Section 1 : Le fondement de la politique chinoise au
Tchad
C'est à partir des années 1980 que la Chine a
fait son retour sur le continent africain après près d'une
décennie d'absence. Pour la Chine, première puissance
émergente au monde sans passé colonial en Afrique, il s'agit de
consolider les retrouvailles autour de principes fondateurs qui tirent leurs
légitimités de l'histoire commune partagée. Comme le
rappelle l'ancien président chinois Hu Jintao : «
l'amitié sino-africaine plonge ses racines dans la profondeur des
âges et ne cesse de s'approfondir au fil des ans »51.
Cette légitimité historique représente le moyen
idéal pour asseoir la légitimité idéologique. Cette
dernière est le fruit de la présence incontournable de la Chine
à côté de l'Afrique, comme porte drapeau du non alignement,
au moment des luttes d'influence de la guerre froide.
En novembre 2006, lors de la troisième
conférence ministérielle du Forum sur la coopération
sino-africaine regroupant 48 pays africains, un plan d'action de 2007 à
2009 a été adopté incluant les mesures à prendre
par les bilatéraux52. Dès le 12 janvier 2007, la Chine
qui semblait être très intéressée par le
pétrole tchadien, a racheté par l'entremise de la China
50HELLENDORFF Bruno, La Chine en Afrique :
néocolonialisme ou nouvel axe coopération sud-sud ?
Note d'Analyse du GRIP, 13 décembre 2010, Bruxelles, p. 6.
51Discours du Président chinois Hu Jintao
à la cérémonie d'ouverture du Forum de Coopération
sino-africaine, 4 nombre 2006. Cité par Fode Sire DIABY. (2014), op.
Cit., p.68.
52 Pour plus de précision voir FOCAC (2006).
28
National Petroleum Corporation (CNPC) l'ensemble des permis
d'exploration pétrolière de la société canadienne
ENCANA. Ce permis couvre une superficie d'environ 220 000 km2 et
englobe les bassins ci-après : le bassin des Erdis, une partie du bassin
du Lac Tchad, le bassin de Madiago, le bassin de Bongor, le bassin à
l'Ouest de Moundou, le bassin de Pala à la frontière du Cameroun,
une partie du bassin à la frontière de la République
Centrafricaine et tout le bassin du Salamat53. Pour mieux
appréhender les raisons d'implantation des FMN chinoises, il est
nécessaire d'aborder d'une part les causes d'implantation des FMN
chinoises au Tchad (paragraphe1) et d'autre part, la diplomatie tchado-chinoise
au coeur de la mondialisation (paragraphe2).
Paragraphe 1 : Les causes d'implantation des firmes
multinationales (FMN) chinoises au Tchad
La présence chinoise en Afrique s'est
développée dans les années 1990, par la volonté de
Pékin de sécuriser ses approvisionnements en matières
premières. C'est à partir de 1999, lors de la réunion
inter-agences à Pékin qu'une stratégie a été
mise en place pour renforcer et diversifier une présence croissante des
entreprises chinoises sur le continent africain présentant des
opportunités adaptées aux besoins et savoir-faire chinois. Les
pays africains dans lesquels les intérêts et investissements
chinois sont les plus importants soulignent des avantages comparatifs dont
bénéficie Pékin pour élargir son
développement international: c'est-à-dire la possibilité
pour le gouvernement chinois de servir d'appui diplomatique, militaire, ou
encore économique à des régimes africains
dénoncés sur la scène internationale à cause des
conflits internes ou de mauvaise gouvernance. Les intérêts
économiques chinois et les préoccupations politiques des
dirigeants africains peuvent ainsi converger.
De plus, lorsque les investisseurs chinois se concentrent sur
l'exploitation de matières premières (pétrole et
minerais), ils restent dans le sillage des politiques économiques ayant
prévalu au sud du Sahara: des économies de rente reposant sur des
capitaux et des débouchés étrangers, reléguant
l'importance de l'environnement économique et politique interne
54. Cependant, quoi qu'il en soit et quoi qu'il arrive, les causes
d'implantation des FMN chinoises en Afrique sont les mêmes quels que
soient les pays. Partant de l'analyse de ce texte, les causes d'implantation
des FMN chinoises en Afrique peuvent être subdivisées en causes
politiques (1-1) et économiques (1-2).
53Symphorien Ndang TABO et Al. (2008), Les
relations entre la Chine et l'Afrique subsaharienne : le cas du Tchad,
article, CREA, p. 4.
54Fode Sire DIABY. (2014), op. Cit., p.154.
29
1-1: Les causes politiques
C'est en 1978 que Deng Xiaoping et les dirigeants chinois
décidèrent de tourner le dos au maoïsme en introduisant des
réformes économiques de marché visant à ouvrir
l'économie chinoise aux investissements étrangers.
Derrière l'entreprise de ces réformes économiques,
l'objectif fondamental des dirigeants chinois était de donner une
seconde vie au régime politique que les dérives maoïstes des
vingt années précédentes avaient lourdement
précarisé. L'intégration de l'économie chinoise au
marché mondial, alors au coeur d'un processus
accéléré de globalisation, devait permettre de moderniser
le pays, de galvaniser le développement économique et d'augmenter
le niveau de vie de la population55. L'ouverture économique
de la Chine en 1979 sous la conduite du parti communiste chinois (PCC) a
été le point de départ d'une série de
réformes progressives vers une économie plus libérale:
l'économie socialiste de marché. Le souci majeur des dirigeants
à chaque étape des réformes est de mettre en place les
conditions institutionnelles pour une plus grande efficacité des
entreprises sans pour autant perdre le contrôle de la machine
économique qui comme pour tout régime dirigiste, doit être
au service des intérêts politiques de la Chine au niveau
intérieur et dans sa politique étrangère56.
La réforme primordiale qui engage l'ouverture de
l'économie chinoise aux firmes étrangères se traduit par
l'établissement de zones économiques spéciales (ZES) et
oblige ces dernières à établir des joint-ventures avec des
entreprises chinoises d'Etat. Cette ouverture est partielle car elle exclut la
libéralisation du secteur de l'énergie et des banques. La
deuxième réforme qui comme la première aura des incidences
sur l'internationalisation des entreprises chinoises en Afrique est celle qui
en 1998 consistera à ne maintenir dans le giron de l'Etat que les
entreprises ayant atteint une certaine taille et un niveau de performance leur
permettant de devenir des grandes entreprises capables d'affronter la
concurrence au niveau international. Les deux autres réformes qui
particulièrement relevant notre propos sont l'adhésion en 2001 de
la Chine à l'OMC et la révision constitutionnelle de 2004. En vue
de son adhésion prochaine à l'OMC, l'Etat chinois relâche
son contrôle sur la politique d'investissement à l'étranger
de certaines entreprises d'Etat et permet l'entrée dans le capital de
ces entreprises de fonds privés chinois ou étrangers tout en
restant majoritaire. Ces entreprises semi-
55HELLENDORFF Brun. (2010), op. Cit., p. 2.
56Amadou DIALLO. (2012) op. Cit., pp. 41-42.
30
publiques tout en bénéficiant de l'aide de
l'Etat opèrent à tout point de vue comme des entreprises
privées typiques57.
En effet, les institutions chargées de la conduite de
ces réformes sont l'Administration d'Etat des devises
étrangères, la commission de développement national et des
réformes et le ministère du commerce qui, selon l'ordre de
citation veillent à ce que les IDE chinois soient conformes aux lois et
réglementations chinoises et aux recommandations du parti communiste
chinois vis-à-vis des investissements à l'étranger.
L'Administration d'Etat des devises étrangères assure le
contrôle de l'origine et de l'utilisation des devises
étrangères alors que les autres institutions veillent à la
conformité des investissements projetés aux intérêts
de l'Etat chinois. Mais ce qui est important à noter c'est le
caractère souple dans l'application de ces réformes et la
réactivité du parti communiste face à la globalisation et
aux défis internes de l'économie chinoise qui se traduit par les
amendements ou révisions des réformes ou simplement des
assouplissements ou relâchement quant à la rigueur dans leurs
applications pour rendre les entreprises chinoises plus compétitives. Il
faut à cela ajouter le statut particulier dont bénéficient
les grandes entreprises d'Etat de par le soutien financier et diplomatique que
leur accorde le pouvoir central en liaison avec le caractère hautement
stratégique des secteurs des matières premières
énergétiques et extractives et de hautes technologies dans
lesquels elles opèrent58.
1-2: Les causes économiques
L'internationalisation des firmes chinoises s'inscrit dans un
lent processus lié aux phases de la réforme économique et
de l'ouverture, aux choix du gouvernement central et aux incitations
régulièrement introduites. Il existe une forte corrélation
entre les réformes institutionnelles, la libéralisation politique
et le développement des IDE Buckley et al., (2012), Ren, Liang, Zheng.
(2012)59. Les causes économiques de l'internationalisation
des entreprises chinoises en Afrique sont intimement liées aux raisons
stratégiques qui poussent ou attirent ces dernières vers
l'Afrique60. Quatre grands motifs poussent les firmes chinoises
à s'internationaliser (Zhan. (1995), OECD. (2008), Gugler et Boie.
(2008), Wang. (2012))61:
57 Idem
58 Ibidem
59 Xavier Richet. (2012),
L'internationalisation des firmes chinoises : croissance, motivations,
stratégies, FMSHWP-2013-27, février, pp. 12-14.
60Idem
61Amadou DIALLO. (2012), op. Cit., p. 35.
31
? L'accès aux ressources
C'est certainement le premier motif d'internationalisation des
firmes chinoises. L'économie chinoise doit s'assurer des ressources
nécessaires pour maintenir le taux de croissance à deux chiffres
en tenant compte à la fois des limites et de l'épuisement des
ressources nationales (à l'exception du charbon) et d'un appareil
productif en grande partie vétuste fortement consommateur de
matières premières. Les choix technologiques affichés dans
le cadre du 12ème plan (2011-2015) mettent l'accent sur des
énergies substituables mais la transition énergétique
risque d'être longue. Parmi les toutes premières firmes
internationalisées, on compte plusieurs firmes d'Etat, activement
soutenues par le gouvernement central, opérant dans l'extraction de
pétrole et de gaz naturel. L'accès aux ressources n'est pas
contraint par la proximité. Les firmes chinoises opèrent au
niveau mondial: Amériques, Afrique, Océanie, Asie centrale.
? L'accès aux marchés
L'accès aux marchés, notamment proches suit les
courants d'échange et la pénétration des marchés
réalisés par les exportations chinoises. L'entrée sur le
marché s'en trouve facilitée grâce au savoir-faire
accumulé. C'est aussi le moyen de contourner les barrières
douanières, de créer un réseau local ou régional de
distribution, de se rapprocher de marchés régionaux en forte
expansion. Une autre motivation tient à l'accroissement de la
concurrence et à la hausse de surcapacités au niveau domestique.
Sur le marché domestique qui réduit les marges de profit des
firmes. A travers des investissements de proximité, les firmes chinoises
acquièrent un nouveau savoir-faire (produire en dehors du marché
domestique) et peuvent expérimenter leur stratégie
d'internationalisation en limitant les risques et les coûts en cas
d'échec.
? La recherche d'efficience
Ce facteur a été moins important au début
de la phase d'internationalisation en raison de l'existence de bas coûts
en Chine. La hausse des coûts domestiques au cours des dernières
années a poussé à la délocalisation d'entreprises
dans les pays asiatiques (Vietnam, Corée du Nord), dans les industries
de main-d'oeuvre (textile). Aujourd'hui, dans la province du Guangdong, la
hausse rapide et conséquente des salaires (plus de 20% en l'espace de
2-3 années) contribue à accroître les
délocalisations dans des économies voisines aux coûts
salariaux moins élevés.
? La recherche d'actifs stratégiques
La recherche d'actifs stratégique est devenue une des
toutes premières préoccupations des firmes chinoises, à la
fois pour asseoir leur avantage sur les marchés étrangers et
pour
32
acquérir les technologies qu'elles n'ont pas pu
recevoir à travers la coopération avec les FMN
étrangères implantées en Chine ou en raison des faiblesses
du système d'innovation chinois. L'acquisition de technologie, de
marques étrangères est un moyen d'accélérer la
montée en puissance des firmes chinoises et d'accroître leur
réputation à l'étranger. Par ce biais les firmes chinoises
peuvent acquérir la totalité d'actifs (une entreprise et son
réseau) ou plus simplement un segment, souvent à haut contenu
technologique, qui sera rapatrié et intégré dans la
production en Chine (avec parfois la tentation du dépeçage).
L'entrée sur les marchés, par ce moyen se révèle
avantageux en permettant d'acquérir une renommée et
d'accéder à la technologie qui fait défaut. Les firmes
chinoises, via des opérations de fusion-acquisition, acquièrent
ainsi des actifs qu'elles cherchent à intégrer dans leur
stratégie globale.
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