B. Une jurisprudence centrée essentiellement sur
l'obligation de « ne pas polluer »
Dans le cadre de la justiciabilité du droit à
l'eau, les obligations dégagées par le juge ont été
beaucoup discutée. Il en ressort que le juge indien dans sa
jurisprudence a essentiellement dégagé une obligation
négative de « ne pas polluer » l'eau. Même s'il existe
une jurisprudence relative à l'approvisionnement en eau que nous
développerons plus tard, elle n'a pas l'aval de la Cour Suprême et
reste incertaine. Plusieurs facteurs peuvent expliquer le choix du juge de
s'être concentré quasiment exclusivement sur cette forme de
contentieux dans le cadre du droit à l'eau. Tout d'abord, d'un point de
vue contextuel, l'Inde est essentiellement rurale, c'est-à-dire que la
majorité de sa population pour subvenir à ses besoins en eau
s'approvisionne directement auprès des cours d'eaux ou auprès des
eaux souterraines.2 Ainsi, la notion d'approvisionnement ou de
desserte en eau était une réalité assez
étrangère aux préoccupations des juges indiens à
une certaine époque, bien qu'à présent l'urbanisation a
effectivement changé cette réalité des choses, ainsi que
les différents épisodes de sécheresses et la pollution des
eaux. D'un point de vue plus théorique, le juge tire le droit à
l'eau du droit à la vie ; dans la lettre de la Constitution indienne le
droit à la vie s'analyse en une liberté. Ainsi, à la
différence des DESC, le droit à la vie requiert principalement la
protection contre des interférences. Par conséquent s'alignant
sur l'obligation traditionnelle du droit à la vie, le droit à
l'eau doit être protégé contre toute forme
d'interférence, et il n'y aurait pas d'obligation positive de fourniture
d'eau vis-à-vis de l'État. Lorsque l'eau est perçue sous
le prisme du droit à la vie, l'État voit à son encontre
peu d'obligations positives être établies; cependant la
justiciabilité du droit à l'eau en est alors facilitée.En
effet, si le droit à l'eau est partie du droit à la vie,
l'État doit prévenir les interférences possibles avec son
accès. L'arrêt DD. Vyas v. Development Authority. Y fait
écho
Si quelque chose met en danger ou endommage cette
qualité de la vie en dérogation des lois, le citoyen a le droit
d'avoir recours [...] pour éliminer la pollution de l'eau et de l'air
qui peut être au
z'zCULLET, (P.). Right to water in India plugging conceptual
and practical gaps. op. cit., p. 70
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détriment de la vie 273
Cette obligation négative découlerait donc
principalement du manque d'autonomie du droit à l'eau, qui le priverait
alors de sa dimension sociale. Plusieurs auteurs se sont montrés
particulièrement favorables à cette forme de
justiciabilité du juge274. Tout d'abord, l'obligation
négative dégagée sous cette forme est immédiatement
exigible vis-à-vis de l'Etat par le juge ; ce qui n'est pas le cas d'une
obligation positive qui demanderait un plus long délai de
réalisation. De plus, cette obligation est assez cohérente avec
son fondement initial du droit à la vie et n'interroge pas la
légitimité du juge à contrôler la
responsabilité de l'État. En effet, ces auteurs craignent qu'une
obligation positive formulée à l'adresse de l'État ne soit
un risque de remettre en cause la séparation des pouvoirs et de faire du
juge un usurpateur au détriment du Législateur.275
Pour certains auteurs, elle est la seule obligation du droit à l'eau que
le juge peut exiger de l'État. Cependant, cette opinion n'est pas
partagée. Ainsi certains auteurs déplorent l'absence (ou la
quasi-absence) d'une obligation positive de l'État car si le
contrôle des obligations négatives de l'État est
nécessaire à la réalisation du droit à l'eau, elle
est insuffisante276. Le droit à l'eau conçu comme un
DESC est alors privé partiellement de sa dimension sociale et
échoue à répondre aux enjeux de la pauvreté que sa
découverte se proposait de saisir. Ainsi, l'interrogation est
émise quant à la volonté réelle du juge de vouloir
étendre la justiciabilité du droit à l'eau.
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