II/ La force du déterminisme
II/,1La « ruse « de la Volonté,l'amour et la
sexualité
-le sexe:l'individu au service de l'espèce p 43-47
-La sélection sexuelle et la stratégie
reproductrice p 48-51
-Aspect métaphysique de la passion p 52-53
II/,2 Une philosophie tragique qui préfigure la
psychanalyse
-La sexualité et l'inconscient p 53-57
-Dissimulation et refoulement p 57-66
-Le traumatisme de la naissance p 66-73
-La sublimation esthétique p 73-77
-Compulsion de répétition et circularité du
temps p 77-79
II/, 3 Hérédité et Volonté p
79-88.
-L'hérédité un savoir « inné
» et universel p 79-82
-Rôles du père et de la mère chez
Schopenhauer p 82-85 -Importance de l'hérédité au
XIXème,le caractère immuable p 85-88
III/ Sagesse et prédestination
III/,1L'illusion du libre-arbitre
-L'absence de la liberté d'indifférence p 89-96
-la décision est-elle libre ? P 96-100
-Liberté et conscience réfléchissante p
100-105
-Le caractère et la paradoxe de la volonté libre p
105-109
III/,2 Fatalisme transcendant
-Analogie entre le rêve ,la tragédie ,le sens du
destin p 110-116 -Grandeur et misère du génie p 116-120
III/, 3 Une gnose libératrice mais limitée -La
parenté avec le gnosticisme p 120-124 -La « conscience meilleure
» p 124-127
Conclusion
-La postérité de Schopenhauer p 127-132.
Sagesse et destinée tragique dans la philosophie de
Schopenhauer;
Introduction
Macbeth,le personnage tragique de Shakespeare ,dans la
pièce éponyme dit ceci:
Macbeth : La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre
acteur Qui s'agite et parade une heure, sur la scène, Puis on ne
l'entend plus. C'est un récit Plein de bruit, de fureur, qu'un idiot
raconte Et qui n'a pas de sens.1
- A la fois bourreau et victime,cette réflexion lui
vient au milieu des méfaits commis et du sang qui coule,volonté
véhémente et aveugle du méchant, qui haïssant sa
propre condition ,souhaiterait détruire la vie entière pour
apaiser une souffrance fondamentale. Emporté par un désir
orphelin de son origine et d'autant plus insatiable,le sanguinaire
Macbeth,jette un regard en coin,mais furtif et lucide sur l'existence et
révèle le caractère double de ceux de son
espèce;condamnés à agir,parfois
1 William Shakespeare, Macbeth acte V,scène V (1606).
férocement, mais aussi complétement capables de
se voir. L'art de la tragédie est-il essentiellement un remède
efficace en vue de prévenir nos excès passionnels ainsi que le
définit Aristote ou cache-t-il un enseignement complet sur le sens de la
destinée humaine?Schopenhauer est sans doute le seul penseur à
vraiment proposer une philosophie de la tragédie, La Naissance de la
tragédie 1872 de Nietzsche,est dans le fond véritablement
d'accord avec la métaphysique de la volonté,mais on sent poindre
chez lui ,une recherche indépendante et singulière de l'origine
profondément musicale et rituelle du culte dionysiaque,comme une
réminiscence de l'orphisme ,de Dionysos et de sa volonté de
puissance artiste. Arthur Schopenhauer,le théoricien du pessimisme
métaphysique,ne propose pas bien sûr une étude
littéraire de la tragédie,mais souligne la
supériorité philosophique de la tragédie moderne sur la
grecque,en particulier Shakespeare et Goethe;l'essence d'une sagesse contenue
dans le genre et qui constitue,comme une illustration,une métaphore de
sa philosophie. Schopenhauer est un idéaliste ; la matière est
juste le support du drame métaphysique qui se joue et se rejoue à
l'infini;le temps et le progrès ne trouvent pas leur place
n'étant que la scène où se débat la Volonté
avec elle-même. Il convient d'établir une différence entre
la vision tragique de l'auteur et une philosophie de l'absurde comme on peut
la
rencontrer chez Camus ou Sartre, où il est possible de
trouver un sens dans l'engagement et d'échapper ainsi au vide de
l'existence sans Dieu. La pensée de Schopenhauer est une remise en cause
de la valeur de l'existence ,du vouloir vivre lui-même,d'une
façon franche et radicale,faisant l'objet de tout un système
philosophique présenté dans l'oeuvre principale de l'auteur,
Le Monde comme volonté et comme représentation, paru
à la fin de l'année 1818.Si la Volonté est l'essence de
toute chose,la découverte primordiale,Schopenhauer nous demande de
procéder en philosophe véritable et ,dans l'idéal,de
commencer par lire sa thèse sur le quadruple principe de raison
suffisante ,de se pénétrer du caractère purement
phénoménal de la connaissance possible et de tirer pleinement les
conséquences de la philosophie kantienne sur ce point. Donc pas de
connaissance de la chose en soi. Le tragique,c'est qu'il n'y ait pas d'issue
possible dans le cours ordinaire de notre vie,du moins,pas avant que ne
survienne l'occasion de faire un choix radical;la volonté veut-elle se
poursuivre ou passer à autre chose?La négation du vouloir vivre
par la connaissance de soi constitue la seule et unique liberté . La
satisfaction ne peut être atteinte par une volonté de
vivre,indéfinie,insatiable et irrationnelle. La pensée de cet
auteur a souvent été dénoncée comme
outrancière et choquante voire pathologique. Que la vie vaille la
peine
d'être vécue serait la marque de la santé
mentale et lui préférer le non-être,le désaveu
complet de la raison et de l'humanité,le signe d'une faillite
lamentable. Des éléments de sa biographie vont certes dans ce
sens mais à l'opposé également,on peut y reconnaître
l'élu de la volonté ,l'auteur du Monde,d'un livre «
prophétique »,d'une gnose salvatrice. Schopenhauer a-t-il
été marqué irrémédiablement par l'abandon?
Il naît à Dantzig le 22 Février 1788 dans une famille
bourgeoise. Il aurait souhaité poursuivre ses études au
Lycée mais son père le destine au commerce comme lui. Il obtient
finalement de lui la faveur de joindre l'utile à l'agréable,et
effectue un tour d'Europe de deux ans dont on peut penser qu'il comptera
beaucoup pour sa connaissance concrète et variée de
l'humanité réelle. Son père se suicide quand il a dix sept
ans et sa mère,une mondaine qui deviendra une romancière à
succès ne l'aime pas beaucoup. Bénéficiant
désormais d'une rente,il veut s'atteler à la tâche de
résoudre le difficile problème de la vie et en effet,son
existence sera toute entière consacrée à l'ascèse
philosophique,à la rédaction puis aux commentaires de son grand
ouvrage. Les échecs personnels seront décisifs et instructifs
,comme venant confirmer son désir de se consacrer à l'essentiel
et d'en être plus inutilement détourné. Plusieurs
échecs amoureux mais aussi professionnels;il échoue comme
professeur d'Université à Berlin de 1820 à
1822 où sa rivalité avec Hegel est tout à
fait révélatrice de son irréductible position
philosophique. Il s'installe alors dans une vie d'ermite à
Francfort,fuyant Berlin et le choléra,vivant tout simplement la vie pour
laquelle il est fait. Cette idée d'un destin qui s'impose et qui parle
est importante chez Schopenhauer en dépit du fait que cette question
n'ait pas reçue une très grande attention. Il y a consacré
un ouvrage,Le sens du destin,spéculation transcendante sur
l'intentionnalité apparente dans le destin de l'individu(extrait de
parerga)1851,et dans lequel il traite de ce problème ardu mais qui
s'avère capital en vue d'une compréhension plus profonde de cette
métaphysique. En effet, dans le Monde,la volonté est
tout d'abord et fort logiquement exposée dans ses grands traits,ce qui
ne laisse pas vraiment la place pour envisager comment elle s'objective
concrètement dans la vie de l'individu. La connaissance de soi,selon
notre auteur,n'est pas donnée à la faveur d'une méditation
à part de l'expérience mais ne peut se réaliser que dans
le miroir de nos actes ,ce qui confère à l'âge le
privilège de pouvoir pleinement revenir sur le sens de notre existence.
Cet écrit sur la destinée, tempère le nihilisme de
Schopenhauer,comme si celui-ci correspondait à une phase purgative,car
de son propre aveu,sa vie,son génie ont bien un sens et même un
sens supérieur ainsi qu'il le déclare dans une lettre à
son disciple Frauenstadt:
2)A Bossant,Schopenhauer et ses disciples p150 Hachette Paris
1920,cité par Marie-José Pernin p8 Le sens du destin Vrin Paris
2009.
"Je suis réellement heureux d'avoir assez vécu
pour assister à la naissance de mon dernier enfant:maintenant je
considère ma mission en ce monde comme
terminée..."2les voies de la volonté semblent parfois
bien lisibles et même pressantes pour qui doit faire oeuvre de
libérateur. Schopenhauer rejoint là le thème
théologique de la prédestination ,préférant sur ce
point une certaine version de la "grâce" augustinienne, au karma hindoue
et bouddhiste,paradoxe qui s'explique pour sauver la liberté
métaphysique de la Volonté,et qui signifie pour l'individu ,que
ce ne sont pas les oeuvres qui sauvent,mais un acte transcendant de
connaissance de soi de la volonté. Elitisme et élection se
conjuguent ici,la majorité des gens ordinaires étant,en quelque
sorte,les oubliés du destin. Schopenhauer va jusqu'à parler de
fabrication industrielle en ce qui concerne la masse. Où se trouve le
libre arbitre individuel?Nul part, si l'on excepte que les racines de
l'individualité,participent quelque part de la liberté de la
volonté, mais ceci reste un mystère insondable. Il faut
comprendre que la sagesse issue du pessimisme de Schopenhauer n'est pas affaire
d'héroïsme moral comme chez les stoïciens,mais dépend
de notre compréhension,qui ultimement, est une incitation au
renoncement.
Quelque soit le côté par lequel on aborde cette
"Thèbes aux cent portes",il convient tout d'abord de parler de la
découverte de l'essence,la Volonté. En temps que moment crucial
de son objectivation,elle se signale en l'homme, avant tout, par l'apparition
de ce besoin métaphysique,responsable de la philosophie,de la religion
et en réponse à l'offense causée par la finitude et la
mort. La philosophie nous amène à reconnaître
l'idéalité du monde,la représentation et l'héritage
kantien;à l'opposé nous pouvons saisir immédiatement la
réalité de la volonté de vivre présente en nous et
que nous transposons aisément aux autres êtres vivants. La
volonté est aveugle et omniprésente à travers les
règnes de la nature mais en l'homme ,elle "joue" tout son destin,lieu
paroxystique de son affirmation puis de sa négation. Le règne de
la volonté s'impose par la force du déterminisme et se poursuit
par la "ruse" de l'amour et du sexe,l'empreinte
héréditaire,l'immutabilité du caractère et
l'inconscient.
Cette résignation éclairée face à
la fatalité,conduit le philosophe à reconnaître le lien
entre sagesse et prédestination. Schopenhauer et d'autres grands esprits
dénoncent l'illusion du libre arbitre,mais notre vie n'est pas absurde
si nous pouvons lire le sens de notre destinée,admettre la
présence d'un fatalisme transcendant. La connaissance contenue dans
le Monde est-elle bien la gnose libératrice?Le saint ,le sage
,le génie sont-ils vraiment
des prédestinés ou,leur mystique, simplement
l'expression possible d'une façon de supporter le fardeau de
l'existence?
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