ANNEXE 7 - DÉMONSTRATION DE L'EXCEPTION DE
CITOYENNETÉ ET L'ÉTAT DE
NÉCESSITÉ
Tribunal Correctionnel d'Orléans, 9
décembre 2005, n0 de jugement 2345/S3//2005, Mouvement
Faucheurs Volontaires c/ Société Monsanto
Il était reproché aux quarante-quatre personnes
prévenues d'avoir, sur la commune de Greneville en Beauce, le 14
août 2004 volontairement détérioré ou
dégradé un bien, en l'espèce une parcelle de maïs
génétiquement modifié, au préjudice de la
société Monsanto. Cette dégradation étant
commise par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteurs ou de
complices, les faits étaient réprimés par les articles
322-1, 322-3 et 322-15 du Code pénal.
Le Tribunal mentionne que les personnes prévenues ne
contestent pas la matérialité des faits qui leur sont
reprochés mais qu'ils fondent leur défense sur l'état de
nécessité, fait justificatif prévu par l'article 122-7 du
Code pénal.
Les juges correctionnels vont évoquer ce qui
caractérise l'état de nécessité au vu de la loi et
de la doctrine.
Aux termes de la loi, l'état de nécessité
« c'est la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour
sauvegarder un intérêt supérieur, n'a d'autre
ressource que d'accomplir un acte défendu par la loi pénale
» et au terme de la doctrine «
celui qui agit en état de nécessité
commet un acte « socialement utile », que la collectivité
concernée n'a aucun intérêt à punir et au regard
duquel la sanction ne remplit aucune de ses fonctions traditionnelles de
rétribution, d'intimidation ou de réadaptation ».
Le tribunal énonce que « l'état de
nécessité, ainsi défini, apparaît en relation
nécessaire avec les « intérêts sociaux
supérieurs » ou les valeurs sociales dominantes, tels qu'ils
peuvent être appréciés au moment de la commission de
l'infraction , · Que cet état de nécessité est
donc nécessairement relatif et contingent , · Qu'il
dépend des valeurs sociales « utiles » à la date de la
commission de l'infraction, et donc de l'état de la
société et des connaissances qui sont au fondement de ces valeurs
considérées comme éminentes ».
S'ensuit une analyse approfondie du tribunal « le
Tribunal, sauf à manquer à son office pour cause de
partialité, ne saurait écarter, sans en débattre,
l'argumentation des prévenus fondant l'éventuelle pertinence du
moyen tiré de l'état de nécessité [É].
Attendu, encore, qu'il convient de relever que le Tribunal ne peut pas, non
plus, simplement prendre acte de l'existence d'une controverse scientifique
relative aux organismes génétiquement modifiés et
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à leur utilisation dans le cadre d'essais en plein
champ, et affirmer qu'il ne lui appartient pas de la trancher pour en
déduire, sur le plan juridique, que les prévenus ne
rapporteraient pas la preuve leur incombant d'un danger actuel ou imminent,
composante de l'état de nécessité justifiant la commission
de l'infraction ».
Le Tribunal Correctionnel relaxe les prévenus du
mouvement sur le fondement de l'état de nécessité.
C'était une première jurisprudentielle. Mis à part cette
exception, le parcours judiciaire des Faucheurs volontaires sera jonché
d'appel et de cassation refusant l'état de nécessité.
Tribunal correctionnel Paris, 12ème
Chambre, 25 mars 2013, n° parquet 09317034048, Collectif des
Déboulonneurs c/ Société JCDecaux
Le Collectif des Déboulonneurs, créé en
2005, dénonce la publicité agressive, qui envahie l'espace
publique et harcèle les citoyens. Il lutte contre son excroissance et
à cette fin, lance une action d'envergure nationale contre le
système publicitaire.
Il souhaite l'ouverture d'un débat national sur la
place de la publicité dans l'espace public, la réforme de la loi
encadrant l'affichage publicitaire et qu'un nouveau droit soit reconnu : la
liberté de réception. Corollaire de la liberté
d'expression, cette nouvelle liberté permet, selon eux, à chacun
d'être libre de recevoir ou non les messages diffusés dans
l'espace public.
Devant l'inertie des pouvoirs publics, après de
nombreuses années de travail sur le terrain légal, les
Déboulonneurs choisissent la désobéissance civile pour
alerter l'opinion et amener les élus à faire évoluer la
loi dans le sens de l'intérêt collectif. Ce collectif se propose
de déboulonner la publicité, c'est-à-dire, selon eux,
« de la faire tomber de son piédestal, de détruire son
prestige. Non pas de la supprimer, mais de la mettre à sa place, pour
qu'elle soit un outil d'information au service de toutes les activités
humaines » 464. Selon eux, en pratiquant la
dégradation non violente des panneaux publicitaires et la
réduction des tailles d'affiches, leurs actions se situent sur le
terrain de la désobéissance civile.
Pour des faits, du 28 février 2009 au métro
Pigalle, six membres du collectif comparaissent devant le Tribunal
Correctionnel de Paris le 25 mars 2013. Poursuivi sur le fondement de
l'article R. 635-1 du Code pénal465, l'état de
nécessité sera accepté par les juges.
Ayant mobilisé l'état de nécessité,
les juges vont analyser chacun des éléments le constituant.
464 Site internet des Déboulonneurs :
http://www.deboulonneurs.org/
465 Pour avoir apposé des slogans à la peinture sur
des affiches que supportaient des panneaux publicitaires.
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Sur la difficulté d'échapper à la
contrainte publicitaire : les juges énoncent que « la
publicité, dans les très grandes dimensions d'affiches ou de
panneaux, qu'elle impose désormais dans l'espace public, comporte une
contrainte morale pour les passants. À la différence de la
publicité télévisée, radiophonique ou même
informatique, il est impossible d'y échapper en fermant la
télévision, la radio ou l'ordinateur. S'agissant de l'affichage
de grande dimension, il n'est en quelque sorte pas possible d'y échapper
de manière consciente ou inconsciente, pour des raisons de
fonctionnement neurologique du cerveau humain, ce qui peut s'apparenter
à de la contrainte morale des publicitaires à l'encontre du
citoyen ».
Sur le danger imminent de la publicité : les
juges correctionnels reprennent des exemples pré existants en la
matière. À cette fin, ils remontent les publicités
encourageant à manger tel ou tel aliment gras ou sucré (alors que
l'obésité est reconnue par les professionnels de la santé
comme dangereuse) et les publicités incitant à consommer telle ou
telle boisson alcoolisée (alors qu'une grande partie des accidents de la
route sont causés par l'alcool au volant).
Ainsi, il est indéniable, pour les juges, que
« la publicité par affichage public de très grande
dimension peut, dans certains cas, présenter un danger imminent pour la
santé ».
Sur la nécessité de l'infraction et sa
proportionnalité avec la gravité de la menace : les juges
reviennent sur tous les moyens légaux que les prévenus ont
usés pour un changement de politique en la matière. Les juges
rappellent que le collectif a participé, en 2006, au débat
national sur l'environnement « Grenelle I » et au débat du
« Grenelle II » espérant une réglementation plus
contraignante de la publicité, qui a abouti, au contraire, à la
possibilité pour les afficheurs de faire défiler des panneaux
publicitaires comportant de très grands écrans dans les espaces
publics, et de poser d'immenses bâches sur les échafaudages,
supportant de très grandes publicités. Dès lors,
« le Collectif a donc, sans succès, tenté d'utiliser la
voie législative pour réduire les effets nocifs des affiches
publicitaires dans l'espace public. Il a aussi tenté d'alerter les
pouvoirs publics, sans plus de succès ».
En conclusion, le tribunal va adhérer à
l'état de nécessité et relaxer les prévenus, en
estimant que « devant la nocivité pour la santé de
certaines publicités, à l'origine du décès d'un
nombre non négligeable de personnes, il peut être
considéré que de commettre des contraventions de
dégradations légères, est proportionné au danger de
maladie ou de mort couru par ces personnes ».
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