Section 2 - La répression en réponse
à une libre expression
L'histoire des lanceurs d'alerte est parsemée de
divulgations publiques par écrit ou parole. Dès qu'il y a
diffusion médiatique, le droit de la presse s'applique. Dans les
systèmes juridiques modernes, la liberté d'expression (ainsi que
la liberté d'opinion et de conscience) est hissée à
différents niveaux. Proclamée et sacralisée, elle subit
néanmoins de nombreuses dérogations, apparues au fil du temps
selon les événements politiques et judiciaires survenus. Le droit
d'exercer cette liberté fondamentale est donc encadré et c'est de
manière homogène mais variable que les États ont
posé des garde-fous315.
En France, la liberté d'expression a été
constitutionnellement reconnue aux articles 10 et 11 de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de
1789316, visant à la fois l'aspect intime de la
liberté d'opinion et l'aspect externe de la manifestation de cette
opinion317. C'est une approche positive qui a été
affirmée, puisqu'un principe général de liberté
d'expression a été garanti mais des exceptions ont
été admises par la loi. Ces exceptions sont communément
nommées « infractions de presse », incluant l'infraction de
diffamation et d'injure.
La liberté d'expression a été
consacrée conventionnellement en 1950 par l'article 10 de la
Convention européenne des droits de l'Homme318.
Une autre source fonde la liberté d'expression en
France. Cette source législative a comme origine la loi du 29
juillet 1881 relative à la liberté de la
presse319. Elle régit la pratique de la
liberté de la presse et de la liberté d'expression en France.
Elle avait pour objectif, selon Mathilde Hallé, « d'assurer une
pleine liberté d'expression de la presse dans un objectif d'information
« saine » du public au sein de l'espace public
»320. Créée pour favoriser la
315 Voir annexe 2, p.133
316 Art. 10 de la DDHC : « Nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que
leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi
».
Art. 11 de la DDHC : « La libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement,
sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les
cas déterminés par la loi ».
317 G. MUHLMANN, E. DECAUX, E. ZOLLER, La liberté
d'expression, Editions Dalloz, novembre 2015, p. 117-308
318 Art. 10 de la CESDH : « Toute personne a droit
à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté
d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations
ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence
d'autorités publiques et sans considération de
frontière.
L'exercice de ces libertés comportant des devoirs
et des responsabilités peut être soumis à certaines
formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la
loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité
nationale, à l'intégrité territoriale ou à la
sûreté publique, à la défense de l'ordre et à
la prévention du crime, à la protection de la santé ou de
la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou
pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire
».
319 Loi du 29 juillet 1881 relative à la
liberté de la presse, JO du 30 juillet 1881, p.
4201
320 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par
voie de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes
Politiques de Rennes, 2007, p.7-85
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liberté d'expression et la restreindre a minima, elle
prévoit et réprime les abus à la liberté
d'expression commis par voie de presse. Pour que cet objectif soit
réalisé, la loi a dressé des dispositions
procédurales spécifiques dérogatoires au droit commun.
Cette législation porte mal son nom et pourrait
être appelée plus justement « loi sur la liberté de
communication ». En effet, ce qui compte est le caractère public de
la communication quel que soit le moyen utilisé.
La divulgation médiatique est un moyen pour le lanceur
d'alerte de contourner l'immobilisme de sa hiérarchie et/ou de garder
l'anonymat. Selon Jean-Philippe Foegle, « il faut examiner dans quelle
mesure l'équilibre institué par le droit de la presse permet de
garantir ou non l'efficacité de la protection des lanceurs d'alerte
contre les « procès bâillon »
»321.
À cette fin, l'étude se focalisera sur les
infractions de presse retenues contre les lanceurs d'alerte (Paragraphe
I) et les défenses qu'ils peuvent opposer (Paragraphe
II).
I - Des infractions de presse utilisées contre les
lanceurs d'alerte
Pour qu'une infraction de presse soit constituée, il
faut une publication et un contenu interdit322. Selon Emmanuel
Derieux, « c'est donc le fait de rendre publiques des affirmations ou
accusations [É] qui constitue l'infraction, quels que soient la nature
ou le support de cette publication »323.
Les deux infractions de presse régulièrement
utilisées contre les lanceurs d'alerte sont l'injure publique
(A) et la diffamation publique (B). Les cas
de poursuites pour injure publique sont moins fréquents que pour
diffamation.
A - Des poursuites diligentées pour propos
injurieux
Soulignons qu'aucune décision judiciaire relative
à un lanceur d'alerte n'a été relevée en
matière d'injure. Néanmoins, l'examen de cette infraction demeure
intéressant puisque les lois françaises récentes ont
rappelé avec force que les lanceurs d'alerte de mauvaise foi seront
passibles de poursuites au titre de l'injure.
321 JP FOEGLE, « Lanceurs d'alerte »,
Encyclop3/4dia Universalis (en ligne), consulté le 8 juin
2016.
322 Qui peut être attentatoire à l'honneur et
à la considération.
323 E. DERIEUX, Droit des médias, LGDJ, Lextenso
Editions, 7ème édition, octobre 2015, p.434-1006
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