Chapitre II : LES CONSEQUENCES DE L'INEFFICACITE DE
RIPOSTE AUX MENACES A LA SECURITE HUMAINE
Après avoir élucidé le contexte sous
régional de la sécurité humaine, la posture des Etats de
la CEMAC face aux défis de la sécurité humaine, l'effort
de garantie de la sécurité humaine assortie des obstacles et de
l'inefficacité, il s'avère important de montrer les
conséquences de cette inefficacité de riposte aux menaces qui se
présentent par la persistance des menaces (Section I) afin de proposer
quelques pistes pour une garantie efficace de la sécurité humaine
dans la sous région CEMAC et en particulièrement pour chaque Etat
de la CEMAC (Section II).
Section I : La persistance des menaces
La persistance des menaces classiques et les nouvelles formes
de menaces (Paragraphe I) ainsi que les autres types de menaces existantes
(Paragraphe II) constituent la suite logique entrainée par
l'inefficacité de riposte des Etats de la CEMAC.
Paragraphe I : La
persistance des menaces classiques et les nouvelles formes de menaces
Les facteurs générateurs de
l'insécurité humaine, de tensions et de conflits sont multiples
et suivent les contours de l'évolution politique et sociétale des
États. Ils se situent sur différents plans, économique,
social et politique, et obéissent à des logiques diverses. Sans
prétendre à l'exhaustivité, il convient de faire la
distinction entre les situations issues de déstabilisations violentes ou
de la confrontation à de nouvelles formes de menaces (B), et celles
liées soit à des tensions structurelles, propres au processus de
construction nationale, soit à la mutation de sociétés qui
entrent dans des processus de changement (A), comme ceux inaugurés par
les « Printemps arabes » par exemple.
A- La persistance des menaces
classiques
De récents évènements survenus dans
l'espace CEMAC démontrent réellement les difficultés
rencontrées par certains États dans leur processus de
démocratisation ou de stabilisation, alors même qu'ils avaient
amorcé une transition tournée vers le multipartisme et la
construction de l'État de droit.
L'une des manifestations les plus courantes de ces
difficultés est la survenance de coups d'État. Leur
avènement est toujours le symptôme d'impasses et d'échecs
institutionnels accumulés. Loin de résoudre les conflits dont ils
se présentent comme des antidotes et des remèdes, les coups
d'État sont d'abord générateurs de complications et de
complexité. Ils signifient l'arrêt des efforts
d'institutionnalisation de la vie politique et constituent le plus souvent des
obstacles importants sur la voie des transitions. L'une des grandes aspirations
de la Déclaration de Bamako, dans son effort d'enraciner la
démocratie, était précisément d'en souligner la
gravité et de signifier la fin de l'ère des coups de force :
« pour préserver la démocratie, la Francophonie condamne
les coups d'État et toute autre prise de pouvoir par la violence, les
armes et ou quelque autre moyen illégal » (chapitre 3, article
5).
À Yaoundé, en avril 2014, lors du Colloque
international sur les problématiques sécuritaires des
frontières en Afrique, dont nous avons eu la chance de participer, les
participants sont revenus avec insistance sur l'importance de rompre avec le
cycle des intrusions militaires dans la vie politique des États. Il a
été convenu qu'il ne peut y avoir de « bons coups
d'État ». Il n'y va pas seulement de l'improbabilité, voire
de l'impossibilité, d'assainir la vie politique, mais du fait même
que la régulation par le droit, les élections et le jeu des
institutions était bafouée.
Cette condamnation unanime demeure nécessaire à
la stabilisation de la vie démocratique. Toutefois, une analyse plus
fine doit prendre en compte les facteurs qui ont engendré le recours
à la force dans l'ordre interne des États. Si, dans les
années qui ont suivi les indépendances, les prises de pouvoir par
la force portaient la marque d'une idéologie militante, voire
révolutionnaire, en vue de la mise en place d'un nouvel ordre social,
cela ne semble plus être le cas aujourd'hui. Les coups d'État ne
sont plus portés par la volonté d'instaurer un ordre
égalitaire ou de justice sociale par la force, comme dans un contexte de
guerre froide qui leur permettait de s'appuyer sur des clivages
idéologiques ou de jouer de la rivalité entre les deux grandes
puissances qui leur assuraient des marges de manoeuvre et un soutien.
L'environnement international impose désormais ses
« conditions » et façonne, à travers des règles
de gestion, de transparence et de « bonne gouvernance », des rapports
nouveaux entre investissement, aide au développement et stabilité
de la vie politique. Les rapports aux grandes institutions financières
et bancaires, la participation de bailleurs de fonds et le nombre de parties
prenantes au processus de construction de l'État ont pesé dans
l'émergence d'un climat réfractaire à des interruptions
récurrentes du cours de la vie politique.
Enfin, les évolutions sociales et politiques internes
ainsi que le changement des mentalités ont contribué à
modifier durablement les rapports entre l'armée et la
société. En effet, les forces armées ont été
associées de façon croissante aux efforts de
démocratisation et à la construction d'un ordre politique
d'intégration nationale. Elles tendent progressivement à devenir
une composante des institutions étatiques et ne se perçoivent
plus systématiquement en surplomb par rapport à la
société, investies d'une mission de salut public. La construction
progressive de l'État de droit, la légitimité
accordée à un pouvoir civil démocratiquement élu
ont placé les forces armées dans un cadre dont les limites sont
désormais mieux définies. Par ailleurs, le multipartisme -
même naissant - se révèle peu propice à l'accueil de
coups de force militaire, en dépit des querelles politiques et des
difficultés socio-économiques qui peuvent l'accompagner.
Les changements induits par cette nouvelle donne sont
réels et révélateurs d'une lente évolution des
moeurs et des institutions. Pourtant, ces indicateurs positifs de changement ne
mettent pas les États à l'abri de coups de force.
La zone CEMAC a connu ces vingt dernières années
de telles ruptures de la démocratie : au Tchad, le Président
putschiste Hissein Habré renversé par le militaire Idriss Deby
(décembre 1990) ; au Congo Brazzaville, le Président élu
Pascal Lissouba a été renversé par Déni Sassou
Nguesso en 1997, un militaire et homme politique congolais, qui a
été auparavant Président de la République populaire
du Congo de 1979-1992; en République centrafricaine, des coups d'Etat
successifs ont eu lieu dans le pays, dont nous notons entre autres celui du
Général François Bozizé renversant le
Président Ange Félix Patasse en 2003 et qui lui-même a
été également écarté du pouvoir dix ans
après par la Séléka (mars 2013), une coalition de
mouvements rebelles issus du nord du pays, dirigée par Michel
Djotodia.
Si certains coups d'État relèvent encore,
parfois, de missions dites de salut public, visant à défendre une
démocratie « menacée », la plupart des motifs qui
animent leurs auteurs relèvent de griefs plus circonstanciés,
à l'encontre d'un pouvoir civil jugé trop faible et
indécis. Les raisons des putschistes vont des justifications les plus
politiques (critique du pouvoir civil, défense d'intérêts
partisans étroits, etc.) aux revendications corporatistes les plus
diverses (paiement des soldes, absence de moyens, manque de reconnaissance
sociale). De fait, les formes de mobilisation sont moins idéologiques,
plus contestataires que révolutionnaires, et s'inscrivent plus dans le
cadre de revendications portant sur des moyens ou un statut que dans celui
d'une confiscation du pouvoir au profit d'une dictature militaire
pérenne.
Toutefois, ces ressorts de la contestation ne se cantonnent
pas au seul niveau de la revendication professionnelle ou politique.
Au-delà d'un positionnement de défiance vis-à-vis de
l'autorité politique, ces mouvements sécurisent parfois à
leur avantage des portions entières de territoire national, disposent
d'armes et d'appuis en provenance de pays frontaliers et vont jusqu'à
s'allier à des mouvements rebelles. Il reste à définir la
place et la fonction de l'armée au sein de l'État. Il ne s'agit
pas d'entretenir un sentiment de méfiance vis-à-vis des forces
armées, ni d'en marginaliser le rôle, ni de se limiter à
les condamner dans le cas de leur ingérence dans la vie politique mais,
au contraire, de leur donner toute la place qui leur revient dans le cadre
d'une vie institutionnelle respectueuse de la séparation des pouvoirs,
des principes de l'État de droit, et dans le strict cadre des missions
qui leur sont dévolues.
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