Conclusion.
L'originalité de la philosophie de Schopenhauer c'est
d'être capable d'associer une vision matérialiste de la nature et
de l'homme avec une métaphysique qui a pour moteur la Volonté,le
vouloir vivre,dont l'origine est intemporelle et insondable. Pourtant,rien
n'est plus aisé de constater son omniprésence,en nous ,dans tous
les règnes de la nature et au delà,dans les forces les plus
élémentaires .Cette constatation,aussi simple qu'elle paraisse
à première vue,requiert cependant un éveil
préalable à la philosophie et dans l'idéal bien sûr
,l'assimilation de la « juridiction » kantienne de façon
à ne pas verser dans une métaphysique impossible. Mais c'est
avant tout le destin tragique qui lui est imparti qui pousse l'homme à
philosopher; « sommet » de l'objectivation de la Volonté,il
est celui qui est le plus conscient,la vie qui se retourne sur elle -même
;celui aussi qui sait qu'il va mourir, se confrontant ainsi à l'instant
décisif du choix entre perpétuer le vouloir ou en finir pour
être libre. Le Monde comme volonté et comme représentation
est l'expression d'une double polarité omniprésente dans la
nature,fondant justement la métaphysique de l'amour sexuel,mais aussi
d'un paradoxe:Si la Volonté avait l'intention de se connaître
alors elle ne serait plus insensée et le monde ne serait pas un champ de
bataille . La Volonté parvient à se connaître sans l'avoir
voulu,c'est une finalité sans fin. La métaphysique de
Schopenhauer ne parle pas d'une force omnisciente ce qui reviendrait à
Dieu. C'est bien en l'homme que tout se joue,l'affirmation la plus
éclatante de la Volonté,la possibilité de dire un oui
éternel comme le surhomme nietzschéen,ou la négation du
saint et la libération à l'égard de l'exigence vitale. La
philosophie de la Volonté est la révélation de tout un
arrière plan qui conditionne la pensée humaine:les vues de
Schopenhauer sur la sexualité font de lui un penseur toujours
actuel,à la fois proche de la psychologie
évolutionniste et des conceptions freudiennes. Le sujet
fait véritablement problème dans ce système,et par
là sa contre partie,autrui. L'ego est à la fois noyé dans
le déterminisme naturel,fabriqué en série,ou alors ,il
touche au sublime dans le génie et tente d'échapper à la
tyrannie de la nécéssité. Le traité sur la
destinée ,laisse à penser que tout un chacun a malgré tout
droit à sa bonne étoile,laquelle cependant,nous guide vers la
libération et non pas vers la prospérité terrestre. Les
complexités de l'existence et la marche vers leur issue, font l'objet
d'une représentation archétypale dans le tragédie
;laquelle constitue vraiment la mise en scène de la philosophie de
Schopenhauer,l'allegorie sublime des démêlées de la
Volonté avec elle-même. Cette philosophie se rapproche sur le fond
du gnosticisme des premiers siècles du christianisme;cette vie n'a pas
été crée dans une intention bénéfique et
l'ascèse doit consister à échapper aux pièges
innombrables tendus par le mauvais démiurge. Faux semblant de la morale
également qui fait le jeu de cette existence incarnée .Sur ce
point,Schopenhauer restera dans une morale de la pitié et n'aura pas
l'audace d'un renversement de toutes les valeurs prônée par
certains adeptes de la gnose et par celui qui fût son plus illustre
lecteur ,Friedrich Nietzsche.
Mais avant cela,Nietzsche qui n'est pas en phase avec la
civilisation bourgeoise et positiviste de son temps,voit en Schopenhauer le
libérateur ,le prophète d'une religion de l'art et du
génie et partage cette passion avec le musicien Richard Wagner. En quel
sens peut-on parler d'une postérité de Schopenhauer? Les
disciples directs tels Frauenstadt et Lindner n'auront pas une très
grande influence sur la vie philosophique et culturelle et restent dans l'ombre
du maître. Pierre Crépon,dans son article du Cahier de l'Herne
consacré au philosophe,insiste sur le fait que Nietzsche emploie le
« nous »dans les considérations inactuelles,pour
désigner une communauté de pessimistes. Dans cette «
confrérie »plus virtuelle que réelle ,Nietzsche puise la
force d'une inspiration pour faire face à ses contemporains mais La
naissance de la tragédie révèle déjà qu'il
ne partage pas vraiment le nihilisme de Schopenhauer,sa conception de
l'esthétique et de la tragédie. Plus tard ,il commettra
ouvertement le « parricide » et fera de son ex mentor une figure de
l'homme du ressentiment, « contre la vie et son ce fût » ;le
vouloir vivre devenant volonté de puissance .
Curieusement,nous devons la première traduction
française de Schopenhauer au roumain J.A
Cantacuzène(conseillé par le critique littéraire
Maiorescu), l'inspiration pessimiste de son compatriote,le poète Mihail
Eminescu,témoigne de l'accueil favorable faite à l'oeuvre de
Schopenhauer en Roumanie. Bien que Cioran, de son propre
aveu,n'aimait pas que l'on voit en lui un disciple de Nietzsche et
Schopenhauer,toute son oeuvre est l'expression d'un nihilisme que n'aurait pas
démenti l'auteur du Monde,Il semble en phase avec le sens philosophique
à accorder à la vision tragique. Cioran fait de la douleur ,un
guide sûr pour la compréhension de notre vie :« J'avais
essayer de montrer que la destinée individuelle ,en tant que
réalité intérieure,irrationnelle et immanente,ne se
révèle à nous qu'à travers la douleur,et que
celle-ci est la seule voie positive qui puisse mener à la
compréhension intérieure des problèmes personnels ».
Si l'écrivain roumain a lu Schopenhauer jeune,c'est plutôt une
affinité organique et constitutionnelle qui lie les deux penseurs,la
même expérience de la souffrance et de la maladie. Mais Cioran
cherchera plutôt une forme de libération dans l'intensité
du vécu,le « dionysiaque » que le renoncement.
. La lecture de l'oeuvre de Schopenhauer peut certainement nous
aider à nous consacrer à l'essentiel à défaut
d'atteindre le nirvana. Arriver au bout de la volonté n'est -ce pas un
peu ce que disait Freud à propos de l'inconscient? Une entreprise qui
ressemble à
« l'assèchement du zyuderzee »,être
condamné à toujours recommencer.Admettre que le bonheur n'est
surtout pas un dû ,n'est-ce pas accéder à la
maturité ? La philosophie tragique peut certainement nous enseigner une
forme de résilience. Rouvrir le Monde,c'est en tout cas,retrouver la
possibilité de philosopher.
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