1.5 Méthodologie
1.5.1. Question de départ
La réalisation de mon enquête est guidée
par une question : que se passe-t-il entre les étudiants
pédicures-podologues dans ces moments d'apprentissages entre pairs ?
Cette interrogation est provisoirement formulée et
oriente mon travail exploratoire. Les lectures portant sur des thèmes
proches de ma recherche m'ont permis de mettre en évidence les
perspectives les plus pertinentes pour aborder mon objet. Ainsi, je me suis
intéressée à la notion d'apprentissage en lisant des
auteurs comme Philippe Meirieu, Jean Piaget, Lev Vygotski et
Jérôme Bruner. La complexité des conditions d'apprentissage
est un questionnement permanent, ancré dans l'histoire des hommes :
déjà au Vème siècle avant J.-C., Platon propose,
dans La République et Les Lois, une
21 Brigitte Albéro, citation de cours, master
EAD. 2012.
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éducation collective dans le but de former des citoyens
où la Cité remplacerait totalement les parents. Pour lui,
l'éducation consistait à « mettre la science dans
l'âme » selon le sens commun, à élever l'âme
vers le bien, le beau et la justice...
Les théories du psychologue américain
Jérôme Bruner22, dans les années 1950, sont, de
mon point de vue, une aide précieuse pour répondre aux
questionnements. Ce qu'elles ont d'original par rapport à d'autres
théories d'apprentissage, c'est qu'elles expliquent, d'une part, le
processus cognitif de l'apprentissage et qu'elles montrent, d'autre part, le
rôle primordial de l'interaction sociale qui le déclenche. Elles
permettent de comprendre les processus qui rendent possible l'acquisition des
connaissances et donc d'élaborer des pratiques pédagogiques
prenant en compte à la fois la nature cognitive et sociale de
l'apprentissage. Ces théories, comparées à d'autres
courants, me permettent de mieux cerner la question des apprentissages. Puisque
mon questionnement porte sur un travail collectif, entre pairs, je suis
également allée regarder du côté du collectif, de la
coopération. Des auteurs comme Alain Baudrit ou Etienne Wenger ont
particulièrement retenu mon intention. La nature sociale de
l'apprentissage qui m'intéresse a orienté, de fait, mes lectures
sur les phénomènes de socialisation : Muriel Darmon et Claude
Dubar sont les auteurs majeurs auxquels je me réfère dans cette
étude.
L'activité de lectures préparatoires, que je
présente dans la partie Travaux relatifs à la question,
est donc un recueil d'informations sur des recherches déjà
menées qui me permet de situer ma propre contribution à travers
l'étude que je propose. Cette phase d'exploration est une période
pendant laquelle s'entremêlent lectures, observations du terrain et
entretiens exploratoires. L'enquête de terrain favorise la collecte de
renseignements complétant les pistes de travail que mes lectures m'ont
suggérées.
Les incessants allers-retours entre mes observations et mes
premières exploitations d'entretien me permettent de dégager une
vision relativement cohérente de mon objet d'étude23.
Décrire et analyser l'expérience des individus en observant ce
qui fait sens ou problème pour eux, ce qui est pertinent,
cohérent ou pas, rend possible le fait de « remonter de la
subjectivité vers l'objectivité, de l'action vers le
système24 ». Les entretiens exploratoires permettent de
transformer, de modifier le questionnement. En
22 Comment les enfants apprennent à parler
; Culture et modes de pensée ; Éducation, entrée dans
la
culture ; Le développement de
l'enfant : savoir faire, savoir dire,... sont quelques-uns des ouvrages de
J. Bruner.
23 D. Bertaux, Récits de vie. Paris.
Armand Colin. 2010.
24 F. Dubet. L'expérience sociologique.
Paris. La Découverte. 2007.
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croisant mes observations et ce que disent les
étudiants au sujet de leur activité, je prends conscience que ce
qui me posait questionnement au départ n'est pas vraiment
intéressant, trop évident, peu énigmatique. Au
début de mon enquête, je souhaitais comprendre ce que pensaient
les étudiants, s'ils trouvaient ces situations en binôme
confortables et utiles à leur formation. C'est autre chose que j'ai
découvert en les écoutant et en les observant. Déplacer
mon regard est devenu alors une évidence et une
nécessité.
Pour cette phase exploratoire, je me suis entretenue avec
quatre étudiants (deux premières année, deux
troisièmes année) ce qui m'a permis de prendre conscience
d'aspects auxquels mes observations ou mes lectures ne me donnaient pas
accès. Par exemple, j'ai entendu des expressions comme « tuteur,
c'est un rôle qu'on nous donne », « on ne dit jamais non
», « pour aider, il faut y mettre du coeur », « on est une
famille de podologues »...
Cette phase préparatoire est également le moment
de construction des ajustements nécessaires à une « bonne
» conduite des entretiens, celle qui amène à une
connaissance, sans quoi, ces entretiens ne seraient que des discussions, certes
intéressantes, mais peu productives de faits « sinon
réfutables, au moins vérifiables et discutables par la
communauté des pairs25 ». L'objectif de ces entretiens
semi-directifs ne consiste pas non plus à valider des idées
préconçues mais à rendre visibles d'autres
phénomènes. En tant qu'interviewer, j'aurais pu penser que je
n'allais opérer qu'un simple prélèvement de discours
auprès des étudiants enquêtés. Cette
expérience de terrain me permet de constater qu'il n'en est rien, que la
manière dont j'ai organisé nos rencontres a certainement
influencé la production de parole. Mes entretiens se sont
déroulés dans l'institut dans lequel je travaille, dans des
salles de travail ou de cours, et non à l'extérieur. Mon
inexpérience à la conduite d'entretiens a eu des
conséquences sur la préparation de mon protocole d'enquête,
sur mes interventions, parfois directives, lors de l'écoute des premiers
enquêtés. Ces éléments sont autant de biais que j'ai
relevés dans cette phase exploratoire. Pour que mes résultats
puissent tenter d'expliquer, d'objectiver les phénomènes
étudiés, il fut évidement nécessaire
d'améliorer ma méthode d'investigation26.
25 B. Albéro, Robin, Linard, Petite
fabrique de l'innovation à l'université. Paris. Harmattan,
2008. p. 16.
26 « C'est le B.A BA de la recherche de terrain »
dit Ida Simon Barouh, ethnologue. « En ethno, par exemple, on commence par
faire une ou deux observations, un ou deux entretiens à titre
d'expérience (ça s'appelle le pré-terrain), et on voit ce
qui a marché, ce qui a posé problème avant de se «
lancer »
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