c) Articulation et combinaison des
proximités
Nous avons pu voir dans notre analyse comparative sur les
proximités que proximité géographique et proximité
organisée ne sont pas des catégories absolues, ni
dépendantes. En théorie, elles n'ont pas besoin des autres
proximités pour fonctionner. Mais nous avons observé que la
réalité est toute autre et que, par exemple, la proximité
organisée n'existe que par la mise en place d'institutions (et donc par
extension par de la proximité institutionnelle). André TORRE
(2004) va plus loin dans cette approche, et tente de comprendre les liens qu'il
peut exister entre la proximité géographique et la
proximité organisée. Il explique par exemple que
l'activité humaine permet de rapprocher deux lieux (par la construction
d'infrastructures, mais aussi par l'étalement urbain, la
mondialisation). Deux villes se situant à 100 km l'une de l'autre
peuvent même devenir « proches » avec l'innovation
dans les transports. Par exemple, Marseille et Paris se situent seulement
à 3h en TGV et seulement 1h30 en avion. Pour certaines entreprises, les
collaborations se traduisent par des voyages croisés, des
réunions chez l'un puis chez l'autre. La proximité
géographique n'est plus obligatoire de façon permanente.
L'ubiquité et la mobilité, la géographie temporaire sont
ainsi deux facteurs qui ont toute leur importance dans la constitution de liens
économiques et sociaux. Finalement, la distance ne semble plus
être un problème, ni une barrière au rapprochement et aux
interactions d'acteurs. La proximité géographique (et la distance
au même titre) peut donc avoir des dimensions organisées. De la
même manière, la proximité organisée est sans cesse
impactée par des dimensions spatiales. Des réseaux peuvent se
créer au sein d'un technopôle, les acteurs économiques
peuvent conserver des liens avec leur territoire d'origine, etc. Il
paraît donc difficile d'analyser ces deux dimensions de la
proximité pour qu'elles soient substituables ou
complémentaires.
RALLET et TORRE (2004) tentent tout de même de
comprendre les combinaisons qu'il peut exister entre ces deux dimensions. Ils
pensent notamment que cela permettrait de comprendre les processus de
coordination et de communications puisque ces deux idéaux
définissent typiquement « la relation humaine inscrite dans
l'espace ».
Ils déduisent de leur approche le tableau
suivant :
Tableau 1. Le croisement
des deux proximités et ses résultats en matière
d'interactions
Sources : RALLET Alain, TORRE André,
2004.
On peut alors remarquer quatre possibilités dans la
juxtaposition des deux proximités :
1/ Lorsque la proximité géographique rencontre
la proximité géographique : rien ne se passe. Les acteurs
économiques, bien qu'agglomérés, n'ont pas de relations
entre eux. Finalement, c'est le cas qui permet de démontrer
qu'agglomération et interactions ne sont pas deux notions à
confondre - alors que certains auteurs de la littérature empirique le
font trop souvent.
2/ Lorsque la proximité géographique rencontre
la proximité organisée : c'est le cas où la
proximité géographique doit être structurée et
activée par la proximité organisée. Les réseaux
locaux, les SPL, les dispositifs de négociation, et bien
évidemment les clusters, font partis de cette déclinaison. C'est
donc la situation où la proximité géographique est
activée de manière permanente par des interactions et par le
biais de proximité organisée. Cette combinaison réside
dans une co-localisation d'acteurs engagés, dont l'articulation repose
sur des politiques spécifiques.Et c'est là toute la
difficulté du concept de cluster. Si les entreprises se rassemblent sur
un même espace autour de l'innovation et qu'elles ne communiquent pas,
rien ne se passe. Si des règles communeset politiques spécifiques
ne sont pas mises en place, rien ne se passe non plus.
3/ Lorsque la proximité organisée rencontre la
proximité géographique : la proximité
géographique peut avoir des effets négatifs. Ces effets peuvent
être combattus par la mobilisation des ressources de la proximité
organisée. La proximité organisée se transforme alors
temporairement en proximité géographique. C'est un des aspects
que nous avons pu développer précédemment, où les
effets néfastes de la proximité géographique peuvent
permettre d'activer la proximité organisée.
4/Lorsque la proximité organisée rencontre la
proximité organisée : c'est le cas des interactions
supra-locales (firmes multi-établissements, réseaux globaux
d'entreprises) où les coordinations se passent autour du partage de
normes, de règles et de représentations communes. La
coopération doit être rattachée à un
caractère institutionnel pour exister. Cela devient alors des
réseaux non territoriaux. C'est finalement une relation que l'on
remarque de plus en plus, puisque grâce aux nouvelles technologies les
acteurs n'ont parfois pas besoins de se rencontrer pour émettre des
liens, on parle même de plus en plus de dé-territorialisation.
Ces différents croisements fournissent donc une grille
d'analyse des différents modèles d'organisation
géographiques des activités. Les milieux innovateurs sont des
milieux caractérisés par le regroupement des deux
proximités. La proximité organisée peut être un
remède à la proximité géographique tout comme cette
dernière peut activée la proximité organisée. Ce
modèle économique reste très répandu, mais il faut
tout de même émettre une certaine critique. Dans certainscas, la
proximité organisée prend racine sur des relations fonctionnelles
ou identitaires fondées sur l'organisation et non sur le territoire.
Aucun lien n'est alors présent entre les deux proximités. Il faut
donc prendre en considération que le développement local peut
être défini sous différents modèles. On doit d'abord
partir de la disjonction des deux proximités pour ensuite parvenir
à leur articulation.
Pour conclure sur ce chapitre, nous avons dû, dans un
premier temps, comprendre les différences entre les notions de distance
et proximité. La clé de la compréhension des dynamiques de
proximité réside dans le fait que la perception de la distance
qui sépare deux entités n'est jamais la même.
L'appartenance au même groupe social, la pratique du même langage,
les moyens de communications, les infrastructures de transports, sont tous des
moyens pertinents de réduire le sentiment de distance et ils permettent
de rapprocher des acteurs. L'apprentissage et l'innovation sont alors
possibles. Néanmoins, une trop grande proximité cognitive ou
sociale peut rendre difficile ce processus. Ce risque de conflit peut alors
être réduit par le biais de règles communes,
d'institutions. Ainsi, pour que la jointure entre la proximité
organisée et la proximité géographique fonctionne, il faut
que les acteurs soient engagés et que la collaboration passe par des
politiques spécifiques. Par définition, c'est le cas du cluster
où l'ambition commune aux entreprises est la collaboration dans
l'innovation. Le plus important est de comprendre quelle proximité entre
en jeu sur quel type de territoire et entre quels types d'acteurs. Nous avions
émis l'hypothèse que laFriche culturelle pouvait, par extension,
être un cluster qui rassemblerait des industries culturelles autre d'un
projet commun. Les Friches culturelles étant bien souvent prises en
compte par les politiques, une certaine proximité institutionnelle se
met en place. La proximité géographique entre les associations et
entreprises est aussi évidente. Il reste à se poser la question
de la proximité organisationnelle basée sur le projet commun qui
diffère selon le territoire et la Friche étudiée.
En conclusion de cette première partie, nous pouvons
dire qu'il existe deux types de proximités qui sont les plus
étudiées par les chercheurs : la proximité
géographique et la proximité organisée. Par extension
à celles-ci, on trouve la proximité cognitive qui permet
d'échanger des connaissances, la proximité sociale qui permet
d'échanger et la proximité institutionnelle qui permet de
réguler les échanges. Lorsque l'on croise les proximités
on obtient des écosystèmes où les entreprises sont en
collaboration et en concurrence. C'est le principe du cluster. En effet, le
cluster se définit par une proximité géographique et
organisée entre des entreprises d'un même secteur culturel et/ou
créatif. Le cluster créatif est un ensemble d'industries issues
de milieux créatifs qui s'assemblent et qui collaborent. Elles
participent au développement économique de la ville. Ce sont
notamment les politiques de l'économie créative qui ont permis
leur succès et leur attractivité. Les Friches culturelles sont
également issues de ces politiques, c'est pourquoi, la question que nous
pouvons nous demander et est-ce que ces friches peuvent-être, par
extension, des clusters. Nous tenterons de donner une réponse à
cette interrogation avec le cas de la Belle-de-Mai à Marseille qui
rassemble sur un même lieu, des industries culturelles et des industries
créatives. Nous verrons si chacun des trois pôles que constituent
la Belle-de-Mai sont des clusters et si l'ensemble lui même un est un ou
si, au contraire, chacun des pôles fonctionnent différemment. Nous
verrons enfin, dans une troisième partie quel est l'ancrage territorial
de l'ensemble. Selon FLORIDA, les villes doivent attirer les créatifs
qui eux-mêmes vont développer la ville. Elles doivent aussi leur
donner envie de rester. Mais est-ce que c'est le cas à la
Belle-de-Mai ? Qu'est ce qui fait, finalement, que les industries
créatives sont ici et pourquoi restent-elles ?
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