Section 1 : L'économie tchadienne avant et
après l'exploitation du pétrole
L'économie tchadienne se caractérise par une
faible productivité, surtout dans l'agriculture dont les moyens et
techniques de production restent rudimentaires et traditionnels. C'est une
agriculture de subsistance. La couverture alimentaire qui était de 22%
en 1963 a connu de très fortes détériorations dans les
années 1980 et 1990, à cause de la sécheresse et des
aléas climatiques, d'où des déficits chroniques
observés, particulièrement dans les années 1983 et 84.
Cette situation a poussé le pays à une importation respectivement
de 45% à 56% de sa production agricole pour satisfaire les besoins
alimentaires de sa population (profil démographique et économique
du Tchad, CERPOD, 2003). Les années 1970 ont été
marquées au Tchad par de sérieuses difficultés
économiques et financières qui sont liées au faible niveau
de développement économique. Elles ont été
aggravées par la crise politico-militaire occasionnant une rupture
économique 128 .Mais depuis les années 2000,
l'économie tchadienne vit à l'ère du pétrole.
L'exploitation de cet « or noir » a constitué le principal
moteur de la croissance. Il a permis d'enregistrer un taux de croissance record
de
127 Banque de France. (2007), Diversification
économique en Afrique Centrale : état des lieux et
enseignements, p. 113. 128: DJERABE Kélos. (2009),
Pauvreté des ménages et travail des enfants au Tchad :
niveaux et déterminants, mémoire de master en
démographie, IFORD, Université de Yaoundé II, Cameroun.
66
31.3% (FMI, INSEED, 2006). Pour mieux appréhender le
contexte économique du Tchad, il nous paraît important d'aborder
la doctrine économique du Tchad (paragraphe 1) d'une part et d'autre
part l'économie tchadienne à l'ère
pétrolière (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La doctrine économique
A l'instar de beaucoup d'autres pays africains, le Tchad, au
sortir de l'indépendance a largement mené une politique de
développement économique qui n'est pas adaptée avec ses
potentialités. Il a choisi sans ambiguïté la voie du
libéralisme qui, au plan de la vie économique, repose sur les
principes de la propriété privée des moyens de production
et de l'ouverture sur l'extérieur, comparativement à d'autres
pays qui ont des atouts similaires mais optent pour la collectivisation des
moyens de production et le développement endogène. A la faiblesse
des structures économiques héritées de la colonisation,
s'est ajouté le manque de stabilité politique engendrée
par les conflits armés. Le Tchad a des potentialités
énormes: le sous-sol est très riche (or, hydrocarbure, etc.) et
ne demande qu'à être mis en valeur. Outre les atouts
économiques, il existe aussi des obstacles externes et internes qui
limitent le développement de ce pays. Les obstacles internes majeurs
sont les turbulences qui existent partout dans le pays en terme de
rébellion armée qui ruine l'économie du pays. En plus de
cette rébellion, les conditions climatiques ne sont pas favorables pour
certaines cultures. Par ailleurs, il faut souligner que le pays manque
d'industries et d'infrastructures de base susceptibles de stimuler son
développement économique. L'enclavement et les carences en
infrastructures rendent toute activité productrice trop chère.
En effet, le début des années 1990 est
marqué par la reconstruction de l'Etat tchadien avec l'organisation de
la conférence nationale souveraine (CNS) en 1993 dont le but n'est rien
d'autre que de jeter les jalons d'un Etat démocratique et
économiquement prospère. Cette période a été
marquée par un faible niveau des recettes fiscales et une forte
dépendance à l'aide internationale. Elle coïncide aussi avec
les programmes d'ajustement structurels (PAS) dont l'une des
conséquences est la dévaluation du franc CFA, monnaie
communautaire utilisée par le Tchad. Cependant, le Tchad s'est
engagé en 1994 dans ce programme d'ajustement économique qui a
donné lieu à l'approbation d'un accord de confirmation avec le
FMI en mars 1994. Compte tenu du dérapage des recettes
budgétaires constaté au premier semestre de l'année, le
FMI a suspendu les tirages et défini un programme de
référence sans décaissement des bailleurs de fonds.
Toutefois, fin mai 1995, le Tchad a repris les négociations en vue de la
signature d'un accord triennal au titre de la facilité d'ajustement
67
structurel renforcé (FASR) qui ont abouti à la
signature d'un accord approuvé le 1er septembre 1995 par le conseil
d'administration du FMI. Cet accord couvre une période de trois ans avec
pour principaux objectifs la stabilisation macroéconomique et la
création d'un environnement favorisant une croissance soutenue à
moyen terme.
En particulier, il s'agissait de renforcer les recettes
budgétaires, d'améliorer l'efficacité de l'administration
publique et de revitaliser l'économie à travers la
libéralisation des prix et du commerce extérieur, la
privatisation et l'amélioration du dispositif réglementaire. Dans
l'ensemble et en particulier dans le domaine des finances publiques, le
programme a été satisfaisant dans la mesure où entre 1995
et 1997, les mesures adoptées ont permis d'accroître les recettes
fiscales et douanières. L'assiette fiscale a été
élargie et les exonérations limitées et mieux
contrôlées. Des réformes ont amélioré le
fonctionnement des administrations fiscales et douanières, permettant un
recouvrement plus efficace. Un fichier unique des contribuables a
été élaboré en 1995. Grâce à ces
dispositions, les recettes fiscales ont plus que doublé entre 1994 et
1999 passant de 27,6 milliards pour s'établir à 68,3 milliards de
franc CFA. C'est dans cette perspective que nous abordons dans ce paragraphe
l'analyse historique de la croissance économique (1-1) ainsi que celle
des agrégats macroéconomique (1-2).
1-1: L'analyse historique de la croissance
économique
Comprendre l'évolution de l'économie tchadienne
est un exercice essentiel car, déceler les raisons des faibles
performances économiques du pays permettrait de poser les jalons d'un
avenir plus prospère. L'histoire de l'économie tchadienne peut se
décomposer en cinq périodes, marquées par d'importants
événements politiques et économiques. Ces
événements constituent donc des référentiels
permettant une meilleure compréhension des fluctuations du produit
intérieur brut.
De 1960 à 1975, les performances économiques du
Tchad ont été médiocres. En effet, cette période
est marquée par le début de l'instabilité politique
à partir de 1965, la croissance économique a été
faible. En moyenne sur cette période, le taux de croissance du PIB/hab a
été négatif et se situe autour de -1,06%. Exprimé
en niveau, le PIB/hab passe de près de 550 dollars pour s'établir
à 463 dollars en 1975 correspondant à une baisse absolue de 87
dollars.
A partir de 1975 jusqu'à 1982, à cause des
insurrections armées qui se généralisent à
l'ensemble du pays, on a enregistré les plus mauvaises performances
économiques. La propagation de la guerre civile à l'ensemble du
pays se solde par l'effondrement de l'Etat tchadien et de l'appareil productif
en 1979. Ainsi, de mars 1979 à juin 1982, la zone
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méridionale était coupée du reste du pays
et cela dans une situation de quasi autonomie. La production de coton grain qui
constituait alors la principale source de devises du Tchad était
acheminée directement vers l'extérieur. Durant cette
période, les infrastructures de base ont subi d'importants dommages, ce
qui a eu pour conséquence une désorganisation complète de
la vie économique. En particulier, de nombreuses entreprises
industrielles et commerciales ont dû cesser leurs activités,
privant l'Etat de recettes fiscales. Ces lourds handicaps expliquent le fait
que le pays soit dépendant de l'aide internationale. Conséquence
de cette situation, le PIB/hab chute brutalement passant de 467,2 dollars/hab
à 330,5 dollars en 1982 soit une baisse de près de 42%. Durant
cette période, la croissance réelle tourne autour de -4,37% en
moyenne annuelle.
De 1983 à 1990, l'économie est marquée
par une relative stabilité politique comparativement à la
précédente ayant pour conséquence la concrétisation
des performances économiques qui contrastent avec les périodes
précédentes. La communauté internationale et les bailleurs
de fonds en particulier reconnaissent les efforts réalisés par le
gouvernement tchadien dans la lutte contre la corruption et l'incurie qui ont
caractérisé les périodes antérieures. Malgré
ces succès, l'économie éprouve des difficultés en
relation avec l'effondrement de la filière coton. En effet, avec les
années de conflits, la société Coton-Tchad fut
confrontée à des difficultés de gestion interne
caractérisées par un laxisme généralisé. En
outre, étant la seule structure organisée dans le sud du pays,
l'Etat tchadien et le comité permanent en particulier ont
opéré des ponctions importantes dans les finances de la
société. A ces difficultés, il faut ajouter
également la chute des cours mondiaux du coton et la baisse du cours du
dollar, devise avec laquelle la plupart des transactions sur les
matières premières étaient conclues. Durant cette
période, la Coton-Tchad représentait un mastodonte dans la mesure
où elle faisait vivre directement ou indirectement près de deux
millions de personnes soit près de deux tiers de la population totale du
pays. Enfin, la filière cotonnière rapportait 35% des ressources
budgétaires et constituait 80% des exportations en valeurs.
De 1990 à 1999, cette période coïncide avec
la reconstruction de l'Etat tchadien (l'organisation de la conférence
nationale souveraine en 1993) et les Programmes d'Ajustement Structurels (PAS)
dont l'un des objectifs ultimes est la dévaluation de la monnaie
communautaire utilisée par le Tchad. La dévaluation a permis au
Tchad de renouer avec une croissance positive après la chute de
l'activité économique en 1993. En plus de cela, le
réajustement monétaire a entraîné une forte
croissance de la production de coton, des exportations de bétail et de
gomme arabique, tandis que l'effet revenu de la dévaluation
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déprimait les importations et stimulait la demande de
produits nationaux. Le PIB a ainsi marqué une croissance significative
de 7,2 % en 1994. Les PAS enclenchés au Tchad en 1995 ont
débouché sur la privatisation de toutes les banques et presque
toutes les entreprises publiques ainsi qu'à la liquidation de certaines
d'entre elles. Cette politique a permis la réduction du déficit
des finances publiques qui est passé de 14,2 % du PIB réel en
1994 pour s'établir à 9 % en 1998. En outre, la politique
budgétaire mise en oeuvre durant cette période a conduit à
un assainissement des finances de l'Etat permettant le rétablissement
des équilibres macroéconomiques et une certaine
crédibilité du pays. Le PIB/hab passe de 409,2 dollars en 1990
à 384,5 dollars en 1999, soit une baisse de l'ordre de 6%. En moyenne
annuelle, la croissance par habitant tournait autour de - 0,4%. Cette situation
résulte d'une forte chute du PIB en 1993 de -15,9 occasionnée par
la baisse de la production agricole mais aussi de l'effet de la fermeture des
frontières camerounaises et nigérianes.
Et enfin, la période de 1999 à 2010, est celle
où l'économie tchadienne vit à l'ère
pétrolière, avec la construction du pipeline Tchad - Cameroun et
l'ouverture de la première vanne en octobre 2003. Cependant, nous allons
aborder cette partie dans le prochain paragraphe.
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