2- Les obligations de l'État traduite
essentiellement en forme négative
Le droit international des droits de l'Homme, trois types
d'obligations sont imposées à l'État : l'obligation de
respect, de protéger et de réaliser (ou mettre en oeuvre). Cette
typologie tripartite fut d'abord proposée par H . Shue263 et
développée plus tard par A. Eide en tant que Rapporteur
spécial des Nations-Unies pour le droit à alimentation dans les
années 1980. L'OG n°15 reprend donc cette typologie pour
énoncer les obligations qui sont à la charge de l'État
pour protéger le droit à l'eau. Puisque l'obligation de
réaliser aborderons dans le chapitre suivant la question de l'obligation
de réaliser fait l'objet d'enjeux spécifique, nous proposons de
l'aborder dans le chapitre 2. Respectant le schéma onusien, ce sont les
obligations de respecter et de protéger qui seront
développées (A). A l'étude de la jurisprudence indienne,
nous constatons que le juge a particulièrement développé
la justiciabilité du droit à l'eau autour d'obligations de l'Etat
de « ne pas polluer « (B).
A. Les obligations de l'État sous le prisme de
l'observation générale n°15
La première obligation qui s'impose à
l'État au regard du droit à l'eau est de respecter le droit
à l'eau. L'OG n°15 définit l'obligation de respecter de la
façon suivante :
L'obligation de respecter requiert des États parties
qu'ils s'abstiennent d'entraver directement ou indirectement l'exercice du
droit à l'eau. L'État partie est notamment tenu de s'abstenir
d'exercer une quelconque pratique ou activité qui consiste à
refuser ou à restreindre l'accès en toute égalité
à un approvisionnement en eau adéquat, de s'immiscer
arbitrairement dans les arrangements coutumiers ou traditionnels de partage de
l'eau ; de limiter la quantité d'eau ou de polluer l'eau de façon
illicite,
262Notre traduction de «PIL was an
innovation essentially to safeguard and protect the human rights of those
people who were unable to protect themselves. With the passage of time the PIL
jurisdiction has been ballooningso as to encompass within its ambit subjects
such as probity in public life, granting of larges in the form of licences,
protecting environment and the like. But the balloon should not be inflated so
much that it bursts. PIL should not be allowed to degenerate to becoming
Publicity Interest Litigation or Private Inquisitiveness Litigation. » in
AIR 2000 SC 3751 263SHUE (H.), Basic Rights : Subsistence,
Affluence, and U.S. Foreign Policy, Princeton NJ, Princeton University
Press, 2nd ed., 1996, p.167
62
du fait par exemple des déchets émis par des
installations appartenant à des entreprises publiques.'
Ainsi l'obligation de respecter réside en l'abstention
(principalement) de l'État, c'est la raison pour laquelle l'obligation
de respecter est considérée comme une obligation essentiellement
négative : celle de ne pas interférer dans la jouissance du droit
d'autrui en l'espèce le droit à l'eau. En ce sens elle est
considérée comme « simple » à réaliser ;
cette obligation ne semble pas faire difficulté dans la jurisprudence
indienne. Pour illustration, dans l'arrêt Attakoya Thangal vs Union
of India265 la Cour dégage une obligation pour
l'État de respecter le droit à l'eau des habitants en cessant son
activité attentatoire. En l'espère, l'administration indienne
avait créé un mécanisme afin d'extraire en plus grande
quantité l'eau souterraine de nappes phréatiques afin d'augmenter
la couverture en eau de certains territoires. Cependant les requérants
firent valoir qu'en raison de l'équilibre fragile des nappes
phréatiques, un pompage plus important de l'eau souterraine aurait pour
conséquence sa salinisation, la rendant impropre à la
consommation des habitants dépendant de cette eau. Ainsi le juge
établit la violation du droit à l'eau de l'Etat
D'emblée, l'autorité administrative ne peut se
permettre de fonctionner de cette manière en violant le droit
fondamental à la vie garanti par l'article 21.2
La deuxième obligation de l'État qui est
établie est l'obligation de protéger. Toujours selon l'OG
n°15
L'obligation de protéger requiert des États
parties qu'il empêchent des tiers d'entraver de quelque manières
que ce soit l'exercice du droit à l'eau. Il peut s'agir de particuliers,
d'entreprises ou autres entités, ainsi que d'agents agissant sous leur
autorité. Les États parties sont notamment tenus de prendre les
mesures législatives et autres nécessaires et effectives pour
empêcher, par exemple, des tiers de refuser l'accès en toute
égalité à l'approvisionnement en eau adéquat et de
polluer ou de capter de manière injuste les ressources en eau, y compris
les sources naturelles, les puits et les systèmes de distribution
d'eau.26'
L'obligation de protéger s'analyse donc comme
l'obligation pour l'État de ne pas laisser interférer les tiers
dans la jouissance du droit à l'eau. Dans la jurisprudence indienne,
cette obligation s'est particulièrement développée dans le
contexte de la pollution industrielle de l'eau, autrement dit, le juge s'est
concentré à établir la responsabilité de
l'État dans le cas où la dimension environnementale du droit
à l'eau était menacée. De façon tout à fait
intéressante, elle s'est alors appuyée sur les principes de
précaution et surtout pollueur payeur pour donner pleine
exécution à
264Point 21, Obligation générale
n°15
26'AIR 1990 Ker 321
266Ibid.Notre traduction de «At once, the
administrative agency cannot be permitted to function in such a manner as
to
make inroads, into the fundamental right under Article 21.
»
'Point 21, Obligation générale n°14
63
l'obligation de respecter le droit à l'eau de
l'État. Ainsi l'arrêt de principe AP Pollution Control Board
II établit la responsabilité de l'Etat en vertu du principe
de précaution
L'exercice de tel pouvoir en faveur d'une industrie
particulière doit être considérée comme arbitraire
et contraire à l'intérêt publique et en violation du droit
à une eau salubre garanti par l'article 21 de la
Constitution indienne.'
Il en est de même dans l'arrêt Vellore Citizen
Welfare forum vs Union of India. Ainsi la Cour mobilise le principe de
précaution pour protéger l'eau de la pollution et donc par voie
de conséquence renforce le droit à l'eau. C'est à dire que
l'obligation de protéger s'étend de l'État s'étend
même jusqu'au devoir de prévenir une atteinte potentielle faite au
droit à l'eau. L'autre principe articulé, le principe
pollueur-payeur fait jouer les mécanismes de responsabilité
vis-à-vis de l'Etat lorsqu'il a échoué à
protéger le droit à l'eau. Dans l'arrêt Vellore,
les requérants avait saisi la Cour Suprême à
l'occasion d'un PIL en raison de la pollution du fleuve Palar
(principal point d'approvisionnement en eau de l'État du Tamil Nadu)
causée par plus de neuf cents tanneries qui rejetaient les eaux de
rejets sans traitement dans la rivière affectant les réserves
d'eau potable d'une grande partie des habitants de la région. Dans ce
contexte, la Cour reconnu que le gouvernent devait appliquer le principe
pollueur-payeur et de précaution en s'assurant que les compensations
soient reçues par les familles qui furent touchées par la
pollution de l'eau.
Le principe pollueur-payeur comme interprétée
par la Cour signifie que la responsabilité absolue des dommages
causés à l'environnement comprend non seulement l'indemnisation
des victimes mais aussi le coût de réhabilitation de
l'environnement dégradé. 269
Ainsi la Cour va mobiliser le principe pollueur-payeur pour
garantir le droit à l'eau puisque l'État aura pour obligation de
contraindre les industries polluantes à dédommager les victimes
mais surtout à restaurer la qualité originale de l'eau afin que
les citoyens puissent y avoir accès. Elle a été
particulièrement active à cet égard reconnaissant le
principe pollueur-payeur dans divers arrêts comme Indian Council of
Enviro-Legal action v. Union of India270 dans le cas d'une
fuite de gaz ayant endommagé les nappes phréatiques ; M. C
Metha vs State of Orissa271 dans le cas de la pollution d'un
cours d'eau en
26sExercise of such a power in favour of a
particular industry must be treated as arbitrary and contrary to public
interest and in violation of the right to clean water under Article 21 of the
Constitution of India.
269Notre traduction de « The "Polluter Pays" principle as
interpreted by this Court means that the absolute liability for harm to the
environment extends not only to compensate the victims of pollution but also
the cost of restoring the environmental degradation. » in Vellore
Citizens Welfare Forum vs Union Of India & Ors, 28 août 1996
2701996 SCC (3) 212
271AIR 1992 Ori 225
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raison de l'activité d'extraction minière ou
encore Jagannath vs Union of India dasn le cas d'élevages.
L'application du principe de précaution et de principe pollueur-payeur
corrélé au droit à l'eau permet au juge d'assurer son
effectivité et de renforcer sa protection.
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