ANNEXE 2 Ð PRÉSENTATION DES RÉGIMES
RELATIFS AU DROIT À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION EN FRANCE ET AUX
ÉTATS-UNIS
La liberté d'expression diverge selon les
modèles européens et américains. Néanmoins, la
différenciation est de plus en plus ténue, des convergences
apparaissent.
1 Ð Une approche française
positive
La liberté d'expression a été
constitutionnellement garantie par la Déclaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen de 1789. Selon l'article 10
« Nul ne doit être inquiété pour ses
opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas
l'ordre public établi par la loi ». Ce principe
général a été précisé par
l'article 11 « La libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement,
sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les
cas déterminés par la loi ».
La liberté d'expression a été
consacrée conventionnellement par l'article 10 al 1 de la
Convention européenne des droits de l'Homme qui énonce
que « Toute personne a droit à la liberté d'expression.
Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir
ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y
avoir ingérence d'autorités publiques et sans
considération de frontière ». Cependant l'al 2
dispose : « L'exercice de ces libertés comportant des
devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines
formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la
loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité
nationale, à l'intégrité territoriale ou à la
sûreté publique, à la défense de l'ordre et à
la prévention du crime, à la protection de la santé ou de
la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou
pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire
».
Enfin, l'article 19 § 2 du Pacte international
des droits civils et politiques de 1966 « Toute personne a
droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la
liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des
informations et des idées de toute espèce, sans
considération de frontières, sous une forme orale, écrite,
imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen ».
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En France, la liberté d'expression a une source
législative : la loi du 29 juillet 1881 relative à la
liberté de la presse.
Cette approche positive proclame un principe
général de liberté d'expression et, dans le même
temps des exceptions (donc des « infractions de presse »).
2 - Une politique américaine
négative
Aux États-Unis, la liberté d'expression est
absolue et la loi ne peut pas la restreindre. Le Premier amendement de
la Constitution américaine a cette approche négative.
Ainsi, elle interdit au législateur toute intervention pour limiter la
liberté d'expression. Pourtant, la Cour suprême des
États-Unis a maintes fois développé des positions
jurisprudentielles qui ont restreint certaines formes d'expression. Le
Congrès, allant dans ce sens, a également adopté des lois
punissant de lourdes sanctions les individus exerçant leur
liberté d'expression dans un domaine interdit. Conséquence de ces
réglementations, des personnes qui divulguent des informations sensibles
au public sont accusés d'avoir eu des comportements infractionnels.
Les restrictions à la liberté d'expression sont
au nombre de quatre.
L'une qui touche particulièrement les whistleblowers
est l'Espionnage Acte de 1917. Il punit de peines très
lourdes les agents ou soldats qui divulguent des informations relatives
à la défense nationale à une personne non habilitée
à recevoir ce type d'information. Deux ans après l'adoption de
cette loi, la Cour suprême va étendre cette dérogation
à « tout danger manifeste et présent pour la
sécurité nationale »440 et condamner des
militants qui avaient distribué des tracts incitant les militaires
à ne pas participer à la Première Guerre mondiale. Par la
suite, la Cour suprême a dû interpréter le Premier
amendement et l'Espionnage Acte dans le cadre de publications effectuées
par la presse. En effet, dans sa jurisprudence des Pentagone Papers,
la Cour a considéré que l'interdiction faite à la presse
de publier des documents classés secret-défense, en
application de l'Espionnage Acte, était contraire au Premier
amendement441.
440 Cour suprême, Schenk c/ United States, 9
janvier 1919 - 249 U.S 47.52
441 Cour suprême, 30 juin 1971, New York Times Co c/
United States - 403 U.S 713. Les papiers du Pentagone est une
expression populaire désignant 7 000 documents secret-défense
émanant du département de la Défense à propos de
l'implication politique et militaire des Etats-Unis dans la guerre du
Viêt-Nam de 1945 à 1971. Les papiers révèlent que le
gouvernement américain a délibérément étendu
et intensifié la guerre du Viêt-Nam alors que le Président
Lyndon Johnson avait promis de ne pas s'impliquer davantage dans le conflit.
Daniel Ellsberg, l'un des rédacteurs de ce rapport, les avait
photocopiés et offerts au New-York Time, qui les publiera en
juin 1971. Le Président arrivera à obtenir de la Cour
fédérale une injonction ordonnant l'arrêt de la publication
sur le fondement de l'Espionnage Act. La Cour suprême va rappeler avec
force la liberté de la presse même en présence d'une
question de sécurité nationale. On peut se demander pourquoi
cette décision n'a pas été appliquée à
certains whistleblowers.
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La loi de 1917 et la notion de « tout danger manifeste et
présent pour la sécurité nationale » restent les
véritables grandes restrictions américaines à la
liberté d'expression, qui ont un impact considérable sur la
protection des whistleblowers442. En France, une disposition
converge vers ce type d'interdiction. En effet, les articles 413-11 et 413-11-1
du Code pénal sanctionnent les divulgations, les destructions, les
reproductions et diffusions d'informations classées
secret-défense.
Identique à l'ordonnancement juridique français,
on retrouve la diffamation, limitant l'exercice de la
liberté d'expression. La diffamation porte atteinte à la
moralité, la renommée ou la réputation d'un individu. Elle
est un comportement infractionnel très utilisé contre les
whistleblowers que cela soit en France ou aux États-Unis. En 1964, la
Cour suprême américaine a mis en place le critère de «
l'intention effective de nuire » (Cour suprême, New York Time c/
Sullivan, 9 mars 1964 - 376 U.S 254) permettant à une personne
d'intenter un procès en diffamation sous la seule exigence de prouver
l'intention de nuire.
Il existe un dernier obstacle à la liberté
d'expression américaine : l'obscénité.
La Cour suprême a affirmé, en 1973, que
l'obscénité n'est pas protégée par le Premier
amendement et adopta le « test Miller » (Miller test) pour
déterminer ce qui constitue ou non du matériel obscène
(Cour suprême, Miller c/ Californie, 21 juin 1973 - 13 U.S
15).
442 Edward Snowden (poursuivi sur le fondement de l'Espionnage
Act), Thomas Drake, (ancien agent de la NSA, qui a révélé
la mauvaise gestion des écoutes, a été poursuivi sur le
même fondement), le soldat Manning (poursuivit sur le fondement de
l'Espionnage Act, pour avoir fourni à Wikileaks des documents
classés, a été condamné à trente-cinq
d'emprisonnement) et John Kiriakou (ancien agent de la CIA qui a
révélé publiquement l'usage de la torture pendant les
interrogatoires, en particulier le « waterboarding », et qui fut
poursuivi et condamné sur le fondement de l'Intelligence Identity
Protection Act à deux ans d'emprisonnement).
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