Conclusion
« Lorsque l'objectif est la production de la
théorie, on est constamment à l'affût de perspectives
émergentes qui modifieront la théorie et nous permettront de la
développer. Ces perspectives peuvent apparaître jusqu'au dernier
jour de l'étude ou lorsque le manuscrit est en cours de correction
; ainsi, ce qui est publié ne représente pas le texte
final mais seulement un pause dans le processus sans fin de la
production de théorie ». 101
Cette remarque nous paraît pertinente en ce début
de conclusion et illustre bien ce qui a jalonné notre travail. Notre
objectif était de parvenir à figer l'objet de recherche sans que
viennent sans cesse s'y ajouter de nouvelles perspectives. Pour conclure ce
travail nous allons brièvement en rappeler les objectifs et conclusions
pour ensuite porter un regard différent sur notre objet, à savoir
les apports de son étude à titre personnel. Enfin, nous finirons
par des recommandations pour les associations rencontrées et des
perspectives de recherche pour la suite.
Cette étude visait à cerner les
évolutions du plaidoyer dans les associations locales et nationales et
comprendre leurs spécificités par rapport aux activités de
lobbying. Au moment d'écrire ces mots, nous pouvons dire que l'expansion
du terme et des pratiques de plaidoyer à d'autres structures que les
organisations internationales tendent à en redessiner les contours. Nous
retrouvons dans les associations, les mêmes problématiques et les
mêmes enjeux que le plaidoyer des grandes organisations. Etudier le
plaidoyer, par le biais de la MTE, des associations féministes et des
mouvements de la santé des femmes, nous a permis de mettre en exergue
certaines de ses caractéristiques et d'identifier les étapes de
construction du plaidoyer. Les « plaideuses » s'approprient les
techniques de plaidoyer en y incorporant des fonctions et
spécifiés liées à leur histoire militante, leurs
convictions et idéologies. Ainsi le plaidoyer émerge et se
nourrit des réalités quotidiennes et vise un objectif
d'émancipation où le processus de construction importe plus que
son résultat politique.
101 GLASER B., STRAUSS A. La découverte de la
théorie ancrée : Stratégies pour la recherche qualitative
.Paris Editions Armand Colin, 2012. 399p.
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La conclusion est aussi l'occasion de présenter ce que
ce travail a pu nous apporter à titre personnel. En effet, il est le
point final d'une formation mais aussi le point de départ d'une seconde
carrière professionnelle qui en est forcément impactée.
Nous allons dans cette partie revenir sur les apports de ce mémoire.
Nos connaissances sur le plaidoyer ont évolué au
cours de ce travail. Au moment de commencer la recherche, le plaidoyer nous
paraissait être une activité réservée à des
spécialistes, dans des grandes organisations où les
compétences techniques de communication, de droit étaient
incontournables. A l'instar de certains lieux de décisions politiques,
les pratiques du plaidoyer nous semblaient un tant soit peu nébuleuses.
Son analyse dans les deux associations rencontrées, nous a permis de
l'envisager comme un outil d'éducation permanente plutôt
qu'uniquement comme outil d'influence des décideurs politiques. Il nous
parait dès lors plus accessible et pertinent à mettre en place au
sein de notre pratique professionnelle future dans le secteur de la
santé communautaire. Et ce pour plusieurs raisons :
Dans un premier temps, la formation et tout
particulièrement le mémoire nous ont permis de mieux comprendre
l'importance de l'implication des associations, groupes d'individus et
individus dans l'élaboration des politiques de santé. A ce propos
Fassin explique que « l'ordre politique qui s'édifie autour de
la santé ne se constitue pas seulement à travers, d'un
côté le pouvoir de guérir (les professionnels de la
santé) (...) de l'autre, le gouvernement de la vie (les institutions et
action de santé publique). Il fait également intervenir (...) le
citoyen, qui n'est pas détenteur d'une compétence technique, ni
pourvu d'une autorité particulière dans le domaine sanitaire
(...) c'est parce qu'il est concerné au premier chef par ce qui se joue
autours de la santé qu'il peut y revendiquer sa place
»102. L'évolution de notre parcours professionnel
est le reflet de cette réflexion, puisqu'il commence par une formation
d'infirmier puis une spécialisation en santé communautaire pour
finir par le master en santé publique. C'est notamment dans le
mémoire que nous avons cherché à comprendre comment cette
implication des groupes d'individus peut prendre forme et quels sont les
obstacles à ces différentes formes d'implication. Cela nous
conforte dans l'idée d'une santé publique
développée pour les individus en veillant à ce qu'ils
s'impliquent dans les décisions qui les concernent. Nous avons aussi pu
mettre à jour des limites à cette implication et la
complexité des rapports entre les acteurs par rapport à un
problème politique.
102 FASSIN. D. Les enjeux politiques de la santé.
Paris: Editions Khartala, 2000. Coll. « Hommes et
Société » 346p.
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Le travail des associations féministes basé sur
de l'éducation permanente ou de la promotion de la santé, nous
permet de mettre en exergue la richesse du travail de différents
secteurs. La question féministe et le genre rassemblent dans la PPSF des
acteurs qui n'ont pas les mêmes formations, visions et secteurs
d'activité. Nous soulignerons donc ici l'importance de prendre en
compte, dans notre pratique professionnelle à venir, la
multiplicité des points de vue à propos d'un problème
relevant de la santé. Un décloisonnement entre les
différents secteurs nous parait tout à fait justifié et
pertinent pour répondre aux exigences d'une vision globale de la
santé.
Enfin, ce travail nous permet de nous rendre compte de
l'importance des pratiques réflexives au quotidien. Intervenir sur des
questions de santé impose de prendre en compte la complexité et
l'évolution des phénomènes. Ce travail s'apparente
à des pratiques de recherche qualitatives. Ce travail nous a permis de
renforcer les connaissances et compétences dans la récolte de ces
données, de leur analyse mais aussi de leur organisation en vue d'agir
dans un contexte donné. Le travail de recherche permet aussi de
s'exercer à la mise à distance et l'analyse de nos propres
pratiques.
Un autre apport de ce travail qui peut être
abordé sous un angle plus personnel est celle du genre et du
féminisme. Le fait que ce soit un homme qui fasse ce travail a
suscité des interrogations. Faire cette étude a été
pour nous d'une grande richesse pour plusieurs raisons.
Premièrement, passer du temps dans ces associations
nous a permis d'en apprendre plus que nous pensions et de mieux mesurer la
richesse du milieu féministe. Il nous a permis de nous rendre compte de
la diversité du secteur, des contradictions et des forces qui se
développent dans ces mouvements. Cela nous permet de confirmer le besoin
d'aller rencontrer, échanger, observer des lieux et situations qui ne
nous sont pas familiers pour élargir notre point de vue sur une question
de santé Ces dimensions sont pour nous très importantes à
prendre en compte dans le secteur de la santé. Nous avons aussi, dans
ces associations, particulièrement apprécié l'inscription
de leurs actions dans deux pôles différents: la recherche d'un
bien être individuel et la recherche de solutions collectives à
des situations perçues comme injustes.
En second lieu, le genre est pour nous une dimension assez
nouvelle que nous pensons transversale à différentes questions de
santé. Elle mérite selon nous, même si ce n'est pas la
seule, d'être plus étudiée, enseignée et prise en
compte dans les formations de santé publique. Ce travail nous a permis
d'en comprendre les principaux enjeux au niveau individuel et
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collectif.
Etudier un phénomène où le genre est au
coeur de la revendication a eu une influence sur nous tout au long de la
recherche. Au-delà de la dimension politique et politisée du
genre, -largement débattue dans les associations- son analyse nous a
amené à prendre du recul par rapport à nos propres normes
et tenter d'en mesurer l'influence dans notre quotidien personnel et
professionnel.
En dernier lieu, il nous apparaît que ce mémoire
a permis de collecter des informations qui pourraient «inspirer»
d'autres structures associatives, notamment celles qui développent un
plaidoyer sans utiliser des outils d'éducation permanente et de
promotion de santé. Les conclusions détaillent les étapes
de construction et peuvent donc servir de points d'appui aux méthodes de
construction, notamment en utilisant des méthodes participatives comme
celle de la méthodologie d'intervention sociologique.
Enfin, certaines pistes de recherche mériteraient selon
nous d'être approfondies et pourraient faire l'objet d'autres travaux.
Tout d'abord, l'objectif d'émancipation et de renforcement des
capacités des femmes, pensé comme l'objectif prioritaire du
plaidoyer, pourrait être plus approfondi. Il s'agirait alors de
comprendre les freins, les opportunités et les réels apports dans
la vie des femmes de ce type d'action et d'en mesurer les effets
bénéfiques sur la santé, à plus ou moins long
terme. En second lieu, nous suggèrerions aux associations
d'évaluer plus précisément l'impact et les
résultats des activités de plaidoyer au niveau du public mais
aussi des décideurs. Cela en vue de les améliorer et de plus
peser dans la prise de décision. A cet égard, il serait
intéressant de mettre en exergue les facteurs d'influence sur les
décisions ou sur le public, à développer dans le cadre
d'un plaidoyer.
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