B Ð 2007/2013, une séquence pro-lanceurs
d'alerte incomplète
À partir de 2007 des lois vont impulser une
législation sectorielle en faveur des lanceurs d'alerte dans l'espace
financier et économique (1) et dans le domaine
sanitaire et environnemental (2). Cependant des lacunes et un
manque de lisibilité vont apparaître.
1 Ð L'exercice de l'alerte dans l'univers financier
et économique
La loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007
relative à la lutte contre la corruption88
va être la première à instaurer une protection des
salariés dans le secteur privé et dans les établissements
publics industriels et commerciaux (EPIC), si le signalement de faits de
corruption constatés dans l'exercice de leurs fonctions a
été effectué de bonne foi. Elle va créer l'article
L.1161-1 du Code du travail89. Le salarié ou candidat
à un emploi va pouvoir saisir soit son employeur, soit les
autorités judiciaires ou administratives pour signaler les faits.
Suite au scandale impliquant le ministre du Budget,
Jérôme Cahuzac, deux lois ont été votées le
11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie
publique, permettant la création de la « Haute
Autorité pour la transparence de la vie publique » (loi ordinaire
et loi organique90) et prévoyant la protection de toute
personne effectuant un signalement relatif à une situation de conflit
d'intérêts. Reprenant la proposition issue des travaux de la
Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique
(dite « Commission Jospin ») de juillet 2012, le législateur a
pour la première fois apporter une définition objective du
conflit d'intérêts91 ; notion qui était
appréhendée essentiellement sous sa dimension répressive
(article 432-12 du
88 Loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la
lutte contre la corruption, JO n°264 du 14 novembre 2007 p. 18648. La loi
est entrée en vigueur le 1er mars 2008. C'est la seule loi en
matière de protection des lanceurs d'alerte qui a donné lieu
à une application jurisprudentielle : Voir Cass, Soc, 30 juin 2016,
n°15-10.557 (arrêt n° 1309)
89 Article L.1161-1 du Code du travail : « Aucune
personne ne peut être écartée d'une procédure de
recrutement ou de l'accès à un stage ou à une
période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut
être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure
discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de
rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de
qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou
de renouvellement de contrat pour avoir relaté ou
témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux
autorités judiciaires ou administratives, de faits de corruption dont il
aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Toute rupture du
contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte
contraire est nul de plein droit.
En cas de litige relatif à l'application des deux
premiers alinéas, dès lors que le salarié concerné
ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une
période de formation en entreprise établit des faits qui
permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné
de faits de corruption, il incombe à la partie défenderesse, au
vu de ces éléments, de prouver que sa décision est
justifiée par des éléments objectifs étrangers aux
déclarations ou au témoignage du salarié. Le juge forme sa
conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les
mesures d'instruction qu'il estime utiles ».
90 Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative
à la transparence de la vie publique, JO n°
238 du 12 octobre 2013 (rectificatif paru au JO n° 280 du 3
décembre 2013) et la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013
relative à la transparence de la vie publique, JO n°238 du
12 octobre 2013 p.16824
91 Au sens de l'article 1er de la loi ordinaire
constitue un conflit d'intérêts « toute situation
d'interférence entre un intérêt public et des
intérêts publics ou privés qui est de nature à
influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant,
impartial et objectif d'une fonction ».
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Code pénal). La protection des lanceurs d'alerte est
limitée aux signalements concernant les personnes visées par
l'article 4 (membres du gouvernement, principaux exécutifs locaux) et
l'article 11 (liste d'élus et hauts fonctionnaires). Ce texte autorise
les salariés à saisir la Haute Autorité pour la
Transparence de la Vie Publique (HATVP), l'employeur, l'autorité
chargée de la déontologie au sein de l'organisme, une association
de lutte contre la corruption agréée (type Transparency
International France), les autorités judiciaires et administratives.
Puis la loi n° 2013-1117 du 6 décembre
2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et
financière92 a instauré un statut
protecteur pour les salariés et les agents de la fonction publique qui
relatent ou témoignent, de bonne foi, de faits constitutifs d'un
délit ou d'un crime dont ils auraient eu connaissance dans l'exercice de
leurs fonctions (les contraventions ne sont, en revanche, pas
visées)93. L'article 36 de la loi prévoit la mise en
relation directe du lanceur d'alerte économique avec le Service Central
de Prévention de la Corruption (SCPC), ainsi désigné comme
autorité régulatrice, dans le seul cas où l'infraction
signalée entre dans le champ de compétence de ce service
(article 40-6 du Code de procédure pénale).
La très récente loi n° 2016-483 du
20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et
obligations des fonctionnaires94 a étendu ces
possibilités de signalement à la prévention des conflits
d'intérêts. Dorénavant, il n'est pas possible de
sanctionner un agent public qui aura « relaté aux
autorités judiciaires ou administratives des faits susceptibles
d'être qualifiés de conflit d'intérêts dont il aurait
eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, ou témoigné de
tels faits auprès de ces autorités, dès lors qu'il l'a
fait de bonne foi et après avoir alerté en vain son
supérieur hiérarchique » (article 25 ter I de
la loi Le Pors de 1983). Le fonctionnaire ne pourra ainsi s'adresser aux
autorités judiciaires ou administratives qu'« après avoir
alerté en vain son supérieur hiérarchique ».
Incessamment sous peu, il faudra songer aux conditions permettant de
considérer qu'un agent s'est adressé en vain à son
supérieur hiérarchique pour que soit estimée comme
légitime sa dénonciation à l'autorité judiciaire.
Selon Jean-Philippe Foegle et Serge Slama « le schéma
adopté n'est pas totalement satisfaisant car en cas de risque de conflit
d'intérêts, l'agent public doit d'abord s'en remettre à son
supérieur
92 Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013
relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et financière, JO n°0284
du 7 décembre 2013, p. 19941
93 L'article 35 de la loi a inséré pour les
salariés du secteur privé un nouvel article L.1132-3-2 au sein du
Code du travail et pour les fonctionnaires et agents de la fonction publique un
nouvel article 6 ter A dans la loi n°83-634 du 13 juillet 1983
portant droits et obligations des fonctionnaires pour les agents de la
fonction publique (loi dite « Le Pors »).
94 Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à
la déontologie et aux droits et obligations des
fonctionnaires, JO n°0094 du 21 avril 2016
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hiérarchique, puis il bénéficie d'une
immunité disciplinaire s'il se confie aux autorités judiciaires
et administratives »95.
Dans les domaines de l'environnement et de la
sécurité sanitaire a été, également,
inaugurée une protection spéciale pour les lanceurs d'alerte.
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