Les dimensions du droit à la vie privée en droit positif congolais( Télécharger le fichier original )par Jean Robert MUHANZI BISIMWA Université de Goma - Licence 2014 |
Section I: NOTION ET FONDEMENT JURIDIQUE DE LA VIE PRIVEEEn deux paragraphes, nous allons analyser d'une part la notion de la vie privée (§1) et d'autre part le fondement juridique de la vie privée (§2). §1 NOTION DE LA VIE PRIVEE I.1.1. Définition de la vie privée Aucune législation du monde ne définit clairement ce qu'on peut entendre par vie privée si ce n'est que pour la citer tout simplement.18 Il en est de même pour la jurisprudence. La cour européenne a d'ailleurs elle-même jugé que : «la cour ne juge ni possible, ni 17 Décret-loi constitutionnel n°003 du 27 Mai 1997 relatif à l'organisation et à l'exercice du pouvoir en RDC 18 Marie sophy MORY, Leslie LAMBERTET et Alii, Information et vie privée : coexistence du droit à l'information et au respect de la vie privée, Master2, Université Jean Moulin Lyon III, Faculté de Droit, 2008, p.8 9 nécessaire de chercher à définir de manière exhaustive la notion de vie privée »19. Toutefois, la doctrine est parvenue à dégager quelques définitions. D'après Maîtres Thierry Piette-Coudol et André Bertrand, «les données et les informations relatives aux personnes physiques font parties de leur vie privée et leurs utilisations ou leur divulgation publique peut donc constituer une atteinte à la vie privée»20 Pour le professeur Américain NIZER, le droit à la vie privée est le droit de l'individu à une vie retirée et anonyme.21 Pour sa part, Madame Nicole BOFELE ESOLE définit encore la vie privée comme une sphère d'intimité dont toute personne est libre de refuser l'accès à autrui.22 La vie privée peut parfois s'apparenter à l'anonymat et à la volonté de rester hors de la vie publique. Quand quelque chose est dite « privée » pour une personne, cela signifie que généralement, qu'à cette chose est rattachée des sentiments spéciaux et personnels23. Le degré de privatisation de l'information dépend donc de la façon dont le public pouvait la recevoir, ce qui diffère selon les endroits et à travers le temps. La vie privée est également une notion impliquant celle de « respect de la vie privée » qui fait partie des notions plus générales de propriété privée et des bonnes moeurs. La distinction est très ancienne puisque Aristote faisait la distinction entre la sphère publique polis et la sphère privée oikos. Elle apparait dans le droit positif civil avec les questions de vues sur le plan du voisin, de pudeur et aussi dans le droit pénal avec des notions comme le secret de la correspondance, le secret professionnel, la violation du domicile ou la diffamation. I.1.2. La conception moderne de la vie privée On a longtemps confondu la vie privée et la propriété. Au Moyen-Age, c'est uniquement à l'intérieur de son domicile que ce droit s'exerçait.24L'évolution des technologies ayant rendu possible la surveillance à distance, cette approche s'est 19 Niemeietz C. Allemagne (1992), 16 EHRR 97 par. 29 20 Thierry Piette-Coudol et André Bertrand, Internet et la loi, Dalloz, Paris, 1997, pp 108-109 21 Likulia BOLONGO, Droit pénal spécial Zaïrois, Paris, LGDJ, 1985, p 201 22 Nicole BOFETE ESOLE, la protection de la vie privée en droit congolais à l'ère de l'inforoute, Mémoire de licence, Université protestante du Congo, Kinshasa, 1999-2000, p 9 23 Serge BRAUDO, Dictionnaire de droit privé, disponible sur WWW.dictionnaire-juridique.Com/Définition/vie-privée.php consulté le 19 Avril 2015 24 ANNE PINEAU, Droit à la vie privée: la jurisprudence de la cour suprême, in «revue droits et libertés», vol.33, n°1, septembre 2014, p. 6 10 heureusement modifiée. On reconnait aujourd'hui que la vie privée n'est pas affaire de propriété ; elle protège les personnes et non la propriété.25 En droit, il est d'usage de considérer que le concept de vie privée a fait son apparition sous la plume des deux avocats de Boston, Samuel WARREN et Louis BRANDES26. Ils y définissent le concept de vie privée par l'expression restée célèbre du « droit d'être laissé seul »27. Si l'article des deux avocats était principalement un plaidoyer visant à défendre la capacité des individus à se prémunir des attitudes abusives de reporter, on retrouve même dans des décisions plus anciennes, des éléments que l'on considère aujourd'hui comme faisant partie du concept de vie privée, tels que l'affirmation du droit à la vie privée face à l'exploitation commerciale de l'image d'autrui, l'importance donnée au consentement de la personne portraiturée et l'impact de la technique sur l'exposition publique des faits de la vie privée28. Ces différents concepts trouvent leurs justifications juridiques dans des concepts variés tels que le droit de propriété, le droit d'auteur etc. et ne sera regroupé dans un concept unique, celui de la vie privée, que plus tard. En occident, le concept évoluera peu à peu sous l'impulsion des valeurs issues de l'évolution libérale de la fin du XVIIème siècle et de l'émergence d'idées qui acquerront graduellement une place prépondérante telle que la liberté individuelle et l'égalité combinées aux évolutions sociologiques qui les accompagneront. Ces idées feront leur chemin jusqu'à trouver leur place dans des textes légaux majeurs, tels que les constitutions et les traités internationaux. Un facteur majeur qui accentuera la pertinence du concept est bien entendu l'évolution des techniques : l'apparition de la photographie, la presse et plus tard, le développement des réseaux informatiques et des moyens de communication.29 La vie privée, en fait il faut pour être précis dire plutôt « le droit à l'intimité de la vie privée » fait partie, comme nous le savons déjà, des droits civils, c'est-à-dire de la première génération. Sous sa considération actuelle, le droit à l'intimité de la vie privée pose le 25 ANNE PINEAU, Op cit., p. 7 26 Samuel WARREN, «The right to privacy», Harvard Law Review, N°5, 15 December 1890 Disponible sur http://newsbytes.ph/2011/02/14/data-privacy-bill-hurdles-second-readind Consulté le 20 Avril 2015 27 Idem 28 Benjamin DOCQUIR, Le droit de la vie privée, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 27 29 André BERTRAND, Droit à la vie privée et Droit à l'image, Paris, Litec, 1999, p.76 11 problème de l'équilibre qui doit être respecté entre d'une part le droit individuel à se trouver protégé contre les incursions d'autrui et d'autre part, le principe de transparence qui peut être invoqué à l'égard des mêmes personnes lorsqu'elles ont une existence médiatisée ou lorsqu'elles exercent une profession ou une fonction publique ou encore lorsque l'intéressé a donné son consentement à la diffusion d'images de la personne ou des faits de sa vie privée peut être tacite30. Dans ce même ordre d'idée, le droit à l'intimité de la vie privée pose également le problème de ce même équilibre lorsque la sécurité générale impose que certains éléments de la vie privée des personnes fasse l'objet d'un enregistrement dans des archives publiques (fichiers informatiques, cartes d'identité, permis de conduire, passeports, actes d'état civil, casier judiciaire, dossiers administratifs,...). Il en est de même du droit au secret médical. A ce sujet, la cour de cassation française juge en cette matière que sauf à tirer toutes conséquences du refus illégitime, le juge civil ne peut en l'absence de dispositions législatives spécifiques l'y autorisant ordonner une expertise judiciaire en impartissant à l'expert une mission qui porte atteinte au secret médical sans subordonner l'exécution de cette mission à l'autorisation préalable du patient concerné.31 Il est donc évident d'affirmé que la notion de la vie privée a actuellement pris du large. Dans sa conception moderne, l'idée de droit de propriété et du droit d'auteur jadis considéré comme éléments importants constituant le droit à la vie privée a évolué aujourd'hui. On mentionne dès lors dans cette évolution des notions de droit à l'image et tout ce qui est du secret étant entendu qu'en français, la traduction de l'expression anglaise «privacy» implique le respect de la vie privée. En reprenant le propos de Benjamin DOCQUIR qui explique la pertinence du concept de vie privée en la rattachant à l'évolution des techniques, il est évident que l'internet est un formidable outil de partage à l'échelle mondiale mais dont l'utilisation amène parfois à la violation des droits fondamentaux, comme la vie privée. A titre d'exemple, le réseau comme Facebook dont l'utilisation provoque plusieurs débats dans l'actualité.32On considère d'une part que la protection des données relatives à la 30 Benjamin DOCQUIR, op cit, p.30 31Bernard BEIGNIER, Situation de l'assuré: conditions de la levée du secret médical in «revue droit de la famille», n°10, Octobre 2009, p. 25-26 32 WWW.Google.fr / Wikipedia.Org / «Faut-il supprimer son compte facebook?», Consulté le 23 Avril 2015 12 vie privée se trouve menacée par Facebook car en Belgique par exemple, près de la moitié des employeurs belge ; révèle avoir recouru à l'internet pour trouver des informations sur les candidats à l'embauche. Ensuite, plus d'un tiers d'entre eux avouent avoir éliminé certains candidats en raison des informations (comme des photographies) ainsi recueillies. D'autre part, un réseau social comme Facebook présente un danger au sein de l'entreprise dans les rapports entre l'employeur et l'employé sous certains aspects.33 En effet, dans une récente affaire au Québec, une compagnie d'assurance aurait recueillie des informations sur Facebook afin de déterminer si un bénéficiaire avait ou non droit à ses indemnités de maladie. Le salarié d'une entreprise en arrêt maladie pour cause de dépression depuis un an avait publié des photos qui auraient été pris dans un bar au cours d'un spectacle lors de vacances au soleil. L'assureur en cause a alors cessé brusquement de lui verser toute indemnité maladie considérant qu'elle pouvait reprendre le travail à en juger par les photos publiées sur sa page Facebook.34 Dans ce même ordre d'idée en restant toujours dans le cadre de l'image et/ou de la photographie, il est évident que les proches parents d'une personne décédée puissent s'opposer à la reproduction de l'image de cette dernière dès lors qu'ils en éprouvent un préjudice personnel en raison d'une atteinte à la mémoire et au respect dû aux morts. Il en est ainsi lorsque la publication d'une photographie litigieuse dénote une recherche de sensationnel et qu'elle n'est nullement justifiée par les nécessités de l'information. La juridiction du fond peut déduire des faits de la cause qu'une photographie publiée dans un magazine est contraire à la dignité humaine qu'elle constitue une atteinte à la mémoire ou au respect dû aux morts et dès lors, à la vie privée des proches justifiant ainsi que soit apportée une telle restriction à la liberté d'expression et d'information.35 L'illustration de ces exemples démontre clairement que le droit d'être laissé seul devenu droit à la vie privée défendu par Samuel WARREN a évolué et que toutes les notions y relatifs ont aussi pris du large. Cependant, à cette évolution existe des restrictions où dans certains cas, le droit à la vie privée peut se retrouver limiter. 33 Fabrice ROCHELANDET, Economie des données personnelles et de la vie privée, Paris, la découverte, collection repère, 2010, p.112 34 Ibidem, p. 113 35 Loiseau(G), la protection posthume de la personnalité: la semaine juridique, édition générale, n°39, 27 Septembre 2010, Jurisprudence n°942, p.1778 à 1781 13 I.1.3. L'épuisement ou limite du droit au respect de la vie privée Jean Paul SARTRE s'était expliqué par interview n'avoir pas davantage de tabous sur la vie privée de ses amis proches: «je ne voyais pas d'inconvénient à lire une lettre qui ne m'était pas adressé et ne comprenais pas le moins du monde qu'on pût s'en formaliser », expliquait-il.36 Dans la vie politique, la vie privée est souvent mise en avant par les hommes politiques pour cacher ce qui pourrait nuire à leur carrière. On a vu ainsi des dirigeants mener une politique homophobe en étant eux-mêmes homosexuels, ou plus généralement mettre en avant leur intégrité morale tout en menant une vie dissolue. Mais, certains estiment qu'on ne doit juger un homme que sur ce qu'il montre, compétence affichée ou incapacité apparente à occuper un poste. Un amateur qui admire une personne peut s'estimer déterminé à tout découvrir sur elle, par tous les moyens possibles, sans intention de nuire bien au contraire et parfois pas même de publier. On peut voir cela comme la passion de Schliemann cherchant à tout savoir sur Troie, ou celle d'Howard carter et de Lord Carnarvon, qui découvrant le tombeau de Toutankhamon, n'en étaient pas pour autant des pilleurs de tombes. Bien au contraire, c'étaient des admirateurs éperdus de ce sur quoi ils effectuaient leurs recherches. La violation de la vie privée peut parfois s'expliquer par le besoin de garantir la sécurité et la sûreté de l'Etat. Voilà pourquoi, il existe des atteintes à la vie privée légitimées par la sécurité de l'Etat mais aussi les atteintes à la vie privée fondées sur le souci de protéger les particuliers. Ainsi, dans certaines circonstances, on se trouve face aux hypothèses en raison desquelles les textes juridiques ont exceptionnellement autorisé la violation de la vie privée par le pouvoir public. C'est le cas par exemple des investigations faites par les services étatiques. Ces services peuvent procéder aux visites des lieux et à des perquisitions électroniques ou même à la saisie des matériels informatiques tels que les disques durs d'ordinateurs. Notons cependant, que ces procédés de contrôle n'ont connu jusqu'ici un grand essor que dans les pays technologiquement avancés comme ceux de l'occident et de l'Amérique. 36 http://ec.europa.eu/justicehome/fsj/privacy/index.fr.htm: l'avenir de la protection de la vie privée, Décembre 2009, p 29 14 En outre, dans le cadre des atteintes à la vie privée fondée sur le souci de protéger les particuliers, on retrouve par exemple l'usage des logiciels d'identification. Ceci résulte du but de combattre l'anonymat. Ainsi, les techniciens du réseau ont imaginé divers moyens pour déceler les auteurs des messages ou des informations. Ces multiples procédés d'identification tels que les cookies37, le système BiolD38, les mécanismes du nouveau chip pentium III, avec un numéro de série unique intégré39 etc. violent la vie privée. Ils rendent possible l'accès à des données privées, personnelles ou nominatives. Il demeure tout à fait clair qu'au moment où la surveillance prend de plus en plus d'importance dans les orientations stratégiques des pays, la mise en valeur de la protection de la vie privée et des droits de la personne fait face à des obstacles de taille.40 Cependant, l'application de tous ces procédés pour des fins d'identification d'auteurs des faits délictueux ou infractionnels dans le réseau semble licite. Par conséquent, cette forme de violation trouve une explication légitime. Il est dès lors évident de reconnaître aux lois de protection des renseignements personnels une forme de prépondérance parce qu'elles visent le renforcement de l'autonomie personnelle et partant de la vie démocratique. Ainsi, une loi qui vise à protéger un droit de regard sur des renseignements personnels devrait être qualifiée de «quasi-constitutionnel» en raison du rôle fondamental que joue le respect de la vie privée dans le maintien d'une société libre et démocratique.41 La protection de la vie privée permet en outre l'éclosion d'une pensée non conformiste, caractéristique des sociétés démocratiques. On ne saurait trop insister sur l'importance de protéger la vie privée dans une démocratie dynamique. La démocratie a, elle aussi besoin des citoyens autonomes qui se réalisent et qui sont libres de formuler et d'exprimer des opinions non conformistes. Si les atteintes à la vie privée gênent l'individualité et entraînent le conformisme, c'est la démocratie elle-même qui en souffre.42 37 Philipe BISAUX et Fréderic MONEGER, Le commerce électronique sur internet et la protection des données personnelles, Mémoire de DEA, Université de Montpelier, Juriscom.net, Septembre 1998, p.31 38 Juricongo, n°1, Mai - Juin 1992, petit article intitulé: l'évolution technologique tend à rendre inutile les législations sur la signature électronique, p.12 39 Juricongo, n°1, Mai - Juin 1999, petit article intitulé: le souci de combattre la fraude tend à déboucher sur la vie privée des internautes, p.16 40 GUS HOSEIN, la protection de la vie privée dans les pays en voie de développement, Rapport du commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Septembre 2011, p.7 41 ANNE PINEAU, Op cit., Alberta (Information and privacy commissionner) C. Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, section locale, 401, 2013 CSC 62, 3RCS-733, p.19 42 Ibidem, p.22 15 Voilà pourquoi, l'interdiction qui est faite au gouvernement de s'intéresser à la vie privée des citoyens touche à l'essence même de l'Etat démocratique qui en constitue par ailleurs le socle au vue des législations qui le protègent. Si la lecture des idées doctrinales démontre à première vue l'importance des lois protégeant la vie privée dans le souci de faire émerger la démocratie et par là un Etat de droit, il se dégage dès lors un intérêt ultime de jeter un regard particulier sur les différents textes qui l'organise. §2 FONDEMENT JURIDIQUE DE LA VIE PRIVEE Plusieurs législations du monde organisent la question de la vie privée. Il conviendra pour ce faire de cerner le développement de cette analyse selon qu'il s'agit du droit international (A), du droit régional (B) et du droit interne (C). Il sied de noter qu'en dépit de toutes ces dispositions, le droit à la vie privée garde son caractère non absolu (D) comme nous l'avons démontré ci-haut. A. LE DROIT INTERNATIONALFaisant partie de la société internationale, la République Démocratique du Congo peut, à bon droit, protéger le droit au respect de la vie privée en recourant aux textes internationaux auxquels elle est partie et qui prévoient le droit en cause. Ces textes internationaux ont primauté sur le droit national aux termes de l'article 215 de la constitution de la RD Congo qui dispose : « Les traités et accord internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l'autre partie». Ces conventions ont un effet direct en droit congolais en ce sens qu'elles peuvent directement être invoquées en droit interne. C'est ainsi que, s'appuyant sur J. Pélissier, Mukadi Bonyi écrit que quel que soit le type de convention, ses dispositions suffisamment précises pour fournir une réponse à une question de droit interne sont directement applicables dans l'ordre interne.43 Il appartient aux cours et tribunaux d'appliquer les dispositions des traités ou accords internationaux, dès lors qu'elles sont applicables au litige, en réglant en leur faveur les éventuels conflits avec les règles nationales. De ce qui précède, il convient de mentionner à l'appui de la protection de la vie privée en République Démocratique du Congo, l'article 12 de la Déclaration Universelle des Droits 43 J. PELISSIER, A SUPIOT et A. JEAMMAUD, Droit du travail, 23ème éd., Dalloz, Paris, 2006, n°69 ; cité par MUKADI BONYI 16 de l'homme de 1948. Cette disposition pose le principe de base de protection en disposant: «Nul ne sera objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes»44 On rattache l'origine de cette disposition à la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. C'est à partir de cette disposition que certains auteurs associent l'essence du droit à la vie privée contenu dans l'article 12. Outre cette disposition de la DUDH, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques vient renchérir cette protection. Il s'agit de l'article 17 qui dispose que : « Nul ne sera objet d'immixtions arbitraires et illégales dans sa vie privée, sa famille ou son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur ou à sa réputation...»45 Contrairement à la DUDH, le Pacte ajoute l'idée d'immixtions illégales à celles d'arbitraires. Par conséquent, l'avènement du Pacte étend la portée des mesures protectrices tout en gardant dans ses principes directeurs le caractère objectif des droits de l'homme dont jouissent les individus par la seule qualité de personne humaine. Signalons tout de même que cette différence est peut-être plus conséquente par nature mais elle n'a pas été testée par la jurisprudence. Il est aussi important de mentionner dans ce cadre, le protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200A(XXI) du 16 Décembre 1966, entrée en vigueur le 23 mars 1976, conformément aux dispositions de l'article 9 et ratifié par la République Démocratique du Congo le 1er Novembre 1976. Il est vrai que par leurs engagements, les Etats parties à ce Protocole dont la République Démocratique du Congo, ont considéré que pour mieux assurer l'accomplissement des fins du Pacte et l'application de ses dispositions, il conviendrait d'habiliter le Comité des droits de l'homme constitué aux termes de la quatrième partie du Pacte (ci-après dénommé le comité), à recevoir et à examiner, ainsi qu'il est prévu dans le Protocole des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation d'un des droits énoncés dans le Pacte.46 Ainsi, tout Etat partie au Pacte qui devient partie au Protocole reconnait que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant des particuliers 44 Article 12 de la Déclaration Universelle des droits de l'homme de 1948 45 Article 17 du pacte relatif aux droits civils et politiques 46 Voir considérant du protocole facultatif se rapportant au pacte relatif aux droits civils et politiques 17 relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d'une violation par cet Etat partie, d'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte47 ce qui offre la possibilité à tout congolais, victime de violation de sa vie privée, de saisir par écrit, après épuisement des recours internes, le Comité pour que ce dernier puisse analyser sa communication. Le Comité ainsi institué a clairement mentionné dans son Observation générale sur l'article 17 que la protection du droit au respect de la vie privée doit être garantie «contre toutes ces immixtions et atteintes, qu'elles émanent des pouvoirs publics ou des personnes physiques ou morales».48 L'observation générale du Comité ne fournit néanmoins guère d'indications sur la signification des mots « arbitraire » et «vie privée ». Concernant la notion d'arbitraire, le comité estime qu'une immixtion prévue par la loi pouvait être arbitraire et que toute immixtion prévue par la loi devrait être «conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte f...] et dans tous les cas raisonnables eu égard aux circonstances particulières ».49 En définitive, cela donne très peu d'indicateurs sur ce qui peut être considéré comme "arbitraire" bien que cela interdise au moins les immixtions dans la vie privée prévues par les lois contraires aux buts du Pacte ou déraisonnables. La jurisprudence du Comité dans ce domaine est aussi limitée. Dans l'affaire Hulst c. Pays bas, le Comité a dû déterminer si l'interception des appels téléphoniques de l'auteur, un avocat, qui avaient été utilisés pour le déclarer coupable d'un crime, représentait une intrusion injustifiée dans sa vie privée. En statuant qu'il n'y avait pas eu immixtion, le comité a cité les normes notées ci-dessus dans son observation générale et jugé que l'immixtion était autorisée par la loi et raisonnable.50 B. LE DROIT REGIONAL Le système juridique régional n'est pas resté muet au sujet du droit à la vie privée. Ce droit est protégé autant par la Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples (1) que par d'autres instruments régionaux (2). 1. La Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples Aucune disposition précise de la Charte n'invoque explicitement la protection de la vie privée ou le droit au respect de la vie privée. Néanmoins, dans la pratique de la Cour Africaine des droits de l'homme (CADH), on situe deux aspects distincts. D'abord 47 Article premier du protocole facultatif 48 Observation générale n°16 : Article 17 (Droit au respect de la vie privée), in office of the commissionner for Human right, Vol I, 32e session, adoptée le 8 Aout 1988, par. 1 49 Ibidem, par. 4 50 Communication n° 903/1999, 1er novembre 2004 18 l'affirmation du principe de l'indivisibilité des droits de l'homme mais aussi la théorie des droits implicites, c'est-à-dire la lecture des droits non expressément prévu à travers d'autres droits. Ainsi par exemple, la Déclaration de Pretoria sur les droits économiques, sociaux et culturels considère que le droit à la santé énoncé à l'article 16 de la charte implique directement le droit à l'alimentation, le droit à l'éducation et le droit d'accès à l'information sur les problèmes de santé, l'accès à l'abri, c'est-à-dire le droit au logement quoique non expressément prévu par la Charte.51 C'est ainsi, qu'à l'article 5, la charte dispose : «Toute personne a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine...» et l'article 6 qui poursuit en ces termes : «Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne...» Or, il est tout à fait clair que la question de vie privée suppose en grande partie les valeurs sentimentales, de santé, de correspondance, d'image, de réputation, d'honneur, de profession,...Bref, tout ce qui a trait à la dignité de la personne humaine et à la liberté qui en découle. Voilà pourquoi, à la lumière des avancées de la Charte notamment avec la théorie des droits implicites, on peut, sous une interprétation téléologique, lire le droit au respect de la vie privée dans ces dispositions protégeant la liberté et la dignité de la personne humaine. 2. Autres instruments régionaux Les activités régionales favorisent l'apparition d'un bon nombre de nouvelles lois de protection. Il en est ainsi de la CEDEAO (A) et de la CEEAC (B) par exemple. |
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