Les états de la CEMAC face aux défis de la sécurité humaine( Télécharger le fichier original )par Marius Judicael TOUATENA SIMANDA Université de Yaoundé 2 - Master en Droit Public International et Communautaire 2015 |
III- Les femmes et les enfants pris dans les scènes des conflitsDurant les conflits, les femmes et les enfants sont les principales victimes de part leur vulnérabilité. § Le viol comme arme dans les conflits Les guerres étendent le domaine des violences subies par les femmes en période de paix, tout en révélant d'autres formes, plus vives et plus distinctes, de vulnérabilité. L'OMS classe ces vulnérabilités dans des catégories qui regroupent des attentats sexuels commis indifféremment par des forces ennemies et « amies », le viol collectif comme stratégie de nettoyage ethnique et d'hégémonie213(*). Les conflits armés ont poussé les femmes partout dans le monde à l'esclavage sexuel militaire, à la prostitution forcée, au « mariage » forcé et à la grossesse par viol. Ces conflits se sont transformés en des lieux propices à la pratique du viol répété et du viol collectif. Au sein de la guerre, les femmes sont obligées de vendre leur chair pour qu'on leur épargne la vie, pour avoir à manger, pour avoir un gîte ou une « protection ». Les victimes de ces attaques sont notamment les filles et les femmes âgées, les maîtresses de familles seules et les femmes qui cherchent du bois à brûler et de l'eau potable. Les victimes du viol souffrent de maux physiques et psychiques durables. Pour de nombreuses femmes, la transmission du VIH par leurs violeurs est vécue comme un arrêt de mort. Les conflits ethniques constituent les pires spectacles de ce genre de viol collectif. Les exemples les plus abominables dans ce domaine sont ceux qu'avaient connus dernièrement l'Ouganda, la République Démocratique du Congo, le Rwanda, la Yougoslavie et le Darfour. En période de guerre, les femmes sont attaquées dans un environnement caractérisé par l'absence de la loi, par l'immigration interne, par le conflit armé où les rôles attribués aux deux sexes, des femmes et des hommes, se définissent de manière ségrégative. Sur ces scènes, les hommes compensent l'insécurité qu'ils ressentent et la perte de leur domination par leur agressivité à l'égard des femmes. Lors des assauts donnés par les soldats, incités par leurs commandements pour se donner du« courage », le viol peut être utilisé comme un outil de guerre pour soumettre les victimes visées et les humilier. Au mois de juin 2008, le Conseil de Sécurité des Nations Unies adopte à l'unanimité la Résolution n° 18/2014 où il « exige de toutes les parties à des conflits armés qu'elles mettent immédiatement et totalement fin à tous actes de violence sexuelle contre des civils ». Le Rapport de l'OMS indique que la violence sexuelle vise particulièrement les femmes et les filles et s'emploie « notamment comme arme de guerre pour humilier, dominer, intimider, disperser ou réinstaller de force les membres civils d'une communauté ou d'un groupe ethnique ». § Le viol des enfants en période de conflit armé Dans les situations de conflit, les cas de viol et d'abus sexuel contre les enfants continuent à être systématiques et largement répandus. Les enfants sont les plus exposés aux dangers dans les camps des réfugiés et dans les colonies des personnes déplacées internes ou dans des pays voisins. Selon le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies de l'année 2008 sur les enfants et le conflit armé, le nombre de cas dénoncés de viol et d'abus contre les enfants, a augmenté. Les Centres de protection des enfants avancent que les parties compromises dans le conflit n'ont commis que quelques-uns de ces prétendus cas dénoncés, mais la continuation des combats expose les femmes et les enfants à la violence sexuelle à cause du déplacement, de la misère, de l'effondrement du règne de la loi et du retour des groupes armés et des milices qui travaillent pour leur propre compte. La catégorie la plus exposée aux dangers est celle qui comprend les femmes et les filles qui vivent dans des endroits découverts et non protégés, réservés aux personnes déplacées internes (PDI) et notamment celles qui, dans leurs régions, appartiennent à des tribus minoritaires. Bien que certains viols dénoncés soient, dans leur majorité, commis par des civils, plusieurs rapports ont indiqué que les auteurs de certains abus sexuels sont des membres appartenant aux parties en conflit, tels que les miliciens, les soldats... Les barrages sur les routes, montés par les miliciens et les bandes, constituent les endroits où les violences sexuelles dénoncées se produisent souvent. En Centrafrique par exemple, au mois de mai 2014, les membres de la milice Seleka ont arrêté un petit car transportant des passagers à un point d'inspection et ont violé 8 femmes et 5 filles. D'autres cas de viol se sont produits au moment où des filles ont fui Bossembélé, une ville située au Sud-Ouest du pays. Le viol se répand à une grande échelle en Centrafrique comme arme de guerre. Il est clair que le problème est beaucoup plus grand que les quelques cas confirmés. Les auteurs de ces crimes sont généralement des gens armés et souvent en uniforme. Ils visent les femmes et les filles déplacées internes ou celles qui travaillent pour se nourrir. Dans la plupart des cas, la victime identifie les criminels. Des rapports parlent fréquemment dans d'autres cas, d'auteurs de viol armés et inconnus. Cela montre de plus en plus que le viol vise les filles précisément. Les rapports indiquent aussi les cas de viol de jeunes garçons parmi les quelques cas confirmés la même année. A Bangui également, et dans les périphéries, des cas de viol avérés ont été dénoncés entre juillet 2013 et septembre 2014, la responsabilité est attribuée ici aux membres des milices Seleka et Anti balaka agissant seuls ou en groupe. Il a été confirmé aussi que 4 membres de la Seleka ont violé au mois de septembre 2014 une fille de 16 ans au Nord de la Centrafrique ; l'acte a été commis devant le bébé de celle-ci âgé de 6 mois, fruit lui-même d'un viol antérieur. Les viols reflètent les malheurs quotidiens que vivent les filles, et dont la plupart surviennent lorsque celles-ci vont chercher de l'eau, ramasser du bois à brûler ou accomplir d'autres tâches domestiques. Il est rare que ces crimes de viol fassent l'objet d'une enquête ou d'une poursuite judiciaire en Centrafrique où les institutions représentant la loi sont presque absentes. De même que de nombreux cas ne sont pas dénoncés de peur du déshonneur. Au moment de préparer ce mémoire, un cas a été enregistré ; celui d'un Ministre en fonction qui, finalement, a comparu en justice pour avoir violé une fille de 16 ans. Mais également le cas d'au moins 14 soldats français déployés en République Centrafricaine qui sont soupçonnés d'avoir abusé sexuellement des enfants entre décembre 2013 et mai-juin 2014 peut être relevé aussi. Parmi ces militaires, « très peu » ont été identifiés, selon une source judiciaire citée par l'Agence France Presse, sans en dévoiler le chiffre précis. Une enquête a été ouverte en France en juillet 2014. François Hollande, Président de la République Française, a promis d'être « implacable ». L'armée assure qu'elle ne veut pas « cacher quoi que ce soit ». § Des enfants enrôlés dans la guerre Les enfants sont une proie facile aux pratiques qui sapent leur sécurité. Ces pratiques ne s'arrêtent pas à l'anéantissement de leur liberté, mais elles leur causent également des préjudices énormes qui vont des complexes psychiques, aux dommages physiques et même à la mort. La plus cruelle de ces pratiques est le recrutement des enfants pour la guerre. Celui-ci prend généralement trois formes : la première consiste dans leur recrutement pour le combat effectif, phénomène connu sous le nom de la militarisation des enfants, la deuxième est de les employer dans des activités « de support » comme le transport de l'équipement, l'espionnage, la surveillance, la transmission de messages et les services sexuels, la troisième à les utiliser comme boucliers humains ou pour la propagande. Dans les pays en voie de développement, la guerre civile et l'occupation étrangère créent des conditions favorables à l'exploitation des enfants. Parmi ces conditions, l'effondrement de la sécurité générale et de la stabilité politique, la perturbation du travail des institutions pédagogiques, la dislocation familiale, la pauvreté, le chômage, le déplacement des populations et leur fuite en dehors du pays. Difficile de distinguer les enfants qui s'engagent « volontairement» dans des combats pour l'argent de ceux qui font ce service sous pression, au détriment de leur développement mental, psychique et physique. En RCA, les rapports parlent largement de la militarisation des enfants ; mais dans les autres régions de conflit, par exemple, dans le Territoire palestinien occupé, au Liban, en Irak, ils parlent d'enfants, volontaires ou forcés, jouant des rôles de support pendant que leur souffrance continue à cause du conflit armé dans ces régions. Selon le contenu du Rapport"Pièges dans une zone de combat"rendu public, le jeudi 18 décembre 2014, l'Organisation Save the Children affirme que "Deux ans après le déclenchement de la guerre civile meurtrière en République Centrafricaine (RCA) en 2012, le nombre d'enfants, filles et garçons âgés de moins de 18 ans, recrutés par les groupes armés, a été multiplié par quatre", ces deux dernières années. Jusqu'à 10 000 enfants soldats ont été recrutés par les milices en Centrafrique, malgré la présence des forces des Nations Unies, et leur nombre a été en constante augmentation écrit l'ONG dans son rapport214(*). Certains de ces enfants ont été enlevés ou contraints de rejoindre les groupes armés, d'autres ont accepté d'être enrôlés contre de l'argent et une protection, parfois simplement pour être nourris et vêtus. Une partie encore de ces enfants a été incitée à prendre les armes par des proches, pour protéger leur communauté ou venger les leurs. Ainsi Maeva, 17 ans, dit avoir intégré une unité d'anti-Balaka (milice à majorité chrétienne) après la mort de sa tante tuée par des Séléka (coalition de groupes rebelles à majorité musulmane). "J'ai le sentiment que j'ai vengé ma tante maintenant, je me sens plus calme, ça va", témoigne-t-elle. Garçons et filles, certains n'ayant pas plus de 8 ans, sont forcés à combattre, transporter des provisions et accomplir d'autres tâches de première ligne et de soutien. Les enfants recrutés sont régulièrement victimes de violence physique et mentale de la part des combattants adultes et certains ont reçu l'ordre de tuer ou de commettre d'autres actes de violence215(*). Bien que l'utilisation des enfants dans des activités militaires en RCA n'ait pas encore cessé, il y a des signes d'une amélioration au Nord et au Sud, ainsi qu'à Bangui. En marge du forum sur la réconciliation nationale de Bangui, qui s'est achevé le 11 mai 2015, l'Unicef a réussi à faire signer aux dix plus importants chefs de guerre du pays un document dans lequel ils s'engagent à démobiliser les enfants de leurs rangs. Souvent traumatisés, séparés de leurs parents pendant de long mois, quelque fois orphelins, leur redonner un cadre et des repères stables est une des tâches des professionnels de la protection de l'enfance. Dans ce groupe d'anti-Balaka, certains ont à peine 8 ans, les plus vieux sont juste majeurs. Quand les plus petits servaient de main-d'oeuvre gratuite, d'espions ou de messagers, les plus âgés ont combattu, tenu les check-points, parfois tué. « Certains ont utilisé les grenades, la machette ou la kalachnikov. Ils ont fait ça comme dans un état d'ivresse, mais une fois que nous les récupérons, il est très difficile de les faire revenir à un état normal », détaille Désiré Mohindo, en charge de la démobilisation-réinsertion pour l'Unicef. Les anti-Balaka sont les opposants de la Séléka, ces rebelles majoritairement musulmans qui avaient renversé le président François Bozizé en 2013. Maoussa, jeune fille de 16 ans, s'est engagée « volontairement » dans la coalition des ex-rebelles Séléka. Aujourd'hui, elle fait partie des 67 jeunes ex-Séléka démobilisés. « Quand tu as un ennemi qui vient devant, tu dois l'abattre. Tu n'as pas d'autre choix que de l'abattre. C'est pour ça qu'on l'a fait. Pour défendre notre pays. », témoigne cette jeune fille. Le dialogue et la concertation avec les chefs locaux du mouvement antibalaka dans les préfectures de l'Ombella Mpoko et de la Lobaye ont permis de libérer1.069enfants depuis juillet 2014, dont 178 filles âgées de 9 à 17ans, qui bénéficient actuellement d'activités de réinsertion communautaire dans ces préfectures216(*). L'Unicef a mis en place un processus de réunification familiale, à partir de familles d'accueil et de centres de transit, pour faciliter le retour à une vie normale. Car l'objectif, c'est que ces enfants ne « retournent jamais dans les groupes armés », insiste Benoit Daoundo en charge de la protection de l'enfance217(*). Par ailleurs, les autorités gouvernementales sont d'accord pour incriminer ces activités et allouer des fonds pour réintégrer les enfants dans le cadre d'une vie naturelle. Mais, le rapport conclut que toutes les parties du conflit en RCA sont responsables des crimes contre les enfants, responsables de leur mutilation, de leur enlèvement, de leur viol et de la pratique d'autres formes de violence sexuelle lors de la période mentionnée dans le rapport jusqu'aujourd'hui. Tous les pays de la CEMAC sont engagés devant la Communauté Internationale à interdire le recrutement des enfants pour des activités militaires. Ils ont également signé le Protocole optionnel sans le ratifier. Ce protocole souligne l'engagement de ces pays à protéger les enfants contre la participation aux conflits armés et incite à congédier les enfants qui n'ont pas atteint l'âge de dix-huit ans. Mais qu'en est il de la situation des refugiés et des personnes déplacées ? * 213OMS 1997 * 214 www.france24.com, consulté le 29 mai 2015. * 215À voir sur France 24 : le reportage de Tatina Mossot, prix Ricardo Ortega pour la couverture radio et télévisée de l'ONU : "Centrafrique, le convoi de l'espoir" * 216 Selon le Rapport du Secrétaire General de l'ONU sur la situation en République Centrafricaine, S/2014/857 * 217 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/05/15/plus-de-350-enfants-soldats-liberes-en-centrafrique_4634269_3212.html#1vD05ED8b8f8l6CL.99, consulté le 30 juin2015 |
|