Introduction
Art du dialogue et de l'émotion, le
théâtre est avant tout art de l'imitation. Cette
« imitation de l'action » comme le qualifiait Aristote se
retrouve au travers des différentes figures de personnages de la
pièce. C'est une imitation présente avant tout par le texte que
par la représentation même si le genre ne s'accomplit
réellement que dans cette dernière. C'est d'ailleurs grâce
à cette mise en scène que le théâtre est un genre
mis à l'écart dans la littérature. Un roman peut
très bien être adapté au cinéma mais ce n'est pas
dans sa nature de base. Comme l'affirmait Molière, « le
théâtre a été conçu pour être
représenté », même si le texte a son importance.
D'ailleurs au Moyen-Age, les premières pièces de
théâtre furent jouées avant même que les premiers
textes dramatiques n'apparaissent. Il s'agissait de théâtre
religieux, puis de théâtre profane inspirés directement de
la Bible. Ce qui est important ici, c'est de voir que le théâtre
apparaissait comme un jeu. Nous retrouvons ce goût pour la mise en
scène au XVIIème siècle, notamment avec Shakespeare pour
le théâtre anglophone et Corneille pour le théâtre
francophone.
Aujourd'hui, la pièce de théâtre est un
genre littéraire connue autant pour son texte que pour sa mise en
scène. Dans ce mémoire, l'accent sera principalement mis sur le
texte et son organisation discursive. Le texte théâtral fait
cohabiter deux mondes : un univers de la fiction et un univers où
elle prend corps. Analyser un texte théâtral revient à
prendre en compte la double énonciation. Il y a double
énonciation du fait que le théâtre soit un genre à
la fois textuel et visuel. La première énonciation concerne
l'auteur et sa relation avec le texte ; la seconde le personnage en
relation avec le texte.
Louis Jouvet affirmait que « la pièce de
théâtre est une conversation ». Là est toute la
différence avec le roman : ce dernier étant tourné
vers un discours commentatif. Les descriptions de personnages ou de lieux sont
moins abondants, voire quasi-inexistants dans une pièce de
théâtre. Par « conversation », Louis Jouvet
souligne l'importance du dialogue dans le texte. La pièce de
théâtre ressemble à une grande conversation grâce aux
dialogues mis en place au travers des personnages. Le dialogue demeure la forme
la plus importante et la plus étudiée au théâtre. La
linguistique interactionnelle qui a émergé dans les années
90s, a su mettre en avant le dialogue et son mécanisme au travers d'une
analyse de la conversation. Nous retiendrons principalement les récents
travaux de Catherine Kerbrat-Orecchioni sur le principe d'alternance qui
énonce au moins la présence de deux interlocuteurs pour que l'on
puisse parler de dialogue. Evidemment, cet échange a besoin de
règles pour pouvoir se dérouler dans les meilleures conditions,
notamment les règles de politesse. Cependant, le dialogue n'est pas la
seule forme de discours existante au théâtre :
l'aparté, le monologue et le soliloque en font également parties
mais leurs apparitions sont moins denses et même, moins attendues du
public. Quelle place leur reste-t-il donc à côté du
dialogue ?
Dans ce mémoire, notre attention sera portée sur
le soliloque avec quelques allusions faites au dialogue et au monologue.
L'intérêt du sujet réside dans le caractère
méconnu de la forme, la moins étudiée du
théâtre. Etudier le soliloque revient avant tout à
étudier le discours théâtral dans sa globalité. Il
ne sera pas question ici d'analyser proprement l'art de communiquer comme ont
pu le faire les interactionnistes mais d'envisager l'étude du
soliloque comme un tout, notamment sur la place que prend la forme au
théâtre.Que l'on ait affaire à une interaction dans la vie
réelle ou dans la fiction, nous serons toujours face à un
échange rythmé par des tours de parole dans le cas du dialogue,
du trilogue, etc. Cette notion d'échange est remise en cause dans le cas
du soliloque en ce qu'il n'existe pas de tour de parole puisqu'une seule
personne parle. Malgré cela, le soliloque est considéré
comme un discours faisant sens et qui véhicule des figures rendant
possible ce sens.
De-là, nous pourrons nous demander en quoi le
soliloque, qui à première vue ne renferme qu'une longue suite de
pensées, rend possible l'argumentation, à l'image du dialogue ou
de toute autre forme de discours ?
Ce sujet sera principalement
traité d'un point de vue sémiotique mais aussipragmatique pour
rendre compte de l'organisation de l'argumentation dans le soliloque. Si l'on
devait donner une simple définition du soliloque sans entrer dans la
complexité de la forme et dans l'analyse, nous pouvons affirmer qu'il
s'agit d'un discours qu'une personne se tient à elle-même. De par
une longue suite de pensées, le personnage se parle et se répond
sans que personne ne puisse l'interrompre et être en désaccord
avec lui. Le soliloque étant une forme de discours, il convient
d'affirmer qu'il possède une structure externe et interne.Au sens
général, l'argumentation est la stratégie qui consiste
à défendre une thèse en la faisant admettre à un
destinataire et à se mettre en valeur. Enfin, la sémiotique est
définie comme étant l'étude de la signification. Elle
s'intéresse au paraître du sens au travers d'un discours montrant
ce sens et le rendant communicable. Greimas et Courtés la
définissent même comme une « théorie de la
signification ».
L'objectif de ce mémoire est de mettre en avant une
forme peu connue du théâtre, une forme qui nécessite
d'être définie et comparée à d'autres formes
rencontrées dans le genre pour pouvoir être comprise. La
sémiotique permettrait donc de rendre compte de cette effectivité
puisqu'elle explore différents modes d'écriture. Les
données ont été traitées et analysées
à l'aide d'un corpus composé de trois soliloques des
pièces de Shakespeare : Macbeth, Richard III et
Hamlet. C'est dans ces trois analyses que la sémiotique entre
en jeu et permet de rendre compte du niveau de l'argumentation. Nous
choisissons de privilégier un plan commençant par des concepts
théoriques et finissant sur notre analyse pratique pour mieux comprendre
les mécanismes du soliloque.
Ce mémoire comprend trois parties, divisées
chacune en trois chapitres. La première partie (I) souligne le
caractère indirect de l'argumentation dans le soliloque en insistant
notamment sur les spécificités de la forme : le soliloque y
est étudié d'une manière purement théorique.
L'accent est mis sur les fonctions et la place que peut occuper le
procédé dans une pièce de théâtre. S'en suit
une réflexion sur la question de l'interlocuteur, question que nous
jugeons majeure pour le mémoire. Une comparaison avec le monologueest
effectuée,d'une partsur leur synonymie, d'autre part sur leur
distinction tant sur le plan de l'adresse que du contenu. Enfin, un point sur
le dialogue est présentépour établir une distinction avec
le soliloque principalement au niveau argumentatif. Après quelques
généralités sur le dialogue, nous nous concentrons sur la
distinction entre les deux formes.
La seconde partie (II) concerne l'argumentation dans le
théâtre. Est traitée dans un premier temps, l'argumentation
en tant que caractère indirect avec une brève
présentationpuis une comparaison avec l'argumentation directe pour en
venir à la question de l'efficacité. D'autre part,
l'argumentation dans le théâtre est également vue comme
dialogal. En ce sens, nous nous attachons à faire un point sur le
théâtre en tant qu'art dialogual pour aboutir au double concept du
dialogue et de la délibération. Nous sommes plus précis
par la suite avec lechapitre sur l'argumentation chez Shakespeare en rappelant
les caractéristiques propres à la tragédie. Ce qui nous
amène à voir l'utilité du soliloque dans l'argumentation
shakespearienne pour enfin terminer sur une notion jugée importante dans
son argumentation : la manipulation.Plus pratique que théorique, la
troisième partie (III) est constituée de nos trois analyses
sémiotiques. Nous commençons par analyser le soliloque de Macbeth
en le situant dans la pièce et en y étudiant l'argumentation au
travers des différents concepts sémiotiques. Nous en faisons de
la sorte pour le soliloque de Richard III en mettant en avant le concept de la
quête et ainsi pour le soliloque d'Hamlet avec le concept de
l'existence.
Partie 1 : Le soliloque, une des manifestations
indirectes de l'argumentation
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