INTRODUCTION GENERALE
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I - CONTEXTE ET OBJET DE L'ETUDE
La sécurité occupe une place capitale dans la
vie de l'Homme. Jean Jacques Rousseau, évoquant la nature humaine,
affirme que « Sa première loi est de veiller à sa propre
conservation... » 1. C'est dire à quel point le
besoin sécuritaire remonte à l'existence humaine et est
unanimement accepté comme une nécessité. En revanche, la
manière de satisfaire ce besoin indispensable a suscité, au cours
de l'histoire, des approches variées.
Les westphaliens, depuis qu'il a été
consacré en 1648 comme l'entité de regroupement humain la plus
achevée et donc le sujet par excellence de l'ordre international,
estiment que l'Etat est le meilleur garant de la sécurité. La
sécurité est par conséquent une fonction essentiellement
régalienne de l'Etat à qui le monopole de la violence a
été reconnu pour assurer le bon ordre pour l'intérêt
général.
La police qui en découle est une police d'ordre dont le
paradigme est de garantir le bon ordre par tous les moyens notamment la
coercition. David Bayley scande à ce sujet que « ... dans le
monde moderne, police désigne en général des personnes
employées par un Gouvernement qui sont autorisées à
utiliser la force physique afin de maintenir l'ordre et la
sécurité publics. »2.
Les privatistes se situent à l'opposé des
Westphaliens. Sans remettre en cause le rôle régalien de l'Etat en
matière de sécurité, ils estiment que la police d'ordre
est principalement orientée vers la sécurité des
institutions étatiques et de ceux qui les incarnent ; négligeant
ipso facto les besoins particuliers des groupes de personnes voire des
individus. Bien plus, l'Etat peut, dans certaines circonstances, être
soit débordé, soit dans l'incapacité d'assumer ses
responsabilités sécuritaires. En conséquence, ils
préconisent les initiatives privées pour renforcer la
sécurité individuelle ou de groupes.
La police qui en résulte est privée. Son
paradigme est clientéliste et elle est assurée par des individus,
des groupes d'individus ou des entreprises plus ou moins importantes. Il s'agit
là d'un phénomène en plein essor compte tenu du
caractère de plus en plus diversifié, pointu et osé de
l'insécurité dans le monde contemporain.
1 Rousseau 1762, p. 6.
2 Bayley 1983, p. 1120 ; 2003, p. 51.
2
Dans un article de sa page d'accueil consacré aux
entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP),
Malcolm Lucard, rédacteur en chef du magazine du Mouvement International
de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, parle de croissance exponentielle.
L'auteur déclare que « ...ce secteur en pleine mutation... a
connu une croissance foudroyante au cours des dernières décennies
et ... le volume d'affaires dépasserait aujourd'hui les 100 milliards de
dollars. »1.Prenant le cas de l'Irak, le magazine affirme
qu' « Après l'invasion et l'occupation de l'Irak par les
Etats-Unis en 2003, on estime que plus de 100 000 sous-traitants privés
ont été employés, dans les rôles allant de la
surveillance des convois à l'appui logistique, en passant par le
renseignement, les postes de contrôle et bien d'autres fonctions.
»2.
La dernière approche est promue par les
communautaristes. Elle se situe dans la logique de la gouvernance
sécuritaire. Autrement dit, l'Etat, dans l'exercice de ses attributions
sécuritaires régaliennes, coopère avec des acteurs
non-étatiques pour s'attaquer aux causes de l'insécurité
et les résoudre durablement. Maurice Chalom et autres constatent
à ce propos que « ... les services de police sont
appelés à adopter une attitude proactive incluant dans leur
mandat la consultation et la participation de la collectivité...
»3.
La police générée par cette approche est
Communautaire et ses paradigmes sont la prévention et la
coopération. Elle encourage une très grande implication de la
communauté dans la gestion des problèmes de
sécurité auxquels elle peut être confrontée.
Née au XIXème siècle notamment en 1829 en
Angleterre, cette approche s'est rapidement propagée en Europe, en
Amérique, en Asie voire en Afrique. L'ONU a même
intégré cette approche en 2004 dans ses activités dans le
cadre des réformes consécutives au rapport Brahimi4
qui ont permis la création de la Division de la Police Civile au sein du
Département des Opérations de Maintien de la Paix.
Le Cameroun dont la naissance de la police moderne,
matérialisée par la création du premier commissariat
à Douala, remonte en 19255, ne s'est pas soustrait à
l'adoption généralisée de l'approche de police d'ordre par
la quasi-totalité des pays africains avant ou aux lendemains des
indépendances. Quatre vingt neuf ans plus tard et au regard de la
percée universelle de la doctrine de la police communautaire, le
Cameroun en général et la Sûreté Nationale en
particulier, l'ont-t-ils internalisée ? Avant d'analyser les
éléments de réponse à cette question, il convient
de définir les concepts clés de notre étude.
1 Lucard, 2012, P. 3.
2 Id., p. 3.
3 Chalom et al, 2001, p. 22.
4 Groupe d'étude sur les opérations de
paix de l'ONU, 2000.
5 Pondi, 1988, p. 88.
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