé de protection tel le cryptage,
ou les mécanismes obstruant la possibilité de copie de l'oeuvre.
Deux types de mesures peuvent être envisagées : Les mesures
permettant de contrôler l'accès aux oeuvres, et celles permettant
d'en contrôler et d'en limiter l'utilisation.
59. Les mesures techniques de protection permettent donc de
contrôler l'utilisation de l'oeuvre en y apposant un verrou. Il s'agit
d'une sorte de tatouage lié à l'oeuvre, en assurant la
traçabilité ou le contrôle. Ces mesures permettent ainsi de
protéger l'oeuvre et de garantir l'effectivité des droits
d'auteur. C'est au titulaire des droits de prévoir les objectifs de ces
mesures selon ses propres intérêts et les tentatives d'atteintes
qu'il prévoit sur ses oeuvres. En parallèle, ces mesures
permettent de définir les utilisations qu'il autorise à
l'acquéreur.
B] La protection conférée aux mesures
techniques de protection
60. Les mesures techniques de protection
bénéficient d'une protection qui leur est propre, sanctionnant le
contournement de celles-ci. Cette protection se développe sous trois
volets différents : L'interdiction du contournement de ces mesures,
l'interdiction de la commercialisation de dispositifs de contournement, et
l'obligation de l'interopérabilité des mesures. Ces dispositions,
visées aux articles L331-5 et suivants et R335-3 et suivant du Code de
la Propriété Intellectuelle permettent de sanctionner toute
atteinte volontaire portée à une mesure technique de protection
destinée à empêcher sa mise en oeuvre, quand bien
même l'utilisateur estimerait bénéficier d'une exception au
droit d'auteur64.
61. Les articles L335-3-1 1° et L335-4-1 1° du Code
de la Propriété Intellectuelle indiquent que « le fait
de porter atteinte, sciemment, à une mesure technique [...] à une
mesure technique efficace [...] afin d'altérer la protection d'une
oeuvre par un décodage, un décryptage ou toute autre intervention
personnelle destinée à contourner, neutraliser ou supprimer un
mécanisme de protection ou de contrôle » est punit de
3.750 euros d'amende. Ainsi, la protection de telles mesures est
subordonnée à deux conditions : La mesure doit être
« efficace », c'est-à-dire appliquer un verrou
effectif de protection sur l'oeuvre, et l'atteinte doit être
intentionnelle.
64 CA Paris 22/04/2005 affaire « Mullholand Drive
»,
Comm. Com. Electr. 2005, p26 et s.;
Légipresse 2005, III, p.148 note M. Vivant et G. Vercken
62.
23
En outre, au regard de l'article L335-3-2 I du même
Code, la modification ou la suppression d'information « dans le but de
porter atteinte à un droit d'auteur, de dissimuler ou de faciliter une
telle atteinte » est également sanctionnée par
3.750€ d'amende.
63. Par ailleurs, l'article L335-3-1 3° prohibe la
fourniture de services aux fins prévues au 1° du même article
cité plus haut. Cette acceptation permet même de sanctionner la
simple fourniture d'informations propres à permettre le contournement de
mesures techniques de protection.
64. Ces différents modes de protections des mesures
techniques couvrent donc les différentes atteintes envisageables, et les
différents acteurs pouvant être impliqués. Qu'il s'agisse
du simple utilisateur ou du technicien monnayant ses services pour contourner
ces mesures, ou encore l'internaute qui, dans un but altruiste ou de
rébellion, publie des solutions propres à porter échec
à ces outils de protection. La protection légal promet donc une
réelle effectivité de ces mesures qui permettent de limiter les
atteintes aux droits d'auteurs. Pourtant, ces mesures se révèlent
inefficaces. En effet, si la législation ne semble pas à parfaire
quant au dispositif propre aux mesures techniques, elle reste mince concernant
les limitations à leur utilisation. Face à ce que l'on peut
qualifier d'abus de la part des titulaires de droits, les consommateurs ont pu
se sentir acculés et cette pression des ayants-droits a
entraîné un effet tout à fait contreproductif, causant
l'impossibilité de rendre l'utilisation de ces mesures pérenne en
matière musicale.
Paragraphe II : Des mesures techniques de protection
inefficaces
65. Les mesures techniques ont suscité l'on s'en doute
des espoirs conséquents chez les ayants-droits. La capacité de
protection des oeuvres par des mesures y étant directement liées
laissait penser qu'il s'agirait d'un obstacle technique insurmontable pour les
éventuels contrefacteurs. Malheureusement pour eux, ces mesures ont fait
l'objet de vives critiques ayant nuit pas tant aux utilisateurs qu'aux
ayants-droits. Par ailleurs, ces mesures techniques, coûteuses à
introduire produisent un effet anti-commercial65, effet ayant
causé leur abandon.
A] Des mesures sanctionnées pour leurs atteintes
aux droits des utilisateurs
66. Schématiquement, les mesures techniques de
protection permettent d'apposer un verrou sur l'utilisation faite d'une oeuvre
par le titulaire de son support. Cette capacité est
particulièrement critiquable, entrant en conflit frontalier avec l'usage
normal du propriétaire et notamment son « droit » à la
copie privée. L'auteur ne devrait en principe pas pouvoir interdire
cette possibilité. Néanmoins, la jurisprudence a choisir de faire
prévaloir ces mesures sur l'exception de copie privée qui,
n'étant pas un droit, ne
65 Laure Marino, 2013, Droit de la
propriété intellectuelle Thémis Collection Droit
p.68
24
saurait être opposée à titre principale
à l'encontre de mesures techniques de protection, mais seulement en
défense dans le cadre d'une action en
contrefaçon66.
67. En outre, l'article L331-5 du Code de la
Propriété Intellectuelle précise que « les
mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en
oeuvre effective de l'interopérabilité ».
C'est-à-dire que de telles mesures ne peuvent en principe
empêcher à l'acquéreur d'un contenu de le lire sur
n'importe quel lecteur, ou logiciel. Mais la réalité fut pourtant
toute autre. Des DVD et CD soumis à des restrictions de lecteur ont
alors empêché leur acquéreur d'accéder à leur
contenu, n'ayant pas de matériel compatible du fait de ces mesures. De
telles mesures ont pu ainsi laisser les consommateurs insatisfaits,
mécontents et perplexes : Chaque mesure technique ayant ses
spécificités, un CD pouvait être lu sur un lecteur alors
qu'un autre, en apparence identique, acheté chez le même
distributeur, était illisible. On n'hésite donc pas à
parler de réelle atteinte aux droits des consommateurs,
hiérarchiquement soumis face à la protection de la
propriété intellectuelle67.
68. Par ailleurs s'est posée la question de l'atteinte
à la vie privée des utilisateurs par de telles mesures. Mises en
place dans un but d'anti-piratage ou dans une logique marketing, elles peuvent
parfois permettre la transmission d'information en provenance d'un ordinateur,
sur les fichiers lus, les sites visités, les heures de connexion, sans
l'autorisation de cet utilisateur68. Par exemple, en novembre 2005,
Sony BMG a introduit une nouvelle mesure, installant sur l'ordinateur de
l'utilisateur un programme spécifique masquant l'activité de la
protection anti-copie, mais qui par la même masquait la présence
de certains virus...69
69. C'est à vrai dire le fondement même de ces
mesures qui est remis en cause. Ces restrictions sont basées en effet
sur l'idée que le partage, même privée et pourtant licite,
menacerait les industries culturelles, alors que de nombreuses études
ont pu démontrer que ces industries peuvent tendre vers de nouvelles
formes de rentabilité du fait du numérique, et que ceux qui
partagent le plus de contenu sont aussi ceux qui consomment et achètent
le plus de biens culturels70.
70. En réponse à ces différentes
problématiques, l'Autorité de régulation des mesures
techniques a été créées par la Loi DADVSI du 01
août 2006. Elle a pour objectif principal
l'interopérabilité des mesures techniques et le respect de
l'exception de copie privée et le contrôle du respect par ces
outils techniques des différentes prescriptions légales et
règlementaires. Cette entité a par la suite été
absorbée par la Haute Autorité mise en place par la loi Hadopi 1
du 29 décembre 2009.
66 Affaire Mullholand Drive précitée
67 E. Georgakakis, op. cit. p.37
68 J. Bissonnette, op. cit. p. 21
69 Curien et Moreau, 2007, L'industrie du disque,
Coll. Repères, éd. La Découverte p.69
70 Gurry F. « Blue Sky Conference : l'avenir
du droit d'auteur », OMPI, Sydney 25/02/2011
25
B] L'abandon des mesures techniques de protection par
leurs instigateurs
71. Les mesures techniques de protection ont progressivement
été abandonnées par les ayants-droits, et surtout ceux qui
avaient alors été à l'initiative de leur
législation. Ces mesures apparaissent en effet inefficaces face au
téléchargement pair-a-pair de copies contrefaites et non soumises
à ces verrous. Les accords Olivennes du 23 Novembre 2007 furent
d'ailleurs signés entre le gouvernement et la filière musicale,
afin que cette dernière retire de son catalogue français toute
mesure technique71.
72. Apple anticipa alors dès fin 2007 en
renonçant à l'installation future de mesures techniques de
protection sur les fichiers présents sur son site en ligne
ITunes72. Universal Music France supprima quant à elle, en
2008 toutes les mesures techniques présentes dans son
catalogue73, suivie ensuite par Sony BMG, EMI, et Warner Music
Group, avant qu'Apple supprime la quasi-totalité des mesures techniques
de son catalogue. Ainsi, Apple, comme tous les grands groupes, offre
désormais des services musiques absouts de toute mesure technique.
73. Les mesures techniques de protection se sont ainsi
révéler être un véritable échec pour la
protection des oeuvres musicales, devenues véritablement
contre-productives et dissuasives pour les consommateurs, non au stade de
l'acte illicite, mais au moment de l'acte même d'acquisition. Toutefois,
celles-ci persistent sur les jeux vidéo et DVD où elle semble
faire bien moins de vagues74.
Section 2 : La réponse apportée par l'offre
légale
74. Le meilleur moyen de lutter contre une activité
illicite reste de la frapper au portefeuille en lui faisant perdre des clients.
Multiplier les offres légales à bas prix, les forfaits mensuels
ou annuels illimités pour l'écoute de musiques, sont tant
d'alternatives qui, liées à une pédagogie
enclenchée par l'Hadopi, permettraient de réduire les atteintes
de manière efficace. A son époque, Napster permettait aux
internautes de télécharger des titres à volonté
sans aucune considération aucune des droits d'auteurs. Dès 2001,
après la fermeture de la plateforme, les majors ont mis en place des
plateformes légales de téléchargement : Musicnet pour Time
Warner, AOL et EMI, ou Pressplay pour Sony et Vivendi75. Il
s'agissait donc d'apporter aux utilisateurs une offre licite. Mais cette
pratique n'est devenu légale que lorsque le législateur s'y est
penché, et c'est la loi Création et Internet du 12 juin 2009,
dite Hadopi I qui en a précisé les contours. Cette offre,
quantitativement satisfaisante, reste toutefois paradoxalement jeune et non
finie. Pour
71 C. Lamboni et C. Sénéchal, 2012 «
Naviguer jusqu'à l'épuisement ? ». Revue de Droit :
Université de Sherbrooke Vol. 42 issu 3 p.648
72 2008, « Musique sans DRM : Apple discute avec
Universal, Sony et Warner » [en ligne]
http://www.zdnet.fr/actualites/musique-sans-drm-apple-discute-avec-universal-sony-et-warner-39384982.htm
(consulté le 07/06/2014)
73 « Universal Music devance la loi anti-piratage » Le
Figaro 28/10/2008
74 C. Lamboni et C. Sénéchal, op. cit.
p.651
75 A. Bertrand, op. cit. p.19
26
comprendre l'étendue concrète de l'offre
légale, il convient d'en étudier son cadre juridique (Paragraphe
I) et ses imperfections (Paragraphe II).
Paragraphe I : Une pure création
législative
75. La Haute Autorité pour la diffusion des
oeuvres et la protection des droits sur Internet, organisme indépendant
français de régulation, a pour mission notamment la labellisation
de l'offre sur internet. L'article L331-13 du Code de la
propriété intellectuelle indique ainsi que la Haute
Autorité assure « une mission d'encouragement au
développement de l'offre légale », l'article L331-23 du
même Code précisant qu'elle « publie chaque année
des indicateurs, [...] attribue aux offres proposées par des personnes
dont l'activité est d'offrir un service de communication au public en
ligne un label permettant aux usagers de ce service d'identifier clairement le
caractère légal de ces offres [et] veille à la mise ne
place, à la mise en valeur et à l'actualisation d'un portail de
référencement de ces mêmes offres ». La
plateforme dédiée à la musique compte actuellement 40
services différents, dont 23 labellisés76. L'offre
légale pouvant constituer un des plus puissants moyens de réduire
le piratage77, cette labellisation est soumise à une
procédure spécifique assurant la complète
légalité de l'offre.
76. Dans le cadre de la mission d'observation des
usages licites et illicites et d'encouragement au développement de
l'offre légale, l'Hadopi identifie les données qu'elle a
recueillies. Elle effectue alors un recensement des différentes
plateformes artistiques et s'appuie sur les données publiées par
l'Observatoire de la musique78. L'autorité vérifie
ensuite que ces plateformes présentent une offre pouvant être
regardée comme légale. Il s'agit de plateformes proposant des
oeuvres dématérialisées, celles proposant exclusivement
l'acquisition de supports physiques n'étant pas retenues. Sont
également écartées les web radios et les sites
étrangers ne s'adressant pas à un public français (la
plateforme doit donc être disponible en français, depuis la
France, et les prix proposés doivent être exprimés en
euros).
77. Le label attribué par la Haute
Autorité permet aux éditeurs de services de mettre en avant le
caractère légal de leurs contenus. Concrètement,
l'identification du label s'effectue par un logo apposé sur ces
sites79. La procédure a deux avantages : Le respect des
droits des auteurs, et l'identification du caractère légal de
l'offre par les utilisateurs80.
78. Afin de bénéficier du label, les
éditeurs de services doivent remplir un dossier de demande de
labellisation. Après publication de la demande sur le site internet de
l'Hadopi, les titulaires de droits disposent de quatre semaines pour
présenter leurs objections et d'éventuels atteintes à
leurs droits. Le cas échéant, l'éditeur dispose
de
76
www.offrelegale.fr.sites-et-services/categorie/musique/
(consulté le 07/06/2014)
77 Laure Marino, op. cit.
p71
78[en ligne]
http://www.offrelegale.fr/a-propos/methodologie-de-recensement-des-plateformes
(consulté le 07/06/2014
79 Voir annexe 6
80 [en ligne]
http://www.offrelegale.fr/label/qu-est-ce-que-le-label-offre-l%C3%A9gale-Hadopi
(consulté le 07/06/2014)
27
deux mois pour aboutir à un accord avec le
titulaire. A défaut, la demande est rejetée. A l'issu de la
période « d'opposition », si les conditions de
conformité au droit de la propriété littéraire et
artistique sont remplie, le label est attribué par l'autorité
administrative. Cette labellisation vaut alors pour une période d'un an
à compter de sa publication et devra être renouvelée chaque
année selon la même procédure.
79. Dans le cadre d'un rapport de
recherche81, l'Hadopi a déterminé que pour 35% des
internautes, le caractère payant d'une offre était une garantie
de légalité. Les meilleures garanties seraient la
notoriété du site (44%), l'existence d'une charte et de
conditions d'utilisation (42%), et la labellisation par un « organisme de
confiance » (37%). La même étude montre que, concernant la
labellisation, ce sont les 15-24 ans qui semblent être le plus sensibles
(45%) et les inactifs (40%) tandis que les 40 ans et plus restent plus
sceptiques (la proportion chute de 10 points). Ce rapport ayant
été rédigé il y a plus de trois ans, l'on peut
penser que les habitudes des utilisateurs ont évoluée et que leur
sensibilité à la propriété intellectuelle s'est
affutée par le mécanisme de la réponse graduée
instauré par l'Hadopi. Ainsi, l'on peut conclure que la labellisation
est un critère prépondérant de distinction de la
légalité pour les utilisateurs, pouvant entraîner
indirectement une hausse de la notoriété des plateformes en
cause. Dès lors, peut-on considérer que l'offre légale
fonctionne, et qu'elle permet d'attirer les utilisateurs vers la
légalité ? En l'absence d'études concrètes sur ce
point, il n'est pas certain de s'en assurer. Néanmoins, nous pouvons
espérer une hausse de la consommation de l'offre légale par sa
démocratisation et sa plus grande visibilité sur l'Internet.
Malheureusement, si de nombreuses plateformes d'offre légale existent,
des réticences se font encore entendre à leur égard,
freinant sans doute un usage responsable des outils
numériques.
Paragraphe II : Une offre légale aux
résultats mitigés
80. Il semble exister un gouffre entre la
théorie de l'offre légale et son effectivité. De
nombreuses critiques affluent à l'encontre de cette labellisation.
Premièrement, l'on peut critiquer cette « tentative
d'étiquetage d'Internet » qui reviendrait à «
jeter l'opprobre et à rejeter dans l'illégalité des
pratiques de partage que la société elle-même ne condamne
[pas] »82. D'autre part, une labellisation qui se veut -et
se présente- jeune, mais qui repose sur un système payant, de
fichiers mp3 dont la qualité est de plus en plus critiquée
après 20 ans d'existence, et certains n'hésitent d'ailleurs pas
à en faire la satire83. D'autre part, si le label permet
l'apposition d'un logo sur le site en cause, peu l'effectue. Ainsi, à
moins d'avoir visité le site de référencement de l'Hadopi,
la labellisation perd tout son effet d'identification.
81 Hadopi, biens
culturels et usages d'internet : pratiques et perceptions des internautes
français. 2ème vague barométrique. 18 mai
2011
82 2013 « Le
mirage de l'offre « légale » et ce qu'il nous coûte
» [en ligne]
http://scinfolex.com/2013/05/12/le-mirage-de-loffre-legale/
(consulté le 07/06/2014)
83 « Le mp3, ce nouveau phénomène
qui gagne Internet » 2014 [en ligne]
http://www.legorafi.fr/2013/02/27/le-mp3-ce-nouveau-phenomene-qui-gagne-internet/
(consulté le 07/06/2014)
81.
28
Mais un des gros écueils de l'offre légale
semble être son manque de qualité et de variété. Une
célèbre bloggeuse a décidé en 2013 d'enquêter
sur l'ensemble des sites proposés par la plateforme Hadopi et le constat
apparaît effarant, voire même effrayant84. Films «
mal catalogués, sites bugués, sites hors-ligne, sites
compatibles uniquement avec les mobiles ou uniquement avec un accès
ADSL, voire des sites ne proposant absolument aucune vidéo ou
téléchargement », des sites qui « ne
fonctionnent pas, des téléchargements qui échouent [...]
et globalement une demi-douzaine de saisons orphelines de séries en VF
qui se battent en duel avec des clips des années 90 (sic) ».
Pour exemple, le site Mega Vod référencé renvoi à
plus de 11.000 résultats lorsqu'il est associé à «
arnaque » dans les recherches Google, de quoi
décrédibiliser l'ensemble d'une initiative pourtant
originellement louable. Ainsi, une fange des utilisateurs de l'Internet perdent
toute confiance en des sites pourtant créés par initiative
étatique, et sont sans aucun doute encouragés à se tourner
vers une offre illicite présentant dans le même temps une
réelle communauté et un contrôle des administrateurs. Et un
budget de 3 millions d'euros annuel pour la campagne de labellisation ne peut
que renforcer ce sentiment de méfiance. A côté de ces
constats extrêmes, peuvent également être mis en avant le
manque de diversité dans les choix proposés, le manque de
nouveautés (Aucun site français n'est aujourd'hui capable de
retransmettre à quelques jours d'intervalle une série
diffusée aux Etats-Unis en version sous-titrée) l'absence de
versions originales sous-titrées. Et en matière musicale, la
capacité pour les sites de supprimer le contenu pourtant
téléchargé de façon
discrétionnaire85... Dans le même temps, le rapport
Link Storm de l'Hadopi du 13/03/2013 mettait quant à lui en
exergue le manque de visibilité de l'offre légal dans les moteurs
de recherche86. Bref, un dialogue de sourd entre
l'offre et la demande...
82. Comment expliquer que cette offre demeure « peu
diversifiée, coûteuse et difficile d'accès ?
»87. 82% des utilisateurs trouvent l'offre légale
trop chère88. Pour Jean-Yves Mirski,
représentant des éditeurs et distriuteurs vidéos,
l'étude serait pourtant biaisée par le manque
d'objectivité des consommateurs, qui auraient tendance à
systématiquement répondre par l'affirmative à la question
« payez-vous trop cher ce service ?
»89. Si en effet, payer de manière
légale semble être a priori plus attractif que de ne pas payer de
manière illégale, ces considérations
révèlent un problème de fond des débats autour du
numérique : le manque de confiance des professionnels à
l'égard des utilisateurs, qui seraient toujours enclin à se
tourner vers l'illégalité. Il semble présomptueux
d'apporter une réponse à cette question complexe, à savoir
la capacité des utilisateurs à accepter d'acheter des contenus,
en se tournant vers une légalité
84 Klaire, 2013, « Ivre, Hadopi adopte le
label PUR foutage de gueule » [en ligne]
http://www.klaire.fr/2013/06/10/ivre-hadopi-adopte-le-label-pur-foutage-de-gueule/
(consulté le 07/06/2014)
85 Voir Annexe 7
86 Linkstorm,
Département Recherche, Etudes, et Veille 13/03/2013
87 V. de Beaufort, op. cit. p.105
88 Baromètre de l'offre
légale, 1er baromètre-étude
quantitative Avril 2013 Hadopi Département Recherche,
Etudes et Veille
89L. Gallet, « La Hadopi
relève une offre légale bien visible mais trop chère
» [en ligne]
http://pro.clubic.com/legislation-loi-internet/telechargement-illegal/actualite-554580-hadopi-mesurer-succes-offre-legale.html
(consulté le 07/06/2014)
29
payante plus que vers une illégalité gratuite.
Cette opposition de front entre ayants-droits et utilisateurs remonte aussi
loin que l'Internet s'est démocratisé. Mais la force de frappe
des ayants-droits, et notamment de l'industrie de la culture musicale, lui a
permis de se faire rapidement entendre des organes délibérants,
ayant alors mis en place des règlementations peut-être plus
tournées vers le respect des ayants-droit que des utilisateurs. Ce
déséquilibre a entraîné de nombreux
dysfonctionnements, comme nous avons pu le remarquer dans les
développements précédents : la règlementation s'est
attachée à attaquer des phénomènes nouveaux et mal
appréhendés tout en semblant négliger l'envergure
socio-économique et culturelle impliquée par le numérique
et son bras armée qu'est Internet. L'étude de ces modifications
semble donc nécessaire pour comprendre l'origine des imperfections
précédemment abordées et envisager de nouvelles solutions
conciliant les intérêts des différentes parties.
30
TITRE II : UNE MODIFICATION SOUS-ESTIMEES DES RAPPORTS
ENTRE ACTEURS
83. Le droit de la propriété intellectuelle est
le « reflet d'une époque, de sa culture politique, de son
environnement économique », ce qui en fait un droit «
nécessairement évolutif »90. Le
progrès a constamment été le moteur du droit et des
avancées sociétales. Et qui mieux que le droit peut-il illustrer
cette progression ? Face à un idéal d'élaboration
juridique, la réalité ne semble pourtant pas être aussi
resplendissante. Nous avons pu voir les différents écueils de la
législation actuelle. Qu'il s'agisse de la qualification même
d'une frange non négligeable des utilisateurs de « pirates
», des mesures techniques de protection abandonnées
après avoir démontré leur inefficacité relative ou
une offre légale non satisfaisante, le droit n'a pas encore pris la
mesure pleine et entière des nouvelles possibilités offertes par
le numérique et il est nécessaire d'en parfaire les contours.
84. Dès 2002, les phénomènes de
contrefaçon démocratisés ont d'après ces
producteurs entraînés une diminution des ventes, de 50% en 5 ans,
alors que l'industrie du disque connaissait auparavant une progression annuelle
de 2 à 3%. Les majors n'ont eu d'autre choix que de recourir à la
restructuration pour limiter les pertes, en divisant par deux leurs effectifs,
réduisant leurs investissements pour les artistes et leur nombre dans
leurs catalogues. Pour certains, la conclusion est frappante : « La
piraterie a donc eu pour effet de conduire à un appauvrissement de la
création musicale en terme de diversité, de chances pour un
artiste de rencontre un public. Et si cela continu, il n'y aura plus de
productions nouvelles »91. Un tel constat, aux allures de
fin du monde artistique, laisse pourtant sceptique. Rappelons que l'art se
définit par lui-même et la création se fait ex
post, sans idée de rétribution. Un musicien compose, un
artiste peint, un auteur écrit, non tant pour être
rémunéré, mais par un élan artistique, telle une
nécessité d'extérioriser une pulsion de l'art. Le
raisonnement n'est pas identique dans les domaines à investissement plus
importants, et l'on pense directement à l'industrie
cinématographique ou à l'univers des jeux vidéo, mais en
matière musicale, il n'est nul doute que l'élaboration d'une
maquette ne demande pas, en principe, d'investissements majeurs. Bien
évidemment, avec des moyens réduits, l'artiste ne peut en faire
son activité principale ou recourir aux instruments les plus
perfectionnés. Mais de là à sonner le glas de la
création, il semble exister un gouffre.
85. Le courant du copyleft, tendant à modifier le
droit d'auteur actuel, repose notamment sur un principe particulier : Le
numérique a modifié l'économie de l'art et le droit
d'auteur a été spolié à ses titulaires originaux
par des industriels non contributeurs à l'expansion artistique. Cette
idée est résumée au plus simple dans l'Anthologie du Libre
d'Olivier Blondeau et Florent Latrive :
« Lorsque les artisans du Libre évoquent
l'échange, la connaissance et le partage, les gardiens de la
création entendent piratage, copie et plagiat. Lorsque les libres
enfants du savoir parlent de
90 L. Marino Thémis, op. cit., p.12
91 V. de Beaufort, op. cit. p.117
31
contribuer au savoir collectif, une coalition mêlant
les plus avides businessman et nombre d'idéalistes convaincus de la
justesse de leur combat leur rétorque : Vous allez étouffer la
création »92.
86. L'on peut définir le droit de plusieurs
manières. Sans entrer dans des considérations théoriques
complètes, nous pouvons considérer qu'il s'agit d'une
réponse à des phénomènes sociaux, culturelles,
économiques, et ce plus particulièrement en matière de
propriété intellectuelle. L'internet a troublé des
postulats et visions d'un monde matériel, en bouleversant les
réalités dans nombres de domaines. Permettant de donner la part
belle au débat et entraînant de profonds bouleversements dans les
schémas économiques classique et de répartition des
fonctions le numérique a bouleversé les rapports entre l'auteur
et le producteur (Chapitre I), ainsi que ceux de l'auteur avec son public
(Chapitre II).
CHAPITRE I : DES RAPPORTS AUTEUR-PRODUCTEUR
BOULEVERSES
87. Trois à quatre générations. C'est le
degré de protection dans le temps conféré par la
protection communautaire du droit d'auteur à son titulaire, pour 70 ans
post mortem auctoris. Cette durée particulièrement
longue -L'on rappellera que celle-ci s'expirait initialement 20 ans
après la publication de l'oeuvre-, est vue par certains comme le
lobbying des industries culturelles, personnes morales. A l'image de
Joëlle Farchy, cette durée de protection ne se justifie pas, et
perd tout son sens lorsque les droits sont cédés auxdites
personnes morales : « Des pans entiers de ce qui aurait pu tomber dans
le domaine public sont ainsi privés d'une diffusion large au profit des
intérêts de grandes compagnies »93
88. Ces grandes compagnies se comptent sur les doigts d'une
main tout en concentrant 71.7% des parts de marché sur le marché
mondial des ventes de productions musicales représentant plus de 50
milliards de dollars: Universal Music Groupe (38.9%), Sony Music Entertainment
(21.5%) et Warner Music Groupe (11.3%)94.Agents économiques
qualifiés de producteurs, il s'agit de personnes morales, organisant et
finançant l'enregistrement de l'interprétation de l'artiste, ce
qui implique notamment la location d'un studio et la rémunération
des musiciens. Celui-ci devient généralement le
propriétaire de l'enregistrement une fois terminé et en assure
alors la fabrication, commercialisation et promotion95.
89. Progressivement, les critiques qui s'élevaient de
prime abord contre le droit d'auteur se déplacent vers les producteurs.
Les dérives de ces derniers n'ont pas manqué d'interpeller
certains auteurs, à l'image de Joost Smiers pour qui ces industriels de
la culture ne sont qu'une simple copie des patent box. Ces entreprises
amassent les oeuvres, se font céder les droits attachés, et
juridicisent la création : Ces nouveaux titulaires ont alors un
comportement frénétique de protection stricte et
systématique de leurs droits par des règles contractuelles
sévères ou actions en justice systématiques,
92 J. Farchy, Internet et le droit d'auteur, la
culture Napster p.74
93 J. Farchy, « Le droit d'auteur est-il
soluble dans l'économie numérique ? » p. 22
94 [en ligne]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Major
(industrie musicale) (consulté le
07/06/2014)
95 A. Bertrand, op. cit. p.16
32
face à des artistes aux faibles moyens de
réponse. Le producteur serait-il donc non pas un auxiliaire de la
création96, mais un frein à la création ?
90. Certains auteurs opposent donc la liberté et la
culture à l'industrie musicale. Une position peut-être
exacerbée, exagérée, mais reflet d'une
réalité. En effet, les industriels de la musique, ou Majors, ont
toujours su profiter d'une situation monopolistique en leur faveur (Section 1),
qui semble progressivement leur échapper aujourd'hui au profit d'une
société de l'information qui remet en cause la balance
économique de l'industrie musicale (Section 2).
Section 1 : Une situation classiquement monopolistique
au profit des Majors
91. Certains économistes soulignent que l'expansion du
droit d'auteur favorise avant tout les investisseurs et non les
créateurs et interprètes97. Ces cessionnaires de
droits, vastes groupes internationaux, font appel aux marchés
financiers, son côtés dans la plupart des grandes bourses et
tendent à conserver une position de surpuissance et l'on ne doute pas
que l'apparition de nouveaux acteurs, modes de financement et techniques les
amènent à se défendre par l'attaque, en qualifiant
automatiquement ces nouveaux phénomènes de contrefaçon, de
« piratage » ou de
parasitisme98. Ces réactions ne sauraient
étonner si l'on se penche sur l'historique des comportements de telles
industries. Les phonogrammes furent un temps vus comme une menace pour les
vendeurs de partitions, les radio « pirates » sont devenues des
radios « libres », le magnétoscope était
qualifié d'outil privilégié et dédié
à la copie contrefaisante, et aujourd'hui, la situation n'est pas
nouvelle, seul l'objet des craintes évoluent.
Paragraphe I : La surpuissance économique des
« Big three »
92. Le système économique dominé par
quelques grands producteurs apparaît profondément
déséquilibré. Peu d'artistes sont
rémunérés et tous sont soumis à des conditions leur
étant peu favorables, qu'il s'agisse du partage des marges sur les
ventes de CD, la soumission à des contrats d'exclusivité... La
musique est devenue indéniablement une industrie, entraînant une
concentration abusive de ses revenus. Par exemple, une étude a pu
montrer que 1.8% des auteurs-interprètes recevaient à eux seuls
71.9% des droits reversés par la SACEM tandis que 66.8% des
sociétaires ne touchaient aucuns droits99. Par ailleurs,
cette puissance économique des Majors leur permet d'imposer leurs choix
musicaux, et ainsi, d'imposer une certaine culture musicale. La même
étude a pu montrer par exemple qu'en 2011, 1.8% des titres du catalogue
SACEM représentaient 73.9% des diffusions totales de titres via
radiodiffusion100. Cette concentration culturelle semble
néfaste et est parfois même
96 Idem.
97 J. Smiers, 2001« L'abolition des droits
d'auteur au profit des créateurs » » in Réseaux
Volume 19 n°110/2001 - Editions La Découverte p.61
98 M. Dulong de Rosnay et H. Le
Crosnier, op. cit. p. 55
99 Voir annexe 2
100 Voir annexe 3
33
considérée comme contraire à «
un modèle de société démocratique et
républicain »101. Par ailleurs, alors que l'auteur
reçoit 9% du prix d'un disque physique et 10% du prix d'un
téléchargement, les maisons de disque perçoivent
respectivement 50.4% et 61.6% du prix total. Cette surpuissance
économique se traduit donc par une faible rémunération des
auteurs102.
93. Comme dans tout rapport de force
déséquilibré, c'est aussi dans les contrats que la
surpuissance s'exprime. Outre les contrats d'exclusivité souvent conclus
entre un artiste et un producteur, une enquête103 a
dévoilé la pratique contractuelle des minimums garantis, seuils
versés par la plateforme de musique en ligne pour exploiter le catalogue
des maisons de disque. La plateforme Jiwa par exemple a admis avoir
versé en 2010 plus de neuf-cent mille euros aux grandes Majors, dont
quatre-cent mille uniquement à Sony Music. Ces seuils, indexés
sur les parts de marché attendues de l'exploitation, peuvent donc
rapidement s'avérer astronomique. Au regard de la proportion d'artistes
détenus par de telles entreprises, un éditeur ne semble donc pas
avoir de prime abord d'alternative pour diffuser des titres d'artistes sous
contrat en toute légalité. Perspective décourageante,
supporter l'intégralité du risque d'exploitation des catalogues
par les éditeurs pour des risques de pertes tout aussi importants
n'encourage pas nécessairement ceux-ci à respecter les droits
d'auteur, tant la chape financière apparaît écrasante, a en
entraîner parfois la faillite des éditeurs104
94. Pourtant, des alternatives existent pour financer les
auteurs. Dailymotion en est un bon exemple. Site de streaming permettant
à tout un chacun de mettre ses films à disposition du public, le
site a mis en place une veille permettant de s'assurer que les vidéos
postées ne contreviennent pas aux droits de leurs titulaires. La
rémunération des auteurs se fait par la publicité. Plus la
page est visitée, plus l'artiste est rémunéré. En
2012, 90% du chiffre d'affaire du site était lié aux
bannières, 10% aux publicités insérées dans les
vidéos. Le modèle de Dailymotion n'est pas d'acheter les droits
des auteurs, mais de « partager le revenu publicitaire, ce qui, sans
doute, explique [qu'ils n'aient] qu'un acteur partenaire au sein de l'industrie
musical (Universal) »105, les perspectives de
rentabilité de ce nouveau modèle étant sans doute moins
certaines que dans le cadre des pratiques de minimum garanti.
Paragraphe II : La surreprésentation lobbyiste
des « Big three »
95. Les producteurs n'hésitent pas à se
constituer sous forme de groupes de pression afin d'influencer les organes
délibérants en vue de verrouiller Internet et conserver leur
101 « Assurer une juste rémunération aux
artistes » [en ligne]
http://framazic.org/sinformer-et-comprendre/assurer-une-juste-remuneration-aux-artistes/
(consulté le 07/06/2014)
102 Voir Annexe 5
103 P. Astor, 2010, « Numérique et gestion
collective, les minimums garantis exigés par les majors au coeur de la
polémique » [en ligne]
http://www.zdnet.fr/actualites/numerique-et-gestion-collective-les-minimums-garantis-exiges-par-les-majors-au-coeur-de-la-polemique-39712721.htm
(consulté le 07/06/2014)
104 « Fermeture du site de musique en ligne Jiwa
» Le Monde, 03/08/2010
105 M. Guez, « Confrontation de
business models : l'introduction de modèles économiques et
juridiques des nouveaux entrants » in V. de Beaufort, op. cit.,
p.123
34
monopole. Cet interventionnisme s'exprime à tous les
niveaux, et notamment au niveau national, avec la loi HADOP et européen,
avec la Directive DADVSI.
96. Selon les Majors, un milliard de titres sont
téléchargés chaque année en France, ce qui
correspond à un manque à gagner de plus de dix millions d'albums,
et près de 80% des utilisateurs se sont rendus coupables au moins une
fois d'acte de piraterie106. Un postulat qui mérite
d'être pris avec des pincettes, puisque l'on peut partir du principe
opposé selon lequel les « pirates » sont souvent ceux
qui n'ont pas les moyens de se procurer l'oeuvre au prix original. Selon les
majors, un titre téléchargé illégalement correspond
à un titre qu'elles n'ont pu vendre. 4 français sur 5 sont
qualifiés de « pirates », c'est-à-dire de criminels.
Fer de lance de leur campagne lobbyiste, attentivement écoutés
par le législateur, certains gardent un goût amer de ces
déclarations. En premier lieu, la CNIL « constate avec une
certaine amertume que les seuls motifs évoqués par le
gouvernement afin de justifier la création du mécanisme
confié à l'Hadopi résultent de la constatation d'une
baisse du chiffre d'affaire des industries culturelles. Or, le projet de loi
n'est pas accompagné d'une étude qui démontre clairement
que les échanges de fichiers via les réseaux pair-a-pair sont le
facteur déterminant d'une baisse des vente »107.
D'autant que les chiffres avancés auraient été
multipliés par 12 pour prendre en compte « la marge d'erreur
»108.
97. Autre indice de cette influence conséquente sur
les organes décisionnaires, l'argument selon lequel le
téléchargement illégal aurait entraîné une
perte de chiffre d'affaire des Majors. S'il s'agit effectivement d'une
réalité quant au marché de la vente de disques, il
apparaît que depuis 2005, les revenus de la vente de musique digitale ont
fait un bon de 1.2 milliards de dollars à près de 6 milliards,
depuis 2008, l'industrie des concerts est passée de 12 milliards de
dollars à 26 milliards109. Alors que l'industrie de la
musique sonnait l'alarme et clamait son effondrement, la réalité
semble toutefois être bien différente. Ainsi, une
règlementation fondée sur de fausses données ne nous
semble que devenir inexorablement déséquilibrée.
98. Dans un système français ou la place des
lobbys est difficilement assumée, contrairement à la situation
législative aux Etats-Unis, leur rôle reste néanmoins
essentielle. Il est légitime qu'un groupe intervienne dans
l'élaboration d'une règle qui aura vocation à leur
être appliquée. Le droit tend vers l'utilité publique,
l'intérêt générale, et le contradictoire permet
manifestement de tirer la qualité du travail intellectuel vers le haut,
et servir l'intérêt général. Malheureusement, cet
aspect contradictoire semble cruellement manquer au travail législatif
en matière de droit d'auteur, la plupart des artistes étant
encore peu sensibilisés à la propriété
intellectuelle et laissant à leurs producteur le soin de gérer
les considérations juridiques. De fait, son élaborées des
législations ultra-
106 O. de Tissot, « Confrontation de business models :
« piraterie » informatique et rémunération des auteurs,
artistes interprètes et producteurs », idem, p131
107 Idem p.132
108 « Les chiffres du piratage cités par le
Ministère sont multipliés par 12 » Le Monde
07/04/2008
109 Recorded Music and Internet Mobile from PWC, 2012, Global
Entertainment and Media Outlook
35
protectrices des cessionnaires de droits et ne se questionnant
que trop peu sur la situation du créateur. Pourtant, le numérique
vient bouleverser ce schéma classique, l'avènement de la
société de l'information permet une plus grande connaissance des
droits et devoirs de chacun et les autres acteurs sont amenés à
se prononcer plus fréquemment et fortement, ayant pour
conséquence un rééquilibre des force dans la balance des
projets législatifs et règlementaires, et ne justifiant plus
l'omnipotence des grands producteurs tels qu'ils sont aujourd'hui.
Section 2 : Un déclin annoncé de la
figure classique du producteur
99. Avec la fusion de Sony Music Entertainment et BMG
Entertainment ainsi que le rachat d'EMI Group par Universal Music Group, deux
majors sur cinq ont disparu en cinq ans. Si les principaux
intéressés avancent comme principale raison la crise de
l'industrie du disque, c'est peut-être avant tout une réelle crise
interne d'un modèle inadapté au numérique qui est remis en
cause. Cette perte de puissance trouve des justifications aussi bien
économiques, par des politiques archaïques (I) que culturelles, par
la remise en cause sociétale de l'industrie musical (II).
Paragraphe I : Des politiques de protection
archaïques
100. Qu'il s'agisse du rapport Levy-Jouyer, Cedra, Attali ou
Cohen-Verdier, la conclusion est unanime : « Les industries
culturelles se préoccupent d'avantage de la préservation des
acquis que de la recherche de profits tirés des nouvelles
possibilités ouvertes par l'ère numérique
»110. Reposant sur un système de rente, ce
modèle économique s'effrite progressivement. D'une part parce que
de tels industries perdent leur place privilégiées dans
l'ère numérique, où les réseaux centralisés
de distribution de la musique sont délaissés au profit de
réseaux décentralisés, ou tout du moins
concurrencés. Par ailleurs, l'industrie est frappée en son centre
par une crise interne majeure. Alors qu' à la baisse des ventes de CD
physique est opposé le téléchargement illégal, l'on
peut interpréter cette diminution du chiffre d'affaire par la perte
d'attrait d'un tel support, vieillissant, encombrant et onéreux au
profit du format numérisé111. D'une
bibliothèque matérielle rapidement encombrante et
poussiéreuse, l'on peut passer à une bibliothèque sans
réelle limite tenant sur des milliers de Giga octets et une
poignée de centimètres concentrés sur une clé USB.
« En restant focalisée sur la crise du CD, l'industrie du
divertissement n'a [ainsi] pas cherché à innover afin d'utiliser
toutes les potentialités d'internet. De plus, les grands disquaires
(Fnac, Virgin, etc.) ont fait un choix délibéré de
réduire considérablement leur diversité de CD, diminuant
ainsi d'autant plus l'intérêt d'acheter un disque
»112
101. Position archaïque donc. Archaïque car
rébarbative. Après un véritable âge d'or de
l'industrie du disque dans les années 1970 et 1980, où le disque
vinyle était vendu à plus
110 V. de Beaufort, op. cit. p.105
111 Comme nous avons pu le mentionner
précédemment, même si le format privilégié
(mp3) est vieux de plus de 20 ans, il reste encore bien plus avancé que
le format classique CD-ROM
112 « Assurer une juste rémunération aux
artistes », op. cit.
36
de 60 millions d'unités chaque année. Puis en
l'espace de dix ans, la vente chute à à peine plus de deux
millions d'exemplaires113. Alors que l'invention des cassettes,
walkman et CD-Rom apparaît la raison la plus plausible d'un tel
déclin, l'industrie préfère avancer la contrefaçon
encouragée par ces nouveaux procédés. Et pourtant
l'industrie a su par la suite s'adapter et tirer profit de ces nouvelles
avancées technologiques. Dans le même temps, la K7 permet de
réaliser des copies privées, et l'industrie soutient alors
l'impact d'une telle pratique sur le secteur musical, qui n'a pourtant pas tant
pâti de cette situation. Ces schémas semblent se renouveler de
façon identique avec l'avènement du numérique, avec encore
une fois des arguments tirés du comportement malsain des utilisateurs.
La chute peut donc avant tout s'expliquer par la nécessité pour
l'industrie musicale de se réorganiser et s'adapter, et une fois cette
évolution effectuée, si la situation est identique pourrait-elle
de nouveau retrouver sa croissance antérieure.
102. Le constat apparaît donc frappant : L'industrie
musicale ne sait pas anticiper les effets des mutations technologiques et
restent cramponner à ses acquis et à un business model
vieillissant avant de s'adapter. Le protectionnisme agressif de l'industrie
musical marque toutefois les esprits. Et malgré une volonté
tardive mais non inutile de s'adapter au numérique, il n'est pas certain
que le public soit en mesure d'accepter encore la position de force d'un acteur
pourtant encore particulièrement puissant.
Paragraphe II : La remise en cause culturelle de
l'apport du producteur
103. Avec une législation catégorisant les
utilisateurs et les taxant de criminelles avec légèreté,
il n'apparaît pas étonnant que les « webers » et autres
« bloggeurs » s'élèvent et contre-attaques. Pour
Olivier Tissot114, le terme même de pirate est contestable. Il
ne faut en effet pas oublier ce qu'est en réalité la piraterie.
Le téléchargement, « est exempt de toute violence contre
les personnes, à la différence des actions normalement
définies par ces termes. Les pirates de la mer ou les pirates de la
route sont généralement lourdement armés et ne craignent
pas de blesser ou de tuer leurs victimes dans le seul but de s'enrichir
injustement, alors que les pirates du téléchargement en menacent
[...] personne et ne cherchent généralement pas à
s'enrichir. C'est donc par un véritable abus de langage qui n'est
évidemment pas innocent car il assimile à des dangereux criminels
les pratiquants de ces téléchargement »Les Majors
elles-mêmes n'hésitent pas à reconnaître leurs erreur
et par la même perdre un peu plus d'une légitimité
déjà mise à mal : Guy Hand, directeur de la Major EMI, a
par exemple déclaré publiquement que la perte de chiffre
d'affaire sur les CD musicaux n'était non pas due à la piraterie
mais essentiellement à « la frilosité des politiques
économiques menées par les majors depuis l'émergence
d'Internet comme grand média »115. Ainsi
parviendrait-on à éradiquer toute forme de contrefaçon
numérique qu'il ne serait pas évident que le marché des CD
physiques repartirait à la hausse116.
113 « Parts de marché du Vinyle depuis 1980 : De
l'apogée au déclin » [en ligne]
http://www.vinyle-actu.fr/parts-de-marche-du-vinyle-depuis-1980-de-lapogee-au-declin
(consulté le 07/06/2014)
114 O. de Tissot « Confrontation de business models :
piraterie informatique et rémunération des auteurs, artistes
interprètes et producteurs » op. cit. p129
115 Cédric. L., 2008 « Guy Hand prévoit de
licencier 2.000 employés chez EMI » Numérama
116 V. de Beaufort, op. cit. p. 133
104.
37
De plus, si les majors sont titulaires d'un nombre
impressionnant de droits et que leurs catalogues sont remplis d'artistes et
auteurs, certains pensent qu'ils ne participent pas - contrairement à
leur leitmotiv- à la création musical mais qu'il s'agit au
contraire des producteurs indépendants qui découvrent et
financent les jeunes artistes et nouveaux talents, avant que ceux-ci
décident de rejoindre les sphères des grands producteurs aux
contrats plus attrayants117. En effet, les majors produisent 75% des
CD mis en vente mais ne produisent que 25% des nouveaux artistes mis pour la
première fois sur le marché. Les petits producteurs sont
réellement ceux qui prennent les risques financiers de produire les
jeunes auteurs inconnus avant de les voir rejoindre les majors ou se faire
eux-mêmes racheter par celles-ci118.
105. D'autre part, une partie du public remet en cause le
« star system » mis en place par l'industrie musicale. Ce
modèle économique vise en fait à surproduire un artiste,
voire de le formater pour le public le plus large, et par la suite
bénéficier d'une situation de rente à long terme. Cette
« économie de l'art » semble éloignée des
fondements mêmes de la création artistique et certains
considèrent qu'elle entraîne une diminution
particulièrement grave de la qualité des oeuvres diffusés
et consultables, et par la même une diminution du niveau de
sensibilité artistique du public français, comme le montrent les
meilleurs ventes françaises. « Souvenez-vous bien que le titre
« Quand il pète il troue son slip » est passé en
tête des ventes devant Daft Punk aujourd'hui récompensé de
six Grammy Awards devant le monde entier » 119. Pour Rachid
Ferrache, « la France est remplie de [bons artistes] faisant mieux en
home studio que tout ce qu'on nous sert à longueur d'année. Mais
les labels continuent de les ignorer, proposant des compilations hommages
». Son constat est sans appel : « La puanteur musical [...]
a vendu plus de singles, non pas parce que les gens aiment, mais parce que des
connards en on fait la promo, [...] ciblant les gamins de neuf ans
déjà abrutis par les [émissions] de la télé
réalité ». Des mots durs, peut-être trop forts,
mais qui a obtenu de nombreuses critiques en son sens. Les discours inverses,
remettant en cause la crédibilité d'une telle position, mettent
néanmoins en exergue la réalité de la production actuelle
certains lui opposant, en s'adressant directement à lui que les labels
et producteurs sont soumis « (...) aux dictats du marché, de la
monnaie qui doit remplir les caisses, et [si vous étiez producteur] vous
ne changeriez rien, ou vous feriez faillite en tentant de promouvoir des
artistes talentueux, certes, mais pas vendeurs »120. L'on peut
donc considérer que les producteurs n'ont pas pour objectif de
réduire la qualité artistique, ou de profiter de leur position de
force pour obtenir des conditions contractuelles désavantageuses pour
leurs partenaires, mais que la loi du marché, la loi du plus fort, les
oblige à mettre en place des standards de qualité et de
rentabilité nécessaire pour pouvoir perdurer dans la production
musical.
117 Idem. p136
118 Idem.
119 Ferrache, R. 2014, « La France ce n'est pas Daft
punk... », [En ligne]
http://www.zealjournal.com/la-france-ce-nest-pas-daft-punk-lindustrie-musicale-francaise-se-prend-une-belle-soufflante-par-rachid-ferrache/
(consulté le 04/06/2014)
120 De la Biche A. , 2014, Lettre
ouverte en réponse à Rachid Ferrache. [En ligne]
http://www.musicalementnotre.fr/2014/02/lettre-ouverte-en-reponse-rachid.html
(consulté le 04/06/2014)
106.
38
Face à des professionnels vus comme des
exploitants de la création, une partie du public n'hésite alors
pas à se revendiquer du « syndrome de robin des bois
»121, en revanche contre les producteurs et leurs
bénéfices substantiels. Pendant longtemps, il a été
avancé que les intérêts des grands producteurs
étaient les mêmes que ceux des artistes. Postulat inexact puisque
« l'artiste crée pour l'amour de l'art [...] alors que les
industries créent uniquement pour l'argent qu'elles ont à y
gagner »122. Le droit d'auteur devient un droit pour
l'industrie culturelle, détaché des intérêts du
public et des auteurs. Et de ce constat naissent les contestations de ces
laissés pour compte qui revendiquent une plus grande écoute, mais
« encore faut-il pour cela que le droit d'auteur s'adapte à
l'ère numérique. S'il ne le fait pas de bon gré, il le
fera de force I »123.
CHAPITRE II : DES RAPPORTS AUTEUR-PUBLIC
ENCOURAGES
107. La démocratisation de l'internet est
récente. Ce n'est que depuis le début des années 2000 que
le plus grand nombre -tout du moins dans les pays développés- y a
accès. La jeunesse d'aujourd'hui est née dans l'ère
numérique et a grandi en utilisant ces différents outils. Pour
Lawrence Lessig, la jeunesse est née d'une tradition de libre culture,
semblable à la liberté d'expression, à la liberté
du commerce ou aux marchés libres124 . Comme nous l'avons vu
plus tôt, la protection effective des droits d'auteur sur internet et la
volonté de sanction des usagers finaux est encore plus récente.
Ces jeunes sont alors imprégnés d'une culture non marchande,
où l'internet permet l'accès gratuit et quasi illimité aux
contenus.
108. Mais l'accès à la
société de l'information, la diffusion des contenus,
l'accès à la culture si ardemment défendu par les
utilisateurs méritent-ils le non-respect absolu des droits de
propriété intellectuelle ? Quand bien même la
réponse serait négative, la situation resterait inchangée.
Il semblerait donc opportun, comme le proposent les partisans du « No
copyright » et du « Copyleft », de promouvoir la
gratuité pour l'utilisateur final, ou un nouveau mode de financement des
artistes et de leur rétribution. Internet est un outil
démocratique permettant aux auteurs de se faire connaître,
partager leurs oeuvres et favorisant l'égalité des chances.
L'auteur n'est plus enfermé dans des barrières territoriales et
il peut s'adresser en simultané à un public international
grâce à une visibilité accrue. Il est en relation directe
avec son public et peut bénéficier ainsi des retours de celui-ci
et de ses conseils pour améliorer ses travaux et s'assurer une chance de
succès commercial bien plus grande.
121 Idem.
122 S. Canevet, et B. Jean, 2009 « L'évolution du
droit d'auteur à l'ère numérique », in La Bataille
Hadopi InLibroVeritas p.300
123 Benjamin Bayart
124 L. Lessig, 2004 «We come from a tradition of «
free culture » -no « free » as in « free beer » [...]
but « free » as in « free speech », « free markets
», « free trade » » in Free Culture, How big
medias uses technology and the law to lock down culture and contrôle
creativity p.14
109.
39
Joost Smiers, dont l'hostilité pour l'industrie
musicale et le droit d'auteur tel qu'on le connaît n'est plus un secret,
souligne avec adresse que « grâce aux réseaux
numériques, les paiements directs des artistes par le public seront
facilités sans passer par de grands groupes. L'enjeu [étant] de
briser les pouvoirs monopolistiques dans les industries culturelles et de
créer un nouveau système plus favorable aux intérêts
financiers des artistes et à la diversité culturelle
»125.
Section 1 : L'Internet en faveur d'un rapport direct
110. Le partage favorise l'innovation. Une oeuvre musicale
est un bien non rival, inépuisable. La libre diffusion participe
à la notoriété de l'auteur, cette notoriété
favorisant alors la rémunération de celui-ci par la vente de
produits dérivés (les concerts par exemple), favorisant de
nouveau la création. Le partage serait donc lié au cercle
vertueux de la création126
111. Grâce aux licences libres et Creative Commons, le
public n'est plus borné à son simple rôle de consommateur
de musique. Il peut désormais s'approprier les oeuvres, les
améliorer, mixer, intégrer dans ses propres créations, les
citer, traduire librement...127 Les meilleurs exemples d'une telle
mise en commun de la connaissance restent Wikipédia, Linux et Firefox.
Ces licences d'autorisation, contractuelles, respectant le cadre légal
de la propriété intellectuelle, mettent en place un degré
variable de liberté mais toutes ont en commun certaines
caractéristiques : La libre reproduction, la libre diffusion,
l'obligation de citer le nom de l'auteur, l'obligation de soumettre les
dérivés de l'oeuvre sous les conditions de la licence, et
impossibilité d'exercer un quelconque monopole sur cette oeuvre
dérivée. La limite reste toutefois la Licence Art Libre, lorsque
l'auteur est affilié à une société de gestion
collective. Le cas échéant, la SACEM pourrait alors demander une
rémunération pour l'utilisation faite des oeuvres de son
catalogue128.
112. En outre, le numérique facilite en partie
l'exploitation par un artiste de ses oeuvres. Alors qu'auparavant, la
communication était essentielle et nécessitait l'engagement de
coûteux frais de publicité pour l'affichage, la diffusion de spots
publicitaires télévisés ou radiodiffusés,
désormais, l'artiste peut louer un nom de domaine en son nom à
faible coût, être référencé pour gagner en
visibilité, et profiter des plateformes de streaming pour diffuser ses
maquettes et singles. Tout en dépensant peu, il peut même
rentabiliser son activité de promotion par des encarts publicitaires
ajoutés sur sa page web ou par les plateformes de streaming qui lui
reversent une partie des revenus, indexés sur le nombre de visionnages
de ses vidéos. Par ailleurs, dans l'espace physique, il était
nécessaire de produire des supports physiques engrangeant des
coûts de production et de distribution, et les disques non vendus
pouvaient constituer pour l'auteur une véritable perte sèche. Le
numérique permet la diffusion de titres
dématérialisés, sans coût de production du support,
les titres invendus sont indifférents puisque
dématérialisés, la notion de stock
125 J. Smiers, op. cit. p.61
126 L. Marino, op. cit. p.107
127 M. Dulong et H. Le Crosnier, op. cit. p.146
128 D. Geraud, op. cit. p.155
40
apparaît superflue. Egalement, si le monde physique
nécessite l'intervention de distributeurs prélevant une marge sur
la vente, et gérant la commercialisation, le numérique permet
à l'artiste de gérer tous les stades de la production et de la
distribution. Des sites comme PayPal permettent à l'artiste d'être
directement crédité du montant des achats effectué par les
utilisateurs, avec des frais relativement faibles129. Exit donc les
réseaux de production et de distribution complexes mettant en jeu de
nombreux intermédiaires. L'Internet permet à l'artiste de
contrôler l'ensemble du processus.
113. Toutefois, l'on ne peut nier le rôle
nécessaire de certains intermédiaires, véritables
professionnels de la communication et de l'investissement. L'artiste, s'il peut
être autonome, devrait toutefois conserver à l'esprit cette
idée. Non formé aux arts de la communication et du commerce, il
pourrait commettre certaines erreurs, ne pas profiter au maximum des
potentialités offertes par la communication numérique, perdre en
rentabilité et en visibilité. Le numérique a cela
d'intéressant en ce qu'il permet une exploitation autonome mais ne
l'oblige pas. C'est alors à l'artiste de faire le choix des
intermédiaires qu'il considère nécessaire selon leur
pertinence, choix permis avant l'avènement de l'ère
numérique qu'à une partie minime des artistes professionnels
disposant des fonds nécessaires et conséquents pour diffuser
leurs oeuvres.
Section 2 : Le public, au centre d'un nouveau modèle
économique ?
114. Les principes fondateurs de l'Internet sont la
gratuité et le libre accès, principe opposés de prime
abord au droit d'auteur. Les théories du No Copyright et Copyleft
rejettent le droit d'auteur dans sa forme actuelle. Si l'un rejette
l'idée même de monopole exclusif et la notion de droit d'auteur,
l'autre se limite à en questionner la pertinence du fonctionnement
actuel, et cherche une conciliation nouvelle et plus poussée entre ce
droit et l'intérêt du public. Cette conciliation ne peut se faire
que par de nouveaux modes de financement des productions culturelles et de
rémunération des artistes, et l'on trouve pléthore de
propositions sur Internet contrairement au modèle classique du droit
d'auteur fondé sur le droit de reproduction et celui de
représentation.
Paragraphe I : Le public, socle d'un nouveau
modèle économique
115. Alors que les systèmes d'abonnement classiques
restent anecdotique et cantonnés à certains domaines, qu'il
s'agisse de la pornographie ou des relations entre professionnels, serait
privilégiée la rémunération indirecte de l'artiste,
par le biais des revenus publicitaires ou subventions diverses.
116. Lors des débats préparatoires de la loi
Hadopi, la question de la licence globale a rapidement été
rejetée, car considérée comme non rentable pour les
artistes et l'industrie du disque, malgré que cette proposition ait
été validée par le Rapport Attali.
129 3.4% du montant de la transaction et 0.25 centimes
d'euro, cette commission diminuant plus montant de la transaction est
élevé. [En ligne]
https://www.paypal.com/fr/webapps/mpp/paypal-fees
(consulté le 07/06/2014)
41
La licence globale repose sur un principe relativement proche
de celui de la copie privée : La règlementation autorise les
internautes à accéder librement aux contenus artistiques et de
les exploiter à des fins non commerciale, en contrepartie d'une
rémunération versée aux artistes en fonction de leur
popularité sur les réseaux. Cette rémunération
trouverait sa source dans une taxe prélevée sur l'achat d'outils
informatiques, les abonnements à Internet ou sur le chiffre d'affaire
réalisé par les diffuseurs. Pour Aurélie Filippetti, alors
ministre de la culture, « la légalisation des échanges
non marchands se heurte aujourd'hui à trop d'obstacles juridiques,
économiques et pratiques pour pouvoir constituer, à court terme,
une réponse crédible à la problématique du piratage
», propos confirmés par son successeur, Madame Fleur Pellerin,
désormais ministre déléguée à l'Economie
numérique. Madame Filipetti semble avoir oublié le temps
où elle luttait devant l'Assemblée Nationale pour «
l'émergence d'un nouveau modèle économique associant
artistes et internautes (...) fondés sur une contribution
créative associée à des budgets publics massifs de soutien
à la création »130. Par ailleurs, l'on
regrette qu'une telle initiative soit écartée pour des raisons
pratiques, alors qu'une telle licence serait à rapprocher de la copie
privée qui a su faire ses preuves au fil des ans. Parmi les principales
critiques , l'on retrouve : des critères d'allocation des subventions
arbitraires, décidés par l'administration, des règles
variables d'un Etat à l'autre, une source induite
d'inégalité et d'injustice, avec une rémunération
non fondée sur le mérite mais sur le seul statut, induisant une
démotivation des artistes, motivation déviée pour
rechercher des subventions, et pour les artistes non subventionnés, la
nécessité de « bâcler » leur travail pour
augmenter leur rendement. De plus, exiger des créateurs une production
gratuite, non rémunérée directement, ne favorise sans
doute pas la création simple, immédiate et impulsive
dictée par l'impulsion artistique.
117. Il semblerait que des groupes de réflexion
planchent sur la légalisation du partage non marchand, sans licence
globale, permettant aux utilisateurs de diffuser des oeuvres numériques
sans l'autorisation de leurs auteurs. Cette possibilité apparaît
particulièrement dangereuse : Les utilisateurs seraient bien
naturellement attirés vers les sites gratuits et légaux, au
détriment des sites proposant les mêmes biens, mais cette fois
payants. Les auteurs seraient alors privés d'un revenu tiré de la
vente directe de leurs oeuvres. De l'hégémonie des producteurs
l'on passerait à la surpuissance des diffuseurs, seuls capables de
fournir des revenus publicitaires importants à ceux qu'ils
hébergent. Le piratage apparaît alors bien moins néfaste
pour l'auteur-interprète que la légalisation de cette pratique.
« Il est nécessaire que l'interdit persiste pour retenir une
trop grande pratique »131. Cette légalisation
permettrait à chacun de reproduire et représenter n'importe
quelle oeuvre, de la publier gratuitement sur un réseau pair-a-pair,
afin de le partager tout en écartant le créateur et en le privant
d'une possibilité de revenu. D'autant que la plupart des consommateurs
de biens culturels sont prêts à payer. Ceux qui ne le sont pas ne
consomment généralement pas, que ce soit payant ou gratuit. La
130 Débats parlementaires du 22/09/2009
131 « La HADOPI contre l'emploi du future ! »
[en ligne]
http://cupfoundation.wordpress.com/2014/04/03/hadopi-contre-emploi/
(consulté le 07/06/2014)
42
gratuité ne profiterait donc qu'à une frange de
la société132, ou ne ferait qu'inciter une partie plus
grande des utilisateurs à ne pas investir dans la culture.
118. Le public pourrait donc être la base d'un nouveau
modèle économique en ce qu'il participera toujours
financièrement au développement de la culture, mais de
façon indirecte et généralisée, par la
création d'un réel « impôt pour la culture ».
Néanmoins, l'idée d'une légalisation du partage
non-marchand sans contrepartie des utilisateurs apparaît être
manifestement néfaste pour la culture. Si l'idée est pourtant
étudier, et sera sans doute abordée lors de prochains
débats parlementaires, l'on peut considérer qu'il s'agit de
l'illustration de la création d'un nouveau groupe de pression s'opposant
au lobbying des industries de la production musicale. Le risque est alors que
le public prenne la force de ces derniers et influe sur l'instauration de
règlementation en sa faveur, ce qui encore une fois ne pourrait pas
tourné à l'avantager des titulaires naturels des droits d'auteurs
: les auteurs eux-mêmes. Néanmoins, d'autres propositions
émergent sur l'Internet de la part d'utilisateurs sensibilisés
aux problématiques que nous avons pu développer au long de cette
étude et d'autres pistes de réflexions émergent, imaginant
l'instauration d'un modèle économique tout à fait nouveau
en matière musicale.
Paragraphe II : Le public, nouveau groupe
d'influence pour l'instauration d'un nouveau modèle économique
119. Des plateformes de financement participatif ou
crowdfunding émergent progressivement. Les principales sont aujourd'hui
les sites My Major Company et Kick Starter. Une des premières
utilisations de tels sites pour la création et la
rémunération des auteurs fut le film cinématographique
« Le Projet Blair Witch ». Avec un budget de 40.000 euros,
il a permis de récolter 15 millions d'euros de
bénéfices133. Ces sites regorgent aujourd'hui de
nombreux projets faisant appel au financement des internautes, et des artistes
méconnus ont pu gagner le devant de la scène grâce à
ces plateformes tremplin, à l'image d'Irma (Nomination aux Victoires de
la Musique 2013), Grégoire (Multiples nominations aux Victoires de la
Musique et Disque de Diamant pour son album « Toi + Moi »). Le
système séduit : L'artiste n'a nul besoin de recourir aux
prêts couteux auprès des banques, l'investisseur sait
précisément où son argent va être investi
contrairement au système bancaire, si le projet n'atteint pas la somme
espérer, le financeur reprend sa mise, le système repose sur un
réel altruisme où l'un permet à l'autre d'obtenir le
financement nécessaire pour réaliser son projet... Le Parlement a
d'ailleurs parfaitement compris les enjeux de telles plateformes et ces
possibilités d'expansion, préparant depuis peu une
législation propre à la matière134
132 J.M. Bruguière, 2007 Droit d'auteur et culture
Thèmes & Commentaires, La propriété intellectuelle
autrement Ed. Dalloz p.68
133 J. Farchy, 2003, Internet et le droit d'auteur, la
culture Napster op. cit. p.56
134 P. Ordonneau « Crowdfunding : Finance
émotionnelle ou rationnelle ? » [en ligne]
http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-98939-crowdfunding-finance-emotionnelle-ou-rationnelle-1006967.php
(consulté le 07/06/2014)
120.
43
Mais la révolution se situe sur un autre terrain.
Framasoft, association francophone de la « culture du libre
»135, fer de lance de la promotion des logiciels libres,
dispose dans sa base de données de plusieurs millions de logiciels,
services en lignes, livres et musiques. Cette nébuleuse autour de
laquelle se développent de nombreux projets (Une maison d'édition
: Framabook, un blog d'information : Framablog, une équipe de traduction
: Framalang, une plateforme de vidéos : Framatube, une « forge
logicielle » : Framacode...) est la plateforme tournante des utilisateurs,
informaticiens et développeurs web. Selon son fondateur, Alexis
Kauffman, les logiciels libres garantissent quatre libertés :
L'utilisation libre et gratuite du logiciel , la possibilité
d'étudier le fonctionnement du logiciel, de le modifier et l'adapter, et
le droit de dupliquer et de redistribuer des copies, gratuitement ou à
titre onéreux136. Selon lui, « le logiciel libre
s'est développé en réaction à la tentative de
certains, comme Bill Gates ou Steve Jobs, de privatiser cela. C'est une
façon de préserver la situation antérieure ». Et
d'ajouter que l'on « criminalise des gens qui ne font que partager
[...]. Or, Internet est un outil dont la respiration est la copie ».
A l'origine centrée sur le développement de logiciels libres,
cette philosophie a été ensuite transposée dans le domaine
de l'art, avec pour objectif de promouvoir l'esprit du libre et la diffusion
des oeuvres, considérées comme des biens communs137.
Un « code de bonne conduite » diminue le risque que le
travail des différents intervenants ne soit
récupéré par le secteur marchand. Le volet musical de
cette véritable sphère numérique est le site web Framazic,
concentrant la musique « libre ». Mais ce que ses développeurs
entendent par liberté n'est pas tant la gratuité, mais les
libertés d'utilisation accordées aux utilisateurs138.
Avec l'apparition des tablettes et smartphones, l'utilisation d'annuaires et
site web dédiés a diminué au profit des « stores
» tels ITunes et Google Play. Mais les récents scandales
liés à l'espionnage généralisé par la NSA ou
la censure systématique d'Apple ont rendu les utilisateurs
méfiants, qui ressentent un besoin toujours plus fort de
préserver la confidentialité de leurs données, ce que
Framasoft prétend garantir.
121. Une autre piste de réflexion,
révolutionnaire et sans doute bien difficile à mettre en oeuvre,
a été proposée par la cupfoundation139. Partant
du principe que le commerce des biens immatériels repose encore sur le
modèle économique et commercial des biens matériels, avec
un prix indépendant du nombre d'acheteur, ses auteurs ont
élaboré un nouveau modèle supprimant les
intermédiaires et liant directement le succès d'une oeuvre aux
revenus de son créateur. Le prix d'une oeuvre reste aujourd'hui
élevé car tentant de prendre en compte les effets de la copie
illégale, l'offre légale reste ainsi chère, incitant
à un cercle vicieux où l'usager continue à se tourner
encore et toujours plus vers la copie illégale. Dans ce nouveau
modèle, l'oeuvre serait mise en vente par l'auteur à un prix
déterminer « P1 », prix payé par le premier acheteur.
Le prix initial serait fonction du nombre d'acheteurs le
précédant. Pour les derniers acheteurs, le prix
135 Framasoft est une association loi 1901 au budget de
100.000€ annuels, dont 80% de donations.
136 A. Rousseaux, 2013, « L'univers de la culture libre
et non-marchande a sa galaxie : Framasoft » [en ligne]
http://www.bastamag.net/L-univers-de-la-culture-libre-et(consulté
le 07/06/2014)
137 Idem.
138 Idem
139 L. Fournier, 2012 « Economie des biens
immatériels, le réseau ?net » [en ligne]
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/75/73/33/PDF/eco_fr.pdf
(consulté le 07/06/2014)
44
serait alors proche de 0. L'auteur fixerait également
un prix « R » correspondant au maximum de bénéfices
qu'il accepte de recevoir de la vente de son oeuvre, tout en renonçant
à un revenu potentiellement infini. Une fois ce maximum atteint,
l'excédent viendrait en remboursant du prix versé par les
acheteurs précédents jusqu'à obtention d'un prix nul ou
quasi nul. La transaction ne serait alors plus instantanée, mais
initiée à un instant T sans fin dans le temps. Elle est
établie entre un vendeur et un ensemble croissant d'acheteurs. Le
vendeur se voit crédité de P1 jusqu'au maximum attendu tandis que
l'acheteur versera P1 avant de tendre vers un remboursement au moins partiel de
ce prix. Plus il y a d'acheteurs, plus on tend vers une limite donnant
satisfaction à chacun, en toute transparence. Enfin, comme le vendeur
fait connaître explicitement son revenu maximal escompté,
l'acheteur potentiel peut évaluer la popularité de l'objet et
estimer le montant du remboursement et sa vitesse. Le principal écueil
de cette théorie reste la crainte d'une saturation du système du
fait du nombre important d'opérations financières. Les auteurs de
la proposition suggèrent, pour pallier ce risque, la création
d'une nouvelle monnaie, propre aux biens immatériels. Un compte
fonctionnant comme une carte de téléphone prépayée,
sans possibilité de débit, cette monnaie ne servant qu'à
acheter des biens immatériels, directement à leurs auteurs, sans
intermédiaires. Par ailleurs, ce nouveau modèle étant
automatisé, sans intervention humaine, les banques ne pourraient - a
priori - prélever de commissions. L'avantage majeur serait l'abolition
des droits patrimoniaux de l'auteur à son décès, qui
n'auront plus de raison d'être puisqu'il n'y aurait plus à
résoudre le problème de l'attribution des gains sur les oeuvres
anciennes. Il s'agirait alors d'un nouveau modèle de partage marchand,
incompatible avec la légalisation du partage non marchand cité
plus tôt.
122. Ainsi, qu'il s'agisse du financement participatif, des
propositions propres au No Copyright comme la mise en place d'une
économie culturelle numérique, ou des idées rattachables
au Copyleft comme la vulgarisation des licences libres, le public, qui peut
s'entendre de toute personne consommant de la musique sur l'Internet semble
ouvert à des discussions pour la modification et l'amélioration
du droit d'auteur appliqué à l'Internet. Ces propositions,
légitimes et viables, donnent une image raisonnable des utilisateurs,
non campés sur leurs positions et avides prétentions
égoïstes. Cette crédibilité, couplée à
une connaissance de plus en plus grande du droit d'auteur par ces acteurs,
pourrait alors à court terme leur permettre d'avoir un réel
impact sur les instances décisionnaires.
45
CONCLUSION
123. A l'ère du numérique,
l'auteur-interprète joue ainsi un rôle majeur. Au centre des
débats entre public et professionnels, utilisateurs et producteurs,
s'ouvre à lui en ensemble de moyens de communication et de
commercialisation qui lui permettent d'acquérir notoriété
et indépendance. En quinze ans, l'Internet a influencé les moeurs
sociologiques, économiques et culturelles et la technologie n'a de cesse
de s'améliorer et d'influer toujours plus sur la vie de tous, promettant
toujours plus d'innovations, de « phénomènes »,
élargissant de façon exponentielle la société de
l'information. Mais ces développements sont à double tranchant :
Les bénéfices de ce nouveau monde sont à nuancer avec les
atteintes potentielles aux droits et intérêts des
créateurs.
124. Le droit actuel appréhende difficilement les
nouvelles exploitations numériques. Partant d'une volonté
légitime de protéger le Droit d'auteur, il ne sait pourtant pas
encore protéger au mieux les droits des auteurs. Il n'est nul doute
qu'il doit et peut s'appliquer sur Internet, comme la jurisprudence a pu
rapidement le démontrer, mais il ne sait encore prendre la mesure des
implications de ce nouveau milieu. La prise en compte tardive des profondes
modifications enclenchées par le numérique, et les alternatives
proposées pour instaurer un droit d'auteur moderne, adapté
à un univers totalement dématérialisé pourraient
ainsi poser le socle d'une éthique numérique et d'une
réelle paix sociale entre les différents acteurs, motivée
par l'auteur-interprète, moteur et essence de la création
musicale. L'auteur-interprète pourra alors pleinement s'adapter à
l'ère numérique grâce aux évolutions
nécessaires du droit
125. L'hégémonie des producteurs risque de
s'effacer en l'absence de politiques nouvelles et adaptées à
l'ère numérique au profit d'un public plus alerte quant aux
problématiques de la culture et de sa consommation. On ne peut nier la
réalité d'un système de demande et d'offre, fondement du
commerce et de la société. Les professionnels doivent donc savoir
adapter leur offre à la demande et non tenter d'imposer leur offre pour
harmoniser la demande. L'on peut se prendre à espérer une balance
des intérêts de l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des
producteurs et labels, des musiciens, et des consommateurs. Toutefois,
certaines propositions sérieuses, comme la légalisation du
partage non-marchand, annoncent un possible renversement de situation au profit
des utilisateurs. L'on pourrait donc aboutir à un droit d'auteur au
profit de ceux-ci, au détriment des auteurs eux-mêmes. Ces
derniers doivent donc saisir cette opportunité qu'est l'Internet et son
champ d'expression et de connaissance grandiose pour se faire enfin entendre
des instances décisionnaires et s'assurer de la mise en place d'une
règlementation destinée à servir au mieux leurs
intérêts, dans le respect de ce que le droit d'auteur a
historiquement eu l'ambition d'être : Une protection de leurs
créations, oeuvres intimement liées à leur personne,
à leur profit, conciliée aux intérêts de l'ensemble
des acteurs du processus culturel.
46
Annexe 1
47
Annexe 2
48
Annexe 3
49
Annexe 4
Annexe 5
50
Annexe 6
51
Bibliographie
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Com. Paris ord. Réf. 03/03/1997, JCP G, 1997-II-22840,
obs. Olivier et Barby ; RTD com. 1997, p.457, obs. Françon S.
TGI Paris, ord. Réf. 05/05/1997 « Queneau I »
JCP G 1997 II n°22906 note Olivier F.
TGI Montpellier 24/09/1999 Com. Comm. Electronique 2000, comm.
15, note Caron C.
CA Paris 29/09/1999 D.1999 act. Jurispr. P37 Com. Comm. Electr.
Déc. 1999, actual. 47, obs. Haas G.
Conseil Constitutionnel, n°2009-580 DC 10/06/2004 TGI Paris,
ord. Réf. 14/08/1996 (deux espèces « Brel » et «
Sardou ») JCP E 1996, II. Note Edelman B
CA Paris 22/04/2005 affaire « Mullholand Drive »,
Comm. Com. Electr. 2005, p26 et s.;
Légipresse 2005, III, p.148 note M. Vivant et G. Vercken
Conseil Constitutionnel, n° 2006-540 DC 27/07/2006
55
Table des matières
Remerciements 2
Sommaire 3
Introduction 4
Titre I - L'application délicate des droits d'auteur
sur Internet 11
Chapitre 1 : Des phénomènes majeurs
difficilement appréhendables 12
Section 1 : L'incontrôlable phénomène du
téléchargement pair-à-pair 12
Paragraphe I : Des prérogatives patrimoniales
classiques mises à mal par le pair-à-pair 14
A] Les violations des prérogatives patrimoniales par
le système pair-à-pair 14
B] La remise en cause du schisme classique entre droit de
reproduction et droit de représentation 16
Paragraphe II : La conciliation délicate du
pair-à-pair et des limites du droit d'auteur 17
A] La conciliation avec les exceptions légales 17
B] Un épuisement des droits comme limite au droit
d'auteur sur Internet ? 18
Section 2 : L'épineuse question du streaming 19
Paragraphe I : Une qualification juridique ardue 20
A] Une opération dans le champ du droit de
représentation 20
B] Une opération dans le champ du droit de
reproduction ? 21
Paragraphe II : Un phénomène en pleine expansion
22
A] Des producteurs séduits par le
procédé 22
B] Vers de nouveaux abus de pratique ? 23
Chapitre 2 : Des solutions contemporaines insuffisantes 24
Section 1 : La réponse apportée par les mesures
techniques de protection 24
Paragraphe I : La protection juridique des mesures techniques
de protection 24
A] La protection offerte par les mesures techniques de
protection 25
B] La protection conférée aux mesures
techniques de protection 25
Paragraphe II : Des mesures techniques de protection
inefficaces 26
A] Des mesures sanctionnées pour leurs atteintes aux
droits des utilisateurs 26
56
B] L'abandon des mesures techniques de protection par leurs
instigateurs 28
Section 2 : La réponse apportée par l'offre
légale 28
Paragraphe I : Une pure création législative
29
Paragraphe II : Une offre légale aux résultats
mitigés 30
Titre II - Une modification sous-estimée des rapports
entre
acteur 33
Chapitre 1 : Des rapports auteur-producteur bouleversés
34
Section 1 : Une situation classiquement monopolistique des
majors 35
Paragraphe I : La surpuissance économique des «
Big three » 35
Paragraphe II : La surreprésentation lobbyiste des
« Big three » 36
Section 2 : Un déclin annoncé de la figure
classique du producteur 38
Paragraphe I : Des politiques de protection archaïques
38
Paragraphe II : La remise en cause culturelle de l'apport du
producteur 39
Chapitre 2 : Des rapports auteur-public encouragés
41
Section 1 : L'Internet en faveur d'un rapport direct 42
Section 2 : Le public, au centre d'un nouveau modèle
économique ? 43
Paragraphe I : Le public, socle d'un nouveau modèle
économique 43
Paragraphe II : Le public, nouveau groupe d'influence pour
l'instauration d'un nouveau modèle
économique 45
Conclusion 48
Table des Annexes 49
Bibliographie 54
Table des matières 58
|