Contribution socio-anthropologique à l'analyse de la protection des civils par les forces de défense républicaine dans les conflits armés en RCA( Télécharger le fichier original )par Blandine Laurette NGNOLO Institut des Relations Internationales du Cameroun - Master 2 2015 |
B. L'INCIVISME DES FACA AU SEIN DE LA POPULATION : DEFAILLANCE DE LEURS MISSIONS« Je lui ai répété que les troupes qui étaient gouvernementales étaient maintenant les troupes rebelles et les troupes qui étaient rebelles étaient maintenant les troupes gouvernementales. Elle savait aussi bien que moi que pour nous, cela ne faisait aucune différence ; tous les camps qui se battaient disaient le faire au nom du peuple, c'était donc au peuple de payer pour ceux qui remportaient la victoire et de payer pour ceux qui la perdaient. Or le peuple c'était nous. »Emmanuel Dongala91(*) L'incivisme des FACA est dû à l'impunité des militaires par le Président de République pour les exactions commises par ces derniers et à l'ethnicité de ses dernières : L'impunité : selon l'article 21 de la constitution Centrafricaine le président de la république est le chef des armées, il réunit et préside le conseil supérieur de la défense nationale. De ce fait, il est le supérieur hiérarchique des forces armées qui sont sous son contrôle ; du haut donc de cette fonction il est tenu informé de toutes les exactions commises par ses subordonnés à l'endroit de la population civile. D'après la FIDH92(*) les affrontements entre les FACA et les groupes rebelles depuis le second semestre 2005 sont accompagnés de graves violations du DIH et des droits de l'Homme : exécutions sommaires, violences sexuelles, pillages, extorsion de fonds, enlèvements, arrestations et détentions arbitraires, tortures et mauvais traitements. A cet égard, les autorités centrafricaines multiplient les déclarations publiques depuis 2007 annonçant leur volonté de sanctionner et de juger les éléments des FACA auteurs des crimes les plus graves. Pourtant, le président Bozizé a promulgué le 13 Octobre 2008 une loi d'amnistie générale couvrant l'ensemble des crimes commis depuis 2005. D'après International Crisis Group93(*) depuis la mi-2005, des centaines de civils ont été tués, plus de dix mille maisons ont été incendié et environ 212 000 personnes terrorisées ont fui pour aller vivre dans de terribles conditions au plus profond de la brousse dans le Nord du pays de la RCA. Partageant une frontière commune avec l'Est du Tchad et la région soudanaise du Darfour ravagée par la guerre, cette zone a été déstabilisée par au moins deux importantes rébellions menées contre le gouvernement du Président Bozizé. Toujours d'après la FIDH94(*), à l'issue des combats entre les FACA et les rebelles dans le Nord-Ouest du pays les violations peuvent être listées comme suit : · Le 11 Octobre 2005, en représailles de l'attaque rebelle sur Markounda, les FACA ont pratiqué latechnique de la terre brulée en incendiant les maisons du village de Bele et d'autres localités sur la route RN1 ; · Le 29 Décembre 2005, les FACA ont lancé une contre offensive sur une dizaine de villages en partant du Sud de Bodjomo sur les axes Markounda et Maitakuku plus de 540 maisons ont été incendiées et 7civils ont été tués lors de l'opération ; · Le 31 Janvier2006, en représailles d'une attaque des rebelles du 29 Janvier 2006 dans la base militaire de la ville de Poua, les forces gouvernementales appuyées par la GP, dirigées de sources concordantes par le lieutenant Ngaikosset, ont lancé une contre offensive meurtrière, en violation grave du DIH. Le rapport des journalistes stipule que lors de leurs opérations de ratissage, les FACA et la GP ont pris pour cible des civils non armés parmi lesquels figuraient des enfants. Les quelques jours de combat auraient causé la mort d'au moins 26 personnes parmi la population civile, dont 17 lycéens exécutés sommairement par les FACA pour n'avoir pas pu leur indiquer où se trouvaient les insurgés et les caches d'armes ; · Le 11 et 12 Février 2006, toujours en représailles de l'attaque de Poua, la GP a lancé plusieurs offensives le long de la RN1 entre les villages de Nana Baria et Bemal 44 civils ont été tués, dont 15 à Bémal, et parmi ceux-ci 13 enfants. Tous les habitants des 120 villages se trouvant le long de la RN1 sur les axes Boquila - Bemal et Markounda ; · Le 15 Mars 2006, un camion commercial a été attaqué à Betoko. Les FACA, arrivés sur place le même jour, ont tué un nombre indéterminé de personnes ; · Le 22 Mars 2006, la population de Bémal a deserté devant l'arrivée de 3véhicules de l'armée. Des témoignages ont fait état de 3 morts ; · Le 23 Mars 2006, le même scénario s'est reproduit dans la localité de Bekoro (à 5km de Bemal) 1personne a été tuée · Le 23 Mai 2006, 80 habitations ont été incendiées par les FACA à Kabo et Baboura. La population a été prévenue qu'elle était considérée comme complice des rebelles. Ce listing des exactions commises par les forces gouvernementales reste approximatif car il s'avère impossible de dénombrer le nombre exact de victimes civils qui ont succombé durant ces affrontements de 2005 à 2006. HRW95(*) estime que les décès sur lesquels des informations ont été recueillies ne représentent qu'une fraction du nombre total de décès imputable aux forces de sécurité gouvernementales. Depuis le début du conflit, des centaines de personnes auraient ainsi été tuées. Il n'est pas rare que des dizaines de civils aient été tués par les forces de sécurité en une seule journée et souvent avec une violence inouïe.Cependant nous avons les chiffres de l'UNHCR96(*) où le nombre de refugié serait passé de 3000 en 2005 à 20 000 au Cameroun ; au Tchad il serait passé de 20 000 à 50 000. En Janvier 2007, l'UNHCR a estimé que 50 000 personnes avaient déjà fui vers le Tchad, parmi lesquelles 48 000 vivent près de Goré au Tchad, dans les camps de Gondjé, Amboko et Yaroungou. 20 000 déplacés supplémentaires vivent au Cameroun. Les déplacements internes sont encore plus importants : 150 000, dont 60 000 dans les seules préfectures de Ouham et Ouham-Pende dans la région de Poua.97(*) En 2007, Selon le rapport de HRW98(*) publié en Septembre 2007, l'armée de la RCA a tué des centaines de civils innocents et en a forcé des dizaines de milliers à fuir leurs village, des témoignages des responsables civils et militaires des FACA recueillis par HRW99(*), le gouverneur de la province d'Ouham, lui même brigadier général des FACA, s'est spontanément lancé dans une longue diatribe au sujet du comportement des troupes gouvernementales dans la province : « je suis contre les incendies des maisons. Je ne comprends pas pourquoi ils font cela et cela ne fait pas partie des ordres des soldats. Ce sont les commandants de ces unités qui donnent ces ordres mais cela ne fait pas partie des ordres officiels. Nous devons mettre fin à l'impunité, le problème est que ces commandants renégats ne sont pas poursuivis... ce sont les GP qui sont le plus craints, regardez ce qu'ils ont fait à Bémal. Ils pensent qu'ils sont intouchables. J'ai du intervenir pour essayer d'empêcher les GP de mettre le feu aux villages mais nous n'avons pas le droit de nous mêler des affaires des GP... ils pillent aussi les villages et volent même dans les voitures sur la route. » Le lieutenant-colonel André Kada, Commandant des FACA dans l'Ouham et l'Ouhampendé (la première région militaire) a également été franc dans son évaluation : « ce sont les GP qui ont commis les exactions dans le Nord, ils ont brulé des maisons... ils n'ont même pas un niveau d'instruction élémentaire... ils sont autorisés à faire n'importe quoi. Ils ne savent que tirer des coups de feu... les soldats de la GP n'ont pas reçu les ordres directs leur ordonnant de mettre le feu aux villages, ils ont commis ces crimes de leur propre initiative. Tout le monde se plaint de l'impunité mais c'est le président qui prend ces décisions. » En 2008, toujours selon l'UNHCR100(*) le nombre de réfugié Centrafricains enregistrés est de 104 000 (56 000 au Tchad ; 45000 au Cameroun ; 3 000 au Soudan). Le rapporteur spécial des Nations Unies101(*) sur les exécutions extrajudiciaires a assuré que divers rapports lui ont été présentés durant sa visite en RCA (du 31 Janvier au 7 Février 2008) faisant état d'exécutions par la GP et les FACA qui ont apparemment été perpétrés dans le contexte de tentatives d'extorsion ou de vol, de vengeance personnelle ou pour faire justice soi même.Allant dans le même sens le rapport du SGNU présenté au CSNU en juin 2008 fait état de violations perpétrées par les forces de défense et de sécurité durant les opérations de contre-attaque. Un rapport du BONUCA publié le 10 Octobre 2008 insiste sur le fait que les mauvais traitements, cruels, dégradants et inhumains sont pour la plupart imputable aux FACA.Toutes ces violations sont bien connus du président pour preuve le général Guillou102(*), général de l'Eufor (militaire français conseiller du ministre de la défense centrafricaine) reconnait « un élément des FACA opérant dans le Nord-Est du pays a fait des choses inacceptables » or la responsabilité de protéger les civils incombe avant tout à l'Etat. En privatisant l'Etat pour leur seul bénéfice, les leaders centrafricains réussissent à prospérer, tout en usant de la répression pour garantir leur impunité... François Bozizé tout comme son prédécesseur Ange Félix Patassé a nourri un état de rébellion permanent aux conséquences humanitaires désastreuses103(*) telles que présenté ci-dessus. On a ainsi signalé dans le Nord des exécutions sommaires et extrajudiciaires, des arrestations, des détentions illégales, des cas de destruction de logements et de biens et des actes de violence et sexiste. Les victimes de ces violations étaient essentiellement des femmes, des enfants et d'autres membres de groupes vulnérables. Ces abus auraient été commis par les forces gouvernementales et d'autres groupes armés. Cette pratique en RCA peut se justifier par l'absence de démocratie effective, certes les pays africains se vantent d'avoir adhéré à ce nouveau concept mais il n'en demeure pas moins qu'il est encore abstrait dans la vie tant politique, sociale etc. Cette absence de démocratie dans la vie politique rend l'alternance politique impossible. Les présidents pour se maintenir au pouvoir usent souvent de deux stratèges soit modifier la constitution à leur avantage soit s'entourer d'une armée fidèle comme cela a été le cas en RCA depuis l'ère de Kolingba. Pour se maintenir au pouvoir que ce soit par voie légale ou par les armes. Le pouvoir en Afrique contemporaine selon Achille Mbembe : « C'est le désir de donner la mort, le pouvoir de tout posséder : la vie, les biens, l'argent, le corps, les femmes etc. le potentat est par définition sexuel. Le potentat sexuel repose sur une praxis de la jouissance. Le pouvoir postcolonial, en particulier, s'imagine comme une machine à jouir. Ici, être souverain, c'est pouvoir jouir absolument, sans retenue ni entrave. La gamme des plaisirs est étendue.104(*)» Ce pouvoir tel que décrit par Achille Mbembe une fois qu'un Président le détient il n'est pas évident pour lui de s'en défaire alors pour lui le moyen le plus sur de le conserver est de se constituer une armée fidèle à son service à sa sécurité personnelle comme ce fut le cas avec la garde présidentielle récemment sous le gouvernement de Bozizé comme le remarque Escoffier105(*). Dominique Bangoura le confirme en ces termes : « Les dirigeants politiques, avides de pouvoir installés durant des décennies et même à vie au sommet de l'État assurent leur longévité et leur survie politiques grâce à la force. La menace principale réside, pour ces hommes politiques civils et militaires, dans toute atteinte supposée ou réelle contre leurs prérogatives et celles consenties au cercle de la famille, de l'ethnie, des fidèles, des représentants d'intérêts divers. Toute appartenance à ce clan devient une arme d'oppression ou de chantage contre les non membres, c'est-à-dire contre la grande majorité de la population.106(*) » Les violations des droits de l'homme par les FACA découlent sur des crimes graves tels que ceux répertoriés dans les rapports sus-cités où sont mis en exergue les violences militaires sur les civils de sorte à creuser davantage le fossé entre la population et son armée. * 91 Cité in FIDH, crime de guerre en République centrafricaine : quand les éléphants se battent c'est l'herbe qui souffre, n° 355, Février 2003, P. 2. * 92 FIDH, LCDH, République Centrafricaine, 5ème session, 2009 * 93 International Crisis Group, République Centrafricaine : Anatomie d'un Etat fantôme, rapport Afrique n° 136, 13 Décembre 2007, http://www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/afrique-centrale/republique-centrafricaine/136-central-african-republic-anatomy-of-a-phantom-state.aspx * 94 FIDH, République Centrafricaine oubliées, stigmatisées : la double peine des victimes des crimes internationaux, n° 457, Octobre 2006, P. 53-54, http://www.fidh.org/IMG/pdf/RCA457-2006.pdf * 95HumanRights Watch, République Centrafricaine, état d'anarchie et rébellion et exaction contre la population civile, volume 19, n°14(A), Septembre 2007, P. 6. http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/car0907frwebwcover.pdf * 96ibid * 97 Small Arms Survey, L'évolution de la guerre autour du soudan : la prolifération des groupes armés en RCA n°5, Janvier 2005, P. 6. * 98 Human Rights Watch, op. Cit., P. 71 * 99 Entretien de HumanRights Watch avec le brigagier général Raymond Ndougou, Bozoum, 12 Février 2007 * 100 HRW, op. cit * 101 FIDH, République Centrafricaine déjà vu des accords pour la paix au détriment des victimes, n° 513f, Décembre 2008, P. 23. https://www.fidh.org/IMG/pdf/RCA513fr2008.pdf * 102Ibid. * 103 International Crisis Group, op. Cit. * 104 Achille MBEMBE, l'Afrique peut elle sortir de la grande nuit ?, Paris, La découverte, P. 217 * 105Op. Cit. * 106Dominique Bangoura, Op. Cit., P. 154 |
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