Les dimensions du droit à la vie privée en droit positif congolais( Télécharger le fichier original )par Jean Robert MUHANZI BISIMWA Université de Goma - Licence 2014 |
B.2 LES DELITS DE PRESSEEn droit congolais, le délit de presse est défini comme toute infraction commise par voie de presse écrite ou audiovisuelle.11°Le web et l'e-mail n'étant pas soumis au même régime juridique. Le premier relevant de la communication audiovisuelle, et le second étant assujetti aux règles relatives à la télécommunication. D'où, le délit de presse est susceptible 107 LIKULIA BOLONGO, Op cit. , p. 208 108 Liévin MBUNGU TSENDE, Responsabilité de l'entreprise et vie privée des salariés dans un contexte des technologies de l'information et de la communication, Larcier, Université de liège-Belgique, 2014, p. 19 109 Emile Lambert OWENGA ODINGA, Op cit., p.21 110 Article 74 de la loi n°96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités de l'exercice de la liberté de presse 49 d'être commis sur internet. Cette définition soulève un débat par rapport au courant de pensée qui veut qu'on voie comme délit de presse toute infraction commise sur internet peu importe que le site qui est à l'origine de la diffusion ait ou pas, la nature d'une entreprise de presse, or par définition cette infraction est établie si elle résulte d'une action de presse. Ainsi donc, la lecture de la définition légale des délits de presse peut facilement amener à comprendre que les diverses infractions qui se commettent en violation de la vie privée à partir des sites Web ou des journaux électroniques par les éditeurs des magazines en ligne et/ou les journalistes constituent bel et bien des délits de presse. Cependant, tout n'est pas encore résolu car en plus de la définition légale, il se dégage un problème s'agissant de l'application des normes relatives à l'audiovisuel dont les difficultés se posent en rapport par exemple avec les journaux électroniques et les sites internet d'information. Etant conçu selon une certaine logique esthétique et finalité, les sites internet ne se prêtent pas facilement au greffage de nouvelles données, même si les propriétaires sont aussi constructeurs.111 La loi congolaise sur la presse étant trop tournée vers la télévision quant à la communication audiovisuelle, certaines considérations relatives à la réponse, à la rectification et à la réplique sont difficiles à transposer sur internet. Il s'agit là d'un souci d'adaptation de la loi sur la presse qui semble rester quelque peu statique sur certaines questions telles que celles naissant en ligne. B.3. LA PRISE DE CONNAISSANCE OU LA SOUSTRACTION DES DONNEES STOCKEES DANS UNE BANQUE PRIVEE Les renseignements concernant la vie privée d'individus sur des ordinateurs dans la banque des données doivent être règlementés par la loi.112 Il s'agit en fait d'une obligation. Cependant, les données stockées dans une banque privée ne sont pas règlementées en droit congolais.113 Cette infraction existe qu'au cas où les données téléchargées se trouveraient basées dans la banque de l'Etat. Elle ne concerne guère les données accumulées dans des banques privées. Il va sans dire que leur prise de connaissance ou leur soustraction frauduleuse ne constituent pas, en principe, une infraction quoiqu'il y a atteinte à la vie privée, lorsqu'il est question des données nominatives ou personnelles. Cette infraction peut être commise par n'importe quelle personne. S'agissant des données stockées dans la banque de l'Etat, il suffit d'accéder dans la base des données de l'Etat pour s'en rendre coupable. On peut établir la violation de la vie privée lorsqu'on accède 111 Emile Lambert OWENGA, L'entreprise virtuelle in « juricongo », mai-juin 2000, p. 19 112 Observation générale n°16 : Article 17 (Droit au respect de la vie privée), adoptée le 4 Aout 1988, par. 10 113 Emile Lambert OWENGA ODINGA, Op cit., p.22 50 à des données à caractère nominatif ou personnel et s'en approprier. Par exemple, des dossiers judiciaires instruits au parquet. Cependant quoique non règlementé en droit congolais, l'incursion dans les données contenues dans l'ordinateur d'une personne constitue une atteinte dès lors qu'à l'occasion de cette incursion il y a eu prise de connaissance et soustraction des données privées. Le fait que cette infraction ne soit pas reconnue en droit congolais constitue quelque peu une faiblesse sur la protection de la vie privée des congolais qu'il s'agisse d'un cadre particulier ou même professionnel étant donné qu'un salarié bénéficie aussi du droit à la vie privée lors de l'utilisation des outils mises à sa disposition par l'employeur. Il peut donc arguer la violation de sa vie privée si même son employeur fait incursion dans ses données privées.114 La prise de connaissance et soustraction des données dans une banque privée peut bien être une infraction principale qui peut donner naissance à d'autres. Par exemple, à l'issue de cette frauduleuse soustraction des données, l'infracteur peut distribuer par mail ou via les réseaux sociaux, des lettres, tracts ou oeuvres littéraires, des images et même des musiques qui sans être diffamatoire constitueraient par leurs simple révélations, une atteinte à la dignité de la victime et par conséquent à sa vie privée. S'il faut considérer la seconde infraction comme une violation au sens du cyberlex, la première pourrait mieux constituer une circonstance aggravante sur l'établissement de la peine. Cela limiterait leurs propagations inexpliquées. Cependant, le silence du droit sur cette question serait appréhendé si pas interprété comme une manière de ne pas jouer pleinement le rôle de protection et par conséquent favoriser implicitement les perpétuelles commissions de ces actes. 1.B.2. Problème d'adaptation des normes et du silence du droit L'exercice d'analyse des atteintes à la vie privée organisées en droit congolais dénote une certaine inadaptation et une imprévisibilité des normes qui semblent protégées le droit à la vie privée. La notion de protection de la vie privée a longtemps été déterminée par l'état de la technique.115Si, dans son sens le plus évident, elle implique des limites imposées à l'invasion de l'espace physique et la protection du domicile et des biens personnels, la question du contrôle des informations relatives aux personnes privées se pose inévitablement dans le cadre de l'ajustement aux incidences des technologies de l'information et de la communication. 114 Liévin MBUNGU TSENDE, Op cit., p. 4 115 Toby MENDEL et Alii, Op cit., p. 121 51 Cette pratique a clairement changé la nature des préoccupations sur la vie privée, ce qui a directement modifié la portée des mesures préétablies pour sa protection. On loue avec énergie la prévoyance de l'article 71 de la loi-cadre n°013/2002 du 16 Octobre 2002 sur les télécommunications qui punit quiconque aura altéré, copié sans autorisation ou détruit toute correspondance émise par voie de télécommunication, l'aura ouvert, ou s'en sera emparé pour en prendre indûment connaissance ou aura employé un moyen pour surprendre des communications passées par un service public de télécommunication. Cette disposition quoique découlant de la prévoyance du législateur ne couvre pas, à elle seule, toutes les garanties de protection. Notre Constitution qui est le fondement de base de la protection de la vie privée énonce malheureusement de manière presque exclusive le contenu du droit au respect de la vie privée. Tout en ayant le mérite de la clarté, les énumérations ainsi faites présentent le risque que les éléments qui n'y sont pas inclus soient considérés comme exclus. A l'exemple de l'intrusion dans l'espace privé qui comprend aussi la prise de connaissance et la soustraction frauduleuses des données contenues dans une banque privée qui semble être écarté de la prévision légale pourtant bien plus important dans la protection de la vie privée. S'agissant des lois appuyant la Constitution, le problème d'adaptation que nous avons invoquée est énorme sur certaines dispositions essentielles protégeant la vie privée, lesquelles nous avons élucidé en sus. Les dispositions réprimant les injures et imputations dommageables lorsqu'il faut se pencher sur l'espace numérique pour réprimer et même pour les délits de presse sont restées statiques et semble ne pas s'adapter aux faits nouveaux apportés par les NTIC. Dans le cadre des délits de presse, les lois traditionnelles sur la presse, y compris la nôtre, définissent le délit de presse comme toute infraction commise par voie de presse écrite ou audiovisuelle.116 Cependant, moins les lois traditionnelles sont adaptées en la matière, plus l'évolution va se heurter à la difficulté d'interpréter les textes.117 Par exemple, une personne poursuivie pourrait prouver qu'elle n'est ni directeur de publication, ni des programmes, ni imprimeur, ni propriétaire du journal et prétendre qu'elle n'est rien de plus qu'en éditeur d'un site n'ayant aucune vocation aux activités de presse, et rejeter ainsi toute responsabilité. Elle pourrait invoquer en défense que la loi pénale est d'interprétation stricte (Délit de presse = infraction commise par voie de presse). 116 Article 74 de la loi n°96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités de l'exercice de la liberté de presse 117 Emile Lambert OWENGA ODINGA, Lois traditionnelles sur la presse : au vu du phénomène « presse électronique », faut-il penser aménagements ou refonte ?, in « lex electronica », vol 9, n°1, Hiver, 2004, p. 12 52 La responsabilité en cascade prévue dans certaines lois sur la presse n'est plus facilement applicable dans tous ses aspects sur Internet où il apparaît quelque fois difficile d'identifier les responsables de la presse électronique. Et même pour certains cas où les sanctions sont déjà prévues par la loi, le caractère mondial du réseau internet complique l'application de ces sanctions lorsque par exemple, la personne devant subir la sanction est domiciliée hors les frontières ou alors lorsque le serveur logeant le site incriminé est situé à l'étranger. En clair, les lois traditionnelles sur la presse118 constituant le fondement important pour régir les activités de la presse ont été conçues et rédigées de telle façon qu'il est difficile sinon impossible de régir efficacement l'ensemble des activités de la presse sur internet (presse électronique) en vertu de leurs seules dispositions. Il importe dès lors de reconnaître l'inadaptation des normes actuelles face au caractère spécifique de la presse électronique et de prévoir en conséquence des règles juridiques appropriées. Les défis posés à la vie privée par les technologies se regroupent dans l'ensemble ou pour la plupart sur la problématique de la confidentialité des données dont il est porté atteinte soit en toute ignorance de la victime, soit en sa connaissance mais dont il lui paraît impossible de prouver le préjudice que cela lui cause. On peut donc affirmer que pour la plupart de nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), c'est bel et bien la question de la confidentialité des données des utilisateurs qui se range au premier rang. Cependant, cette problématique (confidentialité), se révèle plus grave lorsque par la simple utilisation des services offerts par les technologies, l'individu, sans y consentir et en toute ignorance expose son intimité aux fournisseurs de service qui s'en sert pour des fins de publicités de leurs services. Cette préoccupation sur la violation de la confidentialité qui est l'oeuvre du fournisseur de service n'a pas été prise en compte même par les lois qu'on a qualifié de prévoyant. Or, il se démontre qu'actuellement, les fournisseurs des TIC n'ayant aucun contrat lucratif avec ses utilisateurs se servent plutôt de leurs données privées qu'ils vendent pour que les services qu'ils offrent demeurent profitables119. Voilà pourquoi il y a, chez un nombre des défenseurs de la confidentialité et de l'anonymat un notable scepticisme quant à l'efficacité des solutions réglementaires et gouvernementales120, position que nous soutenons aussi au vu de la conjoncture actuelle. 118 Emile Lambert OWENGA ODINGA, Op cit., p.1 119 Toby MENDEL, Op cit., p. 29 120 Toby MENDEL, Op cit.,, p.30 53 La protection de la vie privée ne mérite pas d'être abolie pour motif tiré du caractère complexe du réseau internet et des divers services qu'il offre. L'idéal pour cette protection c'est l'existence des règles internes adaptées aux réalités des NTIC ainsi que celle des moyens humains et matériels nécessaires pour en assurer l'application. En attendant ces règles, il importe de passer en revue les quelques efforts de protection fournis à travers l'analyse de la jurisprudence. §2. ETAT DE LIEU DE LA JURISPRUDENCE CONGOLAISE La question de la vie privée n'a pas un assez grand volume jurisprudentiel en droit congolais. Dans le cadre des technologies de l'information et de la communication, la plupart des victimes se retrouvant dans la difficulté, si pas l'impossibilité d'apporter les éléments de preuve témoignant de leurs préjudices se laissent bouffer par leurs propres sorts. Néanmoins, dans la pratique, les cours et tribunaux ce sont retrouvés face à des cas qu'il faut solutionner à tout prix. Dans un premier temps, les tribunaux semblent contourner l'absence de texte spécifique en invoquant l'interprétation évolutive ou analogique pour résoudre le litige. C'est le cas du Tribunal de paix de Kinshasa/Gombe qui, saisi d'une affaire de prise de connaissance et de manipulation par l'employeur des données privées de l'employé, stockées dans un ordinateur de service, retient dans son jugement définitif le faux en écriture à charge de l'employeur qui a pris connaissance et manipulé ces données.121 Il est vrai que la décision du Tribunal a contourné le vrai problème posé par cette affaire en invoquant tout simplement le faux en écriture. Il serait logiquement meilleure de retenir en premier lieu la violation de la vie privée résultant d'une incursion inexpliquée dans la banque privée comme infraction principale et établir le faux en écriture comme infraction connexe qui fait suite à la principale. Dans pareille logique, la protection se présenterait d'une manière un peu plus stricte. Dans un autre chapitre, le Tribunal de Grandes Instance de Lubumbashi, saisi d'une affaire mettant en cause un déclarant et coordonnateur provincial d'une agence en douane de la place contre une jeune femme de la même ville. Le monsieur est accusé d'avoir utilisé volontairement son ordinateur portable pour enregistrer les vidéos et prendre des photos en plein ébat sexuel avec cette jeune femme, Vidéos et photos qui seront peu après publiés sur 121 Tripaix Kinshasa/Gombe, RP.14739/DA, 1997, Inédit 54 internet. Dans son jugement définitif, le TGI/Lubumbashi retient à l'encontre du présumé auteur, l'infraction d'attentat à la pudeur122 se fondant sur l'article 167 de la loi n°06/018 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30 janvier 1940 portant Code Pénal qui réprime le fait d'exercé intentionnellement et directement sur une personne tout acte contraire aux moeurs sans le consentement de celle-ci.123 Nous estimons à notre avis que là n'est pas le problème exact posé. La victime peut bien avoir consenti à la consommation de l'acte et non pas à la publication des images. Il s'agit là de deux situations différentes. En établissant tout simplement l'infraction d'attentat à la pudeur, qu'en est-il du sort de la victime qui, par le fait de la publication de ces images, a perdu son honneur et/ou sa réputation ? Cette question a déjà été résolue sous d'autres cieux. En France par exemple, on réprime par l'infraction d'espionnage visuel, le fait de fixer, enregistrer et transmettre les images d'une personne se trouvant dans un lieu privé sans son consentement.124 Plus encore, on adjoint généralement à cette infraction la troisième qui réprime le fait de conserver, porter ou laisser à la connaissance du public ou d'un tiers le produit de l'infraction principale.125 La logique du droit français serait la plus appropriée dans la cadre de cette affaire car elle prend en compte non seulement le sort de la victime en réprimant la violation de son intimité mais également elle s'inscrit dans le cadre de la protection des moeurs en réprimant le fait de prendre soi-même connaissance des images et/ou vidéos d'une personne dans un lieu privé mais aussi de laisser à la connaissance du public les images et vidéos ainsi obtenus. Nous estimons à cet effet que l'idéologie du législateur français peut mieux servir de source d'inspiration au législateur congolais pour l'amélioration de la protection de l'intimité, de l'honneur et de la réputation des personnes surtout qu'obligation est faite aux Etats de protéger l'honneur et la réputation par une loi appropriée.126 122 Lire à ce sujet MGL INTERNATIONAL : Tout sur l'affaire MUPASA DHEDHE- Des multiples compétences face à une fin tragique disponible sur : https :// mglinternational-2014.com Consulté le 03 Juillet 2015 123 Voir article 167 de la loi n°06/018 du 20 juillet 1940 modifiant et complétant le décret du 30 juillet 1940 portant code pénal, in J.O RDC, 47e année, Kinshasa, Aout 2006 124 Michelle LAURE-RASSAT, Op cit., p. 353 125 Idem, p. 356 126 Voir Observation générale n°16 : Article 17 (Droit au respect de la vie privée), par. 11 55 Section II : PLAIDOYER POUR UNE REGLEMENTATION SPECIALE ET LA REVISITATION DES NORMES PREETABLIES Il est vrai qu'au stade actuel des choses, la solution pour compenser les risques de violation et par conséquent assurer parfaitement la protection de la vie privée ainsi que des données à caractère personnel, ne peut être autre que celle de compléter le cadre juridique de protection et de revisiter certaines dispositions pour les adapter aux situations nouvelles. Pour y parvenir aisément, il faudra dans un premier temps dégager, en tenant compte des réalités actuelles, les conditions pour le processus législatif et l'élaboration des politiques (A), pour introduire au final dans le nouveau cadre juridique, le principe de la prise en compte du respect de la vie privée dès la conception (B). Mais cela ne suffit pas encore car la prise des mesures législatives adaptées en cette matière et l'établissement d'un cadre législatif autonome (C) reste une nécessité. |
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