Migrant malien blanchisseurs à Niamey: pratiques migratoires et réseaux d'insertion( Télécharger le fichier original )par Bachirou AYOUBA TINNI Université Abdou Moumouni de Niamey - Master 2 2015 |
1.2 ProblématiqueLa notion de migration englobe tous les types de mouvements de population impliquant un changement du lieu de résidence habituelle, quelles que soient leur cause, leur composition, leur durée, incluant ainsi notamment les mouvements des travailleurs, des réfugiés, des personnes déplacées ou déracinées. (OIM, 2007). De nos jours, la migration internationale est un thème d'actualité qui préoccupe chercheurs, politiques, économistes, planificateurs urbains. En effet, elle a connu un développement spectaculaire ces dernières décennies. Le stock de migrants internationaux est ainsi passé de 82 millions en 1970 à 100 millions en 1980, 154 millions en 1990 et 175 millions en 2000, pour atteindre 190 millions en 2005, 215 millions en 2010 et 232 millions en 2013. La hausse est de 2,1% par an en moyenne. Au même moment, la population mondiale a connu une évolution fulgurante. Elle est passée de 4 milliards 453 000 habitants en 1960 à 6 milliards 122 800 en 2000 pour atteindre 7 milliards 300 en 2015. La migration implique des enjeux financiers très importants. L'argent que les migrants dans le monde envoient chez eux a augmenté de 102 milliards de dollars des Etats-Unis en 1995 pour atteindre en 2005 un montant estimé à 232 milliards de dollars des Etats-Unis et 581 milliards US en 2014. (BANQUE MONDIALE, 2015). Les flux des migrations sont multidirectionnels. On distingue des flux Nord- Nord, sud-Nord, Nord-sud, et sud-sud. L'analyse des flux migratoires à l'échelle des continents laissent apparaitre un mouvement humain intense en Afrique. Cependant, la forte médiatisation des sortis précaires de l'Afrique vers l'Occident principalement en Europe laisse penser que les Africains migrent plus en dehors de leur continent. Or, une forte dynamique migratoire intra-africaine existe dans ce continent. Elle se traduit, par des grandes zones de départ et d'accueils. Quant à la direction des flux, elle peut aller : Ø Des pays disposant d'un littoral vers les pays du Maghreb ; Ø De l'hinterland vers les pays du Maghreb ; Ø de pays disposant d'un littoral vers l'intérieur du continent ; Ø de l'hinterland, vers les pays côtiers; Ø Des pays continentaux vers d'autres pays de même type. En Afrique de l'Ouest par exemple, on y retrouve tous les types de mobilité. Mais de toute évidence, les départs de l'hinterland semblent être les plus importants. Dans cette région, la dégradation continue du milieu naturel contribue à entretenir les migrations. En effet, depuis quelques décennies les sècheresses cycliques et les crises alimentaires qui en découlent diminuent du jour au jour les moyens de production et de subsistance des populations. (FALL et al 2007). Pour faire face à cette situation les populations ont développé plusieurs stratégies de survie dont entre autres les migrations. Ceci, dans le but de trouver le complément de revenus nécessaires à leur survie. Mais il est remarquable de souligner que l'Afrique de l'Ouest retient beaucoup ces migrants qui les exportes comme le souligne (FALL) « les migrations internationales ouest africaines sont principalement intra régionales avec 88, 44 % des flux. L'Europe et l'Amérique n'en accueillent qu'une faible proportion avec respectivement 9 % et 0, 02 % des flux des années 2000. » Le schéma migratoire classique en Afrique de l'Ouest se traduit par une nette opposition entre deux territoires: - les foyers de convergence des demandeurs d'emploi que sont les zones côtières notamment les grandes villes portuaires : la Côte-d'Ivoire (près de 30% d'étrangers avant la crise) ou le Nigéria depuis le boom pétrolier; - l'hinterland qui correspond aux bassins de main-d'oeuvre à laquelle on fait appel dans la mise en valeur et l'exploitation des ressources minières ou agricoles : Haute- Guinée, Burkina Faso, Mali, Niger. Aujourd'hui, ce schéma migratoire continue à s'entretenir au gré des contextes politiques et économiques. Mais il importe de noter qu'à côté de ce mouvement classique s'est développé un autre schéma qui implique cette fois des échanges migratoires entre les pays de l'hinterland ouest africain. Le caractère original de ce schéma, son essor rapide dans cette région, l'immensité des espaces géographiques investis et l'importance numérique de la population qu'elle concerne, méritent qu'on s'interroge sur le mode de fonctionnement de ce type de migration entre pays continentaux. L'immigration malienne à Niamey au Niger est un parfait exemple de ce schéma migratoire. Selon l'OIM (2009) les immigrants maliens au Niger représentent 28% des immigrés internationaux dans ce pays, soit la deuxième communauté étrangère la plus importante derrière les Nigérians. Mais il est important de noter que l'immigration malienne au Niger a une dimension à la fois historique, culturelle et politique. Elle est historique, car pendant le XVème siècle, l'espace qu'occupe actuellement les républiques du Mali et Niger a été témoin du développement d'une prestigieuse entité politique : l'empire sonrai. Cet empire « s'étendait sur plus ou moins le Niger, le Mali et une partie du Nigeria actuels» (KI ZERBO, 1993). Ce fait historique a favorisé le brassage culturel entre les communautés de cet espace entre le XVème et le XVIème siècle. Elle est aussi politique car avec la colonisation du XIXème, les Européens ont senti la nécessité de regrouper leurs possessions en Afrique occidentale en un ensemble dénommé Afrique Occidentale Française (AOF). On assiste dès lors à une consolidation des liens existants, mieux à une intensification des migrations (SIDIKOU, 1980). Car le régime colonial faisait venir du Mali des enseignants, agents de santé, manoeuvres pour servir au Niger dans le cadre de l'AOF. Nombre de ces travailleurs migrants maliens ont fini par se fixer dans plusieurs localités du Niger dont entre autres Niamey, Ayorou, Tahoua, Zinder. A l'accession à l'indépendance des deux pays le phénomène migratoire s'est développé avec la mise en place des organisations sous régionales. Ainsi, la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) créée en 1974 et l'Union monétaire Ouest africaine (UEMOA) créée en 1994 ont inclut dans leurs objectifs la libre circulation des personnes et des biens. Ce qui a conduit ces deux organisations à la suppression de visa d'entrée entre les Etats membres. Mais au-delà de toutes ces considérations ; le Mali et le Niger sont tous des pays continentaux, classés dans le groupe des pays les moins avancés du monde. Les principales destinations de migrants maliens restent à la fois le milieu rural et urbain nigérien et leur nombre n'a cessé de s'accroitre d'année en année surtout à Niamey, capitale du pays. A Niamey, on retrouve ces migrants maliens dans plusieurs secteurs d'activités dont entre autres le commerce, notamment celui de la cola, des dattes, des basins et autres articles. Ils sont aussi revendeurs d'eau communément appelés Garoua et blanchisseurs. Mais de toutes ces activités, celle par laquelle les migrants maliens ont su imposer leurs empreintes et leur savoir-faire reste incontestablement la blanchisserie. En effet, à Niamey, la blanchisserie est l'activité principale à travers laquelle on identifie les Maliens. Car la très grande majorité des personnes exerçant cette activité sont des ressortissants de ce pays. Le nombre de migrants maliens qui pratiquent la blanchisserie a permis à cette communauté de monopoliser cette activité. Appelés Wanki par les Niaméens, les blanchisseurs maliens sont devenus au fil des années des acteurs essentiels de la ville. L'organisation et le dynamisme de ces migrants portent à croire à l'existence d'un réseau qui les intègre facilement à Niamey. Les réseaux sont une forme de capital social accumulé par les migrants dans le but de baisser leurs coûts migratoires, réduire le risque, augmenter la probabilité d'emploi dans le pays d'installation (ANTOINE, 1992). On assiste donc à Niamey à l'émergence d'un espace social transnational car il est le fruit de travailleurs migrants et il implique aussi un échange entre pays de départ (Mali) et celui d'arrivée (Niger), pas seulement de personnes, mais aussi des biens, d'informations ; des symboles et des pratiques culturelles. Au vu de l'importance de cette activité et l'organisation propre à ces migrants maliens au Niger, il importe de se poser un certain nombre de questions. Ø Pourquoi le choix de la blanchisserie par ces migrants ? Ø Quel est le profil de ces migrants? Ø Quels sont les types de migration qu'ils pratiquent (temporaire, circulaire ou définitif) ; Ø Comment s'intègrent-ils ? Pour répondre à ces questions nous formulons les hypothèses suivantes: |
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