CHAPITRE 4 :
L'ALTERMONDIALISME COMME SOLUTION AUX FAIBLESSES
ACTUELLES DE L'HUMANITE
Le climat actuel nous oblige à remettre radicalement en
question notre vision du monde, mais aussi, et surtout, notre mode de vie. La
crise du capitalisme financier, puis du capitalisme tout
entier entamée en 2008 se superpose à la crise
écologique latente, celle d'une marche à peine freinée
vers un réchauffement irréversible de la planète qui
causera de nombreux bouleversements ne laisse personne indifférent et
semble exiger un temps d'arrêt. Cet arrêt pose une question claire
: le capitalisme et son cheval de Troie financier ont-ils un avenir sur une
planète ronde?
En admettant que ce système ait un avenir et qu'il
faille le réformer, on se demandera par où commencer car il y a
urgence à agir. Il sied dés lors de réfléchir sur
la mise en place de mesures visant à contrôler les dérives
potentielles (les changements du climat, les catastrophes du privé et
les mutations culturelles relatives aux technologies non
maîtrisées). Le « bateau » humanité
vogue sans gouvernail. Il sied des lors de proposer des pistes pour un monde
plus juste, durable et plus équitable.
Section 1 : Les chances du succès de
l'altermondialisme
Certains avaient peut-être espéré, lorsque
l'altermondialisme a émergé il y a dix ans, que ce mouvement
inverse, en quelques semaines ou en quelques mois, les logiques à
l'oeuvre au sein de ce que la pensée dominante appelait « la
mondialisation ». C'était méconnaître la profondeur
des transformations que le système capitaliste était en train
d'imposer à l'ensemble des sociétés : tout marchandiser,
c'est-à-dire soumettre toutes les activités humaines à
l'exigence de rentabilité maximale.
L'altermondialisme ne pouvait qu'être à la mesure
de ce bouleversement qui était lié à une dynamique
d'accumulation dont l'origine est vieille maintenant de deux ou trois
siècles. L'altermondialisme devait être pensé comme un
nouveau mouvement d'émancipation humaine s'inscrivant dans le long terme
et capable d'intégrer les acquis fondamentaux de l'histoire
ouvrière, de la conquête des droits démocratiques et de
ceux des femmes, de la résistance des peuples à la domination
coloniale et impérialiste et les impératifs de la nouvelle
frontière écologique.
Dés lors quelle chance de succès peut-on
accorder à l'altermondialisme ? Quel est l'état des forces
et des faiblesses de l'altermondialisme ? Comment se servir des
premières pour dépasser les secondes ? Deux victoires importantes
ont été obtenues. L'une est d'avoir brisé le consensus
autour des institutions internationales sous la férule desquelles les
peuples étaient enrégimentés. Car le Fonds
monétaire international et la Banque mondiale ont vu leurs plans
d'ajustement structurel plonger les pays les plus pauvres dans la faillite.
L'Organisation mondiale du commerce a été démasquée
dans sa volonté de généraliser le libre-échange. Le
mythe d'un G8 soucieux du destin de l'humanité s'est évanoui pour
laisser apparaître la défense des intérêts sordides
des grands groupes économiques et financiers dont les maîtres se
réunissent en conclave chaque année à Davos, pendant que
leurs mandataires s'affairent pour spéculer sur les marchés
financiers et restructurer dans le monde entier leurs investissements, avec
pour principal résultat un accroissement considérable des
inégalités.
La seconde victoire a été de créer des
lieux où les peuples ont pris la parole, où les citoyens
engagés ont pu confronter leurs analyses et leurs expériences.
Dans le Forum social mondial, les forums sociaux continentaux et les forums
sociaux locaux, est née une forme d'expression populaire, originale par
la diversité des acteurs qu'elle impliquait, et ancrée dans la
meilleure tradition de l'autogestion par l'aspiration à la
démocratie participative. Mais ces deux victoires ont aussi leurs
revers. D'une part, la faillite des institutions internationales et des
gouvernements a été mise à profit par leurs dirigeants
pour infléchir notablement leur stratégie. Aux accords de
libre-échange multilatéraux, devenus plus difficiles à
obtenir au sein de l'OMC, se sont substitués une multitude d'accords
bilatéraux tout aussi désastreux pour les pays les plus faibles,
quoique habillés d'un manteau protecteur nommé « partenariat
économique ».
Et à l'idéologie du tout-marché apportant
le bonheur à l'humanité a succédé une
idéologie de plus en plus sécuritaire et guerrière pour
protéger intérêts, accès aux ressources et places
stratégiques, exacerbant les conflits identitaires et religieux et
encourageant la xénophobie. D'autre part, les forums sociaux doivent
aider à surmonter la difficulté de passer d'une phase de critique
du capitalisme néolibéral à une phase de propositions
alternatives. Nous en sommes là : à un tournant de
l'altermondialisme. Il lui faut ne rien perdre de la radicalité de sa
critique tout en construisant, autour d'objectifs stratégiques, une
cohérence aux alternatives en cours d'élaboration et en
travaillant à la convergence des mouvements qui forgent celles-ci. -
Quelle cohérence ? L'altermondialisme prolonge et renouvelle le projet
d'émancipation humaine porté par les idées des
Lumières et par le mouvement ouvrier, ainsi que par les luttes pour la
décolonisation et par celles pour la conquête de la
démocratie et de l'égalité entre hommes et femmes. Mais il
s'inscrit aussi dans une perspective d'élargissement de la
problématique d'émancipation, permettant de réunir les
dimensions sociale et écologique, dont le point commun est la
nécessité de socialiser la richesse et les moyens de produire
celle-ci : contrôler les moyens de production industriels ne suffit plus,
il faut aussi rendre inaliénables les biens communs de l'humanité
(eau, air, ressources rares, terre, connaissances). Les privatisations
généralisées n'ont pas fait disparaître la question
de la propriété collective de l'histoire humaine, elle est au
point de départ d'une nouvelle réflexion sur le socialisme en
plusieurs endroits du monde, notamment en Amérique latine où des
processus démocratiques sont en cours et où une Banque du Sud
vient d'être créée. La socialisation des biens communs
impliquera de restreindre drastiquement le pouvoir - et donc le droit relatif
à la propriété - des actionnaires en introduisant de plus
en plus de démocratie dans les entreprises et en écrêtant
radicalement les revenus financiers. Et la socialisation d'une fraction
croissante de la richesse, grâce à une sphère non
marchande, est parfaitement possible car, lorsque la collectivité
anticipe l'existence de besoins sociaux (éducation, santé,
transports, etc.) et qu'elle investit et embauche pour cela, les travailleurs
des services non marchands produisent de vraies richesses, des valeurs d'usage
débarrassées de la contrainte du profit.
La récente crise immobilière et
financière survenue aux États-Unis en 2007 rappelle le besoin
urgent d'une régulation mondiale très différente de celle
en cours. C'est ainsi que l'idée de taxes globales susceptibles
d'assurer la préservation et le développement des biens communs
de l'humanité, et l'accès de tous les humains à ces biens,
fait maintenant son chemin. - Quelle convergence ? Deux types d'alliances nous
paraissent primordiales pour dépasser les contradictions existantes. La
première concerne le rapport Nord-Sud. Les effets les plus
délétères du libre-échange se produisent dans les
pays du Sud soumis à une concurrence qu'ils ne peuvent supporter,
notamment pour les produits agricoles lorsque leur autonomie alimentaire a
été anéantie en même temps que leurs cultures
vivrières. La solidarité internationale exige de défaire
les accords commerciaux comme la Zone de libre-échange des
Amériques, ou les accords de partenariat économique entre l'Union
européenne et les pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique, que
l'Union s'efforce d'imposer mais qu'un nombre croissant de pays du Sud
refusent. De même, une révision radicale de la politique agricole
commune européenne est indispensable, afin de la rendre non
productiviste et non agressive vis-à-vis des agricultures du
Sud.
La seconde alliance à nouer est entre les forces
représentatives du salariat et les écologistes. Compte tenu de la
double crise, sociale et écologique, l'urgence est de bâtir une
convergence entre les revendications sociales, souvent immédiates, et
les préoccupations écologiques, qui s'inscrivent dans une
perspective de plus long terme. Jusqu'ici, tout semblait opposer ces
aspirations ; aujourd'hui, l'altermondialisme porte l'idée que la
transformation des rapports de production ne peut se faire sans changer la
production elle-même. Dans ce cadre, un double élargissement des
forums sociaux mondiaux est en cours et doit encore s'approfondir : un
élargissement géographique, par la tenue des forums, après
Porto Alegre, à Mumbai, Bamako, Caracas, Karachi, Nairobi..., et un
élargissement des bases sociales par la présence de syndicats de
travailleurs salariés et de paysans, de celle des mouvements des exclus
et des associations de citoyens.
Cette convergence est une condition à la fois du recul
de l'idéologie néolibérale et de la réussite des
actions porteuses d'une logique solidaire, écologique et
démocratique. Tel sera le sens encore de la semaine d'action du Forum
social mondial décentralisé qui culminera partout dans le monde
le 26 janvier 2008. Tel est le sens de l'implication de nombreux
altermondialistes dans les mouvements sociaux qui prennent ou ont pris corps
sur les retraites, le logement, l'avenir des universités, l'agriculture
sans OGM et le traitement odieux réservé aux étrangers.
Les forums sociaux ne constituent pas un pôle dirigeant de
l'altermondialisme mais sont des moments et des lieux pour mettre en relation
et unir tous les mouvements autour d'objectifs de transformation. Ainsi, les
propositions de taxes globales, de socialisation de la richesse,
d'échanges fondés sur la coopération et le respect des
normes sociales et écologiques, de démocratie au plan local comme
au plan global, de droits humains respectés partout et pour tous,
indiquent la direction vers laquelle aller. L'altermondialisme est à un
tournant : en utilisant les opportunités d'échange et
d'articulation ouvertes par les forums sociaux, il lui faut penser le
dépassement du système dominant et le préparer d'ores et
déjà.
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