B / Théorie de la modernisation :
Cette théorie est issue de l'essai d'analyse politique de
Martin Seymour Lipset, « Some social Requisites of Democracy :
Economic Development and Political Legitimacy ». L'auteur estime
contrairement à O'Donnel et Schmitter, qu'il existe des conditions
économiques et sociales qui favorisent l'établissement de la
démocratie ainsi que sa consolidation. C'est la
22Adam Przeworski and Fernando Limongi, «
Modernization. Theories and Facts », World Politics,49, janvier 1997, p.
155-183.
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« théorie de la Modernisation », basé sur
la définition de Schumpeter de la démocratie :24 « un
système institutionnel, aboutissant à des décisions
politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer
sur ces décisions à l'issue d'une lutte concurrentielle portant
sur les votes du peuple ».
L'idée principale de l'auteur est que le
développement économique ainsi que d'autres facteurs sociaux tel
que l'éducation de la population sont des facteurs de
légitimité de la démocratie. D'après ses
statistiques issu d'une recherche empirique, les pays les plus
démocratique ont une richesse moyenne, un degré
d'industrialisation et d'urbanisation bien plus élevé que les
autres : cela permet de légitimé la démocratie en
démontrant qu'elle se modernise. Aussi, il met en exergue la relation
éducation-démocratie sans en faire un lien automatique, mais il
explique que l'éducation de tous les citoyens permet un terreau beaucoup
plus fertile pour que naissent et se développent les idées
démocratiques.
Aussi, la légitimité des systèmes politiques
selon Lipset se base sur la réponse a deux interrogations : comment
résoudre les questions clés qui clivent la société
et comment survivre aux crises d'efficacités (guerres perdues, crises
économiques...). 25Ainsi, l'efficacité de la
démocratie passe par un développement de toutes les
sphères de la société et ce en faveur des individus, ce
qui est facilité par l'éducation de la population. Il y a aussi
l'idée que les pays du Nord peuvent jouer un rôle dans la
transition démocratique des pays du Sud en permettant la transition vers
des institutions adéquates. Dans les faits, la volonté de Jean
Louis Borloo d'électrifier l'ensemble de l'Afrique avec l'aide de sa
fondation s'inscrit dans cette perception.
L'auteur affirme que 26« sous l'influence de
l'accroissement des richesses, le rôle politique des classes moyennes va
également se modifier : la pyramide sociale de base étendue et
de
24
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Joseph A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et
démocratie, Paris, Petite Bibliothèque Payot, p.
|
367
25 Seymour Lipset, « Some Social Requisites of Democracy :
Economic Development and Political Legitimacy », American Political
Science Review, 53, 1959, p. 69-105.
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pointe effilée, change de forme, s'élargissant
dans sa partie centrale par la croissance des classes intermédiaires.
Une forte classe moyenne tempère les heurts des extrêmes par le
soutien qu'elle accorde aux partis modérés et
démocratiques ».
Un autre problème réside dans le fait que le
développement, que l'auteur considère comme un critère
structurel en faveur de la démocratie, se caractérise par une
forte industrialisation. Les travaux de l'auteur montrent que plus un pays est
démocratique, plus faible est la proportion de la population
employé dans le secteur primaire. Le développement se
caractérise aussi par un accès pour la majorité de la
population à l'éducation et à une stabilité au
niveau national et international. Or, cela concerne principalement les grandes
puissances actuelles, qui sont pour la majorité des démocraties,
plutôt que les pays a faible ou a moyen revenu. A titre d'exemple; les
quatre dragons asiatiques (Corée du Sud, Singapour, Hong Kong et Taiwan)
ont connus une forte croissance économique sur le modèle du
Japon, en se basant sur les activités industrielles et sur les nouvelles
technologies et sont aujourd'hui des démocraties
représentatives.
Martin Seymour Lipset 27n'écarte pas les
possibilités de choix politiques nationaux, mais sa thèse suppose
que dans un Etat certains critères sociaux-économiques
encouragent l'établissement d'institutions démocratiques, mais il
précise que ces critères ne se suffisent pas a eux mêmes.
Ainsi, une fois que l'Etat arrive a un certain niveau de développement,
cela permet aisément a la démocratie de s'installer. Aussi,
l'auteur attache une importance particulière a la formation d'une classe
moyenne, qui est 28« une force politique de modération
par nature ». En effet, celle ci recherche une stabilité
économique et une possible amélioration de sa condition social
que la démocratie permet de garantir. En outre, la classe moyenne a une
préférence pour la stabilité politique, elle rejette les
extrêmes et elle parvient a trouver des intérêts communs
avec les élites. De ce fait, le partage du pouvoir est possible avec les
populations les plus pauvres : c'est l'égalité politique,
indispensable au bon fonctionnement d'une démocratie.
27 Seymour Lipset, « Some Social Requisites of Democracy :
Economic Development and Political Legitimacy », American Political
Science Review, 53, 1959, p. 69-105.
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Ce développement économique a été
accompagné d'une ouverture politique et d'une libéralisation des
libertés fondamentales et des droits civiques ce qui induit une plus
grande participation politique des citoyens. Ensuite, à travers le
temps, ces pays ont connu des systèmes politiques pluralistes
jusqu'à atteindre un niveau de développement moyen (voir plus) ce
qui a ouvert la voie à la démocratie dans ces Etats aujourd'hui.
Ainsi, la théorie de Lipset a été vérifiée
empiriquement. Mais d'autre Etats, sans pour autant connaitre des
développements sociaux-économiques aussi importants que les
exemples cités précédemment, ont réussi à
mettre en place un régime politique démocratique comme c'est le
cas du Botswana.
Lipset met aussi en garde contre 29les dangers d'une
société divisé entre une grande masse pauvre et une
élite privilégié, car cela donne lieu à la tyrannie
ou à l'oligarchie. Certains exemples d'Etats connaissant ce type de
fonctionnement et donnent raison à l'auteur : la Guinée
Equatorial de Théodore Obiang en Afrique et l'Ouzbékistan d'Islam
Karimov.
Enfin, Charles Tilly, est un sociologue américain dont les
travaux portent avant tout sur les relations entre la politique,
l'économie et la société. Il est notamment à
l'origine du concept de 30« répertoire d'actions collectives
», qui montre que les mouvements sociaux ont recours à des actions
prédéfinies et institutionnalisées pour faire entendre
leurs revendications. 31L'auteur explique que la
démocratisation et la dé-démocratisation ne fonctionnent
pas en symétrie stricte. La démocratisation se produit en
réponse des gouvernants et des élites à ce qu'ils vivent
comme des crises du régime, et donc contre leurs pouvoirs, c'est une
réponse de l'Etat (qui est toujours réticent) aux demandes
populaires, après que les crises s'atténuent. En
conséquence la dé-démocratisation se produit
généralement plus rapidement et avec beaucoup plus de direction
central que la démocratisation.
De plus, Tilly fait également valoir qu'il existe une
relation complexe entre les mouvements sociaux et de la démocratisation.
La démocratisation favorise la formation de mouvements
30
31
Charles Tilly, « From Mobilization to Revolution »
1978
Charles Tilly, « Démocratisation et
dé-democratisation », chapitre 3, dans La démocratie.
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sociaux, mais en aucun cas tout les mouvements sociaux
préconisent ou promeuvent la démocratie. La distinction est
cruciale. 32Tilly a mis en garde contre l'illusion que les
mouvements sociaux eux-mêmes promeuvent la démocratie par la
séparation analytique des revendications du mouvement et des
conséquences de mouvement. Un mouvement pro-démocratie peut
conduire à des conséquences anti-démocratiques et
inversement, un mouvement anti-démocratie peut favoriser des
résultats démocratiques
Après avoir développé les grandes
théories portant sur la démocratisation, le deuxième
chapitre sera chargé de décrire les situations au Maroc et en
Tunisie. Ce chapitre descriptif nous servira de base pour comprendre les
spécificités et les divergences entre les deux Etats.
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