IV.2. L'ONU et le maintien de paix au Darfour
Dans le but de résoudre pacifiquement les
différends qui ont éclaté depuis 2003, entre le
régime de Khartoum et les principaux mouvements et groupes rebelles au
Darfour, l'ONU participe sous deux formes d'interventions : d'une part elle
participe par l'entremise des procédés diplomatiques ou
juridictionnels : cela par la facilitation et la médiation dans des
négociations politiques et d'autre part, sous forme d'opérations
militaires de maintien de la paix. Ces deux formes d'interventions dont se sert
l'ONU pour chercher à rétablir la paix au Darfour feront l'objet
d'analyse pour ce point.
IV.2.1.L'ONU et les opérations de paix au
Darfour
La diplomatie est la première arme dont dispose l'ONU.
Le Conseil de sécurité doit encourager les nations à
résoudre pacifiquement leurs conflits (par des recommandations, des
négociations, la médiation, etc.). Si ces tentatives
échouent, il peut avoir recours à des moyens non militaires (des
sanctions économiques par exemple).
En dernier recours, il peut autoriser une action militaire
pour imposer la paix. Celle-ci est menée par une coalition de pays,
regroupés sous l'égide de l'ONU. Cette manière d'imposer
la paix n'est utilisée que très rarement (par exemple lors de la
guerre du Golfe en 1991) (141).
IV.2.1.1.L'ONU et les Négociations de paix au
Darfour a. Des cessez-le-feu aux missions de paix
C'est le Tchad qui le premier se mettra sur la longue liste
des médiateurs de la crise du Darfour. Dès le mois de septembre
2003, il organise une rencontre à Abéché, entre le
gouvernement soudanais et les forces rebelles qui débouchera sur un
premier accord de cessez-le-feu d'un mois et demi, connu sous le nom
d'« Abéché I », suivi
rapidement d'« Abéché II ». Ces deux
accords ne réussirent en rien à calmer le jeu, à tel point
que le général Al-Bachir pouvait rapidement déclarer,
après quelques succès ultérieurs sur le terrain que les
opérations militaires étaient terminées.
141 Microsoft ® Encarta ® 2009. (c) 1993-2006 Microsoft
Corporation consulté le 5 Juillet 2010.
74
Cette orientation des premières négociations
sous égide internationale en faveur de la recherche de cessez-le-feu
sera encore celle privilégiée lorsque l'Union africaine entrera
à son tour en scène en mars 2004. A l'instar des discussions
menées à Abéché, celles-ci, qui se tiendront
à N'Djamena, mettront en avant la question de l'aide humanitaire
à apporter aux populations, sans que celle de leur protection soit
toutefois prévue.
Un nouveau cessez-le-feu était conclu début
avril et pour la première fois aussi, une mission internationale
d'observation militaire était constituée pour veiller à
son application : la Mission de l'Union africaine au Soudan, MUAS.
L'extrême modestie des moyens de la mission et surtout
des équipes d'observation sur le terrain - 60 observateurs et 300
militaires, dans un premier temps, à pied d'oeuvre à partir du
mois de juin -, ne pouvait permettre à la Mission de tenter quelque
action que ce soit à l'encontre de ceux qui violeraient l'accord sur un
territoire de la surface de celui de l'Espagne. Cet accord ne pouvait
qu'être piétiné et le fut effectivement, par toutes les
parties. ( 142). Ainsi l'ONU jouera ici un rôle
déterminant :
D'abord pour faire face à la situation humanitaire
catastrophique, elle votera dé juillet 2004 des résolutions
visant au retour à la paix civile, par le désarment des Janjawids
et le retour des déplacé dans leurs foyers. Ses
résolutions établissent des embargos sur les armes, des
interdictions de survol aérien militaire et prévoient même
des sanctions à l'égard des coupables d'atteintes aux droits de
l'homme et des violateurs des cessez-le-feu antérieurs et des embargos
et interdictions décrétés. Des sanctions qui consistent
notamment en un gel des avoirs financiers et en une interdiction de se rendre
à l'étranger. Ces pressions internationales contraignent le
gouvernement de Khartoum à prendre divers engagements : dès le 3
juillet 2004, il assure à Kofi ANNAN qu'il entend désarmer les
janjawids... dans les 30 jours. Le nouveau Représentant Spécial
du Secrétaire Général de l'ONU pour le Soudan, Jan Pronk,
signe le 5 août 2004 un plan d'action avec les autorités qui
s'engagent en outre à protéger l'action humanitaire, à
établir des tribunaux locaux chargés de juger les
atrocités commises contre les civils, à respecter l'embargo sur
les armes et les survols aériens offensifs, et même à
engager des négociations politiques avec la rébellion.
142 Rapport d'information sur la situation au soudan et la
question du Darfour par la commission des affaires étrangères
présenté par serge JACQUIN et Patrick LABAUNE, Assemblée
National, KHARTOUM ; 2009 ; p.171
75
Ensuite le rôle de l'ONU se manifestera à ce
stade des premières négociations par la mobilisation de toute la
communauté internationale en vue de soutenir financièrement et
logistiquement l'intervention de l'UA au Darfour. La France et l'Union
Européenne tout entière répondirent à cet appel en
octroyant au fonctionnement de la MUAS de financement énormes. Certains
pays africains ont contribué également en ressource, humaines,
financières et en matériels de logistique.
b. Les Négociation d'Abidjan
A la différence de ce qui s'est passé dans le
cadre du conflit du Sud Soudan, où l'IGAD s'était fortement
impliquée dans la conduite des négociations, c'est ici l'Union
africaine qui prend l'initiative pour aider les Soudanais à entrer dans
un processus de paix. Elle le fait sans tarder, dès la conclusion des
cessez-le feu de N'Djamena, afin de profiter de la synergie possible avec le
CPA, parallèlement en voie de conclusion. Les pourparlers entre les
forces rebelles, JEM et SLM, et le gouvernement soudanais, commencèrent
ainsi à Addis Abeba, siège de l'UA, en juillet 2004, pour se
poursuivre ensuite sous le parrainage du président OBASANJO, à
Abidjan, au Nigeria, dès le mois d'août. Sur un mode comparable
à ce qui s'était passé dans la négociation entre le
Nord et le Sud, une déclaration de principes fut signée
après un an de négociations, le 5 juillet 2005, avant que la
discussion n'entre dans le détail de la résolution des causes
directes de la guerre : le partage des ressources et du pouvoir, auquel
était jointe la question des arrangements de sécurité. En
d'autres termes, on tentait de répliquer un scénario qui avait
fait ses preuves ailleurs. Cela étant, à la différence
notable de la négociation conclue par l'accord obtenu en juillet,
à l'entrée dans ce second volet de négociations, les
forces rebelles se présentent séparées, une scission
intervenant notamment au sein du SLM, comme nous avons eu l'occasion de
l'indiquer, entre ses deux leaders, Abdel Wahid al-Nour d'un côté
et Mini Arkoi Minawi de l'autre. (143 )
Cette rupture conditionnera non seulement l'échec de la
négociation mais aura aussi un impact profond et durable sur le
déroulement du conflit du Darfour.
143 Rapport d'information sur la situation
au soudan et la question du Darfour par la commission des affaires
étrangères présenté par serge JACQUIN et Patrick
LABAUNE, Assemblée National de la France, Paris ; 2009 ;
p172
76
Indépendamment des questions de fond, sur lesquelles
nous reviendrons le moment venu, on aurait pu croire que lors des
négociations d'Abuja, compte tenu de ce qui s'était
débattu antérieurement autour de la nécessité du
renforcement de la MUAS, les négociateurs s'attacheraient à
traiter ce sujet. Il n'en fut rien. Des divergences importantes rendaient
inconciliables les positions du gouvernement de Khartoum et les exigences des
rebelles du Darfour, et il fallut attendre mars 2006 pour que soit finalement
accepté le principe d'une force conjointe entre l'Union africaine et les
Nations Unies. C'est sont ses négociations d'Abidjan qui ont
données naissance à l'accord dit « Darfour Peace
Agreement, DPA » dont malheureusement a tourné en
échec.
? L'échec du Darfour Peace Agreement,
DPA
Après avoir été parmi les
premières au début des années 1990 à offrir ses
services pour la résolution du conflit entre le Nord et le Sud, la
diplomatie nigériane se proposa de nouveau d'abriter les pourparlers
inter soudanais pour résoudre la crise du Darfour. A l'instar de ses
médiations antérieures, mais pour d'autres raisons, celles-ci ne
rencontrèrent pas non plus le succès qu'elles escomptaient.
Dans la foulée des tentatives de cessez-le-feu, la
négociation pour le Darfur Peace Agreement (DPA) a
été la première à tenter de régler les
problèmes de fond à l'origine du conflit. En ce sens, l'Union
africaine, qui a piloté les rencontres d'Abuja entre rebelles et
gouvernement soudanais, avait d'une certaine manière pris la mesure du
CPA entre le Nord et le Sud Soudan, sans peut-être toutefois en tirer
toutes les conséquences. De fait, l'architecture du DPA reprend en
grande partie celle du CPA et le document est articulé en plusieurs
accords thématiques.
Un premier aspect a posé les bases d'un arrangement
sécuritaire qui portait à la fois sur la question du
cessez-le-feu mais aussi sur les étapes ultérieures, notamment
l'intégration des troupes rebelles dans les forces armées, la
démobilisation, ou encore le désarmement. Les divergences entre
le gouvernement et les rebelles sur ce volet des négociations ont
été considérables pour de multiples raisons.
En premier lieu, parce que d'autres cessez-le-feu avaient
été signés préalablement au cours des mois
précédents, que Khartoum se refusait à réviser. En
second lieu, car la question du désarmement des combattants imposait
à Khartoum de reconnaître ses liens
77
avec les janjawids et de s'engager à les
démilitariser, alors même que son argumentation considérait
encore à l'époque le conflit comme ethnique, intertribal et non
politique.
La question du partage des richesses est évidemment
cruciale, compte tenu de la part que le déséquilibre
régional et la marginalisation du Darfour ont eu dans le
déclenchement du conflit et de l'importance qu'y attache entre autres le
JEM, dont le Livre noir avait, peu avant le déclenchement des
hostilités, mis en avant les déséquilibres et le
sous-développement du Darfour. En conséquence, l'ensemble des
questions est traité dans le texte de l'accord, qui se présente,
à l'instar du CPA, comme un texte global, inclusif, traitant non
seulement la résolution du conflit du Darfour mais l'inscrivant plus
justement dans la problématique soudanaise d'ensemble. Il propose un
rééquilibrage socioéconomique en faveur du
développement du Darfour. A cet effet, des institutions, tel un Fonds de
développement et de reconstruction du Darfour, sont créées
et les moyens économiques et financiers sont prévus, moyennant
des transferts financiers annuels de la part du gouvernement de Khartoum, une
commission d'évaluation devant suivre l'application des mesures
prévues. Une commission de compensation est aussi instaurée,
chargée de venir en aide aux victimes du conflit, que le gouvernement
s'engage à abonder.
(144 )
En ce qui concerne la question du partage du pouvoir, la place
d'une représentation spécifique Darfouri au sein des institutions
politiques nationales est centrale dans le schéma qui s'est
dessiné à Abuja. C'est peut-être finalement la raison
première de l'échec de ce processus. Ici aussi, ce thème
est entré en résonance avec le texte du Comprehensive Peace
Agreement, que les sudistes et le gouvernement venaient alors de conclure
à Naivasha. Cette partie de la négociation fut parmi les plus
conflictuelles dans la mesure où, précisément, la
répartition des postes au sein de l'exécutif national venait
d'être réglée par le CPA, sans qu'il soit fait de place
particulière au bénéfice des représentants du
Darfour. Une véritable avancée sur la revendication des rebelles
darfouri aurait nécessairement supposé un retour en
arrière sur le texte du CPA si péniblement obtenu, pour le
réviser. Cette question était d'autant plus vive que le JEM tout
comme le SLM d'AbdelWahid al- Nour, se positionnaient tous deux
également en faveur d'une transformation nationale du Soudan, et ne
prétendaient pas simplement régler une supposée «
question » du Darfour.
144 Rapport d'information sur la situation au soudan et la
question du Darfour, op. cit, p 178
78
Consécutivement, l'impossibilité pour les
négociateurs de dépasser le cadre du CPA et de revenir sur ce que
le gouvernement et le SPLM avaient accordé, et notamment le partage
politique des sièges dans les différentes instances, entre le
PCN, parti dominant du Nord, et le SPLM, conduisait le processus à un
échec certain. En complément de cet aspect, essentiel, d'autres
questions institutionnelles étaient à régler, sans doute
moins épineuses, mais néanmoins importantes, telles que la place
des Darfouri dans les administrations et institutions nationales, le statut du
Darfour, comme région unique, la détermination de ses limites
géographiques et les structures administratives et politiques du Darfour
même. Même si les revendications des rebelles n'ont pas
été satisfaites sur plusieurs points, c'est sans doute sur cette
question institutionnelle et politique que le DPA a achoppé
essentiellement. Quoi qu'il en soit, en fin de négociations, le SLM/A
d'Abdel Wahid al-Nour refusa de signer l'accord, arguant également du
fait que les avancées obtenues tant au plan des arrangements de
sécurité que du Fonds de compensation des victimes étaient
insuffisants. Le JEM de Khalil Ibrahim, pour sa part, mit l'accent sur le
traitement de la marginalisation de la région, tant politique que
sociale et économique, insuffisant pour que les racines du conflit
disparaissent. Il refusa de signer également (145).
Quelques temps auparavant, en février, Abdel Wahid
al-Nour avait reconnu la divergence de positions entre son mouvement et le JEM
et l'impossibilité pour les rebelles de négocier avec le
gouvernement sur des bases communes. Son propre mouvement, le SLM, se scinda
aussi en deux au cours de la phase finale des négociations, puisque,
seul parmi les délégations rebelles, Mini Minawi quitta le SLM
pour signer le DPA, avant d'ailleurs peu après de basculer
résolument dans le camp de Khartoum jusqu'à retourner les armes
contre ses anciens compagnons de lutte.
D'une certaine manière, comme on a pu l'analyser, le
DPA aura agi comme un révélateur de tensions au sein des
mouvements insurrectionnels dont il aura contribué à
accélérer les divisions sur des bases ethniques (146).
Selon diverses analyses, le processus de négociation a pu être mal
conduit face à des mouvements rebelles et un gouvernement qui avaient
chacun leur agenda à défendre vis-à-vis de la
communauté internationale, compte tenu de ce qui se jouait par ailleurs.
A aucun moment, semble-t-il, on ne s'est trouvé à Abuja dans le
cadre d'une démarche véritablement constructive de la part des
belligérants. Les combats, particulièrement, se sont poursuivis
sans relâche au long de ce
145 International Crisis Group, « Darfur's Fragile Peace
Agreement », juin 2006. 146ibidem
79
processus, qui ont sans doute contribué à ce que
l'attention de la communauté internationale continue de se focaliser
essentiellement sur l'aspect humanitaire et sécuritaire plus que sur la
résolution politique du conflit.
Enfin, last but not least, pour
équilibré et positif qu'il ait pu alors paraître à
certains, cet accord, contrairement à ce que les promoteurs du processus
avaient cru lors des négociations d'Abuja, n'a pas été
validé par les populations des camps consultées, comme
prévu par le texte de l'accord. Le processus s'est donc
déroulé entre négociateurs, sans que les victimes du
conflit aient été associées, ni même
informées de ce qui allait leur être proposé. Comme le dira
ultérieurement le Rapport du groupe de travail présidé par
Thabo MBEKI, « en l'absence de compréhension de la part de la
population, ni même d'un soutien, le DPA fut tout de suite largement
condamné au Darfour. » (147) Uniquement
signé entre le gouvernement et Mini Arkoi Minawi, le DPA, comme on
pouvait s'y attendre, n'a pas été appliqué, ou si peu.
Mais on imagine mal le gouvernement central, toujours en guerre contre les
rébellions, appliqué de son propre chef les dispositions d'un
accord non accepté par l'ensemble des parties.
Ici également le rôle de l'ONU en collaboration
avec l'UA ne pas négligeable : Dans un premier temps, les Nations Unies
et l'Union africaine ont multiplié les initiatives pour tenter de sauver
cet accord, des ultimatums ont été posés aux mouvements
qui avaient refusé de signer le texte pour qu'ils y souscrivent. La
position de la France, qui avait joué un rôle important dans les
négociations d'Abuja, à la différence de ce qui
s'était passé à Naivasha, a également oeuvré
en ce sens. Elle a par exemple poursuivi ses médiations
bilatérales avec les mouvements rebelles, obtenant du président
Denis Sassou Nguésso, alors président en exercice de l'Union
africaine, et du président Obasanjo, d'étendre les délais
de signature initialement prévus, sans que cela aboutisse
(148). Il a fallu plusieurs mois, sur fond de tensions entre
mouvements rebelles, pour que l'Union africaine et les Nations Unies revoient
leurs stratégies.
- En second, l'ONU et l'UA nommèrent chacune un
médiateur, Salim Ahmed Salim, d'un côté et Jan ELIASION de
l'autre, dont les initiatives ne furent cependant pas couronnées de
succès. Au rejet proprement dit du DPA par les non signataires, qui
ne
147 « La quête de la paix, de la justice et de
la réconciliation », rapport du Groupe de haut niveau sur le
Darfour, octobre 2009, page 42.
148 Entretien des rapporteurs de la commissions d'information
sur la situation au soudan et la question du Darfour avec Henri de Cotignac, 30
septembre 2009 ; cité par le rapport d'information, op. cit, p.
80
voyaient pas au nom de quoi, sans modifications
substantielles, ils reviendraient sur leur refus d'autant que la position
négative des populations étaient également connue,
s'ajouta une tension croissante sur le terrain, pas exclusivement militaire :
Scission des mouvements, en tout cas du côté du SLM, qui gardait
néanmoins un soutien populaire important ; montée en puissance
militaire du JEM sans qu'elle s'accompagne cependant d'une adhésion des
populations ; et revendications émergentes des populations arabes
frustrées du Darfour désireuses de ne pas être
laissées pour compte même si elles n'étaient pas parties
prenantes au conflit.
Au final, les médiateurs, malgré leurs efforts
pour associer aussi les gouvernements de la région et donner une
dimension plus large au traitement de la crise du Darfour, que ce soit à
Arusha, en Tanzanie ou lors de la phase de Syrte, en Libye, ne
réussirent pas mieux à faire progresser les pourparlers. A tel
point que lorsque Djibril Bassolé, les remplaça en Juillet 2008
comme médiateur conjoint Nations Unies/Union africaine, il
privilégiait au début de son mandat la négociation d'un
cessez-le-feu sur la reprise d'un processus de paix, qu'il considérait
alors comme encore prématuré.(149)
L'extrême complexité de la crise du Darfour,
comme celle des autres conflits soudanais, impose d'avoir nécessairement
une approche globale des problèmes. A considérer les
développements ultérieurs, il apparaît que, sans doute, les
négociations d'Abuja n'avaient pas pris suffisamment en compte certains
des aspects qui, s'agissant d'un conflit civil, sont essentiels. Ainsi, la
question de la réconciliation de la société Darfourie
était certes abordée, mais dans le cadre des compétences
de l'autorité régionale de transition du Darfour, moyennant la
création d'un modeste « Conseil de paix et de réconciliation
du Darfour ». Celle de la justice et de la lutte contre l'impunité
des auteurs des massacres et exactions dont avaient souffert, et continuaient
de souffrir les populations, n'était pas non plus traitée
à sa juste valeur. Certes, en parallèle, le Conseil de
sécurité des Nations Unies avait déféré au
procureur de la CPI la situation au Darfour quelques semaines après
avoir reçu le rapport de la Commission internationale d'enquête,
et cela peut éventuellement expliquer cette omission.
149 Philippe T, SHIRAMBERE, la collaboration de
l'organisation des Nations Unies et de m'Union Africaine dans le
règlement pacifique des conflits armés africains, cas de la crise
du Darfour, mémoire, ULPGL, Goma, 2002-2003, p.66
81
c. Les Négociations de Doha
Après la nomination de Djibril Bassolé comme
médiateur en chef conjoint ONU/UA pour le Darfour en 2008, il tentera
avec le concours des différents partenaires des Nations Unies à
réactiver le processus de paix qui était en cours.
C'est ainsi que dé le début de l'année
2009 sous l'implication du gouvernement du Qatar et du médiateur
conjoint UA/ONU les pourparlers s'ouvrirent à Doha pour tenter de mettre
à table tous les belligérants du Darfour afin de trouver une
solution négociée pour son problème.
Ainsi, pour tenter de sauver la barque de la noyade, les
négociations de Doha seront engagés à 3 niveaux
différents : -d'abord entre le gouvernement de Khartoum et les groupes
rebelles ; ensuite entre le gouvernement de Khartoum et le gouvernement du
Tchad et enfin entre les différentes communautés civiles du
Darfour. :
c. 1. Négociations entre le gouvernement de
Khartoum et les groupes rebelles
Depuis le début de l'année 2010, plusieurs
avancées notables ont été enregistrées dans le
processus de paix au Darfour.
Le 23 février 2010, un accord cadre pour le
règlement du conflit au Darfour a été signé
à Doha entre le Gouvernement soudanais et le Mouvement pour la justice
et l'égalité (MJE). Cet accord avait été
négocié et paraphé à N'Djamena le 20 février
2010, sous les auspices du Président IDRISS Deby. Les Présidents
du Soudan, du Tchad, de l'Érythrée et l'Émir du Qatar
étaient présents à la cérémonie. Cet accord,
inspiré de l'Accord de bonne volonté conclu le 17 février
2009 entre le Mouvement pour la justice et l'égalité et le
Gouvernement soudanais, comprend la déclaration d'un cessez-le-feu
immédiat, un engagement de libérer les prisonniers de guerre, et
l'engagement de négocier un accord de paix final avant le 15 mars 2010.
Suite à la signature de l'Accord, le Gouvernement soudanais a
immédiatement libéré 57 prisonniers de guerre du Mouvement
pour la justice et l'égalité. Bien que les parties n'aient pas pu
se mettre d'accord sur un protocole de mise en oeuvre du cessez-le-feu ou un
accord final à la date butoir du 15 mars, le cessez-le-feu entre le
Mouvement pour la justice et l'égalité et le Gouvernement
soudanais a été respecté dans une large mesure.
82
Au cours des négociations, d'importantes mesures ont
également été prises en ce qui concerne l'unification des
mouvements armés. Le 23 février 2010, la création du
Mouvement de la libération pour la justice (MLJ) a été
annoncée. Ce mouvement regroupait des membres du Mouvement de
libération du Soudan-Forces révolutionnaires (Groupe de Tripoli)
et une partie du Groupe de la Feuille de route (Groupe d'Addis-Abeba) en un
mouvement unique placé sous la direction d'Eltigani Seisi Mohamed Ateem.
Le Gouvernement soudanais et le MLJ ont immédiatement engagé des
négociations et signé un accord-cadre pour le règlement du
conflit au Darfour à Doha le 18 mars 2010. La médiation envisage
de gérer les négociations avec le Mouvement pour la justice et
l'égalité et le Mouvement de la libération pour la justice
parallèlement dans un premier temps, et de fusionner ensuite les deux
séries de négociations en vue de parvenir à la conclusion
d'un accord final. (150)
Des négociations parallèles entre le
Gouvernement soudanais et le MJE sur un accord de cessez-le-feu
détaillé et entre le Gouvernement soudanais et le MLJ sur des
accords de sécurité spécifiques se sont poursuivies
jusqu'à l'avant-veille des élections et devraient reprendre en
mai 2010 quand le gouvernement nouvellement élu sera en place.
Depuis qu'un conflit armé entre le MJE et les Forces
armées soudanaises a éclaté le 3 mai, le MJE a
annoncé aux médias qu'il avait gelé sa participation aux
négociations et il a ultérieurement retiré sa
délégation des pourparlers.
Le 19 mai, le Président du Mouvement, M. Khalil
Ibrahim, a été détenu à l'aéroport de
N'Djamena et l'entrée au Tchad lui a été refusée.
À la suite de cet incident, M. Ibrahim s'est réinstallé
à Tripoli, où il était encore au 30 juin. Bien que les
efforts visant à ramener le MJE à la table des
négociations se poursuivent, aucun progrès en ce sens n'a
été réalisé depuis cet incident. Sur le terrain, le
conflit armé entre le MJE et l'armée soudanaise se poursuit en
violation flagrante de la cessation des hostilités prévue dans
l'Accord-cadre. ( 151) Toute fois le 6 juin, les entretiens entre le Mouvement
de libération pour la justice et le Gouvernement soudanais ont repris
à Doha. Les deux parties se sont entendues sur un programme de travail
et ont constitués six commissions chargées des
négociations sur les sujets suivants : partage du pouvoir et statut
administratif du Darfour; partage des
150 Rapport du secrétaire Général des
nations unies sur la situation du Darfour dans la période allant du 1
janvier au 30 avril 2010 ; situation politique, §12
151Rapport du secrétaire
Général des nations unies sur la situation du Darfour dans la
période allant du 1 janvier au 30 avril 2010 ; situation politique,
§23
83
richesses, y compris des droits fonciers; indemnisation et
retour des personnes déplacées et des réfugiés;
arrangements en matière de sécurité; justice et
réconciliation; et accords et règlements des
différends.
En cette phase des Négociations, l'ONU en collaboration
avec l'UA jouent le rôle de Médiateur dans la résolution de
la crise et de l'appui aux processus de paix en cours avec la facilitation de
l'Etat du Qatar. C'est dans ce cadre qu'en avril 2010, la médiation a
organisé une série d'ateliers sur le renforcement des
capacités à l'intention des mouvements armés, afin
d'accroître leur cohésion, ainsi que leurs capacités et
leur aptitude à engager des négociations directes avec le
Gouvernement. La MINUAD a fourni des experts, notamment sur les arrangements de
cessez-le-feu, à l'appui des efforts de la médiation. La
médiation et la MINUAD ont facilité la tenue d'un atelier avec le
MLJ du 6 au 8 avril 2010 sur la mise en oeuvre du cessez-le-feu afin de
faciliter la coopération entre le MLJ et la MINUAD, et accroître
la stabilité des accords de cessez-le-feu.
Ainsi le 3 juillet 2010, le Comité conjoint
Gouvernement soudanais/Mouvement de libération pour la justice sur
l'indemnisation et le retour des réfugiés et des
déplacés s'est réuni en présence de 85
déplacés et réfugiés. La Médiation
conjointe, avec l'appui de la MINUAD, a facilité leur participation
à la réunion pour s'assurer qu'ils comprenaient bien le processus
de négociation qui les concernait directement et qu'ils pouvaient faire
entendre leur voix. (152)
c. 2 Les négociations et la société
civile du Darfour
. Au cours de la période considérée, la
MINUAD a continué à apporter un soutien à la
médiation conjointe pour le Darfour, en particulier pour faciliter la
participation de la société civile au processus de paix. Outre
qu'elle appuie la participation directe de Darfouriens aux entretiens, la
MINUAD, en collaboration avec la Médiation conjointe, a entamé
des consultations avec des représentants de la société
civile et de collectivités à travers le Darfour.
Le 8 juin, le Représentant spécial conjoint et
le Médiateur en chef conjoint ont rencontrés 80 membres de la
société civile à Nyala (Darfour Sud), pour discuter de
leurs préoccupations et de l'état du processus de paix.
152Conseil de sécurité de
Nations Unies ; S/2010/382.Op cit, §14
153 S/2010/213.Rapport du Secrétaire
Général sur l'opération de la MINUAD au Darfour
période ; allant du 1er mai au 30 Juin 2010 §.19
84
En outre, en collaboration avec le Groupe de mise en oeuvre de
haut niveau de l'Union africaine, la MINUAD envisage d'organiser une
conférence consultative sur le Darfour pour faciliter l'adhésion
de l'opinion publique sur ce qui concerne les questions liées au
processus de paix. La MINUAD fournit également des services d'experts
sur les mécanismes de cessez-le-feu et d'autres mécanismes
d'application à la Médiation conjointe à Doha.
(153)
Dans le contexte du processus de paix, la médiation, en
collaboration avec la MINUAD, a lancé une série de consultations
avec la société civile visant à tirer parti des
conclusions de la première Conférence de la société
civile du Darfour qui a eu lieu à Doha le 18 novembre 2009. Ces
consultations avaient pour objectif l'intégration des vues et des
intérêts des diverses communautés du Darfour dans toutes
négociations futures.
En janvier et février 2010, la MINUAD a organisé
32 conférences et réunions publiques à travers le Darfour
pour diffuser la Déclaration de la société civile sur le
Darfour adoptée à Doha en novembre 2009 et mobiliser l'appui de
la population.
Bien que certains groupes de personnes
déplacées, en particulier dans les camps du Darfour Ouest et du
Darfour Sud, aient refusé de participer à la Conférence de
novembre 2009, plusieurs d'entre eux ont participé à la
série de consultations la plus récente.
De plus, les consultations de la société civile
ont été élargies de manière à inclure les
communautés nomades et les syndicats ainsi que les membres de la
diaspora et les communautés de réfugiés au Tchad. Des
consultations préparatoires, sous la forme d'ateliers et de forums
publics, ont été tenues dans 29 localités dans les trois
États du Darfour, et 4 537 personnes, dont 30 % étaient des
femmes, y ont participé.
Quatre consultations ont été organisées
exclusivement à l'intention des femmes sur les thèmes de la
justice, de la réconciliation, de l'indemnisation, des questions
foncières et de la sécurité, du partage du pouvoir et des
arrangements constitutionnels. La MINUAD et la médiation de l'ONU sont
en train de regrouper en un document unique les recommandations
formulées par la société civile dans le cadre de ces
consultations. À plus
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long terme, la médiation envisagée d'organiser
une deuxième conférence de la société civile, qui a
eu lieu à Doha après les élections nationales.
(154)
c. 3 Les négociations entre le soudan et le
Tchad
Un certain nombre de progrès ont été
enregistrés dans la normalisation des relations entre le Soudan et le
Tchad, notamment un accord conclu le 15 janvier 2010 et une visite
effectuée par le Président Deby à Khartoum les 8 et 9
février, au cours de laquelle les deux dirigeants se sont engagés
à renouveler les efforts en faveur de la paix et de la stabilité.
Cette visite la première depuis 2004 et la nomination ultérieure
d'un ambassadeur du Tchad à Khartoum représentent des
progrès concrets dans le cadre des efforts déployés par la
communauté internationale et un pas en avant sur la voie du renforcement
de la sécurité au Darfour. Le déploiement d'une force
conjointe de surveillance des frontières composée de 1 500
soldats soudanais et 1 500 soldats tchadiens a commencé dans la zone
frontalière, où le rapprochement a eu un effet positif sur la
sécurité, et aucun incident transfrontière n'ayant
été enregistré par la MINUAD au cours de la période
à l'examen. Toutefois, le transfert des groupes d'opposition
armés tchadiens en provenance de la région frontalière
vers le Darfour Nord continue à créer un risque
d'insécurité dans ces régions. (155)
Jusque là le rôle de l'ONU comme nous venons de
le voir se renforce de plus en plus par la poursuite du déploiement de
la Mission de l'Union africaine et des Nations Unies au Darfour (MINUAD) et le
renforcement de ses capacités opérationnelles, en particulier
dans les zones éloignées, qui ont contribué à
l'amélioration de la sécurité de la population du Darfour,
notamment grâce à la multiplication des patrouilles, à la
création de centres de police de proximité et à
l'amélioration de la collaboration avec les autorités soudanaises
.
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