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Les états et la construction de l'union africaine: le cas de la Libye et du Sénégal

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par Romaric TIOGO
Université de Dschang - Master II 0000
  

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PARAGRAPHE II- LA MOBILISATION DES RESSOURCES DIPLOMATIQUES DIVERSES POUR LE PASSAGE DE SES PROJETS ET LE REJET D'UNE INITIATIVE EXTRA-AFRICAINE DEVOYEE

La Libye a fait recourt au « soft power »166(*) , la nouvelle orientation de sa politique étrangère en Afrique dans la quête du soutien nécessaire pour faire passer ses projets au sein de l'UA (A). Elle a par ailleurs mené une campagne tous azimuts au Maghreb pour appeler au confinement du contre-projet d'Union pour la Méditerranée (UPM) concurrent à l'UA (B).

A- Le soft power, une stratégie libyenne d'obtention du soutien

Depuis 1998, la Libye a recentré ses relations diplomatiques autour de la paix et du développement. Il s'est agi pour cet Etat d'utiliser la médiation plutôt que l'intervention militaire pour poursuivre sa politique d'influence sur le continent. Cette nouvelle politique consiste essentiellement à apporter de l'assistance financière tant à certains pays nécessiteux de la Cen-Sad167(*)(1), qu'aux autorités traditionnelles africaines dans l'objectif de rechercher leur appui pour faire passer certains projets qui lui sont chers(2).

1 - Les suites du financement des économies de certains Etats de la Cen-Sad

La Libye est passée d'une stratégie de puissance de guerre à une stratégie assimilable au soft power. A la préface de son livre, Joseph NYE définit ce concept comme « la capacité d'obtenir par la persuasion séductrice les résultats que l'on pourrait aussi atteindre par la force »168(*). Selon lui, il s'agit d'abord d'amener les autres à adhérer à des normes et à des institutions qui incitent ou induisent un comportement désiré. Le soft power peut donc prendre appui sur la capacité d'établir l'ordre du jour de manière à façonner les préférences des autres.

Ainsi, après avoir entretenu des relations tumultueuses avec ses voisins169(*), la Libye a par la suite procédé au changement de son fusil d'épaule. Son retour sur la scène africaine s'est voulu plus pragmatique et paisible. Elle a mené de nombreuses actions dans l'objectif de redonner de la cohérence à sa politique étrangère élaborée à coups de « pétrodinars » et de diplomatie.

Considérée par la Libye comme « le pilier »170(*) à partir duquel se réalisera l'UA, la Cen-Sad a d'abord développé un tropisme sous-régional avant de se lancer à la conquête du continent tout entier. Pure imagination du Guide libyen, ce dernier l'a forgée afin de « rassembler autour de lui les Etats africains dans le but de façonner un levier économique pour, par la suite, créer les Etats-Unis d'Afrique »171(*). Cette communauté qui compte aujourd'hui 28 pays soit plus de 14 millions de Km2 de la superficie du continent et plus de 500 millions d'habitants172(*), dispose de nombreux atouts économiques à l'aide desquels Tripoli tient plusieurs chefs d'Etat africains. Depuis son lancement, l'institution conçue comme une  « Union économique globale » bénéficie d'un bras armé financier : la Banque Sahélo-saharienne pour l'Investissement et le Commerce (BSIC) qui dispose des filiales dans la majorité des Etats membres de la Cen-sad. En janvier 2008, son capital était de 500 millions d'euros. Cette banque est conçue à l'image de la Libya Africa portofolio (LAP) 173(*), une des nombreuses institutions financières libyennes qui aide au développement des pays de la Cen-Sad dans des domaines diversifiés sous le règne de KADHAFI.

Comme le soutient Joseph NYE, « en politique internationale, certains pays pourraient obtenir le résultat escompté parce que d'autres admirent leurs valeurs, leur ouverture ou aspirent atteindre leur niveau de prospérité »174(*).  Dans ce sens, explique-t-il, « il est toujours nécessaire de les séduire au lieu de les amener à modifier leur comportement par des menaces militaires ou des sanctions économiques »175(*). C'est là « la seconde face du pouvoir » (Second face of power) dont fait étalage le créateur du soft power dans son livre. Ce pouvoir de séduction peut reposer sur des valeurs culturelles, économiques, démocratiques et bien d'autres176(*). La Libye a quant à elle opté pour le volet économique de ce pouvoir. A travers ses puissantes sociétés dignes des traders de New-York, elle a énormément investi en Afrique. Mais, tous ces investissements répondent à une logique. En contribuant au développement des Etats, il va sans dire que la Libye en profitait pour instrumentaliser ses alliés qui devaient porter et défendre ses projets à l'UA. Tel est le cas du Tchad, Etat pivot à partir duquel la Libye a agi dans l'organisation. Nombreuses sont les occasions où ce pays a été mandaté pour défendre les positions de la Cen-Sad177(*) au sein de l'UA, où il a essayé plusieurs fois d' « imposer le débat sur les Etats-Unis d'Afrique et le gouvernement de l'Union » 178(*), deux projets importants aux yeux du Guide libyen.

Le coup de force de la Cen-Sad à propos du débat que voulut forcer le Président Deby a montré jusqu'où la Libye était capable, grâce à son potentiel financier et diplomatique. Quand on jette un regard rétrospectif sur les conflits qui ont structuré les relations tchado-libyennes à propos de la bande d'Aouzou, il est clair que la volonté d'enterrer la hache de guerre pour se consacrer à la construction de l'Union a triomphé. Même sans parvenir à imposer leur démarche aux autres membres de l'Union, les pays membres de la Cen-Sad, conduits par la Libye avaient clairement dévoilé leurs objectifs. S'il est vrai que Guy MVELLE l'a classée dans la catégorie « des obstacles à l'intégration en Afrique »179(*), il convient surtout reconnaître que d'un point de vue interactionniste, la Cen-Sad procède d'une stratégie libyenne de mobilisation des ressources pour créer un contrepoids face aux Etats d'Afrique australe et de l'Est, menés par l'Afrique du Sud et le Nigeria ; lesquels ont souvent imposé leur tempérance en instituant une « évolution au pas d'âne »180(*) vers l' « Union véritable » défendue par la Libye.

Outre cette communauté, la Libye a également fondé sa stratégie sur l'association des autorités traditionnelles africaines créées par KADHAFI pour influencer sur les débats au sein de l'Union.

* 166 Mot d'origine anglaise qui signifie «  puissance douce », le concept de « soft power » fut inventé par Joseph S. NYE Jr. qui l'utilisa pour la première fois dans son livre Bound to Lead, publié en 1990 puis dans plusieurs autres publications à l'exemple de The Paradox of American Power, en 2001.

* 167D'abord connue sous le nom de COMESSA, la Cen-Sad, a été créée par le colonel Kadhafi le 4 février 1998 à Tripoli. Sa naissance émane de la nécessité de construire un dialogue entre les pays qui ont en commun le désert du Sahara qui constitue non seulement une menace pour les pays riverains, mais aussi une barrière quasi-infranchissable. Lors de la 36ème conférence des chefs d'Etat à Lomé, elle s'est vue attribuée la qualité de communauté économique régionale.

* 168 NYE Joseph S. Jr., Soft power. The means to success in world politics, publicaffairs, Sandwich, New Hampshire, 2004, p. x.

* 169 Conflits avec le Tchad en vue d'étendre son territoire sur la bande pétrolifère d'Aouzou à partir de 1986, mésintelligence en 1979 avec l'Egypte dont le président qualifia Kadhafi de «voisin fou »...Pour approfondir, voir OTAYEK (R.), op. cit., pp. 32 et 203 et MARTINEZ (L.), op. cit., pp. 118-119.

* 170 37 Années de travail et de donation, op. cit., p. 5.

* 171 MEYER Jean-Michel « Cen-sad, mode d'emploi », dans Jeune Afrique N° 2474 du 8 au 14 juin 2008, p. 24. 

* 172 En 2008, elle comptait 25 pays s'étendant sur 14 millions de Km2 et 419 millions d'habitants. Ibid.

* 173 Ce fonds d'investissement dont le capital a grimpé à 8 milliards de dollars à la fin, de janvier 2008 est présent dans plus de 40 pays africains et place les revenus pétroliers libyens, supérieurs dans l'hôtellerie, la banque, le raffinage et la distribution d'essence, l'agriculture, l'immobilier, le transport aérien, les mines et les télécommunications. Il a financé : une « ferme» de 100 000 hectares au Mali, la construction de 69 villas présidentielles de très grand standing au Benin, d'une usine de caoutchouc au Libéria, du canal de Tombouctou, de 250 kilomètres du projet d'oléoduc Rwanda-Burundi. Il a aussi procédé au rachat des actions de Mobil Oil Cameroon qui est devenu Oil Libya. Lire Jean-Michel/LEJEAL Frédéric, «A coup de pétrodinars », dans Jeune Afrique N° 2474..., op. cit.,  pp. 27-28.

* 174 NYE (J.S. Jr.), op. cit., p. 5.

* 175 Ibid.

* 176 Ibid, p. 11.

* 177 Voir le discours du Guide libyen, prononcé dans la capitale tchadienne, N'Djamena, à l'ouverture de la douzième session de la présidence de la Cen-Sad sur le site http://falak39.org/fr/?p=290, consulté le 30 janvier 2011.

* 178 Voir Colette Elise, « Le Kadhafi show n'a pas eu lieu », dans Jeune Afrique N° 2586 du 1er au 7 août 2010, p. 18.

* 179 MVELLE (G.), op. cit., p. 280.

* 180 Nous tenons cette expression de Nkrumah qui qualifiait ainsi la démarche de ceux de ses pairs qui estimaient qu'il fallait construire l'unité africaine sans empressement. Lire KABA (L.), op. cit., p. 174.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo