4.1.3 Les modèles d'apprentissages entre
pairs
4.1.3.1 Différents concepts
Ces pratiques dans lesquelles les étudiants
interagissent avec d'autres étudiants afin d'atteindre un but, que ce
soit l'accomplissement d'un geste de soin technique, la justesse d'un
diagnostic, la pertinence d'une proposition de prise en charge
thérapeutique ou la qualité de la communication avec le
patient... m'invite à être attentive aux différentes
connaissances détenues par les groupes et à ainsi concevoir
l'apprentissage dans sa dimension collective. Les propos des étudiants
permettent de reconnaître que ce ne sont pas seulement les individus pris
individuellement qui améliorent leurs compétences dans les
situations entre pairs mais que cette progression dans les savoirs et
savoir-faire est le fait des ensembles qu'ils forment. Il est opportun de
parler d'apprentissage collectif ou coopératif quand un individu partage
ses connaissances avec un ou plusieurs autres membres de son groupe et que
ceux-ci approfondissent ensemble l'objet d'apprentissage, ici l'exercice d'un
métier de soin à la personne.
d'expérimentation, celui des puzzles. Il a pu montrer
que donner un temps limite (soit une contrainte) dans la réalisation de
la tâche baissait la motivation intrinsèque, par contre demander
« d'aller le plus vite possible » n'induisait pas d'effet
négatif. Les auteurs ont proposé une première
théorie expliquant les motivations en termes de continuum en fonction de
l'autodétermination des individus (intérêt pour
l'activité elle-même). Plus l'individu est
autodéterminé, plus il est motivé intrinsèquement
et inversement, plus la cause de l'activité est parue externe (ex :
école obligatoire), plus l'individu est extrinsèquement
motivé. Tout ce qui entrave le libre arbitre soit les contraintes de
temps limite, le contrôle, la pression, diminue la motivation
intrinsèque. La motivation extrinsèque est liée au besoin
de renforcements (argent, prix, ...) et la motivation intrinsèque est
liée à l'intérêt de la tâche pour
elle-même.
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Les différents travaux sur les apprentissages en groupe
et entre pairs se sont multipliés depuis plusieurs décennies. Ils
ont largement influencé les pratiques des enseignants et
contribué à l'émergence de concepts, tel l'apprentissage
en collaboration, l'apprentissage coopératif ainsi que les
communautés d'apprentissage.
L'apprentissage en collaboration peut être décrit
comme une stratégie d'apprentissage où un petit groupe
d'apprenants travaille à atteindre un but commun sans séparation
des tâches au préalable ; tout le monde est susceptible de prendre
part et de participer à l'entièreté du processus.
Le terme d'apprentissage coopératif a des origines
Outre-Atlantique. Ainsi, Johnson & Johnson, cités par Alain Baudrit,
le caractérisent en un travail en petits groupes, dans un but commun,
qui permet d'optimiser les apprentissages de chacun. Pour ces auteurs, les
élèves des groupes coopératifs « peuvent atteindre
leurs objectifs d'apprentissage si, et seulement si, les autres
élèves avec qui ils sont comparativement associés
atteignent les leurs.129» Le succès collectif semble
ainsi être lié à l'efficacité de chaque membre, de
l'investissement individuel dans la réalisation du projet commun. Ce
fonctionnement se nomme interdépendance et suppose des rapports de
réciprocité étroits à l'intérieur des
groupes. Alain Baudrit insiste sur le fait que les groupes doivent
présenter une certaine hétérogénéité,
afin de favoriser les interactions et dynamiser les échanges. Ces
notions d'interdépendance et
d'hétérogénéité « font que les
échanges entre élèves gagnent en coordination et en
intensité, ce qui assure une certaine efficacité collective mais
aussi des gains personnels130.» Les membres de ces groupes
peuvent améliorer leurs connaissances et leurs compétences, en
agissant activement ensemble. Ils sont donc amenés à progresser
individuellement. Les propos de Chris, P3, qui compare les deux instituts qu'il
a fréquenté, illustrent ce phénomène : «
moi je sens qu'ici [le 2ème institut
fréquenté] on peut facilement discuter, donner notre avis, ce qui
va, ne va pas, on sent qu'il y a toujours une remise en question de
l'école, de ce qui est fait. [...]Ici, on va plus facilement vers les
livres, vers les profs, on pose plus facilement des questions parce qu'on est
face à des gens plus ouvert ; donc, même en groupe, ça
créer une dynamique. Les étudiants échangent, `'tiens moi
y'a un prof qui m'a dit ça'Ç on se passe les infos et du coup, on
sait qu'on peut aider, comme en clinique ou en soin. On dit à l'autre,
`'tiens y'a ça qui va mais ça tu peux
129 A. Baudrit, L'apprentissage
coopératif: Origines et évolutions d'une méthode
pédagogique. Paris. De Boeck. 2007, p.94.
130 A. Baudrit, op. cit, p.7.
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faire autrement, ou là, tu te trompes». Ainsi,
tout le monde s'interroge sur comment faire, et même les P1 ou les P2,
quand on est en groupe, voient des choses qu'ils n'ont pas encore apprises et
ça leur donne envie d'avancer131. » La motivation
dans les apprentissages apparaît clairement ; c'est un
élément important à intégrer dans le concept
d'apprentissage coopératif.
Du coté européen, Philippe Meirieu132
développe une conception du fonctionnement groupal assez proche de celui
exposé par Johnson & Johnson. Pour lui, ce type de groupes se
distingue par « un mode de fonctionnement impliquant chacun à la
tâche commune, de façon à ce que cette implication soit un
moyen d'accès à l'objectif que l'on se propose
d'atteindre.133 » L'idée que les élèves
participent à une activité collective et que celle-ci leur
permette d'acquérir des savoirs est développée
également chez Robert Pléty134 lorsqu'il parle
d'apprentissage coopérant. Selon cet auteur, ce travail de
groupe permet à un certain nombre d'élèves, en situation
d'échec, de réussir par le travail collectif. Pour cela, les
groupes doivent être interactifs, faire preuve d'une véritable
activité de « ce que les élèves peuvent s'apporter
les uns aux autres, du fait de leur capacité en intelligence, action et
organisation.135» La synergie créée par la
collaboration fait donc émerger des facultés de
représentation, de création et d'apprentissage supérieures
à celles des individus isolés.
Certains processus du concept de collaboration s'appliquent
à la situation observée dans les apprentissages entre pairs
pédicures-podologues, à savoir :
- Les étudiants doivent se mettre d'accord sur
l'objectif de soin et organiser leurs actions pour le réaliser.
- Il y a négociation par la discussion entre les
étudiants.
- La collaboration à un acte de soin est la cause de
l'apprentissage (c'est parce que les étudiants coopèrent qu'ils
apprennent, même si d'autres situations leurs permettent
d'acquérir des compétences).
131 Cf. annexes entretiens Chris 28 et 32.
132 P. Meirieu, Apprendre oui mais comment? ESF. Paris.
1998.
133 P. Meirieu, op.cit., p.15.
134 R. Pléty, L'apprentissage coopératif,
Paris. Retz. 1996.
135 R. Pléty, op. cit, p. 153.
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Apprendre, travailler ensemble relève également
du concept de communauté d'apprentissage. Divers auteurs, comme Etienne
Wenger136, se sont attachés à décrire une
perspective sociale de l'apprentissage au travers de collectifs particuliers
définis sous le terme de communauté de pratique. Classiquement,
on distingue trois éléments essentiels à la constitution
d'une communauté de pratique d'apprentissage :
- l'engagement mutuel,
- la négociation d'actions communes,
- un répertoire partagé.
Selon Etienne Wenger, l'appartenance à une
communauté de pratique est un engagement des individus dans des actions
dont ils négocient le sens, la finalité.
Concernant les actions communes, elles sont
nécessairement négociées, ce qui crée des relations
de responsabilités mutuelles entre les membres de la
communauté.
Enfin, le répertoire partagé est l'ensemble des
ressources qui réunissent des supports physiques, des outils, des
procédures, des concepts que la communauté a créé
ou adopté (par exemple, dans la situation observée, les concepts
d'hygiène, de stérilisation, la façon d'utiliser les
instruments de soin...) et qui sont incorporés dans les pratiques.
Ce principe de communauté de pratique suppose un
rapport d'entraide entre les acteurs, condition nécessaire pour qu'il y
ait partage des connaissances sur une pratique.
Etienne Wenger évoque aussi le fait que les
communautés émergent de manière spontanée et
informelle et que, dans ce contexte, les expériences, les interrogations
des acteurs incitent au partage et à une recherche de solutions
coconstruites. Sa définition met en évidence la maîtrise
des connaissances, d'habileté ou d'habitudes comme des raisons
d'être de la communauté.
La théorie des communautés de pratique invite
à concevoir l'apprentissage du point de vue « participation sociale
». Ceci sous-entend que la participation n'est pas seulement un engagement
de personnes dans certaines activités mais également un processus
de « collaboration active aux pratiques d'une communauté sociale et
de la construction d'identités en lien avec
elle137». Etre acteur dans un groupe ou une
équipe, constitue une forme d'appartenance à un type
d'activité. Cet engagement transforme l'acte
136 E. Wenger, La théorie des communautés.
Paris. Presses De L'université Laval. 2005.
137 E. Wenger, op. cit,. p. 2.
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d'agir mais aussi la manière d'être et de
l'interpréter. Le phénomène décrit par Etienne
Wenger correspond à la notion d'étudiant auteur/acteur que j'ai
observée chez les étudiants pédicures-podologues.
Que l'on parle d'apprentissage collaboratif, coopératif
ou de communauté de pratique, le dénominateur commun à ces
différentes théories reste le groupe, cette structure dont
l'intérêt est d'être propice à la mise en commun des
idées, au partage d'information, à l'échange donc aux
interactions sociales. J'ai mis en évidence que des dimensions
individuelles et socio-organisationnelles cohabitent. C'est donc de et
dans leurs interactions que les individus peuvent réaliser une
partie de leurs apprentissages138.
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