I/ La découverte de l'essence ;la
Volonté
I,1 Le besoin métaphysique et la philosophie.
A l'inverse de l'animal ,l'homme est doté d'une conscience
particulière,suffisamment éveillée pour se demander quel
est le sens de l'existence du monde et de la sienne propre .L'homme est donc
double par nature;pleinement volonté de vivre comme l'animal,
s'efforçant de suivre ce que la nature a prévu pour lui et en
même temps , représentation, en ce qu'il prend conscience de
lui-même et de sa situation dans l'existence .Une simple conscience
témoin ne poserait aucun problème mais l'être humain
s'interroge sur la valeur de ce qu'il vit. On ne peut dater cette forme
d'inquiétude mais elle l'accompagne depuis fort longtemps. Voici ce que
nous dit Schopenhauer à propos de cet avènement de la conscience:
« Ce n'est qu'une fois que l'essence intime de la nature (la
volonté de vivre dans son objectivation) a traversé les deux
règnes des êtres dépourvus de conscience puis a
remonté d'un pas assuré et hardi la vaste série des
animaux, ce n'est qu'au moment où elle arrive enfin au seuil de la
raison ,dans l'homme donc,qu'elle accède pour la première fois
à la réflexion ,et là ,elle se prend à
s'étonner de sa propre oeuvre et se demande ce qu'elle est elle
même »(1) ;on voit qu'il s'agit bien là d'un mouvement de la
Volonté elle même et que, en ce sens ,la métaphysique est
le destin de l'homme. L'idée courante concernant Schopenhauer, est qu'il
est le philosophe de l'absurde et ne peut que nous conduire au
découragement. En réalité,ce moment métaphysique
est essentiel ,et le bouddhisme parle à ce propos de «
précieuse existence humaine » ;les dieux tout autant que les
animaux et
les démons sont incapables de prendre conscience du
véritable sens de la vie et c'est un privilège humain dans cette
philosophie religieuse. Chez Schopenhauer ,une conscience supérieure
à l'homme serait proprement insoutenable eu égard à la
souffrance qui règne dans le monde. Dans les deux cas,la survenue de
l'homme ,par ce retour de la nature sur elle même ,est le lieu où
se joue vraiment le drame,mais nous devrions dire déjà ,la
tragédie de l'univers. Il y a bien là un enjeu
formidable,justifiant pleinement cette importance universelle de la
métaphysique ;Existe t-il dans l'univers un dessein
mystérieux,une Fin,à laquelle l'homme participe sans s'en rendre
pleinement compte au départ? . Notre auteur se rattache bien à la
tradition philosophique et fait du questionnement sur notre propre existence le
début et le coeur de la métaphysique ainsi qu'Aristote le faisait
remarquer: « Ce fût en effet l'étonnement qui poussa, comme
aujourd'hui,les premiers penseurs aux spéculations philosophiques
»2 . Pour le philosophe de Francfort,la curiosité
étonnée de l'homme en ce qui concerne sa propre existence porte
sur trois choses essentielles;le fait même d'être,que le monde
soit,et la mort qui vient mettre un terme à cette vie. Ceci dit,pour
Schopenhauer,quand on dit que l'homme s'interroge,il s'agit en fait d'une
potentialité car l'homme ordinaire ne se préoccupe ,en
réalité, pas beaucoup de ces questions. Les hommes ,en grande
majorité,sont en fait très largement mûs par les motifs de
leur vouloir particulier et n'ont pas le loisir,au sens grec ancien et
philosophique de vie contemplative,ainsi qu'au sens plus moderne ,de temps
disponible en dehors du travail. On voit déjà là poindre
le thème qui nous occupe en particulier ici,à savoir;la
destinée tragique et l'élection,la vocation toute
particulière de certains. Qu'il y ait eu « quelque chose
plutôt que rien » comme le disait Leibniz,cela a pu interpeller
chacun d'entre nous à différents degrés, voire nous amuser
,mais l'existence en soi ne nous révolte pas ,alors que la mort nous
blesse,nous attriste et nous prive des bribes de sens qui constituaient comme
autant de points d'ancrage sur le chemin de notre vie. Le spectacle du monde
pourrait être un motif de curiosités et d'expériences sans
cesse renouvelées malgré les hauts et les bas de nos destins
particuliers, mais la « grande faucheuse » n'a jamais fait
d'exception jusqu'ici.« Si notre vie était infinie et exempte de
douleur,il ne viendrait sans doute à l'esprit de personne de demander
pourquoi le monde existe et pourquoi précisément il est
doté de cette nature,tout irait de soi »3 . L'auteur nous
précise aussi que l'homme est le seul être à savoir avec
certitude qu'il est mortel. Dans l'animal,la Volonté s'acharne
principalement à la conservation de la vie et il peut continuer
d'avancer en
toute confiance car il ne se sent pas différent d'elle.
Mais la situation de l'homme génère un nouvelle tension;c'est la
vie individuelle qui veut être préservée à tout prix
et depuis le départ,l'homme cherche à fuir la mort,la personnifie
sous des traits terribles et impitoyables,tente de l'amadouer,et se
révolte contre cette sanction qui ne devrait plus être. En
effet,pourquoi la volonté dans la nature a-t-elle produit un être
individualisé et conscient pour s'en débarrasser presque
aussitôt sans qu'il ait pu comprendre le sens de son
passage?L'individu,malgré tout, reste membre de l'espèce et
« appartient »à la Volonté,c'est la raison pour
laquelle,il ne vit presque jamais en présence de l'idée de sa
mort d'où le caractère inauthentique de notre vie dont parlera
Heidegger. La philosophie de Schopenhauer reste dans le sillage de la tradition
philosophique inaugurée par Socrate où philosopher c'est
apprendre à mourir mais pour le penseur allemand ,il s'agit d'accepter
vraiment sa finitude et sa disparition comme une libération. La mort
n'est pas un problème mais au contraire le but de la vie car
l'attachement à la volonté de vivre est irrationnel. Si la mort
nous interpelle,la réflexion philosophique doit nous
révéler la seule solution envisageable,la suppression de la
conscience individuelle;mais le désir d'être se poursuit et le
monde avec lui,ce que l'auteur appelle la
palingénésie,présence d'une soif d'exister qui se recycle
éternellement. Il ne s'agit pas de déjouer les pièges de
l'autre monde qui nous empêchent de gagner le salut de l'âme ,comme
dans l'antiquité, où il existe une affection toute
particulière pour les « manuels »de survie dans l'au
delà,livres des morts égyptiens,gnostiques,tibétains ,dont
les religieux ou initiés possèdent la clé ,les formules
magiques qui conduiront le défunt à bon port.
L'histoire atteste également d' un ars moriendi dans la
spiritualité de l'occident médiéval. Le philosophe
considère néanmoins le moment du trépas comme un
jugement,car il devient ,pour beaucoup,la seule occasion véritable de
renoncer tout à fait à la tentation d'exister. La part
indestructible de notre être existe ,mais elle est celle de la
volonté et non d'un principe conscient. Si, de cette façon nous
pourrions dire avec
Spinoza que nous « sentons que nous sommes éternels
»,ce n'est pas en vertu d'une âme immortelle,mais de la part
éternellement volitive qui nous habite;la sagesse devient plutôt
l'acceptation de la condition tragique d'un individu dont le destin est un
appel à renoncer à lui-même et de dire ,avec le cynisme
amusé d'un Voltaire « J'aime la vie mais le néant ne laisse
pas d'avoir du bon. »C'est vraiment la compréhension du
caractère vain et éphémère de l'existence qui peut
nous réconcilier avec l'idée de la mort;notre vie n'est qu'un
rêve éphémère survenu entre deux néants et
celui
qui va suivre notre disparition n'est pas plus à craindre
que celui qui l'a précédé. Schopenhauer approuve le
raisonnement apaisant d'Épicure pour qui la mort n'est rien car nous
n'en serons pas conscient au moment où elle se produira .L'homme du
commun qui ne va pas consacrer son temps à la réflexion
philosophique a cependant à quelque niveau une vocation
métaphysique mais qu'il va exprimer surtout par l'intermédiaire
de la pratique religieuse ,laquelle constitue pour Schopenhauer une
allégorie plus ou moins parlante de la vérité. Ce besoin
de religion est apparu en raison de notre situation limitée et
souffrante,comme un espoir d'une vie autre, meilleure,une promesse de survie
dans l'au-delà qui viendrait nous consoler de souffrances
imméritées et sans nombre qui furent notre lot ici bas. «
L'immortalité c'est la seule chose pour eux à proprement parler
»4..Dans la conception platonicienne
« soma=sema », l'existence corporelle est assimilable
à un tombeau. Toute spiritualité ,en ce sens,est un rappel de la
situation tragique de l'homme en ce monde ;son esprit est habité par un
désir d'éternité mais son corps clame sans cesse sa
finitude. Ainsi,le besoin de justifier sa vie est primordial chez lui depuis
des temps immémoriaux: « la présence de
temples,d'églises,de pagodes et de mosquées,dans tous les pays et
à toutes les époques,leur splendeur et leur magnificence sont
autant de preuves du besoin métaphysique de l'homme »5 .Bien
entendu,la religion ne peut parler de la vérité que de
façon allégorique et seule la philosophie constitue le
véritable exercice de la pensée,son exigence de
rationalité. A ce propos notre auteur cite Platon: « Il est
impossible pour la foule d'être philosophe » 6 .La religion vient
combler un besoin et son existence est parfaitement justifiée pour
Schopenhauer: « La religion est la métaphysique du peuple;il faut
de toute façon la lui laisser,et par conséquent l'honorer
extérieurement;la discréditer,c'est la lui enlever. De même
qu'il y a une poésie populaire,il doit y avoir une métaphysique
populaire,comme dans les proverbes une sagesse populaire »7
.Cependant ,cet aspect inoffensif de la religion ,ne doit pas
nous faire oublier qu'elle est aussi un instrument de domination pour les
puissants qui agitent dans leurs discours ,le spectre de la sanction divine en
cas de mauvaise conduite. Ces deux aspects de la vérité
religieuse,sont incarnés respectivement par les personnages de
Philatète et Démophèle dans ses petits écrits
philosophiques de 1851 Sur la religion.
Les prescriptions et les ordonnances religieuses ne sauraient
avoir de réalité en elles-même et pas plus que les lois
civiles n'ont de valeur absolue,il convient simplement de les admettre et de
les tolérer: « Il faut
donc l'envisager comme un mal nécessaire résultant
de la pitoyable faiblesse intellectuelle de la grande majorité des
hommes,qui est incapable de saisir la vérité et qui a constamment
besoin,dans un cas urgent,d'un succédané »8selon
Schopenhauer, toutes les religions ne sont pas placées à
égales distance de la vérité,laquelle peut être
connue grâce à sa métaphysique de la volonté (sur
laquelle nous reviendrons plus
tard).Ainsi ,le judaïsme est faux de par son
réalisme(croyance en l'existence du monde indépendamment du
percipient),son théisme et son optimisme. En revanche,les religions de
l'Inde et bouddhisme en tête cherchant une libération de ce monde,
ont bien perçu la vraie nature de l'existence. Par ailleurs,le Christ
représente parfaitement la destinée tragique de l'élu
parvenu au stade où la vie humaine pleinement consciente d'elle
même,ne peut plus être qu'une expression de la compassion pour la
souffrance universelle. Est-il nécessaire d'ajouter que le christianisme
historique à afficher un tout autre visage ,montrant par là
l'inanité de la recherche d'un salut historique et collectif? Cette
dimension de la vie humaine ,c'est vraiment la philosophie qui peut y
répondre pleinement car la religion fait appel au surnaturel afin
d'asseoir son autorité et la science ne s'occupe que du lien que les
phénomènes entretiennent entre eux. Seule la philosophie pourrait
réellement expliquer le problème car grâce à elle,la
raison peut déchiffrer l'énigme du monde et non justifier un
système abstrait conçu en dehors de l'expérience
réelle. Par essence,la philosophie est « contre -nature »car
elle correspond justement à ce retour de la
Volonté sur elle même alors qu'auparavant elle
n'était qu'expansion aveugle et inconsciente .En principe,la nature a
doté « l'animal -humain » d'un intellect purement utilitaire
et qui se consacre pour l'essentiel à assurer sa propre subsistance et
ses propres intérêts: « L'intellect n'est fait que pour
reconnaître les rapports des phénomènes au service d'une
volonté individualisée,dont les objets sont ces
phénomènes. Dans la philosophie,il est donc appliqué
à une chose pour laquelle il n'est pas fait:L'existence en
général et en soi »9 . La caractéristique
majeure,alors,de l'intelligence philosophique,c'est d'être
désintéressée,de considérer le monde non comme
quelque chose dont on doit s'emparer mais un objet à contempler. En un
certain sens ,on peut dire que la philosophie réalise le passage du
monde comme « volonté au monde au monde comme représentation
»Nous verrons plus loin que la philosophie implique une
génialité particulière et le destin qui lui est
conséquent. Schopenhauer a été très critique
à l'égard de la philosophie de métier, à laquelle
pourtant,il s'est lui-même exercé mais sans succès à
Berlin de 1820 à1822.L'inconvénient majeur provient
non pas de l'enseignement en lui-même ,mais de la
subordination de celui-ci aux autorités religieuses et politiques de son
temps. Notre auteur parle de la « Période de
déloyauté »10,en visant les « trois
sophistes »,Fichte,Hegel,et Schelling qui,malgré
l'impossibilité de dépasser le champ de l'expérience
,démontrée magistralement par Kant,continuent de « jongler
» avec les abstractions et de bâtir en toute impunité leurs
systèmes. « Il ne sert à rien que Kant ait
démontré,avec la pénétration et la profondeur les
plus rares,que la raison théorique ne peut jamais s'élever
à des objets en dehors de la possibilité de l'expérience.
Ces messieurs ne se se soucient nullement de pareille chose:mais ils enseignent
sans hésiter,depuis cinquante ans,que la raison a des connaissances
directes absolues,qu'elle est une faculté tout naturellement
fondée sur la métaphysique,et que,hors de toute
possibilité de l'expérience ,elle reconnaît directement et
saisit sûrement le suprasensible,le bon Dieu et tout le bataclan »11
. Ainsi ,la philosophie allemande de l'époque n'a plus de limites et ne
tient plus compte de l'expérience. Aux sources de l'expérience
philosophique,nous avions l'étonnement,lequel se trouve confirmé
par la philosophie hindoue qui depuis toujours révèle le
caractère le caractère illusoire du monde;destin tragique de
l'homme qui tient tellement à quelque chose qui n'a pas de
réalité substantielle, maya. Le bouddhisme enseigne que c'est
notre soif d'exister,avidya,qui produit notre errance dans le labyrinthe du
monde,samsâra,lequel n'est en fait que le produit de nos projections
mentales,la solidité de l'univers même étant contestable et
très relative. Schopenhauer fait souvent référence aux
Védas,aux Upanishads et,à cet égard, on a pu aussi lui
reprocher de ne pas avoir bien saisi leur sens car ils ne sont pas nihilistes
et professent une certaine forme d'immortalité d'une âme
impersonnelle(atman).Quelle est l'originalité de la métaphysique
de Schopenhauer par rapport aux professeurs qu'il critique ? Il s'agit bien
là aussi d'une pensée systématique,une explication globale
du monde,du sens de l'existence humaine et de son devenir .Comment la
métaphysique peut -elle encore exister quand on sait que Schopenhauer
suit parfaitement Kant sur ce point capital? ;lorsque nous percevons le monde
,nous ne le percevons jamais tel qu'il pourrait être en
lui-même,indépendamment d'un sujet qui le perçoit,mais bien
tel qu'il nous apparaît d'après les catégories a priori de
notre entendement que sont l'espace ,le temps et la causalité. Notre
esprit n'ayant pas accès à la chose en soi,toute
métaphysique est devenue impossible. Comment,dés
lors,Schopenhauer peut-il à son tour proposer une
métaphysique?Notre auteur s'en explique en précisant que sa
métaphysique n'est pas fondée sur l'emploi de
concepts tels que Dieu,Substance,Absolu,mais s'en réfère
seulement au domaine de l'expérience:" le devoir de la
métaphysique n'est point de passer par dessus l'expérience,en
laquelle seule consiste le monde,mais au contraire d'arriver à la
comprendre à fond»12 . La philosophie va se présenter comme
un art de l'interprétation du monde donné comme une
totalité dans l'expérience et ceci est possible grâce
à l'expérience immédiate,intérieure que nous
pouvons faire de la Volonté ainsi que nous le verrons plus
précisément: « Le mode de considération
authentiquement philosophique du monde,c'est à dire celui qui nous
apprend à connaître son essence intime et nous conduit par ce
biais au delà du phénomène,est précisément
celui qui ne demande pas à partir de quoi(woofer),vers
où(wohin),et pourquoi(warum),mais ce qu'est (was) le monde. Schopenhauer
va s'orienter au fil du temps vers une conception de la philosophie comme une
véritable pratique artistique: « Le philosophe ne doit jamais
oublier qu'il pratique un art et non une science »14 . Cette
matière va donc demander des aptitudes particulières dont seuls
certains sont dotés: « Or tel il en sera de ma philosophie:ce sera
une philosophie en tant qu'art. Chacun n'en comprendra que ce qu'il
mérite d'en comprendre »15 .Mais,dés lors, nous pouvons nous
demander si la philosophie peut nous apporter un savoir complet qui ferait de
nous des sages de la même façon que dans la sagesse
hindoue,à laquelle se réfère souvent notre auteur,on parle
de sages réalisés ayant atteint le but de la vie. A ce sujet ,la
réponse de Schopenhauer n'est pas aussi positive et sa philosophie
constitue plutôt une démonstration quant au caractère vain
et superflu de la vie elle-même. Le jeune Nietzsche,encore disciple du
pessimiste de Francfort,affirmait « Par nature,l'homme n'est pas là
pour la connaissance »16 . La philosophie ne peut que
révéler l'aspect tragique de l'existence et ce douloureux
paradoxe;de plus nous en savons et de plus nous comprenons que nous n'aurons
pas accès à une connaissance totale ni à un vrai bonheur.
La science ne parle que des phénomènes et la Volonté en
elle-même reste insondable: « Cette perception intime de notre
propre volonté est loin de fournir une connaissance complète et
adéquate de la chose en soi »17 .Ne pouvant saisir cette ultime
réalité , la vraie connaissance chez Schopenhauer,ne se trouve
que du coté de l'art « objectif »,capable de nous faire saisir
des réalités éternelles,les Idées platoniciennes.
Quand on sait cependant ,que selon Schopenhauer ces Idées sont les
formes archétypes,les espèces éternelles de la nature,il
est difficile, eu égard à la position de la science contemporaine
en ce qui concerne la théorie de
l'évolution des espèces vivantes,de
considérer comme toujours valable cette conception. La réflexion
sur l'esthétique contemporaine percevrait également cette
définition de l'art comme tout à fait restrictive. La
parenté de l'art et de la philosophie se conçoivent fort bien,en
revanche, à les considérer comme actes de contemplation capables
de nous élever au dessus des exigences volitives. « Je trouve que
la vue qu'on embrasse du sommet d'une montagne contribue beaucoup à nous
offrir des horizons sur le monde. Le monde regardé ainsi d'en haut est
un spectacle si fantastique et si curieux qu'il doit pouvoir consoler celui qui
est assailli de
soucis »18 .Ces moments contemplatifs sont la clé
d'un bonheur et d'un savoir relatifs, des instants où la scission
sujet-objet semble
abolie: « Absorbons nous donc et plongeons nous dans la
contemplation de la nature,si profondément que nous n'existions plus
qu'à titre de sujet connaissant...nous tirons ainsi toute la nature
à nous »19 .Ces moments purs ne se produisent pas continuellement
et tous ne goûtent pas ces instants privilégiés. Dans Les
aphorismes sur la sagesse dans la vie,Schopenhauer nous rappelle que la
recherche de la vie heureuse ne saurait être qu'un pis aller, car la non
existence lui est préférable ,et il reste en cela
fidèle à la pensée exposée dans son
grand ouvrage .La sagesse pratique de Schopenhauer ,de son propre aveu
,n'apporte rien de nouveau: « En somme, certainement les sages de tous
temps ont toujours dit la même chose ... »20 .Nous verrons plus loin
,lorsque nous aborderons la question du déterminisme que cette sagesse
toute relative,qui plus est, ne saurait être enseignée. Ainsi,la
philosophie de Schopenhauer est incontestablement marquée par le
tragique de notre condition;aspiration de l'homme au bonheur et à la
connaissance mais à mesure qu'il progresse en ce sens,il
s'aperçoit qu'il n'y parvient jamais vraiment. La philosophie tragique
de Schopenhauer nécessite une intuition qui pénètre au
coeur des choses et il n'existe pas vraiment d'enseignement pour ça. Le
monde comme représentation ne pose pas de difficulté en ce sens
qu'il s'accorde avec la vision kantienne de la réalité,en
revanche ,il faut tourner son regard vers l'intérieur de soi pour y
découvrir l'essence des phénomènes, la Volonté.
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