c. La manipulation
comme partie de l'argumentation
Nous ne devons pas confondre la manipulation et
l'argumentation ou même affirmer que manipuler revient à
argumenter. Il est vrai que quelque part, il y a une part de l'argumentation
dans la manipulation mais une brève distinction s'impose avant de nous
concentrer sur Shakespeare. Lorsqu'une personne manipule une autre, il la
contraint à adhérer à sa position et à adopter un
certain comportement. C'est comme si le manipulé était pris dans
un piège mental étant donné qu'il n'a pas conscience de
cette manipulation. Le but de l'argumentation en revanche, est de laisser
l'interlocuteur adhérer librement ou non à une opinion
quelconque. Il peut réfuter cette opinion en en proposant une autre ou y
adhérer en appuyant les propos.
Chez Shakespeare,l'argumentation concentre la manipulation. Le
protagoniste ne cherche pas seulement à établir un plan d'action,
il se sert aussi de la manipulation comme un moyen. A partir du moment
où ce même protagoniste a décidé de mener à
bien sa stratégie, tous les autres personnages se retrouvent pris dans
un filet où ils n'en sortiront que par leur propre mort ou par la mort
du protagoniste. Si l'on prend l'exemple de Richard III, nous sommes
immédiatement pris (en tant que lecteur) dans ce filet de manipulation
puisque dès la première scène, ce dernier expose
clairement son intention pour prendre le pouvoir.En tant que lecteur, nous
sommes touchés par ce qu'il dit : cela est dû à sa
stratégie argumentative. En effet, Gloucester commence par
établir le contexte en affirmant que la Guerre des Roses est
terminée et que la paix règne sur le royaume. Il fait ensuite un
constat sur sa propre nature : c'est là qu'interviennent pour la
première fois les thématiques de l'esprit et du corps. Richard
est laid et en a conscience, c'est pour cela qu'il veut se venger et obtenir le
pouvoir : pour combler sa laideur. Son corps a dénaturé son
esprit. Il part de ce constat pour établir son plan face à un
lecteur qui n'a pas d'autre choix que de ressentir de la pitié pour lui.
Le lecteur finit par être convaincu par Richard et en vient même
à être certain de la quête du pouvoir du personnage
éponyme. L'éthos de ce personnage est tellement fort qu'il arrive
à convaincre Lady Anne de ne pas le tuer dans la scène 2 ;
elle qui semblait le détester au début de la scène.
La manipulation amène souvent à la perte du
protagoniste. Cette perte est le plus souvent due à la déception
qu'à engendrer le personnage et son entourage. Quand les masques tombent
et que les autres personnages se rendent compte de la vraie facette du
personnage éponyme, ils font tout pour que ça lui retombe dessus.
Evidemment, cette déception ne peut être liée à la
manipulation puisque celle-ci est inattendue par le protagoniste et ne fait pas
partie de ses plans.C'est comme si ceux qui ont été
manipulés, reprenaient leurs esprits pour voir la réalité
en face. La vérité finit toujours par triompher chez Shakespeare,
peu importe le sens que prend la pièce. Il est juste d'affirmer que
cette perte du protagoniste est une caractéristique propre à la
tragédie. Mais nous ne pouvons pas lire une tragédie en pensant
directement que le dénouement finira mal. Il est des tragédies
où le dénouement se termine bien : Le Cid de
Corneille néanmoins.La manipulation fait partie de l'argumentation au
sens où l'énonciateur s'en sert comme un outil pour mettre au
point sa stratégie.
Comme nous l'avons affirmé, l'argumentation au
théâtre est indirecte du fait de cette intermédiaire
utilisé par l'auteur, qui n'est autre que la fiction. Le message est
rendu implicite au profit d'une mise en scène servant à plaire et
à instruire le lecteur ou le spectateur. Cependant à
l'intérieur même du texte, l'argumentation est rendue explicite
notamment au travers des dialogues entre les personnages. L'argumentation
théâtrale est certes indirecte, mais surtout dialogale. Là
est toute la différence avec le soliloque où l'argumentation
n'est pas perçue directement. Il conviendra ainsi dans une
dernière partie, de procéder à nos analyses
sémiotiques et de voir comment l'argumentation peut être rendue
possible au travers d'une forme de discours peu ordinaire et cataloguée.
Partie 3 : Analyses sémiotiques du
soliloque : résultats et interprétations
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