Ecriture dramatique camerounaise contemporaine : visages, palmares, caracteristiques et outils de valorisationpar Marcelle Sandrine BENGONO Université Yaoundé I - Master II 2019 |
I-3-) -Le langageLe texte utilise un langage courant dans son ensemble, mais aussi familier. Ce deuxième aspect est matérialisé par la répétition des mêmes mots dans la même phrase. C'est une façon typiquement camerounaise de s'exprimer. Elle permet de mettre l'emphase sur une chose que l'on voudrait dire. Ex : page 18. Julie Rose : Les temps changent Oméga Dream : C'est ce qu'elle disait, les temps changent Julie Rose : Les temps changent Ce sont des répliques constituées de courtes phrases. Elles sont musicales grâce à la répétition des mots qui donne plus de sens à la réalité à laquelle ils renvoient. Dans son écriture, Sufo donne une grande place à la répétition. Julie Rose : Qu'est-ce que ça change, regarder, pas regarder ? P.9 Oméga Dream : Une urgence ! Voilà !...Une urgence, comme tu as dit, comme il s'est rappelé. Comment s'en est-il rappelé ? Une répétition de mots, comme pour répondre à un refrain. Nous le voyonsdans cet échange entre Julie Rose et Oméga Dream. P.13 Julie Rose : Celui qui se trouve quelque part là, et dont le capitaine serait allemand. Oméga Dream : Et dont le capitaine serait allemand ? Julie Rose : Et dont le capitaine serait allemand. Oméga Dream : Voilà ! Tu dis une chose, la seconde d'après ce n'est plus ça. N'est-ce pas toi qui m'as dit tout à l'heure que le capitaine serait allemand ? Julie Rose : Il a dit : « Le capitaine serait allemand ! » Oméga Dream : C'est dingue ! Ton histoire, de plus en plus bancale. Comment trouver un capitaine qui « serait allemand » dans un bateau qui n'a ni nom, ni couleur, rien ? Il y a la prédominance du groupe nominal : « Le capitaine serait allemand ». La répétition des mots, au-delà de la musicalité donne une couleur poétique à la langue utilisée par l'auteur dramatique. Cette langue remplie de poésie pour clamer une douleur, un manque ou pour revendiquer. Oméga Dream : Alors c'était une autre. Elle ne vendait même pas une route, un espoir de route, un infime petit espoir de route, mais parfois il n'y a pas mieux. Nous avons marchandé, route contre cash, route contre came, espoir contre espoir, espoir de route contre bâtons de manioc, sacs de riz ; techniques de pêche en mer discrète, cigarettes, pains rassis, boîtes de sardines...tout, nous avons marchandé. Ils sont nombreux, ceux qui vendent. P.17 A travers ses quelques répliques, une quête poétique voulue par le dramaturge transparaît et laisse voir un nouvel usage de la musique. Des mots qui permettent au personnage de chanter son désespoir et son mal être. Les personnages crient leur ras-le-bol de ces vendeurs d'illusion, auprès desquels ils achètent des rêves jamais réalisés. Une nouvelle forme d'expression est utilisée. L'auteur installe un dialogue sans indiquer les personnages comme le voudrai la norme. Il laisse le lecteur-spectateur imaginer, se représenter. Cette manière d'exposer la scène, force à se projeter sur ce quai pour y vivre l'instant présent avec Julie Rose et Oméga Dream comme le montre l'échange suivant P.20: -Qu'est-ce que vous faites là madame ? -Promenade sur le quai. -Ne me prenez pas pour votre morveux de la maternelle, je vois bien le signe sur vous. - Ce n'est pas ce que vous croyez. - Je sais de quoi je parle, vous attendez votre route. Vous traversez quand ? A quelle heure ? -... -... -... -Fally Edimo, mais Oméga Dream c'est mieux. -Julie Rose. -Julie la Rose ! -Julie Rose ! -... -Le capitaine est allemand. -... -... -Il lui manque une case à votre histoire. Il y a cette écriture qui perd le lecteur-spectateur. Dans un premier temps, on a l'impression que la discussion se passe entre Julie Rose et un flic, puis on se rend compte qu'elle se passe en fait entre Julie Rose et Oméga Dream. La limite entre le réel et l'imaginaire est très fine. Cette méthode est encore utilisée par l'auteur à la p.25 En dehors des suites dialoguées, plusieurs monologues jalonnent la pièce. Ils traduisent les conflits intérieurs qui animent les personnages et qui se révèlent de façon visible dans leur échange les uns envers les autres. Ce rôle est joué par l'indéfini, personnage omniscient qui porte la voix intérieur de l'un ou l'autre des personnages. Il est également ce libre arbitre qui est là depuis toujours, qui demeure avant et après l'histoire. C'est la voix intérieure qui conduit les personnagescomme un fil d'Ariane. C'est cette voix qui ouvre la pièce et la referme. L'indéfini : On retrouve une garantie, un chemin, la garantie d'un chemin, mais on perd une femme, un espoir de femme, celle qu'on a jamais pu rencontrer, celle qui est si proche mais inaccessible, qui est là devant nous, mais qu'un type viendra arracher, comme dans un film, comme emmener sous vos yeux...P.32 Dans cette pièce les didascalies ne sont pas explicites. C'est en lisant que l'on prend ses marques, que l'on peut situer l'action sur un quai d'ici ou d'ailleurs. Sufo utilise des mots simples pour peindre la dure réalité du mal-être qui habitent ses personnages. La simplicité de la langue ne la dénude pas de sa beauté et de sa musicalité. Les répétitions constantes n'alourdissent pas les propos, elles le précisent. Les maux sont chantés par les mots. A la langue française, il allie quelques mots de celle anglaise. Un mélange qui caractérise le parler de la jeunesse camerounaise actuelle et de beaucoup d'autres pays du globe. Oméga Dream : J'adore ton dream à toi (...)P.41 Julie Rose : (...) The best life, the best way of life. P.37 Il y'a aussi des expressions du quotidien des camerounais urbains: Buy and sellam73(*), call-boxeuse74(*) * 73 Au Cameroun, désigne des Vendeuses de vivres. * 74 Tenancières de call-box généralement sur le trottoir. |
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