WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme

( Télécharger le fichier original )
par Yann Kergunteuil
Université catholique de Lyon - Master 2 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3. Nominalisme, contractualisme, et droits de l'homme

Hobbes a adapté puis transmis le nominalisme à la modernité. Ce courant habite les pensées politiques majeures depuis le XVIIIe siècle. L'enjeu du présent travail étant circonscrit au rôle joué par le nominalisme de Guillaume d'Ockham sur la conceptualisation moderne des droits de l'homme, nous n'indiquerons que quelques pistes en vue d'une recherche entièrement dédiée aux aspects nominalistes de la pensée contractualiste.

Le nominalisme marque tout d'abord l'ontologie contractualiste. Théoriser l'individu, c'est affirmer l'égalité des droits subjectifs de chacun. Ceci est vrai chez Ockham, chaque homme étant créé à l'image de Dieu, et se retrouve chez Hobbes ou Spinoza. Dans le Léviathan, l'égalité est physiologique, puisque tous les hommes ont un pouvoir de nuisance identique à l'état de nature, et psychologique, puisque la crainte de l'avenir régit uniformément l'agir individuel2. Dans les écrits spinozistes, l'identité de la nature et de la condition humaines exige un corps social d'individus égaux en droit3. La théorie des droits subjectifs conduit nécessairement à l'universalité des droits

1 Sur la soumission hobbesienne du religieux au politique : Léviathan, LII.

2 Chapitre XIII.

3 Traité politique, X, 8 et VII, 27 : « Je réponds que tous les hommes ont une seule et même nature. Ce qui nous trompe à ce sujet, c'est la puissance et le degré de culture ». Rappelons que de cette identité de la nature humaine, on ne saurait inférer un réalisme de Spinoza. Son ontologique est explicitement et radicalement nominaliste, comme le prouve sa définition de l'essence : « Je dis que cela appartient à l'essence d'une chose qu'il suffit qui soit donné, pour que la chose soit posée nécessairement, et qu'il suffit qui soit ôté, pour que la chose soit ôtée nécessairement ; ou encore ce sans qoi la chose ne peut ni être ni être conçu, et vice versa ne peut sans la chose être ni être conçu » (Ethique II, definition 2). On peut rapprocher cette dernière définition de la nature du singulier ockhamien proposée par Paul Vignaux : « Aucune chose n'est différente de soi : tout ce qu'elle possède à la fois, elle le possède de la même façon. C'est sans doute l'intuition centrale, l'âme du nominalisme. Aussi les éléments qui composent l'individu : substance et accidents, matière et forme, sont-ils aussi singuliers que l'individu même. A l'intérieur de son essence, il n'y a d'aucune façon, et l'esprit ne peut trouver d'aucune manière, une nature spécifique indifférente à la singularité ». Paul Vignaux, Dictionnaire de théologie catholique, art. « Nominalisme », p. 783 sq.

96

du sujet. Puisque les droits découlent de la nature singulière de sujets égaux, ils sont eux aussi égaux. Cet arrière plan métaphysique est au fondement des articles relatifs à l'égalité dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits1 », parce que leur nature même implique des droits. L'ontologie nominaliste est bien en cela destructrice de l'ontologie réaliste de l'Antiquité. Les droits de chacun ne dépendent plus de la place qu'il occupe dans la hiérarchie du cosmos, mais du simple fait qu'il est homme.

En second lieu, le nominalisme influence directement la méthode contractualiste. Inférer le système politique de la nature de l'individu, non du corps social naturel, est une préoccupation commune du nominalisme et du contractualisme travaillés par la même tension interne : comment un individu isolé, et dont la liberté est potentiellement illimitée, peut-il faire société ? Comment le loup devient-il citoyen ? Ce problème demeure dans la pensée sociale et politique contemporaine, confrontées au communautarisme, à l'inflationnisme juridique, à un déficit de « vouloir-vivre ensemble ». Comment canaliser les droits naturels que nous reconnaissons à l'individu ? Pour Hobbes, Spinoza ou la Déclaration de 1789, il s'agit de capter la puissance du sujet au profit de la concorde sociale. Les lois ne sont plus légitimes que pour s'opposer au chaos, elles abandonnent l'objectif antique d'amélioration de la vertu des citoyens2. Les sociétés modernes ne peuvent offrir de type moral idéal à suivre car en abandonnant la doctrine des universaux, elles ont renoncé à ces référents communs à l'aune desquels des comportements pouvaient être moralement ou juridiquement sanctionnés.

Troisième aspect de l'influence du nominalisme sur le contractualisme, le primat du vouloir sur toute autre faculté de l'âme humaine. L'individu de Hobbes, de Spinoza, le corps social de Rousseau déterminent, comme le Dieu ockhamien, le principe de leurs actions sans référence extrinsèque à leur volonté. Le but est bon parce que voulu, non, comme chez saint Thomas, voulu parce que bon. Le sujet spinoziste recherche en vertu de sa nature ce qui « augmente sa puissance

1 Art. 1 (nous soulignons).

2 Chez Hobbes : « En effet, l'utilité des lois (qui ne sont que des règles autorisées) n'est pas d'empêcher les gens de faire toute action volontaire, mais de les diriger et de les maintenir dans un mouvement tel qu'ils ne se fassent pas de mal par l'impétuosité de leurs propres désirs, par leur imprudence et leur manque de discernement, comme des haies sont installées, non pour arrêter les voyageurs, mais pour les maintenir dans le [droit] chemin ». Léviathan, XXX.

Pour Spinoza aussi, il y va du pouvoir individuel de celui du groupe : « Si deux individus s'unissent ensemble et associent leurs forces, ils augmentent ainsi leur puissance et par conséquent leur droit ; et plus il y aura d'individus ayant aussi formé alliance, plus tous ensemble auront de droit ». Traité politique, II, 13.

Pour la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société (art. 5).

97

d'agir1 », mais le contenu peut varier, ou être opposé d'une circonstances ou d'un individu à l'autre. Le mécanisme du désir est le même chez le pervers que chez le saint. La morale individuelle n'est donc plus en mesure d'intéresser le politique que lorsqu'elle nuit à la paix sociale, d'où son reflux progressif dans la sphère privée. Sur le plan politique, la primauté de la volonté place l'autorité sous la tutelle permanente de ses administrés. La puissance de l'Etat est désormais fonction de l'attachement des sujets au pouvoir temporel. Ce volontarisme conduit à une soumission de principe de l'autorité au peuple. Mais hors périodes d'élections (pour les démocraties) ou de crises, le droit est désormais réduit à la volonté du souverain. Si les décisions humaines relatives au droit demeurent chez Ockham soumise à la volonté divine, elles ne résultent plus que des hommes au pouvoir chez Hobbes et Spinoza2. Le droit s'est progressivement détaché de la nature et ne relève aujourd'hui que d'un vouloir immanent :

« il n'importe guère que l'existence d'une loi naturelle morale soit maintenue au point de départ (comme le faisait Hobbes, et comme le font encore aujourd'hui Roubier, Dabin, Prélot), ou soit niée (comme elle l'est par Kelsen), du moment que dans le droit on s'accorde à n'en pas tenir compte, mais à se régler exclusivement sur la décision étatique3 ».

Le positivisme juridique radical n'a depuis l'âge classique plus de comptes à rendre qu'aux singularités. Le souverain établi un droit dont les individus sont à la foi la source et le but. La modernité juridique est autoréférentielle.

La confusion du jus et du pouvoir introduite par Ockham a dégagé l'horizon juridique moderne. L'individu règne sans partage sur son bien, ce qu'illustrent les définitions désormais classiques de la propriété. Ainsi des articles 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen :

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ;

et 544 du Code civil :

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »

L'histoire du droit occidental suit celle de l'affranchissement de l'individu des tutelles limitant l'expression de sa puissance. Il est aujourd'hui sans temps, sans lieu, sans transcendance, tout-

1 A la différence de Hobbes pour qui le vouloir détermine le principe de mon action, le désir est pour Spinoza la force motrice en quête de puissance : « les désirs qui proviennent de la raison et ceux qui sont engendrés en nous par d'autres causes, ceux-ci comme ceux-là étant des effets de la nature et des développements de cette énergie naturelle en vertu de laquelle l'homme fait effort pour persévérer dans son être ». Traité politique, II,5.

2 Chez Hobbes : Léviathan, XVII. Chez Spinoza : « Le droit en effet se mesure à la puissance, comme nous l'avons montré au chapitre II. Or la puissance d'un seul homme est toujours insuffisante à soutenir un tel poids ». Traité politique, VI, 5.

3 Michel Villey, La formation de la pensée juridique moderne, op. cit., p. 615.

98

puissant. La sécurité l'obsède, il n'accepte ni la mort, ni la vieillesse, qu'il tente parfois de combattre en accumulant des biens dont il peut jouir selon ce droit absolu auquel, pour reprendre les mots de Michel Villey, son égoïsme naturel aspire depuis les origines.

99

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci