WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les patent pools confrontés au droit de la concurrence.

( Télécharger le fichier original )
par Anne Rossion
Université Paris XI  - Master Droit des créations numériques  2011
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Université Paris-Sud XI Faculté Jean Monnet

Les patent pools confrontés

au droit de la concurrence

Mémoire pour le Master 2 Droit des Créations Numériques

Présenté par Anne Rossion

Sous la direction d'Antoine Latreille, maître de conférences

Année universitaire 2010-2011

L'auteur demeure seule responsable des analyses et opinions exprimées dans cet article, qui n'engagent ni son université, ni son employeur.

4

LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS

art. article

Bull. civ. Bulletin Civil

Cass. civ. 1re Première chambre civile de la Cour de cassation (arrêt)

Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation (arrêt)

cf. confer

C.S. Cour Suprême

éd. édition

ibid. ibidem

JCP Jurisclasseur-périodique

Jur. Jurisprudence

loc. cit. loco citato

n° numéro(s)

obs. observations

op. cit. opus citatum

p. page

RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial

s. et suivant(e)s

suppl. supplément

Trib. Civ. Tribunal Civil

v. voir

vol. volume

5

6

INTRODUCTION

« The History of this country has perhaps never witnessed a more completely successful economic tyranny » affirmait en 1945 Hugo Black, juge à la Cour Suprême des Etats-Unis, qui s'exprimait alors sur le concept de patent pools dans l'affaire Hartford Empire v. U.S1. Cette prise de position radicale ne manque pas d'interpeller à une époque caractérisée par la multiplication et le développement de patent pools dans de nombreux domaines. Ce mécanisme émerge en effet comme un sujet intéressant au coeur d'une économie nouvelle fondée essentiellement sur l'innovation technologique, qui valorise la production de droits de propriété intellectuelle par rapport aux biens physiques. La place prépondérante attribuée à l'innovation dans notre société a en effet engendré une augmentation sans précédent de l'octroi de brevets, notamment dans les domaines de l'informatique, des télécommunications et de la biotechnologie. Mais paradoxalement, en même temps que les dépôts de brevets connaissent une envolée spectaculaire, portés par une dynamique technologique forte, les contentieux relatifs à ces brevets s'accroissent de même que l'opacité du système. « Le brevet n'a pas bonne presse »2, n'hésitent pas à dire certains. D'une part le système et les conditions d'octroi de ces brevets sont fréquemment contestés, d'autre part l'étendue même de la protection est souvent jugée disproportionnée.

Dans ce cadre, les patent pools sont apparus comme une solution efficace à la diffusion des droits de propriété intellectuelle, même si le concept n'est pas récent : « The pool is probably the oldest, the most common and at the same time the most popular, mode of obviating the evils of competition »3. Un patent pool, ou regroupement de brevets, est une organisation formelle ou informelle entre plusieurs détenteurs de droits de propriété industrielle, qui décident de mettre en commun leurs brevets et de coordonner leurs politiques de licences. Une approche globale permettrait d'inclure dans cette définition les licences croisées, mais la finalité et le mode de fonctionnement de ces deux concepts varient radicalement. Les patent pools se distinguent notamment par le fait qu'ils impliquent généralement l'existence d'une organisation neutre et distincte établie pour administrer le pool. Cette entité peut être représentée par l'un des détenteurs de brevets ou peut, plus couramment, consister en un organisme sui generis formé spécifiquement pour la gestion du pool et indépendant des détenteurs de brevets - même si, comme le relèvent pertinemment Lerner et Tirole, il est rare de voir véritablement émerger une nouvelle organisation

1 C.S., Hartford-Empire Co. v. United States, 46 F. Supp. 541 (.D. Ohio 1942), modifié par US.S 386 (1945).

2 C. Le Bas, Economie et Management du brevet, Economica, Paris, 2007, p.1.

3 W. Z. Ripley, Trust, Pools and Corporations, Boston, Ginn &Company, 1916, p. xiii.

7

centralisée pour administrer le pool, les arrangements étant généralement établis par un contrat qui prévoit les rôles et responsabilités de chaque partie4. Les adhérents cèdent ainsi leurs brevets à cette organisation, qui en retour octroie des licences à chaque membre du pool ainsi qu'aux tiers désireux d'en acquérir aux montants de redevances préétablis. La forme juridique de ces pools peut consister en un simple contrat, une filiale commune, ou une copropriété de brevets.

Les premiers grands pools de brevets ont été mis en place aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, dans des domaines tels que l'industrie automobile, la radio, ou l'industrie aéronautique. La plupart d'entre eux aspiraient à mettre fin à des phases d'innovation ralenties par l'existence de brevets bloquants. A partir des années 1990, on a pu assister à la renaissance des patent pools sous une forme relativement différente de celle de leurs prédécesseurs, dans la mesure où ils visent aujourd'hui souvent à permettre pour la plupart l'utilisation de standards techniques. Parmi les plus célèbres, le pool MPEG LA (Moving Picture Experts Group Licensing Agent) a permis l'établissement et la gestion de standards vidéo très répandus tels que MPEG-2 ; un autre pool, proposé par Philips, Sony et Pioneer a concerné les standards nécessaires à la production de DVD et de lecteurs DVD ; enfin les développeurs et les fabricants des produits incluant la technologie 3G ont créé un pool pour gérer la « 3G Patent Platform ». L'importance récente prise par les patent pools dans le secteur des nouvelles technologies incitera donc à s'intéresser spécifiquement à ce domaine au cours de notre étude.

Mais alors que les patent pools sont a priori formés dans le but de surmonter les obstacles posés par la surabondance de brevets et réduire les coûts d'acquisition de licences, ils sont également susceptibles d'engendrer des abus. Historiquement, les spécialistes de la concurrence ont toujours considéré les patent pools avec méfiance : abrités derrière un monopole légal, différents acteurs d'un même marché peuvent en effet utiliser le concept pour déguiser des ententes ou concrétiser des abus de position dominante. Cette problématique soulève l'éternel débat de l'interaction entre les droits de propriété intellectuelle et le droit de la concurrence. Bien qu'ayant une finalité commune, à savoir promouvoir l'innovation et le bien-être du consommateur, les logiques de ces deux droits différent significativement5. Le droit de la concurrence prohibe les pratiques anticoncurrentielles et vise à garantir l'ordre public économique ainsi qu'un fonctionnement concurrentiel des marchés ; les droits de propriété intellectuelle, droits privatifs sur un objet immatériel, permettent au créateur ou à l'inventeur de tirer un profit légitime de son invention ou de sa création en lui octroyant un

4J. Lerner, et J. Tirole, « Efficient Patent Pools », American Economic Review, vol. 94 n°3, 2004, p. 710.

5 F. Lévêque et Y. Menière, « The Economics of Patents and Copyright », Berkeley Electronic Press, 2004, p. 85.

8

pouvoir de monopole de manière légale. L'applicabilité du droit de la concurrence aux droits de propriété intellectuelle en France s'est imposée depuis près de 50 ans, et n'est plus contestée6 : l'exercice, l'exploitation et la gestion de ces droits exclusifs sont donc analysés dans le souci de garantir qu'ils ne soient pas utilisés pour restreindre la concurrence, gagner un avantage compétitif indu ou détruire un concurrent. Les contrats d'exploitation que les titulaires de droits de propriété intellectuelle concluent sont notamment susceptibles de se voir appliquer le droit des ententes ou celui des abus de position dominante.

Certains auteurs critiquent la façon dont les autorités de la concurrence tentent de résoudre cette problématique, les accusant de privilégier systématiquement le droit de la concurrence sur les droits de propriété intellectuelle : « The tension between patent and competition law seems, for the most part, to be resolved in favour of the latter. (É) There is reasonable concern about enforcement agencies' failure to strike the appropriate balance »7. L'acquisition et la détention des droits exclusifs sont en effet des privilèges stratégiques limités par le contrôle des autorités de concurrence nationale et européenne. Au niveau communautaire, c'est la Commission Européenne qui est chargée de l'application des articles 101 (sur les ententes) et 102 (sur les abus de position dominante) du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne8. Au niveau national, l'Autorité de la concurrence et les juridictions judiciaires sont compétentes pour mettre en oeuvre le droit des pratiques anticoncurrentielles et en particulier les articles L.420-1 et L.420-2 du Code de Commerce qui sont les équivalents, au niveau national, des articles 101 et 102 TFUE.

Comme le souligne Camille Maréchal9, la jurisprudence française donne des exemples de pools de brevets mais ne s'est pas intéressée aux questions de concurrence posées par ces regroupements. Les tribunaux ont par exemple examiné la portée d'une clause de non-contestation présente dans un pool de brevets de tissu élastique10, l'exercice de l'action en contrefaçon par le gérant d'un pool par la voie de l'action oblique11 et le sort des redevances versées par les licenciés d'un pool contenant un brevet en copropriété12. La jurisprudence américaine, plus ancienne, est en revanche beaucoup plus fournie. Le droit communautaire s'est d'ailleurs développé en référence aux analyses américaines. Cette étude des pools de brevets s'attachera donc à prendre en compte non seulement

6 Avis de la Commission technique des ententes du 8 octobre 1955 industrie du magnésium.

7 M. M. Fellig, « Patent Pools and Competition Law : An Examination of the Enforcement Strategies of Competition Authorities », Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures, Université de Montréal, août 2007, p. 83.

8 ex-articles 81 et 82 du Traité des Communautés Européennes.

9 C. Maréchal, Concurrence et Propriété Intellectuelle, LITEC, Paris, 2009, p. 126.

10 Trib. Civ. Lyon, 13 avril 1951 : RTD com. 1951, p. 752 et 753, n°18, obs. P. Roubier.

11 Cass. com., 8 juillet 1958 : JCP 1959, n°10981, obs. R. Plaisant.

12 Cass. com., 18 janvier 1971 : Bull. civ. IV, n°14 et n°15.

9

le droit français et communautaire, mais également le droit américain, pour l'analyse comparative instructive qu'il apporte.

En termes de législation applicable, les autorités de la concurrence américaines peuvent s'appuyer sur les recommandations apportées par les Lignes directrices pour l'octroi de licences relatives à la propriété intellectuelle13. La Commission européenne a également rédigé des Lignes directrices relatives aux accords de technologies14, en s'inspirant du droit comparé et de travaux réalisés par des économistes. A noter cependant que l'application scrupuleuse de ses règles ne dispense pas de la surveillance de la part des autorités de concurrence.

Il convient de reconnaître que le droit de la concurrence tâtonne en matière de patent pools, et que le cadre juridique est encore en formation dans le domaine. Alors que la mise en place de telles entités est aujourd'hui devenue incontournable et indispensable, au vu des exigences d'efficacité et de rapidité d'un monde d'innovation, l'application du droit de la concurrence se révèle souvent délicate en la matière. Les universitaires eux-mêmes ne parviennent pas à s'accorder sur la nature proconcurrentielle ou anticoncurrentielle de ces regroupements de brevets, et préconisent parfois une approche au cas par cas, alors qu'une analyse systématique est parfois préférable pour appréhender des situations où les enjeux économiques sont souvent considérables. La multiplicité et la diversité des effets des patent pools en droit de la concurrence amènent ainsi à questionner la manière dont ces regroupements de brevets s'accordent avec l'application rigoureuse du droit des pratiques anticoncurrentielles, notamment par l'intervention des autorités de concurrence. Dans un premier temps, la mise en place d'un mécanisme de patent pool soulève des questions en droit de la concurrence quant à sa composition et à ses finalités (Partie 1). Dans un second temps, l'administration et la gestion de l'entité créent également des débats quant aux effets anticoncurrentiels que pourraient engendrer certaines pratiques ou politiques de licences (Partie 2).

13 U.S Department of Justice and Federal Trade Commission, Antitrust Guidelines for the Licensing of Intellectual Property, Washington D.C., Avril 1995, disponible en ligne <http:jjwww.usdoj.gov/atr/public/guidelines/0558.pdf>

14 Commission Européenne, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004

10

Partie 1 : Les enjeux concurrentiels associés à la composition et aux finalités du pool

Les spécialistes n'ont pour l'instant pas réussi à s'entendre sur une ligne de pensée commune et cohérente concernant l'appréciation des enjeux des patent pools en matière de droit de la concurrence. Il semblerait que les différentes autorités de la concurrence continuent d'ailleurs à hésiter quant à la position à adopter face à ces regroupements de brevets. Aux Etats-Unis, après avoir oscillé tout au long du XXe siècle pour définir une position devant l'émergence du concept de patent pools, l'Administration américaine aurait adopté une approche relativement permissive concernant leur activité15. Dans les années 1950, tous les patent pools contestés y ont été jugés anticoncurrentiels, et les entreprises ont par la suite mis un terme à leurs tentatives de former de telles entités. La tendance s'est inversée en 1995 avec l'adoption des Lignes directrices pour l'octroi de licences relatives à la propriété intellectuelle, qui ont reconnu les aspects proconcurrentiels de l'institution des patent pools. Selon ces lignes directrices, « Patent pools are acceptable and procompetitive when they integrate complementary technology, reduce transaction costs, clear blocking patents, avoid infringement litigation, and promote the dissemination of technology »16. De la même façon, les Lignes directrices de la Commission Européenne n'hésitent pas à reconnaître le caractère proconcurrentiel de certains effets associés à la mise en place de pools. Mais l'analyse de ces effets est subordonnée d'une part à l'examen des objectifs et conséquences du regroupement de brevets (I) et d'autre part à l'observation de sa composition (II).

I/ Une défragmentation bénéfique des droits de propriété intellectuelle

Le chevauchement des droits de propriété intellectuelle et l'empilement des redevances sont des phénomènes de plus en plus courants dans le secteur des nouvelles technologies, qui sont dommageables à la fois pour le détenteur de brevets, pour l'utilisateur des technologies, et nécessairement pour le consommateur final. En facilitant la coordination parmi les détenteurs de brevets, la mise en place de patent pools peut être un moyen efficace pour défragmenter les droits de propriété intellectuelle, et engendrer ainsi des conséquences proconcurrentielles pour le marché.

15 M. M. Fellig, « Patent Pools and Competition Law: An Examination of the Enforcement Strategies of Competition Authorities », op. cit., p. 23-24.

16 U.S Department of Justice and Federal Trade Commission, Antitrust Guidelines for the Licensing of Intellectual Property, Washington D.C., Avril 1995

11

D'une part, la défragmentation des droits permet de débloquer des situations où la dispersion des droits empêche une allocation optimale des ressources (A) ; d'autre part, elle entraine une diminution des coûts liés aux négociations et aux transactions, et encourage la diffusion de l'innovation (B).

A) Mettre fin à des situations de blocage et partager les risques

Les détenteurs de brevets, agents économiques rationnels, choisissent la situation la plus conforme à leurs intérêts. Ils souhaitent individuellement parvenir aux arrangements les plus profitables, qui impliquent souvent l'exclusion des autres brevetés. Les patent pools sont d'ailleurs souvent instables car un tel mécanisme crée une externalité positive pour les cessionnaires de brevets indépendants : les détenteurs de droits de propriété intellectuelle génèrent habituellement des revenus plus élevés en percevant des redevances indépendamment plutôt qu'en tant que membre d'un pool. « Defection from the patent pool is the best unilateral choice for a firm with an essential patent in the short-run »17. Toutes choses égales par ailleurs, les bénéfices des cessionnaires de brevets indépendants augmentent d'ailleurs avec la taille du pool, car l'acteur indépendant doit partager les revenus des brevets avec moins de détenteurs de brevets indépendants -les coûts de transaction ayant été par ailleurs réduits.18 En résumé, le revenu de licence généré par le patent pool est plus faible pour le détenteur de brevet que celui perçu via un programme de licence indépendant, mais il bénéficie d'autres avantages, telles qu'une couverture plus large, une conclusion des accords plus rapide, et davantage de sécurité juridique.

1. Vaincre la Tragédie des Anticommuns

L'augmentation de l'octroi de brevets, bien que théoriquement bénéfique pour inciter la recherche et l'innovation, peut rapidement générer un chevauchement dommageable de droits de PI détenus par différents acteurs. C'est ce que certains ont pu caractériser comme un « brouillard juridique ». D'autres ont évoqué l'émergence d'une Tragédie des Anticommuns, « Tragedy of the

17 S. Nagaoka, « Policy Issues in Efficient Collaboration Through a Patent Pool », in T.-L. Hwang et C. Chen, The Future Development of Competition Framework, La Haye, Kluwer Law International, 2004, p.151.

18 R. J. Gilbert, « Ties that Bind : Policies to Promote (Good) Patent Pools », Competition Policy Center, Institute of Business and Economic Research, UC Berkeley, 2009, p. 22 et 43.

12

Anticommons »19, en référence à la Tragédie des biens communs, « The Tragedy of the Commons »20 , qui désigne la surexploitation des ressources communes rares. A contrario, la Tragédie des Anticommuns fait référence à la situation où des agents économiques rationnels gaspillent une certaine ressource en la sous-utilisant. Dans le domaine de la propriété industrielle, ce concept qualifie plus spécifiquement la fragmentation des droits issue de la prolifération de brevets sur des contributions de plus en plus petites, phénomène qui implique pour les utilisateurs de technologie de rassembler un grand nombre d'éléments nécessaires à la constitution d'un produit final.

Le « patent thicket », ou buisson de brevets, est un exemple d'une telle situation, à laquelle l'institution de patent pools est censée mettre un terme : l'utilisation d'une technologie est rendue difficile par la multiplication des dépôts de brevets indispensables par des parties dispersées et non coordonnées, qui cherchent à étendre le champ et la durée de la protection dont elles bénéficient. Si les redevances exigées par chacun de ces acteurs peuvent paraître raisonnables évaluées séparément, elles représentent un poids considérable lorsqu'il s'agit d'acquérir l'ensemble des licences. La sous-exploitation des ressources induite par le buisson de brevets peut être dommageable aux détenteurs de brevets, dont l'adoption ou l'utilisation des technologies est ralentie et réduite, autant qu'aux utilisateurs, qui doivent faire face à des redevances excessives ou des coûts de transaction élevés du fait de la multiplicité des droits. Ainsi, l'entité chargée de la gestion du pool MPEG affirme que le standard MPEG-2 était confronté à un buisson d'une centaine de brevets sur la technologie, et que le coût de négociation rendait le standard « virtuellement impossible à utiliser »21. En rassemblant les brevets relatifs à une même technologie pour proposer une licence commune, le patent pool peut donc permettre de surmonter les buissons de brevets.

Le patent pool vise également à résoudre d'autres problèmes associés à l'existence de ces buissons de brevets, et notamment le « hold-up problem », qui renvoie à la faculté pour les inventeurs qui détiennent des brevets couvrant un large champ d'application de maintenir captif le processus d'innovation. Un détenteur de brevets dans une telle situation peut notamment imposer des prix de monopole. Il en résulte nécessairement une sous-production de perfectionnements sur les technologies concernées, dans la mesure où ces dernières ne sont pas largement diffusées.

19 M. A. Heller, « The Tragedy of the Anticommons: Property in the Transition from Marx to Markets », Harvard Law Review, vol. 111, n° 3, janvier 1998 ; G. Colangelo, « Avoiding the Tragedy of the Anticommons : Collective Rights Organizations, Patent Pools and the Role of Antitrust », LE Lab Working Paper, Mars 2004.

20 Cf G. Hardin, « The Tragedy of the Commons », Science, New Series, vol. 162 n°3859, 13 déc. 1968, p. 1243-1248.

21 MPEG LA sur http://www.mpegla/communautaire/aboutus.cfm.

13

2. Mettre un terme aux guerres de brevets

Les patent pools permettent également d'éviter les guerres de brevets destructrices qui « gaspillent les ressources, ralentissent l'innovation, et limitent la standardisation »22. Les détenteurs de brevets préfèrent se concéder mutuellement des licences, plutôt que de s'engager dans des procédures judiciaires coûteuses. De fait, la seule menace d'un contentieux peut se présenter comme une barrière à l'entrée et étouffer l'innovation. Ainsi, la mise en place de patent pools permet d'assurer le maintien de petites entreprises, qui auraient pu, dans le cas contraire, se voir évincer du marché par les grandes entreprises à cause des sommes parfois astronomiques dépensées en contentieux.

Les adhérents au pool peuvent ainsi développer leurs technologies respectives sans risquer de recours ultérieurs pour violation des droits, ce qui est favorable à la concurrence et engendre nécessairement une liberté de conception accrue. Il en résulte donc in fine un bénéfice pour le consommateur. Par ailleurs, le concept de patent pool peut également conduire à inciter les entreprises à innover, en créant un mécanisme par lequel les parties peuvent partager les risques et bénéfices du projet. Si la finalité peut être d'éviter les contentieux interminables et onéreux, il est à noter cependant que l'engagement conclu entre les membres du pool de ne pas engager de poursuites pour contrefaçon contre d'autres membres peut également se révéler anticoncurrentiel dans la mesure où il peut être une forme de collusion visant à faciliter l'acquisition d'un pouvoir de monopole (cf. Partie 2).

Afin de faire bénéficier à ses membres du meilleur rendement, l'entité peut être amenée à réduire les incitations à quitter le pool. En ce sens, les règles qui guident la décision d'un détenteur de brevets de rejoindre ou de se maintenir dans un pool sont les mêmes que celles qui régissent l'adhésion à un cartel - mis à part le fait que la mise en place d'un pool n'implique pas nécessairement d'effets anticoncurrentiels23 : chaque membre souhaiterait faire défaut à partir du moment où les autres restent dans le cartel. S'ils quittent tous le regroupement, leur situation est moins bonne que si le cartel avait perduré. De manière similaire, un patent pool peut être stable si chaque membre a conscience du fait que le pool sera dissolu si l'un d'eux fait défaut. C'est pourquoi les pools mettent en place parfois des « pilules empoisonnées », ou « poison pills » : le

22 M. Bednarek et M. Ineichen, « Patent Pools as an Alternative to Patent Wars in Emergent Sectors », Propietary Rights n7, 2004.

23 R. J. Gilbert, « Ties that Bind : Policies to Promote (Good) Patent Pools », loc. cit., p. 31.

14

pool prévoit une résolution qui implique la dissolution de l'entité dans le cas où l'un de ses membres décide de la quitter et d'agir en cessionnaire de licences indépendant.

B) Réduire les coûts de transaction et favoriser la diffusion de l'innovation

Le regroupement de brevets au sein d'un pool, par la mise en place d'un interlocuteur unique pour les preneurs de licences, affiche comme l'un de ses objectifs principaux la réduction les coûts de transaction. La technologie peut alors être diffusée de manière plus large, ce qui entraîne une meilleure propagation de l'innovation, et donc des avantages proconcurrentiels.

1. Réduire les coûts de transaction et de négociation

Selon le théorème de Coase, si les coûts de transaction sont nuls et les droits de propriété bien définis, il en résulte une allocation efficace des ressources. C'est pourquoi la problématique des coûts de transaction est essentielle pour garantir un environnement concurrentiel optimal. La formation d'un pool est censée favoriser une telle situation, qui bénéficie naturellement à l'utilisateur. En l'occurrence, les coûts de transaction incluent les dépenses relatives à l'identification des différents brevetés d'une technologie et les coûts associés à la négociation des licences.

La majorité des auteurs s'accorde pour dire que l'un des plus grands avantages à la constitution d'un pool est cette diminution des coûts de transaction, qui bénéficie tant aux donneurs qu'aux preneurs de licences. Le patent pool permet la mise en place d'un guichet unique, un « one-stop shopping » qui permet d'éviter la négociation individuelle avec chaque membre du pool. C'est un bénéfice du point de vue du droit de la concurrence, car les nouveaux entrants n'ont pas à supporter les coûts et les risques d'entrée sur le marché.

En termes de réduction des dépenses excessives pour le preneurs de licences, la coordination des membres du pool permet également d'éviter le problème du « royalty stacking », c'est-à-dire le phénomène d'empilement de redevances qui apparaît quand les détenteurs de brevets fixent leurs prix de manière indépendante pour des technologies complémentaires (cf. partie 2), et qui s'assimile également en quelque sorte à des coûts de transaction.

15

2. Promouvoir l'innovation

La présence d'un interlocuteur unique dans la négociation des licences avec les tiers permet par ailleurs une meilleure dissémination de la technologie, en rendant son utilisation accessible à davantage d'acteurs. L'objectif de promotion de l'innovation, par nature proconcurrentiel, est d'autant plus encouragé que les utilisateurs de technologie pourront par la suite développer des perfectionnements sur la technologie utilisée.

En outre, la formation de patent pools est également une incitation à développer les politiques de Recherche et Développement par le gain de profits supplémentaires. Dequiedt et Versaevel soulignent ainsi que, en augmentant les profits potentiels sur un brevet, le pool attribue à son détenteur une récompense additionnelle, qui peut être mise à profit dans la Recherche et Développement. Néanmoins, ils précisent que plus le nombre de brevets contenus dans le pool est important, plus l'effet sur la R&D est faible, étant donné que les gains sont dilués entre les différents membres24. D'autres auteurs insistent sur le fait que la formation d'un pool réduit également les coûts liés aux contentieux, dans la mesure où les membres du pool peuvent poursuivre les contrefacteurs par une action de groupe (coordonnée par l'entité). Les bénéfices financiers liés à la réduction de ces dépenses les inciteraient également à investir dans la R&D25.

L'ensemble de ces conséquences associées à la mise en place d'un pool ne peut cependant pleinement produire ses effets que dans la mesure où la constitution du pool est en accord avec les règles du droit de la concurrence. Au moment de la formation du pool, les finalités à l'origine de la mise en place de l'organisation importent tout autant que la composition du regroupement, qui doit répondre à certaines caractéristiques pour ne pas éveiller la méfiance des autorités de concurrence.

II/ L'analyse nécessaire de la composition des pools

L'analyse de la formation d'un pool nécessite en premier lieu d'examiner l'identité de ses membres. Les Lignes directrices européennes soulignent en ce sens l'aspect favorable associé à la participation de personnes représentant des intérêts différents à la création du regroupement et à la

24 B. Versaevel et V. Dequiedt, « Patent Pools and the Dynamic Incentives to R&D » Working Papers 0703, Groupe d'Analyse et de Théorie Economique (GATE), Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Université Lyon 2, Ecole Normale Supérieure, 2007.

25 R. Lampe et P. Moser, « Do Patent Pools Encourage Innovation? Evidence from the 19th-Century Sewing Machine Industry », Journal of Economic History, Mars 2010, p.900.

16

détermination des conditions de licences26 : de telles précautions réduiraient le risque que l'accord restreigne la concurrence. Mais plus important encore, la plupart des commentateurs s'accordent pour dire que l'étude des caractéristiques des brevets contenus dans un pool (B), ainsi que des relations économiques qui les lient (A), est d'une importance cruciale pour déterminer le caractère proconcurrentiel ou anticoncurrentiel des effets engendrés par le pool.

A) L'exigence de regroupement de brevets essentiels et complémentaires

Les autorités de la concurrence américaine et européenne s'accordent pour dire qu'elles sont favorables à la présence de brevets essentiels et complémentaires au sein d'un pool, même si l'appréciation de tels critères est concrètement difficile.

1. Le bien-fondé de la Théorie de l'Essentialité

Les brevets peuvent ainsi être rivaux, complémentaires, bloquants ou sans lien27. Les brevets sont dits rivaux, ou substituables, lorsqu'ils présentent des moyens alternatifs pour la création de certains produits. Plus concrètement, deux produits ou technologies sont substituables si l'augmentation du prix de l'un deux accroît la demande pour le second. L'analyse économique permet de conclure que les risques anticoncurrentiels des pools naissent de l'inclusion en leur sein de brevets substituables, dans la mesure où elle élimine la concurrence qui aurait pu exister entre les détenteurs de brevets. Par exemple, lorsque les entreprises de fabrication de verre aux Etats-Unis ont formé le pool Hartford-Empire, elles ont mis en commun des brevets qui protégeaient deux techniques substituables de confection du verre. Le pool a ainsi pu exercer un contrôle quasi complet sur l'ensemble du marché en fixant un prix de collusion, et éliminer la concurrence qui aurait pu s'exercer entre les deux principales technologies du secteur28.

Les brevets complémentaires en revanche sont des brevets protégeant des inventions séparées, qui peuvent être combinées pour créer un nouveau produit -ce qui augmente d'ailleurs leur valeur. Certains auteurs soutiennent que l'existence d'une complémentarité parfaite entre des brevets est très rare, dans la mesure où une invention qui n'offrirait aucun bénéfice par elle-même ne devrait

26 Commission Européenne, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004, §231.

27 M. M. Fellig, « Patent Pools and Competition Law : An Examination of the Enforcement Strategies of Competition Authorities », op. cit., p. 52.

28 C.S., Hartford-Empire Co. v. United States, 46 F. Supp. 541 (D. Ohio 1942), modifié par US.S 386 (1945).

17

pas obtenir la protection d'un brevet29. Dans certains cas, les brevets complémentaires sont sans valeur, voire inutiles, lorsqu'ils sont détenus séparément : c'est ce qu'on appelle des brevets bloquants. Cette notion demeure une source de débats et de questions pour les autorités de la concurrence, car les problématiques qu'elle soulève sont inhérentes à la tension existant entre le droit de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence. Quoiqu'il en soit, les brevets complémentaires, de même que les brevets bloquants, peuvent mener à la Tragédie des Anticommuns décrite plus haut.

Sur le fondement de cette distinction, les autorités de la concurrence ont développé une doctrine de l'Essentialité, qui permet de déterminer quels brevets méritent d'être inclus dans un pool donné : il s'agit d'un mécanisme qui consiste à examiner le contenu du pool afin de vérifier qu'il incorpore bien des brevets bloquants ou complémentaires. Plus précisément, un brevet essentiel est un brevet nécessaire à l'utilisation de la technologie, qui n'a pas de substitut, et qui est légalement valable. Carl Shapiro explique que « the key distinction in forming a patent pool is that between « blocking» or «essential» patents, which properly belong in the pool, and «substitute» or «rival» patents, which may need to remain separate »30.

Ainsi, dans son analyse du pool MPEG-231, le Department of Justice américain avait admis les effets positifs du regroupement grâce à l'aide d'un expert indépendant qui avait jugé que l'ensemble des brevets regroupés dans le pool étaient essentiels à l'utilisation du standard technique, dans la mesure où ils n'avaient aucun substitut et où leur utilisation conjointe était nécessaire.

Le Department of Justice américain souligne par ailleurs dans une de ses Business Review Letters que l'inclusion de brevets non-essentiels au sein d'un pool augmente le risque d'exclusion d'autres technologies. La licence du portefeuille de brevets permet en effet au preneur de bénéficier, sans coût supplémentaire, d'un brevet non-essentiel au pool, éliminant ainsi la demande pour une technologie substituable. En ajoutant de tels brevets, les membres du patent pool disposent ainsi d'un moyen de forclusion de la concurrence de brevets non-essentiels.

29 G. Goller, « Competing, Complementary and Blocking Patents : Their Role in Determining Antitrust Violations in the Areas of Cross-licensing, Patent Pooling and Package Licensing », Journal of the Patent Office Society, 1968, p. 725. 30C. Shapiro, « Navigating the Patent Thicket: Cross Licences, Patent Pools, and Standard-Setting », in A. Jaffe, J. Lerner et S. Stern, Innovation Policy and the Economy, MIT Press, Cambridge, 2001, p. 134.

31 Department of Justice Ð Antitrust Division, Business Review Letter, Trustees of Columbia University, Fujitsu Limited, General Instrument Corp., Lucent Technologies Inc., Matsushita Electric Industrial Co., Ltd., Mitsubishi Electric Corp., Philips Electronics N.V., Scientific-Atlanta, Inc., and Sony Corp. (collectively the "Licensors"), Cable Television Laboratories, Inc. ("CableLabs"), MPEG LA, L.L.C. ("MPEG LA"), 26 juin 1997.

18

2. L'application difficile de la Théorie de l'Essentialité

Si cette Théorie de l'Essentialité semble fondée et acceptable de prime abord, il demeure que sa mise en application est souvent problématique, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, la notion d' « essentialité » n'est pas clairement définie, et pour cause, elle est par nature spécifique à un cas donné, et évolutive. Or l'absence de définition et d'uniformité conduit les détenteurs de brevets à exagérer le nombre de brevets essentiels contenus dans leur pool. Un des problèmes qui se pose est que l'information entre les autorités de concurrence et les membres du pool est asymétrique, car les détenteurs de brevets sont de toute évidence dans une situation plus confortable pour évaluer si leurs brevets sont rivaux ou complémentaires.

Deuxièmement, le nombre de brevets contenus dans les pools est souvent considérable, ce qui rend la détermination du caractère essentiel de brevets d'autant plus difficile. Le pool MPEG LA est un exemple manifeste de ce problème : alors que les brevets relatifs à la technologie MPEG-2 étaient au moment de la formation du pool au nombre de 27, ils se sont multipliés jusqu'à ce que le pool inclue plus de 700 brevets32. Un commentateur a relevé la problématique afférente à l'explosion du nombre de brevets dans les pools : « As the patent grows, it runs the risk of loosing cohesion and incorporating patents over products that would compete with the pooled technologies »33. Etant donnée l'expansion rapide des pools, la relation entre les différents brevets devient de plus en plus complexe au fur et à mesure de l'évolution du pool. D'autant que la relation entre les brevets peut également évoluer : les brevets complémentaires devenant substituables, et vice versa. C'est ce qui fait dire à certains auteurs : « unlike obscenity, we may not know a blocking patent when we see it »34.

Enfin, de l'avis commun des autorités de concurrence, l'analyse scrupuleuse de la substance des pools requiert l'intervention d'un expert indépendant, chargé de s'assurer du caractère essentiel des brevets incorporés dans le pool. Les Lignes directrices européennes relatives aux accords de technologies affirment ainsi que « Un autre facteur important est la mesure dans laquelle des experts indépendants sont associés à la mise en place et au fonctionnement de l'accord. Déterminer si une technologie est ou non essentielle à une norme à la base de laquelle se trouve un accord constitue par exemple souvent une question complexe, qui nécessite une expertise particulière. L'association d'experts indépendants au processus de sélection peut beaucoup contribuer à garantir

32 MPEG 2, online, < http://www.mpegla.com>

33 S.C. Carlson, « Patent Pools and the Antitrust Dilemma », Yale Journal of Regulation, 1999, p. 390.

34 L. Simmons, P. Lynch, et T.H. Frank, « I Know It When I See It: Defining and Demonstrating Blocking Patents », Antitrust, été 2002

19

l'application effective d'un engagement de n'inclure que des technologies essentielles. »35. Joel J. Klein, procureur général adjoint aux Etats-Unis, s'est également intéressé à la nécessité et au rôle de cet expert indépendant : « The continuing role of an independent expert to assess essentiality is an especially effective guarantor that the Portfolio patents are complements, not substitutes »36. Il souligne cependant le fait que le concept d'expert indépendant est nécessairement fallacieux et insatisfaisant, notamment parce que ce sont les détenteurs de brevets eux-mêmes qui choisissent l'expert.

Bien que la doctrine de l'Essentialité propose une approche pertinente, l'augmentation de la taille des pools et la complexité croissante des relations entre les brevets qui les constituent rendent donc l'application du mécanisme difficile et imparfaite. Comme Mark Janis a pu le faire remarquer, « The «essentiality» criterion for determining which patents may be contributed to a patent pool is not a good candidate for building regulatory certainty. It is exceedingly complex, and Policy makers should be wary of its increasingly dominant role in the antitrust analysis of patent pools. »37

B) L'intégration problématique de brevets invalides

Au-delà du caractère essentiel des brevets, qui s'avère difficile à déterminer, la potentielle invalidité des brevets est également un élément à prendre en compte dans l'analyse du caractère proconcurrentiel ou anticoncurrentiel d'un pool.

1. Les inconvénients associés à la présence de brevets invalides

Les accords entre les membres du pool peuvent leur permettre d'abriter au sein du regroupement des brevets invalides ou dont la validité est incertaine, ce qui est susceptible d'augmenter indûment le montant des redevances et de limiter l'innovation dans le domaine couvert par le brevet non valide. Par ailleurs, conditionner l'octroi d'une licence sur certains brevets à l'acquisition de tout un

35 Commission Européenne, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004, §232

36 Joel Klein, Assistant Attorney General, United Stated Department of Justice, Lettre à Garrard R. Beeney, 25 Juin 1997.

37 M.D. Janis, « Aggregation and Dissemination Issues in Patent Pools », University of Iowa Legal Studies Research Paper, n°05-14, Avril 2005.

20

portefeuille de brevets, dont certains sont potentiellement invalides, peut s'apparenter à de la vente liée, et cette pratique a déjà été sanctionnée aux Etats-Unis38.

Les arrangements visant à abriter des brevets dits « faibles » peuvent prendre différentes formes. Les membres du pool peuvent par exemple s'engager mutuellement à ne pas poursuivre en contrefaçon les brevets des autres membres. Dans ce cas, le pool peut être utilisé pour déguiser un cartel en monopole légal. Une clause peut également stipuler la résiliation de l'ensemble de la licence en cas de contestation de la validité des droits d'un des membres du pool. De tels accords peuvent également revêtir un caractère informel, en particulier lorsque les membres du pool sont de fait dissuadés de contester les brevets détenus par les autres membres du pool : ils préfèrent ne pas courir eux-mêmes le risque de voir leurs propres brevets remis en cause.

Or il est à noter que ce sont les membres du pool qui sont les mieux placés pour déterminer la validité d'un brevet, et étant donnée l'existence fréquente de processus dissuasifs tels que ceux discutés plus haut, il est peu probable qu'un brevet contenu dans un pool soit contesté. Ainsi, il y a une véritable préoccupation en termes de droit de la concurrence autour du fait qu'un patent pool est très susceptible d'abriter des brevets qui échappent à la surveillance des concurrents, résultant en des redevances plus chères que le montant correspondant au niveau concurrentiel.

Par ailleurs, la formation d'un regroupement de brevets implique nécessairement une augmentation des coûts et des risques liés à la contestation des droits des donneurs de licences. Ainsi, les Lignes directrices européennes précisent que le droit de résilier la licence en cas de contestation par le cessionnaire doit être limité aux technologies du donneur dont les droits sont contestés, et ce afin que l'accord ne puisse pas permettre de protéger des brevets invalides39.

Mais certains auteurs jugent exagéré le problème lié à l'inclusion de brevets invalides ou non-essentiels au coeur d'un pool40. Le regroupement n'en augmenterait pas pour autant le niveau des redevances pour la concession de son portefeuille de brevets, si au moins un des brevets valides du pool est essentiel pour fabriquer le produit final. Il est très probable selon eux que parmi le grand nombre de brevets contenu dans les pools, plusieurs se révèlent invalides, mais la question qui se

38 Pour exemple, C.S., International Salt Co. v. United States, 332 U.S. 392 (1947).

39 Commission Européenne, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004, §229 : « Afin de limiter ce risque, tout droit de résilier une licence en cas de contestation doit être limité aux technologies détenues par le donneur, qui fait l'objet de la contestation, et ne pas s'étendre aux technologies détenues par d'autres donneurs dans le regroupement. »

40 R. J. Gilbert, « Ties that Bind : Policies to Promote (Good) Patent Pools », loc. cit., p. 10-11.

21

pose alors est de savoir s'il est plus opportun d'inclure des brevets incertains, ou de les exclure du portefeuille de brevets. Les deux hypothèses semblent présenter des risques. En incluant des brevets dits « faibles », on augmente nécessairement les suspicions quant à la fixation de prix excessifs, étant donné que les tiers vont devoir sans doute payer des redevances pour des technologies qu'ils n'utilisent pas. Par ailleurs, un tel mécanisme peut diluer la répartition des revenus du pool entre les différents membres, rendant le regroupement difficile à mettre en place ou instable. Les exclure du pool augmente la probabilité de se retrouver dans une situation où le portefeuille de brevets proposé en licence ne contient pas l'ensemble des brevets nécessaires à l'utilisation d'une technologie donnée, amplifiant le risque pour les preneurs de licences d'être contrefacteurs.

2. La pertinence de l'exigence d'offrir des licences indépendantes

Malgré ces théories contraires, les autorités de concurrence demeurent peu favorables à l'inclusion de brevets invalides à l'intérieur d'un patent pool. Afin d'éviter la présence de brevets invalides, les autorités préconisent donc que le pool permette à ses membres de concéder leurs brevets essentiels indépendamment du pool. Cette disposition semble être une garantie effective dans la mesure où les preneurs de licences sont incités à contourner le pool quand le portefeuille de brevets proposé contient davantage de droits que ce dont ils ont besoin. La peur de voir ses preneurs de licences potentiels se détourner de son offre inciterait le pool à être plus attentif quant à l'addition de brevets non-essentiels au sein du regroupement, ce qui permettrait ainsi l'apparition d'un mécanisme correcteur41. Dans leur étude sur la structure et la performance des patent pools, Lerner, Strojwas et Tirole ont étudié un échantillon de 63 pools, et ont constaté que 44% d'entre eux permettaient à leurs membres d'offrir des licences indépendantes à l'extérieur du regroupement.42

L'existence d'une clause d'octroi de licences indépendantes dans l'accord de technologie est un indice intéressant pour les autorités de la concurrence soucieuses de connaître le degré de régularité de la composition d'un pool, car les pools contenant des brevets substituables n'ont pas intérêt à permettre une telle liberté, qui créerait nécessairement une concurrence contre l'offre du pool et rendrait même l'entité inutile. A noter cependant que l'interdiction d'offrir des licences séparément peut être de nature tacite entre les membres du pool.

41 F. Lévêque et Y. Menière, « Economics of patent pools », Microeconomix - Economic Focus, septembre 2007, p. 3.

42 J. Lerner, M. Strojwas, and J. Tirole, « The Structure and Performance of Patent Pools: Empirical Evidence », Document de travail non publié, Harvard University and University of Toulouse, 2002.

22

Les principes qui régissent la formation et la composition du pool sont donc analysés avec attention par les autorités de la concurrence, afin d'y déceler des pratiques anticoncurrentielles visant notamment à créer des barrières à l'entrée d'un marché. Si les effets induits par la mise en place d'un tel regroupement sont a priori bénéfiques pour la concurrence, il demeure important d'examiner en détail les caractéristiques des portefeuilles de brevets offerts en licences.

Par ailleurs, l'adhésion à un patent pool étant volontaire, une étude récente43 a montré qu'entre la moitié et deux tiers des entreprises éligibles choisissent de ne pas intégrer le pool, et ce pour différentes raisons. Parmi les facteurs qui peuvent influencer leur choix, les auteurs relèvent la popularité du brevet, l'importance des entreprises fondatrices du pool, et les règles de répartition des redevances perçues. Or la décision de ne pas intégrer ou de quitter un pool a pour effet de réduire la demande pour les brevets concernés, et diminuer le profit commun. Les règles internes au pool, qui gouvernent les relations entre les membres et avec les licenciés, sont donc essentielles à la formation et à la stabilité du pool, dans la mesure où elles déterminent le choix des adhérents potentiels. En revanche, elles font également l'objet d'une surveillance sérieuse des autorités de concurrence, car le mécanisme de fonctionnement d'un pool peut dissimuler des ententes ou des abus de position dominante.

43 A. Layne-Farrar, J. Lerner, «To Join or not to Join: Examining Patent Pool Participation and Rent Sharing Rule », International Journal of Industrial Organization, mars 2011, p. 294-303.

23

Partie 2 : Les enjeux concurrentiels associés au fonctionnement et à la gouvernance du pool

La Commission Européenne a eu l'occasion d'approuver par lettre de classement les pools constitués autour des normes MPEG-2 et DVD44, en insistant sur les conséquences bénéfiques de la mise en place de regroupements de brevets, qui encouragent la diffusion du progrès technique et bénéficient au consommateur. Elle a également délivré une attestation concernant le pool 3G, et en a profité pour rappeler les critères qu'un tel accord était tenu de respecter pour ne restreindre ni la concurrence ni l'innovation45. Au-delà des principes spécifiques à la constitution des regroupements de brevets, mentionnés en première partie, les patent pools doivent suivre certaines règles quant au mode de gouvernance, afin de ne pas annihiler la concurrence ou restreindre la R&D dans le secteur.

L'administration des pools varie considérablement d'un regroupement à l'autre, notamment quant à la répartition des redevances et aux modalités d'octroi de licences aux tiers, et une analyse au cas par cas s'avère donc nécessaire. Dans sa communication de 1962 relative aux accords de licences de brevets46, la Commission Européenne avait d'ailleurs précisé qu'une appréciation générale des clauses relatives aux pools de brevets ne lui paraissait pas possible. Mais certaines pratiques sont de fait systématiquement considérées avec beaucoup de méfiance par les autorités de la concurrence, que ce soit en ce qui concerne les potentielles règles de collusion entre les parties au pool (I), ou les relations vis-à-vis des tiers (II).

I/ Les risques liés à l'agrégation d'acteurs d'un même secteur

En ce qui concerne l'appréciation des pools de brevets, la jurisprudence américaine s'est montrée au tout début du XXe siècle particulièrement favorable à ce type de regroupements, avant d'opérer un premier changement de position47. Dans l'affaire E. Bement&Sons c/ National Harrow Co.48, la

44 Communiqués de presse, IP/98/1155, 18 décembre 1998 et IP/00/1135, 9 octobre 2000.

45 Communiqués de presse, IP/02/1651, 12 novembre 2002.

46 Communication de la Commission Européenne du 24 décembre 1962 relative aux accords de licence de brevets, JO 139 du 24 décembre 1962, p. 2922-2923.

47 Elle a par la suite de nouveau opéré un revirement, notamment à la suite de la publication des Lignes directrices en 1995.

48 C.S., E. Bement&Sons c/ National Harrow Co., 186 US 70 (1902)

24

Cour Suprême a considéré que l'accord ne violait pas le Sherman Act, alors même que les détenteurs de brevets membres du pool contrôlaient 90% de la production d'un certain type de herses, et qu'ils imposaient aux licenciés un prix de revente pour les produits incorporant les droits octroyés en licences. Les licenciés avaient également interdiction de fabriquer ou vendre d'autres produits que ceux incluant les brevets concernés, ainsi que de contester les brevets du pool. Cette analyse a été rapidement réfutée, et les dispositions mentionnées condamnées par les tribunaux. Les pools ont par la suite été examinés avec davantage de méfiance par les autorités de la concurrence et les tribunaux, qui se sont aperçus que ce type de mécanisme offrait indubitablement aux acteurs d'un marché un cadre propice aux ententes. Steve Carlson souligne tout l'intérêt d'un patent pool dans ce cadre : «The establishment of a pool and the prospect of its dissolution create a mechanism for imposing discipline on members who violate collusive agreements. (É) The members may tacitly agree to maintain prices, to restrict output, or to divide territories49. Les collusions rendues possibles par le mécanisme de patent pool (A) peuvent en effet être facilement orchestrées par l'entité, notamment par la fixation et la répartition des redevances en interne (B).

A) La formation favorisée d'ententes tacites

La mise en place d'un pool contribue à fournir un cadre institutionnel pour l'échange d'informations, afin d'encourager la communication entre ses membres et ainsi réduire les risques de chevauchement ou de redondance quant aux futures inventions. L'information qui aurait normalement du être gardée secrète est ainsi partagée au sein de cette structure, ce qui permet d'éviter la duplication inefficace d'efforts. C'est notamment le cas des pools visant au développement d'activités de Recherche et Développement, qui prévoient l'échange de licences entre les parties. Dans sa décision United Processors GmbH50 par exemple, la Commission Européenne a estimé que la mise en commun de droits de propriété intellectuelle était nécessaire pour que les parties puissent tirer profit de leurs efforts de recherche réciproquement. Cependant, la facilitation dans l'échange d'informations peut également se révéler néfaste du point de vue du droit de la concurrence, dans la mesure où il peut en résulter des comportements anticoncurrentiels d'ententes tacites.

49 S. C. Carlson, « Patent Pools and the Antitrust Dilemma », loc. cit., p. 396-397.

50 Commission Européenne, 23 déc. 1975, United Processors GmbH , JOCE 26 févirer 1976, n°L-51, p.7.

25

1. Le risque de la mise en place de cartels

L'agrégation de plusieurs acteurs d'un même domaine au sein de patent pools peut faciliter les comportements anticoncurrentiels : « Antitrust sensitivities are invariably heightened when companies in the same or related lines of business combine their assets, jointly set fees of any sort, or even talk directly with one another. Because such coordination may involve the elimination of competition, we have a complex interaction between private and public interests »51

La création d'un patent pool peut en effet servir à déguiser des accords de collusion tacite concernant des partages de marché ou la fixation de prix entre les détenteurs de brevets, fournissant ainsi une base légale pour la formation de cartels. Un pool devient un cartel notamment lorsqu'il inclut des brevets substituables au lieu de brevets complémentaires, car il élimine ainsi de fait la concurrence qui aurait émergé entre des entreprises concurrentes. Par ailleurs, le fait d'inclure des brevets invalides, expirés ou non-essentiels augmente aussi le risque que le pool agisse comme un cartel et élimine la concurrence entre des technologies substituables.

Lorsque la formation du pool est employée dans l'objectif de déguiser une entente, les titulaires de tels brevets peuvent ainsi utiliser le mécanisme pour réaliser une répartition géographique des marchés - par l'insertion de restrictions territoriales dans les licences échangées - ou une entente sur les prix des produits incorporant l'invention en aval. Le risque d'effets anticoncurrentiels de l'accord est bien entendu d'autant plus élevé que la position des parties sur le marché est forte.

2. Les effets anticoncurrentiels associés à la constitution d'un cartel par le pool

La constitution de cartels implique trois principaux effets anticoncurrentiels52. Premièrement, la mise en place de pools peut créer des barrières à l'entrée du marché, soit parce que l'entité refuse l'octroi de licences à un concurrent potentiel, soit parce qu'elle offre des licences à des prix excessifs ou selon des modalités déraisonnables. Il est d'ailleurs à noter qu'il est souvent plus facile de négocier avec des entreprises qui offrent des licences individuellement qu'avec celles impliquées dans un pool et liées par un accord qui les empêche de proposer des licences en dehors du groupement. Deuxièmement, les pools peuvent éliminer la concurrence entre les détenteurs de brevets concurrents. Les membres du regroupement peuvent ainsi agréger leurs droits de propriété intellectuelle sous le prétexte de réduire les coûts de transaction, mais dans le but dissimulé de

51 C. Shapiro, « Navigating the Patent Thicket: Cross Licenses, Patent Pools, and Standard setting », loc.cit., p. 126-127.

52 M. M. Fellig, « Patent Pools and Competition Law: An Examination of the Enforcement Strategies of Competition Authorities », op. cit., p. 35.

26

rassembler des concurrents horizontaux dans le cadre d'une entente. Le pool qui contrôle la gestion des licences et des montants de redevance peut ainsi fixer le prix au niveau du profit maximal, ce qui est clairement un moyen anticoncurrentiel de maintenir un pouvoir de marché. C'est ce type de comportements qui a été sanctionné par la Federal Trade Commission américaine concernant le patent pool Pillar Point Partners, pool qui agrégeait les brevets relatifs aux techniques de chirurgie de laser optique de deux entreprises. Enfin, la constitution du pool peut engendrer une augmentation des prix des produits intégrant la technologie brevetée, les preneurs de licences répercutant un coût potentiellement plus important en amont.

Ainsi les effets générés par l'utilisation du patent pool comme cadre d'une entente peuvent se révéler très néfastes pour les preneurs de licences et pour les utilisateurs finals. Dans ce contexte, et quelque soit le degré de collusion entre les membres du pool, la problématique de la fixation des redevances exigées des preneurs de licences et celle de leur répartition peut soulever des problèmes en termes de droit de la concurrence.

B) La problématique de la fixation des redevances et de leur répartition

Les patent pools peuvent apparaître comme un mécanisme efficace dans la fixation de prix de brevets dont la valeur est incertaine. Les droits de propriété intellectuelle sont par nature difficiles à évaluer, et ce d'autant plus lorsqu'il existe une grande asymétrie d'information entre les parties. L'agrégation des brevets dans le pool peut alors s'avérer bénéfique, dans la mesure où elle permet la fixation d'un prix commun pour l'ensemble, et fournit une formule de répartition des redevances. Néanmoins, la fixation du montant des redevances peut poser un premier problème en termes de droit de la concurrence, dans la mesure où le pool peut être tenté de profiter de son pouvoir de marché potentiel ; la clé de répartition des revenus perçus peut présenter un autre problème, car une division mal adaptée des sommes perçues peut conduire à une dissolution du pool et donc à la disparition de ses effets proconcurrentiels.

1. La fixation contrôlée du prix de redevance

En ce qui concerne le prix, au-delà de la réduction des coûts de transaction, un des principaux avantages associés à la formation d'un pool est l'éviction du phénomène dit de « double

27

marginalisation »53. Ce terme fait à l'origine référence à la perte de profit engendrée par la multiplication de marges de monopoles dans les chaines de production verticales. Dans le cadre de la concession de licences sur des technologies couvertes par de multiples brevets complémentaires, il signifie que le total des redevances exigées par chaque détenteur de brevets serait trop élevé comparé à l'optimum économique, et limiterait donc la diffusion de la technologie. Dans le même temps, les détenteurs de brevets perçoivent des revenus plus faibles que ceux qui auraient pu être générés s'ils avaient décidé de coordonner leurs politiques de licences. La mise en place effective d'un pool a pour effet d'éliminer le risque de double marginalisation, qui correspond donc au phénomène d'empilement des redevances. La théorie économique tend en effet à montrer que, dans le cas où les titulaires de brevets sont monopolistes, le prix de la licence globale du pool sera inférieur à la somme des prix demandés individuellement pour chaque licence. « L'unicité du monopole permet d'éviter le problème des marges multiples qui se pose en présence d'une chaine de monopoles »54.

Cette assertion n'est avérée que dans le cas où les brevets contenus dans le pool sont essentiels et complémentaires. Si l'accord vise à réunir des technologies substituables, la concurrence s'en trouve réduite et le montant des redevances exigé par le pool risque d'augmenter. Il s'agit alors d'un accord de fixation des prix entre concurrents, qui constitue une violation de l'article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne. Par ailleurs, si le regroupement inclut des brevets complémentaires mais non essentiels, c'est-à-dire lorsque certaines technologies incorporées dans le pool ne sont pas nécessaires pour produire un ou plusieurs produits auxquels l'accord s'applique, il risque également d'être incompatible avec les mêmes dispositions du Traité, car les preneurs de licences seront contraints de payer des redevances pour des technologies dont ils n'ont pas besoin. Dans ce cas, la Commission prend en compte quatre critères pour l'appréciation du pool55 : les potentielles raisons pro-concurrentielles à l'inclusion de technologies dans l'accord ; la possibilité pour les donneurs d'octroyer des licences indépendantes ; l'offre d'ensembles séparés correspondant à des applications différentes, « à la carte » ; le risque d'exclusion du marché de technologies appartenant à un tiers. On rappellera d'ailleurs que la possibilité offerte aux membres du pool de concéder des licences de manière indépendante n'est pas dommageable pour le pool si et

53 Commission Européenne, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004, §214 : « Les regroupements de technologies peuvent également être favorables à la concurrence, notamment en réduisant les coûts des opérations et en limitant les redevances cumulatives afin d'éviter une double marginalisation. »

54 C. Maréchal, Concurrence et Propriété Intellectuelle, op. cit., p.124.

55 Commission Européenne, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004, §222.

28

seulement si les brevets sont complémentaires, et si le regroupement vise à réduire le prix de la technologie pour les utilisateurs.

Les Lignes Directrices européennes prévoient qu'en matière de redevances exigées par le pool, la négociation, la fixation du montant et la détermination de la part de chacune des technologies dans les redevances totales est libre56. Elles précisent même qu' « il s'agit d'une caractéristique propre à ce type de normes ou d'accords, qui ne peut être considérée en soi comme constituant une restriction de la concurrence et peut dans certaines conditions donner de meilleurs résultats. ». En revanche, il est indispensable de prendre en compte la potentielle position dominante des technologies sur le marché, situation dans laquelle le pool doit offrir des conditions équitables et non discriminatoires, ainsi que des licences non-exclusives57, et ce dans le souci de garantir un accord ouvert qui ne verrouille pas le marché en aval.

En outre, il y a des justifications à ce que les redevances fixées par le pool soient élevées. Le niveau des redevances peut notamment réduire l'incitation des membres à quitter le pool, ou à ne pas le rejoindre en premier lieu. Ainsi, le montant élevé des redevances exigées peut être bénéfique pour le consommateur, dans la mesure où l'alternative consisterait en une fragmentation des droits de propriété intellectuelle, situation dans laquelle les brevetés offriraient des licences indépendamment à un niveau encore plus élevé. Comme le souligne J. Richard Gilbert, « Higher royalties for patent pool portfolio licenses do not necessarily mean higher prices for consumers. Indeed, consumers would be worse off if pools are compelled to charge low royalties. »58 Mais il précise aussi que les autorités de la concurrence ne peuvent adopter une position permissive en ce qui concerne le niveau des redevances que dans le cas où les pools concernés ne contribuent pas à éliminer la concurrence entre des technologies alternatives.

Il convient également de ne pas oublier que l'une des sanctions possibles pour le pool qui place des barrières à l'entrée d'un marché est la licence obligatoire, qui remplace le droit du détenteur de brevet d'octroyer ou de refuser l'accès à ses droits de propriété intellectuelle selon des modalités

56 Commission Européenne, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004, §225 : « Les entreprises qui concluent un accord de regroupement de technologies compatible avec l'article 81 et toute norme industrielle dont il est à la base sont normalement libres de négocier et de fixer les redevances pour les technologies concernées, ainsi que la part de chacune de ces technologies dans les redevances totales, soit avant soit après la fixation de la norme. »

57 Ibid., §226 : « Lorsque les technologies regroupées détiennent une position dominante sur le marché, les redevances et les autres éléments de l'accord devront être équitables et non discriminatoires; quant aux licences, elles devront être non exclusives. »

58 R. J. Gilbert, « Ties that Bind : Policies to Promote (Good) Patent Pools », loc.cit., p. 28.

29

négociées par un simple droit à demander une compensation financière pour cet accès. Les licences obligatoires sont une solution radicale pour mettre fin aux buissons de brevets, et peuvent en ce sens contribuer à promouvoir la concurrence et favoriser l'innovation. Ainsi, la fixation de redevances excessives peut conduire les membres d'un pool à une situation où ils ne maîtrisent plus le montant de ces redevances. Par ailleurs, il convient de souligner qu'il est très difficile pour le régulateur de fixer un montant de redevances approprié pour à la fois promouvoir l'utilisation de la technologie et inciter à l'innovation dans le domaine. Les membres d'un pool peuvent s'en trouver d'autant plus défavorisés. En aval, les licences obligatoires ne sont pas nécessairement bénéfiques non plus pour le consommateur, car le preneur de licence peut décider d'augmenter sa marge de bénéfice. Néanmoins, la menace des licences obligatoires peut être utilisée efficacement pour mettre fin à des blocages et forcer les entreprises à former un pool efficient. Le gouvernement américain s'en est par exemple servi pour inciter certains détenteurs de brevets du secteur de l'industrie aéronautique à mettre en place un patent pool en 1917 (le Manufacturers Aircraft Association patent pool).

Les organismes de normalisation conditionnent par ailleurs souvent la certification d'un standard à l'exigence pour les entreprises d'offrir des licences à des conditions « raisonnables et non discriminatoires ». Ce sont les « RAND terms » (Reasonable And Non-Discriminatory), mécanisme dont les autorités de la concurrence peuvent user également. Dans ce cas, les détenteurs de brevets conservent leur droit de refuser des licences sur leur technologie. A la suite d'une enquête pour « abus de position dominante et pratiques commerciales restrictives » déposée en 2003 par la FIPCOM (Federation of Interested Parties in Fair Competition), la Commission Européenne a par exemple exigé plusieurs modifications du programme d'octroi de licences groupées offertes par Philips (brevets relatifs aux CD enregistrables), afin qu'elles « soient accordées à des conditions loyales et non discriminatoires »59. Philips a du notamment publier sur son site internet les résumés de rapports d'experts indépendants concernant les brevets essentiels à la technologie, mais également baisser le montant des redevances de 4,5 US cents à 2,5 US cents par disque. La Commission a par ailleurs précisé son « intention de continuer à surveiller étroitement les regroupements de technologies nouveaux ou existants, en particulier ceux qui instaurent ou soutiennent une norme industrielle en fait ou en droit, afin de garantir qu'ils soient conformes aux règles communautaires de la concurrence »60. De même, dans l'affaire Rambus61, la Commission

59 Communiqué de presse de la Commission Européenne IP/06/139 en date du 9 février 2006.

60 Ibid.

61 Décision de la Commission du 9 décembre 2009 relative à une procédure d'application de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article 54 de l'accord EEE (Affaire COMP/38.636 -- RAMBUS) [notifiée sous le numéro C(2009) 7610]

30

avait estimé que le mis en cause imposait des redevances excessives pour l'utilisation de brevets portant sur des puces DRAM, et avait rendu juridiquement contraignants les engagements offerts par la société - visant notamment à plafonner le montant des redevances.

2. L'importance des règles de répartition des revenus

Selon J. Richard Gilbert, lorsque les brevetés concèdent des licences de manière indépendante, le montant des redevances perçues dépend de leurs objectifs, de leur faculté de négociation, de la qualité de leurs brevets, des coûts d'opportunité qu'ils peuvent avoir à ne pas octroyer de licences et des méthodes appliquées par les tribunaux pour calculer les dommages-intérêts reversés en cas de contrefaçon62. Mais ces critères ne sont pas nécessairement ceux qui régissent la perception et l'allocation des revenus dans un pool. Comme il a été mentionné, les modalités de licences et de répartition des revenus dans les différents regroupements de brevets varient considérablement, et sont de nature à influer sur le comportement des acteurs, et donc sur l'état de la concurrence sur le marché. Certains pools peuvent même avoir intérêt à ne pas exiger de paiement de redevances contre la licence de leur portefeuille, et ce afin de promouvoir l'adoption des nouvelles technologies couvertes par leurs brevets. C'est le cas par exemple du Bluetooth Special Interest Group qui offre à ses membres des licences non-exclusives, perpétuelles et gratuites pour l'ensemble des brevets qu'il gère.

En ce qui concerne la répartition des redevances perçues par le pool, les différents membres peuvent avoir des intérêts différents, et c'est d'ailleurs une des principales raisons de l'échec de la création de pools. La première distinction à opérer parmi les adhérents permet de créer deux groupes : les brevetés qui fabriquent ou vendent des produits qui intègrent les technologies du pool, et ceux qui ne sont pas présents sur ce marché aval (les universités ou les chercheurs notamment). Il est évident que les brevetés verticalement intégrés souhaitent avant tout une adoption rapide de la technologie, afin d'entrer rapidement et efficacement sur le marché, en l'échange de redevances faibles, voire nulles. Les entreprises fondatrices des pools MPEG, DVD ou 3G sont pour la plupart des entreprises verticalement intégrées qui détiennent des droits de propriété intellectuelle et utilisent les technologies brevetées. Les acteurs qui n'ont pas d'intérêt dans le marché aval souhaitent en revanche bénéficier des redevances les plus élevées possibles, et peuvent même être découragés à l'entrée dans un pool dont les revenus sont trop faibles, ou qui a par exemple introduit

62 R. J. Gilbert, « Ties that Bind : Policies to Promote (Good) Patent Pools », loc. cit., p. 19.

31

un plafonnement des redevances -la concession indépendante de licences leur sera alors bien plus profitable. L'intégration au sein d'un pool peut ainsi ne pas correspondre au modèle économique de fonctionnement d'une entreprise, si elle est par exemple engagée dans la Recherche et Développement et compte sur les revenus de ses licences pour perdurer : « An R&D-only firm always has the incentive to deviate from a patent pool »63.

En pratique, les patent pools allouent généralement les redevances proportionnellement au nombre de brevets détenus par chaque membre, car cette formule a l'avantage de la simplicité. Elle est notamment utilisée par les pools MPEG et 3G. L'accord concernant la technologie MPEG-2 est caractéristique d'une telle répartition : les revenus engendrés par les redevances sont divisés selon la formule (P/N.M), où P est le nombre de brevets du pool que la partie détient dans un pays donné, N le nombre total de brevets essentiels appartenant au pool dans ce pays, et M le montant des redevances perçues dans le pays dans le cadre du regroupement (chaque pays étant ainsi traité séparément)64. Une telle distribution des revenus est cependant difficile à accepter pour les membres qui détiennent des brevets peu nombreux mais dont la valeur est importante. D'autres pools adoptent donc des règles plus complexes qui permettent de partager les revenus en fonction de la valeur des brevets apportés au regroupement, selon certains indicateurs. Dans le pool DVD-1 par exemple, les règles de répartition sont fonction de l'âge des brevets, de la quantité de contrefacteurs potentiels, et de leur degré d'essentialité vis-à-vis du standard. L'un des inconvénients associés à de telles pratiques, mis à part la complexité des règles de calcul, est qu'elles impliquent nécessairement l'intervention d'auditeurs indépendants - annuellement dans le cas du pool DVD-1 - afin de s'assurer que les membres du pool reçoivent bien les sommes convenues.

Comme le soulignent Layne-Farrar et Lerner, l'influence exercée par les règles de partage de redevances dans la décision de rejoindre un pool est difficile à évaluer empiriquement, dans la mesure où les entreprises font leur choix en même temps que sont décidées ces clés de répartition : en d'autres termes, « sharing is an endogenous decision »65. D'autres règles mises en place par le pool peuvent aussi avoir un impact sur les agissements des acteurs d'un marché, et ainsi influer sur la concurrence. C'est le cas notamment des dispositions concernant les licences octroyées aux tiers.

63 R. Aoki et S. Nagaoka, « The Consortium Standard and Patent Pools », The Economic Review, Institute of Economic Research, Hitotsubashi University, vol. 5 n°4, oct. 2004, p. 355.

64 A. Layne-Farrar, J. Lerner, «To Join or not to Join: Examining Patent Pool Participation and Rent Sharing Rule » loc. cit., p. 11.

65 Ibid., p. 16.

32

II/ Les restrictions potentielles imposées aux tiers

Les accords conclus entres les membres du pool peuvent avoir des répercussions plus ou moins néfastes sur le marché aval. En effet, les conditions imposées par les contrats de licences peuvent aboutir à exclure certains acteurs du marché et à réduire la concurrence. «The more powerful and organized the pool, the easier it is for it to impose terms and conditions that increase prices or otherwise discourage competitionÓ66. A noter d'ailleurs que les patent pools offrent généralement peu de marge de manoeuvre et de flexibilité quant à l'adaptation des modalités des contrats de licences : il s'agit souvent de contrats types que les preneurs de licences ne sont pas habilités à modifier. C'est pourquoi les potentiels effets anticoncurrentiels des clauses contenues dans ces contrats peuvent se révéler d'autant plus préoccupants en termes de respect du droit de la concurrence et de portée de leur impact. D'une part, ces clauses peuvent conduire à restreindre l'accès au marché de la technologie (A), d'autre part elles peuvent maintenir les tiers captifs sur le marché de l'innovation (B).

A) Les risques d'exclusion et les restrictions d'accès au marché

En termes de droit des ententes, la technique des pools de brevets peut entrainer des restrictions indirectes de l'accès des tiers au marché, de la même manière que des clauses de répartition de la clientèle, des discriminations et des restrictions de production peuvent induire de tels risques. De même, le droit des abus de position dominante peut déceler dans les règles de fonctionnement du pool une exploitation indue du monopole d'exploitation légal.

1. Le risque d'exclusion de l'accès à la technologie

Le risque d'exclusion induit par le fonctionnement d'un pool peut être de deux natures : il peut s'agir d'une part d'empêcher l'adhésion de certains tiers au pool, et d'autre part de refuser la concession de licences à certains tiers.

Le pool peut être soit ouvert, et tous les acteurs du marché peuvent alors le joindre, soit fermé, et l'adhésion d'un nouveau membre est susceptible de faire l'objet d'un véto par les autres parties. Il

66 D. S. Taylor, « The Sinking of the United States Electronics Industry Within Japanese Patent Pools », George Washington Journal of International Law and Economics n°26, 1992, p. 203.

33

semblerait que la plupart des patent pools se structurent autour d'une adhésion ouverte, et ce notamment pour ne pas éveiller la méfiance des autorités de concurrence. C'est le cas par exemple des pools constitués autour des technologies 3G et MPEG67. Alors que les Lignes directrices américaines prévoient que les pools ne doivent pas nécessairement être ouverts à toutes les entreprises pour être considérés comme proconcurrentiels, les Lignes directrices européennes montrent en revanche nettement moins d'indulgence à l'idée d'accepter des règles de formation fermées : « Lorsque la participation à un processus de création d'une norme et d'un regroupement est ouvert à toutes les parties intéressées, représentant des intérêts différents, les technologies qui seront incluses dans l'accord auront plus de chances d'être sélectionnées sur la base de considérations relatives au prix et à la qualité que si l'accord est conclu par un groupe limité de détenteurs de technologies »68.

Cependant, il convient de noter qu'un processus d'adhésion ouvert ne garantit pas nécessairement la production d'un bénéfice social supérieur à celui qui aurait été généré si le pool avait été fermé. Au-delà de cette assertion, certains auteurs affirment même qu'imposer des règles d'adhésion ouvertes aux patent pools peut être défavorable. De tels comportements pourraient en effet mener à la mise en place de pools instables, ou encourager des comportements de passagers clandestins. Par ailleurs, la complexification accrue de la relation entre les brevets serait une raison supplémentaire pour décourager les pools ouverts : en favorisant l'entrée libre de brevets supplémentaires dans le regroupement, on augmente nécessairement le risque d'y inclure des brevets non-essentiels, menaçant ainsi la mise en place d'une concurrence libre et non faussée.

En outre, les tiers peuvent également être exclus du fait que les licences offertes par le pool leur sont refusées. Si les licences sont refusées aux tiers, ou accordées selon des modalités discriminatoires ou inéquitables, le marché des produits incluant les technologies est fermé aux nouveaux entrants. L'exclusion peut également provenir de l'impossibilité d'obtenir des licences séparées de la part des membres du pool, ce qui peut décourager certains utilisateurs qui ne seraient

67 Concernant le pool MPEG, cf Department of Justice Ð Antitrust Division, Business Review Letter, Trustees of Columbia University, Fujitsu Limited, General Instrument Corp., Lucent Technologies Inc., Matsushita Electric Industrial Co., Ltd., Mitsubishi Electric Corp., Philips Electronics N.V., Scientific-Atlanta, Inc., and Sony Corp. (collectively the "Licensors"), Cable Television Laboratories, Inc. ("CableLabs"), MPEG LA, L.L.C. ("MPEG LA"), 26 juin 1997 : «The MPEG process of discussing proposed standards and methods of implementation has always been open to all interested parties as evidenced by the August 1991 MPEG meeting in California which included 160 delegates representing 89 entities from 16 countries. At various times, any interested parties were given the opportunity to prepare solutions and methods to meet the MPEG goals.»

68 Commission Européenne, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004, §231.

34

intéressés que par l'une des technologies du regroupement. Ce même mécanisme peut par ailleurs exclure d'autres titulaires de droit de propriété industrielle.

Par le passé, certains pools contenant des restrictions relatives à l'octroi de licences à des tiers ont fait l'objet d'une surveillance particulière de la part des autorités de la concurrence, car ce type de clauses est suspecté d'avoir des effets anticoncurrentiels. Les autorités ne se sont pas explicitement exprimées sur le sujet, mais il a pu être déduit de certaines décisions où les autorités américaines ont imposé des licences obligatoires qu'il était préférable pour les pools d'intégrer des obligations de proposer des licences à des tiers. Josh Lerner et Jean Tirole se demandent d'ailleurs dans quelle mesure ces clauses sont vraiment nécessaires ou si elles constituent simplement un moyen de rassurer les autorités.69

On constate en outre que la prescription de ces clauses est relativement contradictoire avec la règle générale qui veut qu'un détenteur de brevets soit habilité à offrir des licences à qui bon lui semble, ou même refuser d'octroyer la moindre licence. Certains universitaires déclarent d'ailleurs qu'il est parfaitement acceptable pour des concurrents ayant des brevets complémentaires de se refuser des licences mutuellement, et d'interdire aux acquéreurs de licences le droit de concéder des sous-licences : « Firms that have been active in developing a common technology should generally be permitted to share it with one another while denying it to others so long as the arrangement does not produce significant anticompetitive effects in a properly defined relevant market »70. D'ailleurs, limiter l'accès à un pool ne devrait pas sembler suspect dans la mesure où l'on considère que n'y sont inclus que des brevets essentiels.

On pourrait s'interroger sur l'applicabilité de la théorie des facilités essentielles à ce type de situations, qui impliquent le contrôle d'un groupe de brevets (la facilité essentielle) par une partie (le pool) qui peut en refuser la licence à d'autres. Rappelons que cette doctrine peut être mobilisée lorsqu'il existe « une infrastructure ou ressource essentielle, détenue par une entreprise ou un groupe d'entreprises en position dominante, qui est difficilement duplicable (à des coûts raisonnables) et est indispensable pour l'accès au marché. »71 Le détenteur d'une facilité essentielle peut ainsi être contraint de permettre l'accès à cette facilité dans des conditions raisonnables et non discriminatoires à des tiers, si cet accès permet de favoriser la concurrence. L'Autorité de la

69 J. Lerner et J. Tirole, « Efficient Patent Pools », loc.cit, p. 692.

70 P.E. Areeda, H . Hovenkamp et R. Blair, Antitrust Lax : An Analysis of Antitrust Principles and Their Application, 2e ed., vol. 12, New York, Aspen Law & Business, 2000, p.242.

71 T. Pénard, « Faut-il repenser la politique de la concurrence sur les marchés Internet ? », Revue Internationale de Droit Economique, Mars 2006, p. 11.

35

concurrence (anciennement Conseil de la concurrence) a d'ailleurs expressément reconnu que « des pools de brevets essentiels, regroupant la majorité des brevets existants sur le marché pour une technologie donnée, peuvent ainsi constituer une infrastructure essentielle, justifiant que les conditions d'accès des tiers utilisateurs soient non discriminatoires, équitables, ou raisonnables et orientés vers les coûts »72. Il est à noter cependant que les tribunaux sont de plus en plus réticents à appliquer ce genre de solutions. Par ailleurs, il s'agit d'être vigilant avec le recours à cette doctrine, qui peut contribuer à décourager les entreprises à s'impliquer dans la formation de patent pools si elles anticipent la possibilité de devoir concéder des licences obligatoires à des prix fixes.

En résumé, les conditions établies par le patent pool peuvent conduire à l'exclusion de certains tiers, que ce soit dans ses règles d'adhésion ou dans le refus de concéder des licences. Or on présume que plus le nombre d'acteurs ayant accès aux brevets essentiels est important, plus il y aura de concurrents dans le marché en aval. Cependant, il s'agit toujours de garder à l'esprit quelle aurait été la situation dans le cas où les détenteurs de brevets n'auraient pas combiné leurs brevets. Certains estiment ainsi que tout accord de coopération est préférable à une situation dans laquelle les acteurs n'ont pas agrégé leurs brevets afin de créer un produit final.

2. Les clauses d'exclusivité

Les Lignes directrices américaines distinguent deux types d'exclusivité, qui doivent être analysées avec prudence par les autorités de la concurrence : les licences exclusives (exclusive licenses) et les négociations exclusives (exclusive dealing). Dans le premier cas, si le détenteur de brevets décide de concéder des licences exclusives, il restreint son droit d'offrir des licences à d'autres acteurs, et éventuellement d'utiliser la technologie lui-même. Parmi les accords de licences exclusives qui soulèvent des problèmes en termes de concurrence, on trouve par exemple les contrats de licences croisées entre des parties qui détiennent collectivement un pouvoir de marché, ou les clauses de rétrocession (étudiées en B). Dans le second cas, si la licence interdit ou restreint la possibilité pour le preneur de licences de licencier, de vendre, ou d'utiliser des technologies concurrentes, il s'agit alors de négociation exclusive. De telles dispositions peuvent également se révéler anticoncurrentielles si où elles facilitent une fixation des prix commune ou limitent l'entrée du marché aux concurrents. Selon les Lignes directrices américaines, la probabilité que les négociations exclusives présentent des effets anticoncurrentiels est liée à plusieurs critères :

72 Etude thématique : « Les droits de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence », Rapport d'activité du Conseil de la Concurrence pour 2004, p. 111 et s.

36

l'accessibilité du marché, la durée de la disposition, et d'autres caractéristiques des marchés amont et aval telles que le degré de concentration ou l'élasticité de la demande au prix. En Europe, les autorités de la concurrence ont également tendance à prendre en compte ces mêmes types de critères.

Problématiques classiques en droit de la concurrence, les restrictions verticales imposées par le pool à ses licenciés doivent être analysées avec d'autant plus de méfiance par les autorités de la concurrence que l'entité détient un pouvoir de marché significatif. Il peut s'agir notamment de licences exclusives ou de restrictions quant au territoire ou au champ d'application des licences, dont il peut résulter des abus de positions dominantes. Mais les effets de telles dispositions doivent évidemment être analysés au cas par cas : si on peut a priori préjuger de la nature anticoncurrentielle de telles restrictions, elles peuvent aussi être bénéfiques, dans le sens où ces modalités de licences peuvent encourager l'ayant droits à rendre disponible sa technologie pour des usages ou des lieux qu'il ne souhaite pas se réserver pour lui-même. Le Department of Justice et la Federal Trade Commission l'ont d'ailleurs relevé dans leurs Lignes directrices : « Field-of-use, territorial, and other limitations on intellectual property licenses may serve procompetitive ends by allowing the licensor to exploit its property as efficiently and effectively as possible »73.

De la même façon, le caractère pro ou anticoncurrentiel des obligations imposées aux preneurs de licences sur les perfectionnements relatifs à la technologie prête à discussion.

B) Les dispositions controversées sur les perfectionnements

Les membres du pool peuvent vouloir maîtriser l'innovation créée sur les technologies dont ils permettent l'utilisation. A cette fin, ils incluent dans leurs accords des clauses de rétrocession, dont les enjeux en termes de droit de la concurrence sont controversés.

1. La défiance pour les clauses de rétrocession

Une clause de rétrocession, ou « grantback clause », est une clause par laquelle un cessionnaire s'engage à accorder au concédant soit la propriété soit une licence des brevets sur les perfectionnements relatifs à l'objet de la licence initiale. De telles clauses sont couramment insérées

73 Department of Justice and Federal Trade Commission, Antitrust Guidelines for the Licensing of Intellectual Property, April 1995

37

dans le domaine des regroupements de technologie, pour prévoir le partage automatique des innovations à venir, soit entre les membres, soit avec les tiers preneurs de licences. Elles visent notamment à éviter le phénomène de patent holdup, évoqué plus haut : une amélioration de la technologie pourrait être développée par l'un des membres du pool, ou l'un de ses licenciés, et proposée en licence à l'extérieur du regroupement à un niveau de redevances élevé.

De prime abord, il semblerait que ce type de clauses se présente comme un obstacle à la concurrence, et soit illégal. Par ailleurs, elles peuvent également être un frein à l'innovation, en décourageant les parties à l'accord de compléter l'éventail de brevets essentiels. Ces clauses de rétrocession, en particulier celles qui privent le cédant du droit d'utiliser la technologie améliorée, peuvent fortement décourager les parties concernées à s'engager dans des investissements coûteux en Recherche et Développement. La plupart des acteurs serait incitée à adopter une attitude de passager clandestin, et profiter des innovations apportées par les autres. Les Lignes directrices américaines l'exposent d'ailleurs clairement : « A pooling arrangement that requires members to grant licenses to each other for current and future technology at minimal cost may reduce the incentives of its members to engage in research and development because members of the pool have to share their successful research and development and each of the members can free ride on the accomplishments of other pool members. »74

2. Une appréciation plus nuancée

Mais il s'agit aussi de considérer les potentiels effets proconcurrentiels de tels accords, surtout lorsqu'ils sont non exclusifs. Ces dispositions visent en effet notamment à éviter le phénomène des brevets dits « sous-marins », qui apparaît lorsqu'une entité qui exploite un produit ou un procédé découvre qu'elle contrefait un brevet dont la demande n'a pas encore été publiée. Les clauses de rétrocession peuvent également encourager les détenteurs de brevets à concéder des licences en premier lieu, afin de pouvoir par la suite bénéficier des perfectionnements apportés par les acquéreurs de licences. Ainsi, elles permettent aux deux parties à l'accord de partager les risques et les bénéfices associés à l'innovation, voire à exploiter des économies d'échelle engendrées par la mise en commun des recherches et des capacités complémentaires des parties. C'est ce que souligne la Commission Européenne dans ses Lignes directrices : « Il est légitime pour les parties de s'assurer que l'exploitation des technologies regroupées ne puisse être entravée par des preneurs

74 U.S. Department of Justice and Federal Trade Commission, Antitrust Guidelines for the Licensing of Intellectual Property, Washington, D.C., 1995, p. 28.

38

qui détiennent ou s'apprêtent à obtenir des brevets essentiels. »75, de même que les autorités américaines : « Such arrangements provide a means for the licensee and the licensor to share risks and reward the licensor for making possible further innovation based on or informed by the licensed technology »76.

L'analyse des clauses de rétrocession des pools DVD et MPEG par le Department of Justice américain a conduit à conclure qu'elles étaient proconcurrentielles et qu'elles ne réduisaient pas l'incitation à innover77. En ce qui concerne le pool MPEG par exemple, les autorités américaines ont jugé que les clauses de rétrocession y sont limitées aux brevets essentiels et ne requièrent qu'une licence croisée non-exclusive établie selon des modalités raisonnables et non disciminatoires.

Cependant, au-delà de ces critères, il convient de souligner que l'appréciation des clauses de rétrocession peut s'avérer différente lorsque les technologies regroupées au sein du pool sont en position dominante sur un marché. Les Lignes directrices européennes opèrent d'ailleurs une distinction claire pour ce genre de situations. Dans ce cadre, et afin que l'accord limite le risque d'effets anticoncurrentiels, les obligations de rétrocession doivent être non exclusives et limitées aux améliorations indispensables ou importantes pour l'utilisation des technologies78. La validité et le bien-fondé des clauses de rétrocession dépendent donc du cas d'espèce, et requièrent de toute façon une analyse économique, car aucune réponse ou schéma préétabli ne peut être adopté.

Lerner et Tirole affirment par ailleurs que les pools constitués de brevets complémentaires sont plus enclins d'une part à permettre à leurs membres de concéder des licences séparément, et d'autre part à exiger des obligations de rétrocession. C'est pourquoi d'ailleurs, de même que pour les clauses permettant des licences indépendantes, la présence de clauses de rétrocession dans un pool peut se

75 Commission Européenne, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004, §228.

76 U.S. Department of Justice and Federal Trade Commission, Antitrust Guidelines for the Licensing of Intellectual Property, Washington, D.C., 1995, p. 27.

77 Department of Justice Ð Antitrust Division, Business Review Letter, Trustees of Columbia University, Fujitsu Limited, General Instrument Corp., Lucent Technologies Inc., Matsushita Electric Industrial Co., Ltd., Mitsubishi Electric Corp., Philips Electronics N.V., Scientific-Atlanta, Inc., and Sony Corp. (collectively the "Licensors"), Cable Television Laboratories, Inc. ("CableLabs"), MPEG LA, L.L.C. ("MPEG LA"), 26 juin 1997 : « Nor does the Portfolio license's grantback clause appear anticompetitive. Its scope, like that of the license itself, is limited to Essential Patents. It does not extend to mere implementations of the standard or even to improvements on the essential patents. n45 Rather, the grantback simply obliges licensees that control an Essential Patent to make it available to all, on a nonexclusive basis, at a fair and reasonable royalty, just like the Portfolio patents. »

78 Commission Européenne, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004, §228 : « Les obligations de rétrocession devront être non exclusives et limitées aux développements indispensables ou importants pour l'utilisation des technologies regroupées. »

39

révéler être un indicateur utile pour les autorités de la concurrence pour contourner l'analyse de la complémentarité des brevets. Le pool de brevets complémentaires ne prend en effet aucun risque à permettre des licences indépendantes, car ces dernières ne créent pas de concurrence nouvelle pour son offre : les preneurs de licences devront de toute façon acquérir l'ensemble des brevets contenus dans le pool pour pouvoir utiliser la technologie. De même, un tel pool sera très favorable à l'application d'obligations de rétrocession -au risque avéré de voir l'incitation de ses membres à innover diminuer- , car il est davantage concerné par le problème du holdup qu'un pool contenant des substituts : en l'absence de clause de rétrocession, le détenteur du brevet bloquant peut en effet appliquer des prix de monopole et recréer le problème de marges multiples. Les clauses de rétrocession sont donc d'autant plus importantes pour les pools constitués de brevets complémentaires, mais également pour ceux où le degré d'essentialité des brevets est difficile à discerner.

CONCLUSION

Si les patent pools sont aujourd'hui analysés avec davantage de clémence que par le passé, leur succès actuel, notamment dans le domaine des nouvelles technologies, continue de soulever des préoccupations en termes de droit de la concurrence, que les autorités doivent appréhender de façon pragmatique. Les patent pools modernes sont structurellement complexes, et présentent des relations disparates entre les différents détenteurs de brevets, mais également entre les membres du pool et les cessionnaires de licences. Ils offrent un certain nombre de caractéristiques proconcurrentielles et anticoncurrentielles, la difficulté étant qu'une même situation de fait peut être perçue sous différents angles. Par ailleurs, la complexité est renforcée par l'incertitude latente qui entoure toute nouvelle technologie, et son impact sur les marchés dynamiques.

En réponse à l'évolution de ces patent pools, le droit de la concurrence s'est adapté, et les autorités de concurrence tentent de discerner les conséquences pro et anticoncurrentielles de telles organisations grâce à de nouveaux outils. Dans cette optique, les règles européennes semblent être plus explicites que les Lignes directrices américaines. Si les Administrations des deux pays s'accordent à préférer les pools contenant des brevets complémentaires et essentiels et ceux qui permettent à leurs membres d'offrir des licences de manière indépendante, la Commission Européenne insiste également sur d'autres critères concrets, qui sont autant de garanties pour éviter les effets anticoncurrentiels induits par la constitution d'un pool : l'intervention d'un expert indépendant, l'existence d'un mécanisme de règlements des différends, l'application de modalités raisonnables et non-discriminatoires pour les licences proposées aux tiers, la limitation des clauses de rétrocession aux brevets essentiels, et la mise à disposition de différents portefeuilles de brevets au sein du pool, afin que les utilisateurs ne soient pas contraints d'acheter des licences inutiles.

Au vu de l'expérience des autorités, ces critères semblent s'avérer pertinents, mais une analyse plus minutieuse est néanmoins souvent requise. Appliquer le droit de la concurrence dans le domaine implique la recherche délicate d'un équilibre. C'est pourquoi les autorités américaines s'attachent à utiliser systématiquement la « rule of reason », qui consiste à examiner dans quelle mesure la restriction est susceptible d'avoir des effets anticoncurrentiels, et, le cas échéant, si la restriction est raisonnablement nécessaire pour atteindre les bénéfices proconcurrentiels qui compensent les effets néfastes à la libre concurrence. « Competition and patent Policy are bound together by the

41

economics of innovation and an intricate web of legal rules that seek to balance the scope and effect of each policy »79.

Malgré la recherche de subtilité et de pragmatisme dans leur approche, il est parfois reproché aux autorités de la concurrence et aux tribunaux de se montrer trop intransigeants pour empêcher les abus de pools dans l'exploitation de leurs droits, alors qu'une telle rigueur peut se révéler contreproductive dans le cas de regroupements de brevets complémentaires. Certains auteurs, comme Shapiro, considèrent même qu'à partir du moment où le pool regroupe des brevets bloquants, n'importe quel accord est préférable à une situation où l'invention ne peut être commercialisée. La mise en place du pool serait ainsi plus profitable au consommateur final que les résultats d'un échec de négociation.

D'autres auteurs, comme J. Richard Gilbert, considèrent que pour promouvoir la création de patent pools stables et bénéfiques, les autorités de la concurrence devraient se montrer plus permissives avec les regroupements dont la formation et les finalités ne présentent pas a priori d'aspects anticoncurrentiels. En ce sens, il estime que le niveau des redevances ou les dispositions contenues dans les licences octroyées par les pools devraient répondre à des principes plus flexibles, et que les règles de gouvernance de telles entités devraient être contrôlées avec moins de rigueur. En résumé, la gestion du pool pourrait être laissée davantage à la discrétion des membres du pool. « Antitrust authorities and the courts should encourage policies that promote the formation and durability of beneficial pools that combine complementary patents, just as they are concerned about limiting abuses by pools that are potentially anticompetitive because they combine patents that are substitutes for each other »80.

D'autres auteurs poussent encore plus loin la réflexion, en recommandant la mise en place de règles d'exonération, des « safe harbors » qui permettraient aux pools qui présentent certaines garanties d'échapper à l'examen des autorités de la concurrence. Lerner et Tirole proposent notamment que les pools qui, d'une part n'ont pas de finalités accessoires (collusion traditionnelle ou partage de marché), et d'autre part permettent à leurs membres d'offrir des licences indépendantes, soient autorisés sans autre examen complémentaire. Selon eux, une telle politique encouragerait le développement des pools présentant un bénéfice social en même temps qu'elle réduirait

79 Federal Trade Commission, « To Promote Innovation: The Proper Balance of Competition and Patent Law and Policy », Rapport de la Federal Trade Commission, oct. 2003.

80 R. J. Gilbert, « Ties that Bind: Policies to Promote (Good) Patent Pools », loc.cit., p. 44.

42

l'incertitude juridique latente qui entoure l'analyse concurrentielle des pools, qu'ils jugent nécessairement subjective -notamment à cause de l'instabilité de la théorie de l'essentialité81.

Face à l'explosion des nouvelles technologies et à l'émergence d'une concurrence plus intensive, le droit des pratiques anticoncurrentielles s'attache donc à chercher des réponses adaptées pour encadrer les nouvelles formes prises par la propriété intellectuelle. Dans ce contexte, il se confronte nécessairement d'une part aux carences d'un cadre juridique en construction, et d'autre part aux tentatives d'instrumentalisation d'acteurs économiques qui souhaitent tirer le meilleur parti du monopole qui leur est octroyé. La problématique soulevée par la confrontation des patent pools au droit de la concurrence met ainsi en évidence une question plus classique, qui est celle de du subtil équilibre à trouver entre une surprotection des détenteurs de droits de propriété intellectuelle et l'érosion de l'exclusivité inhérente à ces droits.

81 J. Lerner et J. Tirole, « Public Policy Toward Patent Pools », Innovation Policy and the Economy, n°8, 2007, p. 177.

43

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

Ouvrages et Mémoire

ANDERMAN (S.), The interface between Intellectual Property Rights and Competition Policy, Cambridge University Press, 2007, p. 1 -35 et p. 466 -505.

ANDERMAN (S.) et SCHMIDT (H.), EU Competition Law and Intellectual Property Rights, The Regulation of Innovation, Oxford University Press, 2e éd., 2011, p.3-17, p127-142, p.291-307.

FELLIG (M. M.), « Patent Pools and Competition Law : An Examination of the Enforcement Strategies of Competition Authorities », Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures, Université de Montréal, août 2007.

LE BAS (C.), Economie et Management du brevet, Economica, Paris, 2007, p. 1-3 et p. 79-93.

MARECHAL (C.), Concurrence et Propriété Intellectuelle, LITEC, Paris, 2009, p.1-17 et p.126141.

Articles

COLANGELO (G.), « Avoiding the Tragedy of the Anticommons : Collective Rights Organizations, Patent Pools and the Role of Antitrust », LE Lab Working Paper n° IP-01-2004, p.184.

GALLINI (N. T.), « The Economics of Patents : Lessons from Recent U.S. Patent Reform », Journal of Economic Perspectives vol. 16 n°2, 2002, p. 131-154.

GILBERT (R. J.), « Antitrust for Patent Pools: A Century of Policy Evolution », Stanford Technology Law Review, Avril 2004.

GILBERT (R. J.), « Ties that Bind : Policies to Promote (Good) Patent Pools », Competition Policy Center, Institute of Business and Economic Research, UC Berkeley, 2009.

LAMPE (R.) et MOSER (P.), « Do Patent Pools Encourage Innovation? Evidence from the 19th-Century Sewing Machine Industry », NBER Working Paper n°15061, Juin 2010.

44

LAYNE-FARRAR (A.), LERNER (J.), «To Join or not to Join: Examining Patent Pool Participation and Rent Sharing Rule », International Journal of Industrial Organization, mars 2011, p. 294-303.

LERNER (J.) et TIROLE (J.), «Efficient Patent Pools », American Economic Review vol. 94 n°3, 2004, p. 691-711.

LERNER (J.) et TIROLE (J.), « Public Policy Toward Patent Pools », Innovation Policy and the Economy, n°8, 2007, p. 157-186.

LERNER (J.), STROJWAS (M.) et TIROLE (J.), « The Design of Patent Pools: The Determinants of Licensing Rules », Open Access publications from University of Toulouse 1 Capitole, 2007.

LEVEQUE (F.) et MENIERE (Y.), « Economics of patent pools », Microeconomix - Economic Focus, septembre 2007.

NEWERG (J. A.), « Antitrust, Patent Pools, and the Management of Uncertainty », Atlantic L. J., 2000.

SHAPIRO (C.), « Navigating the Patent Thicket : Cross Licences, Patent Pools, and Standard-Setting », in JAFFE (A.), LERNER (J.) et STERN (S.), Innovation Policy and the Economy, MIT Press, Cambridge, 2001, p. 119-150.

Rapport public

Etude thématique : « Les droits de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence », Rapport d'activité du Conseil de la Concurrence pour 2004, p. 111 et s.

Legislation

U.S. DEPARTMENT OF JUSTICE and FEDERAL TRADE COMMISSION, Antitrust Guidelines for the Licensing of Intellectual Property, Washington D.C., Avril 1995, disponible en ligne <http:jjwww.usdoj.gov/atr/public/guidelines/0558.pdf>.

45

COMMISSION EUROPEENNE, « Lignes directrices relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (2004/C 10 1/02) », Journal Officiel de l'Union Européenne, 27/04/2004.

46

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 6

Partie 1 : Les enjeux concurrentiels associés à la composition et aux finalités du pool 10

I/ Une défragmentation bénéfique des droits de propriété intellectuelle 10

A) Mettre fin à des situations de blocage et partager les risques 11

B) Réduire les coûts de transaction et favoriser la diffusion de l'innovation 14

II/ L'analyse nécessaire de la composition des pools 15

A) L'exigence de regroupement de brevets essentiels et complémentaires 16

B) L'intégration problématique de brevets invalides 19

Partie 2 : Les enjeux concurrentiels associés au fonctionnement et à la gouvernance du pool 23

I/ Les risques liés à l'agrégation d'acteurs d'un même secteur 23

A) La formation favorisée d'ententes tacites 24

B) La problématique de la fixation des redevances et de leur répartition 26

II/ Les restrictions potentielles imposées aux tiers 32

A) Les risques d'exclusion et les restrictions d'accès au marché 32

B) Les dispositions controversées sur les perfectionnements 36

CONCLUSION 40

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES 43

TABLE DES MATIERES 46






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein