4.4. Interprétation économique des
résultats
La spécificité des modèles à choix
binaires en occurrence le Probit, est que les coefficients ne sont pas
directement interprétables en termes de propensions marginales. C'est
ainsi qu'on s'intéresse seulement aux signes de ces coefficients. Un
signe positif (négatif respectivement) indique qu'une augmentation de la
variable explicative considérée augmente (baisse respectivement)
la chance de faire croître ou de stabiliser le troupeau.
Au début de notre analyse, nous avions huit (08)
variables explicatives dont nous voulions apprécier les effets
respectifs sur la probabilité pour un individu, de faire croître
ou de stabiliser
47
le bétail qui lui a été
transféré par un projet HIT. Cependant, au fur et à mesure
de l'analyse, cinq (05) variables se sont avérées non
pertinentes36 pour expliquer cette probabilité. Il s'agit
notamment de l'âge des bénéficiaires (AGE), de leur secteur
d'activités (SECT_ACT01), de l'âge des projets HIT (AGEPRO), du
type de ciblage utilisé par les projets HIT pour choisir les
bénéficiaires (CIBLSPE) et de la superficie des zones pastorales
fonctionnelles situées dans les régions des
bénéficiaires (SUPZP). Considérons ces cinq (05) variables
au cas par cas.
V' AGE : la non pertinence de cette variable pourrait
s'expliquer par le fait que dans le milieu social des zones d'enquête,
quel que soit l'âge des bénéficiaires, ceux-ci ont à
peu près les mêmes chances de faire croître ou de stabiliser
leur bétail. Une autre explication est que dans les méthodes de
ciblage des projets, l'âge n'est probablement pas suffisamment pris en
compte.
V' SECT_ACT01 : cette variable est non pertinente probablement
parce que dans le milieu socio-professionnel des zones d'enquête, le
secteur d'activités des bénéficiaires ne les formate pas
en termes de comportements avantageux ou contraignants en matière
d'élevage.
V' AGEPRO : ici, la non pertinence est probablement
liée au fait que dans le milieu institutionnel des zones
d'enquête, aussi bien les jeunes projets (22 ans d'existence) que les
vieux projets peuvent avoir les mêmes capacités en termes
d'interventions HIT.
V' CIBLSPE : cette variable est non pertinente
éventuellement parce que d'une part, la base de données
secondaires ne prend pas en compte certains éléments comme le
revenu des bénéficiaires. D'autre part il y aurait le fait que
sur les 11 projets HIT au Burkina Faso, les données utilisées
n'en concernent que cinq (05).
V' SUPZP37 : à ce niveau, la non pertinence
peut être expliquée par la non prise en compte de certaines
variables dans la base de données secondaires utilisée. En effet,
les données recueillies ne prennent pas en compte un indicateur qui
aurait pu davantage nous renseigner sur les superficies des zones de
pâturage directement utilisées par chacun des
bénéficiaires.
36 Lesdites variables avaient des coefficients non
significatifs au seuil de 10%.
37 Variable rendant compte du capital naturel des
zones d'enquête.
48
En définitive, lorsqu'un regroupement de certaines
variables explicatives non significatives en sous-groupes des
différentes formes de capitaux est réalisé, les constats
suivants sont faits :
y' le capital institutionnel tel que nous
l'avons décrit, n'est pas pertinent, puisque les deux
(02) variables (AGEPRO et CIBLSPE) y faisant allusion ne le
sont pas. Cela s'explique par le fait que la base de données
utilisée ne prenne pas en compte d'autres aspects comme la
présence d'appuis vétérinaires ou pas, l'organisation ou
pas de formations à l'intention des bénéficiaires, etc.
y' le capital naturel tel qu'il a
été décrit n'est pas déterminant, en ce sens que la
variable rattachée SUPZP n'est pas pertinente.
A la suite de notre raisonnement, il est ressorti que les
variables explicatives déterminantes sont le niveau d'éducation
des bénéficiaires (EDUC), l'ethnie des
bénéficiaires (ETHNIES) et le sexe des
bénéficiaires (SEXE). Les variables EDUC et ETHNIES ont des
influences positives, tandis que le coefficient de la variable SEXE est de
signe négatif.
En premier lieu, la significativité de la variable EDUC
signifie que plus un individu est éduqué, plus il a de chances de
faire croître ou de stabiliser le bétail reçu des projets
HIT. En effet, la réception du bétail par les ménages
pauvres et vulnérables crée au début un « stress
» de gestion. Dès lors, des questions « existentielles »
se posent : comment gérer ce bétail ? Comment le nourrir ? Qui va
s'en occuper dans le ménage ? C'est à ce niveau que les
disparités entre bénéficiaires liées notamment au
degré d'éducation vont apparaître. Les
bénéficiaires ayant un niveau d'éducation plus
élevé trouveront des réponses plus rapidement aux
questions sus citées, comparativement à ceux d'un niveau
d'éducation plus bas. Nos résultats sont corroborés par
les travaux d'AFIFI-AFFAT (1998) sur les conditions nécessaires à
la durabilité des modèles HIT du point de vue des
bénéficiaires et des projets. En effet, selon AFIFI-AFFAT (1998)
: « Il y a certaines raisons de croire qu'au moins dans leur
première année, les modèles HIT connaissent des faibles
taux de mise bas et de forts taux de mortalité des animaux. Cela
s'explique en majeure partie par l'inexpérience des participants en
matière de gestion animale [...] ». De plus, ce
résultat correspond à une réalité sur le plan plus
large de l'élevage au Burkina Faso. Une des conclusions de
l'étude38 faite par le Ministère des Ressources
Animales (MRA) et le Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD), est que l'instruction est un facteur de performance de
l'élevage.
38 Burkina Faso, MRA et PNUD, novembre 2011,
Contribution de l'élevage à l'économie et à la
lutte contre la pauvreté, les déterminants de son
développement, p. 53.
49
Ensuite, la significativité de la variable ETHNIES veut
dire que plus le lien entre un groupe ethnique et l'élevage est fort,
plus les bénéficiaires issus de cette ethnie ont de chance de
réaliser une croissance positive ou stable du troupeau reçu. En
effet, les groupes ethniques comme les peulhs ont une organisation
socio-politique gravitant autour de l'élevage ; ce qui leur
confère des avantages en matière de gestion du troupeau. FAYE
(2003) dressait une typologie de ce cycle de relations dans l'élevage
entre peulhs. C'est ainsi qu'il parlait de confiage, qui consiste pour un
éleveur à prêter une vache à un autre du même
groupe ethnique, le temps que celle-ci mette bas un nombre donné de fois
avant d'être rendue à son propriétaire originel. Cela
dénote donc de la grande solidarité qui prévaut au sein de
ces groupes ethniques. Ces résultats vont dans le même sens que
BAYER et KAPUNDA (2006) qui ont identifié le bon fonctionnement des
groupes d'éleveurs comme clé de succès des interventions
HIT dans le sud de la Tanzanie. Enfin, la significativité de la variable
SEXE exprime que lorsque le bénéficiaire est une femme, la
probabilité de réaliser une croissance positive ou stable du
bétail reçu diminue (coefficient négatif). Cela est
dû aux disparités existant entre hommes et femmes en termes
d'accès aux ressources, dans les pays en développement en
général et au Burkina Faso en particulier. Il y a
également cette situation selon laquelle les hommes s'arrogent le droit
de vendre le bétail reçu de la part des projets HIT par leurs
épouses. Pour étayer cet état de fait, OKALI (2011) montre
qu'en Tanzanie, les projets HIT qui ciblent uniquement les femmes se heurtent
au pseudo ordre social selon lequel la femme n'a pas droit aux ressources.
Cette situation engendre une perte considérable en termes de
pérennisation du système HIT, car les femmes sont soucieuses de
l'avenir du ménage et évitent les comportements à risques.
FISZBEIN et al. (2009)39 abondent dans le même sens en disant
que les femmes sont plus aptes que les hommes à utiliser les transferts
pour le bien-être de toute la famille.
D'une manière générale, nos
résultats montrent que d'une part, le capital institutionnel (ciblage
spécifique et âge des projets HIT) et le capital naturel
(superficie des zones pastorales fonctionnelles) ne sont pas
déterminants dans l'explication de la performance de la capitalisation
animale. D'autre part, le capital humain des bénéficiaires, en
l'occurrence le niveau d'éducation et le fait d'être une femme
détermine la probabilité de réussite de la capitalisation
animale ; respectivement positivement et négativement. Le capital social
(ethnie) détenu par les différentes communautés auxquelles
appartiennent les bénéficiaires des interventions HIT
détermine positivement la performance de la capitalisation animale.
39 Cité par LANKOANDE et Sumberg (2013).
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En d'autres termes :
V' une augmentation du niveau d'éducation d'un
bénéficiaire augmente sa chance de faire croître ou de
maintenir son troupeau en l'état ;
V' une bénéficiaire a moins de chance
qu'un bénéficiaire de voir son bétail augmenter ou se
stabiliser ;
V' un bénéficiaire peulh,
gourmantché ou mossi a plus de chance qu'un bénéficiaire
bissa, dioula, gourounsi ou yana de réussir à faire grandir ou
maintenir son nombre de têtes détenues.
D'abord, l'éducation est significative car un niveau
d'éducation élevé permet de trouver plus rapidement des
réponses aux questions se posant avec acuité lors de la
réception des animaux transférés. Ensuite, le genre est
significatif parce que les femmes éprouvent malheureusement des
difficultés en termes d'accès aux ressources entrant dans le
processus d'élevage. Enfin, la variable ETHNIES est significative car
les modes de vie de certaines ethnies accordent une place de choix à
l'élevage et induisent de bonnes pratiques en matière de gestion
d'animaux. Ainsi, une stratégie doit être mise en place afin
d'améliorer les chances de réussite de la capitalisation animale
pour tisser de bons filets sociaux. Cette stratégie aura pour points
cardinaux l'éducation, le genre et les bonnes pratiques d'élevage
de certaines ethnies.
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