Les états de la CEMAC face aux défis de la sécurité humaine( Télécharger le fichier original )par Marius Judicael TOUATENA SIMANDA Université de Yaoundé 2 - Master en Droit Public International et Communautaire 2015 |
I- L'Organisation des Nations Unies1- Le rôle joué par le Conseil de SécuritéDans l'exercice de son mandat dont les termes sont définis par les dispositions de l'article 24 de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité, depuis une dizaine d'années, est le théâtre d'un renouvellement de la problématique du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Progressivement, on assiste à un glissement de la conception strictement militaire du maintien de la paix et de la sécurité internationales à une conception plus élargie, intégrant d'autres dimensions de la sécurité dépassant celles de la sécurité nationale des Etats. Dans cette « nouvelle approche dans l'exécution de son mandat »102(*), le Conseil de sécurité prend désormais en considération des phénomènes pouvant menacer la paix et la sécurité internationales autres que des actes de guerre stricto sensu103(*)prenant en compte d'autres considérations que les seuls intérêts des Etats. L'initiative de cette mutation revient au Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, dont l'Agenda pour la paix marque un tournant essentiel pour l'ensemble du système des Nations Unies104(*). Dans une pénétrante analyse des phénomènes conflictuels, il affirme que, « pauvreté, maladie, famine, oppression et désespoir sévissent (...). Ces problèmes, qui sont à la fois la source et la conséquence des conflits exigent que l'attention que leur porte l'ONU ne se relâche pas et que les efforts qu'elle leur consacre constituent l'absolue priorité (...). Sécheresse et maladie peuvent décimer aussi impitoyablement que des armes de guerre. Alors même que de nouvelles possibilités s'offrent ainsi à l'Organisation, les efforts qu'elle déploie en vue d'instaurer la paix, la stabilité et la sécurité doivent dépasser le domaine de la menace militaire (...) »105(*). Ainsi, le Secrétaire général propose une nouvelle approche de l'action du Conseil, tendant, non seulement à faire cesser les conflits en cours, mais surtout à éviter qu'ils surviennent ou qu'ils se reproduisent. A ce titre, il lui propose la recherche des causes les plus intimes des conflits, y intégrant d'autres dimensions de la sécurité que celles rattachées à la défense des intérêts, de sécurité du territoire national, de la même façon qu'une division de l'action liée à la sécurité humaine comprenant cinq volets: la diplomatie préventive, le rétablissement de la paix, le maintien dela paix, la consolidation de la paix après les conflits, et le traitement des causes profondes de conflit, la misère économique, l'injustice sociale et l'oppression politique106(*). Selon une partie de la doctrine, cette démarche proposée par le Secrétaire général des Nations Unies, que Kofi Annan son successeur a repris dans ses rapports en date du 13 avril 1998 sur "les causes des conflits et la promotion d'une paix et d'un développement durables en Afrique"107(*)et du 22 septembre 1998 sur "la protection des activités d'assistance humanitaire aux réfugiés et autres personnes touchées par un conflit"108(*), en particulier l'analyse qu'ils contiennent concernant la protection des civils, a notablement influencé le mode opératoire du Conseil. Comme le souligne Hervé Cassan109(*), on assiste à un changement dans le mode de fonctionnement du Conseil de sécurité où, « les résolutions qu'il adopte sont moins la résultante d'un raisonnement normatif que la traduction d'une analyse politique (...) ; une analyse complète, tant sur le plan militaire que politique, humanitaire et économique ». Le Conseil procède, désormais, à un traitement global et continu des crises. Il se découvre de nouveaux champs de compétence ainsi que des domaines d'intervention sur le fondement d'une conception renouvelée de la sécurité où « la sécurité des peuples » et « la protection des civils dans les conflits internes » accèdent au rang des préoccupations du Conseil de sécurité dans ses activités normatives110(*). Dans ce contexte, les origines de l'insécurité appréhendées par le Conseil de sécurité sont diverses et peuvent être recherchées inter alia dans des facteurs sociaux, économiques, environnementaux ou même sanitaires. Comme l'a souligné Amara Essy, l'ancien Secrétaire général de l'OUA, « (à) l'évidence, le Secrétaire général de l'ONU ne cesse de le répéter, la problématique de la sécurité internationale, et l'Afrique est concernée au premier chef, se pose dans des termes souvent différents de ceux posés par la Charte de 1945. C'est désormais moins la sécurité des Etats qui est en cause, que l'existence même de l'Etat en tant que système organisé de gouvernement. Il s'agit aujourd'hui tout autant de garantir la sécurité collective des Etats prévue par la Charte des Nations Unies (...) que d'assurer la sécurité globale des sociétés mises en danger par des guerres civiles ou diverses autres menaces comme la grande criminalité ou les pandémies comme le sida »111(*). Ce que le Conseil effectue lors de sa réunion du 10 janvier 2000112(*). « Pour la première fois, après plus de quatre mille séances de travail au cours des cinquante dernières années, (...) le Conseil de sécurité », eu égard à la « nature changeante des menaces à la sécurité dans le monde » se penche « sur une question relative à la santé en la considérant comme une menace pour la sécurité »113(*). Comme l'a expliqué James Wolfensohn, le Président de la Banque mondiale, lors des débats au Conseil de sécurité du 10 janvier 2000, la pandémie du VIH/sida, entrave les efforts de développement par une destruction des structures familiales, sociales et économiques, accentuant les difficultés éprouvées par les sociétés concernées. La pauvreté et l'exclusion qui en résultent favorisent les guerres civiles, en portant un coup à la stabilité politique des Etats, ainsi que les conflits entre Etats. Souvent à base interethnique, ceux-ci entraînent des déplacements massifs de populations, combattants armés et réfugiés, qui contribuent à la propagation de l'infection. Avec cette pandémie relève-t-il, « nous nous heurtons à une grande crise de développement et, plus que cela, à une crise de sécurité, car sans espoir sur les plans économique et social nous n'aurons pas la paix et le sida ne manquera pas de porter atteinte tant au développement qu'à la sécurité »114(*). Cet élargissement du champ de compétence du Conseil de sécurité115(*) n'a pour autant pas entraîné un amenuisement de celui du Conseil économique et social qui a la responsabilité, dans le système des Nations Unies, des « questions internationales dans les domaines économique, social et (...) de la santé publique (...) », selon les dispositions de l'article 63 de la Charte116(*). Mais, cette nouvelle approche du Conseil de sécurité n'est cependant pas dénuée de valeur. Il conviendrait à cet égard de relever que, si le Conseil de sécurité a entrepris une réflexion sur le contenu de la notion de sécurité, prenant en compte l'évolution du monde contemporain, une telle situation ne paraît aucunement contrarier les termes de son mandat, bien au contraire. En effet, les termes de « maintien de la paix et de la sécurité internationales » qui délimitent le champ de compétence du Conseil, ne comportent pas de définition précise ; mais en outre, le maintien de la paix « a été inventé par l'Organisation des Nations Unies », il semblerait alors opportun que l'Organisation elle-même puisse en modifier les éléments par la voix de l'organe qui, aux termes de la Charte, en assume la responsabilité principale, quitte à ce que cet organe interprète ensuite strictement celle-ci en ce qui concerne les décisions qu'il est habilité à prendre. « Il serait, toutefois, erroné de ne voir dans cette nouvelle approche qu'un simple exercice intellectuel ou une discussion d'école. Les débats tenus sur cette question par le Conseil de sécurité en séance publique ne restent pas sans incidence : c'est toute une dynamique nouvelle qui en découle, dynamique de coopération et de suivi pour arriver à des mesures concrètes, largement orchestrée, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du système onusien, par le Secrétaire général des Nations Unies. Enfin, il constitue un précédent pour ce qui concerne la façon d'aborder la question du maintien de la paix. Les questions de santé publique, du moins les plus préoccupantes d'entre elles, sont ainsi portées à un niveau élevé, ce qui a des conséquences non négligeables sur la manière dont elles vont être traitées par les organismes compétents en la matière »117(*). Ainsi, même si le Conseil de sécurité n'emprunte pas explicitement le concept de la sécurité humaine, sa pratique tend à se rapprocher de plus en plus d'une compréhension holistique de la sécurité prenant pour point de référence les personnes et leurs communautés, plutôt que le territoire ou les gouvernements, qui le caractérisent. * 102Conseil de sécurité, Communiqué de presse, CS/2088, 12 janvier 2001. * 103Voir, notamment, Hervé Cassan, « L'avenir du Conseil de sécurité : une question de méthode », in Annuaire français de relations internationales, n° 1, 2000, pp. 805-816, spécialement pp. 807-809 et 814-815. Ce nouveau rôle a d'ailleurs été entériné, dès 1995, par le Secrétaire général à la cinquantième année, Supplément de janvier, février et mars 1995 S/1995/1. qui analyse avec minutie le changement intervenu dans les opérations de maintien de la paix et dans lequel on peut lire : « Un deuxième changement d'ordre qualitatif tient à l'utilisation des forces des Nations Unies pour protéger des opérations humanitaires », § 18. * 104 Il est à rappeler que ce document constitue la première réponse apportée par le secrétaire général à la commande du Conseil de sécurité réuni le 31 janvier 1992 au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement, lui demandant une étude et des recommandations sur « le moyen de renforcer la capacité de l'Organisation des Nations Unies dans les domaines de la diplomatie préventive, du maintien et du rétablissement de la paix, et sur la façon d'accroître son efficacité dans le cadre des dispositions de la Charte », Déclaration du 31 janvier 1992 adoptée par le Sommet du Conseil de sécurité, S/23500, p. 123. * 105 Agenda pour la paix : diplomatie préventive, rétablissement de la paix et maintien de la paix », Rapport du Secrétaire général à la réunion du Conseil de sécurité (A/47/277-S24111), 17 juin 1992. * 106 David Lee, « Étude de cas : Haïti », dans Rob Mc Rae et Don Hubert (dir.), Sécurité humaine et nouvelle diplomatie : protection des personnes, promotion de la paix, McGill-Queen's University Press, Montréal, Kingston, 2002, p.115 * 107S/1998/318 * 108S/1998/883 * 109 Hervé Cassan, op. cit., pp 814-815. * 110 Ceci se vérifie à travers la multiplication de résolutions spécifiques prises dans le cadre du chapitre VII et touchant la question de la sécurité, des opérations de secours humanitaires qui sont menées à l'occasion de conflits armés, par exemple en Somalie, Résolution 794 (1992) du 3 décembre 1992, en Bosnie, Résolution 836 (1993) du 4 juin 1993 ou au Kosovo, Résolution 1244 (1999) du 10 juin 1999; la protection des enfants touchés par les conflits armés à travers les résolutions (1999) du 25 août 1999, 1314 (2000) du 11 août 2000, 1379 (2001) du 20 novembre 2001, 1460 (2003) du 30 janvier 2003, 1539 (2004) du 22 avril 2004 et 1612 du 26 juillet 2005 ; la protection des femmes, Résolution 1325 du 31 octobre 2000, ou des civils en période de conflit armé, résolutions 1265 du 17 septembre 1999, 1296 du 19 avril 2000. * 111Amara Essy, intervention lors de la séance tenue le 29 janvier 2000 sur « la situation en Afrique », S/PV.4460, document accessible sur le site www.un.org/french/docs.sc/pvs/pv4460f.pdf, consulté le 09 février 2015. * 112Il conviendrait, toutefois, de préciser que, selon plusieurs diplomates, la Chine et la Russie ont ainsi refusé de s'exprimer lors de cette réunion du Conseil, par crainte que celui-ci n'étende ses compétences à des sujets autrement plus controversés, comme les droits de l'Homme. «L'avenir dira s'il s'agit ou non d'un précédent», a commenté Richard Holbrooke reconnaissant que l'aval de certains pays n'a été obtenu qu'à la condition que l'exercice ne se répète pas, Voir Le Temps, 12 janvier 2000. * 113Al Gore, vice-président des Etats-Unis, allocution d'ouverture (S/PV.4087). Cette réunion fut le résultat de la conjugaison de deux faits : après des années d'indifférence, la question du Sida était brusquement devenue d'actualité sous l'administration Clinton, sans que l'on sache d'ailleurs à quoi attribuer cet intérêt soudain (Voir l'enquête du Washington Post publié dans ses colonnes le 5 juillet 2000 dénonçant avec vigueur ce que l'on a pu appeler le « syndrome d'abdication » tant aux niveaux national qu'international : « The Belated Global Response to A.I.D.S. in Africa » et « The World ShunnedSigns of Disaster » www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn/..), consulté le 09 février 2015. Il était apparu à M. Richard Holbrooke, représentant permanent des Etats-Unis aux Nations Unies, alors que la présidence tournante du Conseil revenait aux Etats-Unis, la nécessité de proposer comme thème aux travaux du Conseil de sécurité pour le mois de janvier 2000, qu'il dénomma « le mois de l'Afrique », d'identifier les réels problèmes affectant ce continent, afin d'en proposer les solutions les plus appropriées. M. Holbrooke proposa d'ouvrir les débats avec la question du Sida, particulièrement aiguë sur ce continent tout en la reliant avec les autres problèmes prégnants que sont les violents conflits ethniques et politiques, la question des réfugiés, la faim, la pauvreté, les violations des droits de l'Homme, le manque d'éducation et la marginalisation économique. Il serait, toutefois, à relever qu'en dépit de l'absence de mesures spécifiques prises par le Conseil à l'issue de ses travaux, ceux-ci ont contribué à préparer la prise ultérieurement de certaines décisions importantes dont la Résolution 1308 du 17 juillet 2000 relative à la « responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationale incombant au Conseil de sécurité : le VIH/ sida et les opérations internationales de maintien de la paix ». * 114Pour les débats de cette réunion du 10 janvier 2000, voir le document S/PV. 4087. Ce document est accessible sur le site internet :http://secap174.un.org/search?q=cache:ylHBxZoNmRE:http://daccessods. un.org/access.nsf/Get%3FOpen%26DS%3DS/PV.4087%26Lang%3DE+S%2FPV+4087&ie=utf8&site=u- org&output=xml_no_dtd&client=un_org&access=p&num=10&proxystylesheet=http%3A%2F%2Fwww.un.org %2Ffrench%2Fsearch%2Fun_org_stylesheetf.xslt&oe=utf8,consulté le 09 février 2015. * 115A contra, voir les explications avancées par Pierre-Marie Dupuy. Selon cet auteur, cette situation ne constitue pas une réelle innovation, mais « un simple retour à la lettre comme à l'esprit de la Charte». Il souligne que l'article 1er de la Charte fait expressément le lien entre le maintien de la paix et la coopération internationale pour résoudre « les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire » et la protection des droits de l'Homme. Pour cet auteur, il existe dans la Charte deux conceptions distinctes de la paix internationale ; une dimension structurelle qui relève de l'Assemblée générale, du Conseil économique et social et du Secrétariat Général et qui est destinée à se réaliser sur le long terme par une coopération entre Etats et Organisations concernées ; et une dimension sécuritaire dont la responsabilité relève spécifiquement du Conseil de sécurité et qui se situe dans l'urgence. P.-M. Dupuy explique que « c'est la différenciation entre ces deux dimensions de la paix qui paraît remise en cause », le Conseil de sécurité intervenant, à présent, dans la sphère relevant de la dimension structurelle. « Sécurité collective et organisation de la paix », Revue Générale de droit International Public, 1993/2, notamment p. 61 et pp. 623-624. * 116Dans sa déclaration lors de la séance du 10 janvier 2000, le secrétaire général, Kofi Annan, définit lui-même les contours de l'action du Conseil de sécurité et attribue à celui-ci le « rôle (...) d'empêcher les conflits, de contribuer à la propagation du sida et d'entraver les efforts que déploient les autres partenaires pour maîtriser l'épidémie ». C'est très exactement ce qu'a fait par la suite le Conseil, se retranchant derrière les termes du mandat que les organes des Nations Unies ont reçu de la Charte : dans sa Résolution 1308 du 17 juillet 2000, la première à évoquer une question de santé publique, s'il encourage les Etats membres à mettre en oeuvre une action de formation, prévention, dépistage et traitement, c'est uniquement à l'égard des personnels participant aux opérations de maintien de la paix. La résolution ne concerne que de manière indirecte la population, civile ou militaire, non engagée dans ces opérations. Plus récemment, après la session extraordinaire de l'Assemblée générale sur le sida tenue en juin 2001, le Président du Conseil de sécurité déclare, au nom du Conseil, que celui-ci « exprime son intention de contribuer dans son domaine de compétence, à la réalisation des objectifs énoncés dans la déclaration (...) » Voir la Déclaration du président du Conseil de sécurité du 28 juin 2001, S/PRST/2001/16. Enfin, lors des débats tenus le 29 janvier 2002 sur l'Afrique, la Vice secrétaire générale, Mme Louise Fréchette, fait référence au sida en tant que « facteur qui contribue à la plupart des causes profondes de conflit, si ce n'est à toutes » mais propose au Conseil « de se concentrer sur des questions à propos desquelles (...) [il] a des responsabilités et des possibilités d'action directe » Voir document S/PV 4460 , accessible sur le site internet : http://www.un.org/News/Press/docs/2002/SC7282.doc.htm, consulté le 09 février 2015. * 117Michèle Poulain, « Urgence sanitaire et droit international », Actualité et Droit International, mars 2002, accessible sur le site : http://www.ridi.org/adi/articles/2002/200203pou.htm#_ftn33, consulté le 15 février 2015. |
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