L'évaluation à mi- parcours des projets de développement communautaire: le cas des puits à pompe du Projet d'Appui au Développement Communautaire ( PADC ) de Mebomo et de Bikogo (Centre- Cameroun )( Télécharger le fichier original )par Yanik YANKEU YANKEU Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Master en développement et management des projets en Afrique 2008 |
2- L'influence des élites sur la gestion des puits à pompe du PADC de Mebomo et de BikogoPour des motivations personnelles33(*) ou civiques34(*) ou encore économiques35(*) explique Kengne Fodouop (2003 : 133-166.), les élites se tournent de plus en plus vers les villages. Séverin Cécile Abega (1999) regroupe ces motivations en deux : le lien affectif et la nécessité de garder sa place dans sa communauté de départ. Cette place, si elle n'est pas négociée, voire acheter en permanence, se perd ou devient floue. Ainsi, les villages Mebomo et Bikogo ont, dans le passé, bénéficié des largesses de leurs élites. Nombre de projets ou d'ouvrages ont été réalisés dans ces villages dans le passé sans que le paysan, qui y vit, ne sache ou n'ait été consulté. En effet, toutes les dépenses et les charges y afférentes ont été supportées par l'élite promotrice dudit projet et aucun paysan n'a eu à débourser le moindre frais. Modeste Mbonde Nock36(*), nous confiait lors d'un entretien que, du fait des élites, beaucoup de projets sont réalisés dans ces villages sans que les populations n'aient été consultées ou ne sachent qui l'a fait. D'ailleurs, certains projets d'hydraulique villageoise y ont été réalisés sans que les populations aient eu vent du maître d'ouvrage du projet. Selon Ndoki Ousseini37(*), la politique nationale d'approvisionnement en eau potable en milieu rural est définie par le MINEE et est mise en oeuvre par diverses administrations sectorielles (MINADER, MINSANTE, FEICOM, PNDP, PADC). Or, les populations se contentent parfois du discours d'une élite du village qui a supporté leur contribution sans leur consentement. Et à qui on attribue la paternité de l'ouvrage. Cette situation qui prévaut et qui a prévalue dans ces villages va affecter les puits à pompe du PADC. Des entretiens avec Faustin Abena38(*), président du comité de santé intégré de Nkengué et résidant au village Mebomo, il ressort qu' « avant le puits à pompe du PADC, le puits qui se trouve dans notre hameau (Mebomo marché), datant de 1998, a été réalisé par l'ONG BOSSAPAL sous la sollicitude d'une élite du village qui était cadre au ministère de la santé ». C'est ce dernier qui était l'intermédiaire de cette élite au village. C'est pourquoi il ajoute que « ma famille a entretenu39(*) pendant plus de trois mois l'équipe technique de l'Ong BOSSAPAL ». Dans le village Bikogo également, on a pu observer trois autres puits40(*) qui existaient avant celui du PADC. Soit deux qui ont été réalisés par l'élite Atangana Kouna41(*) et le troisième, par l'Abbé Emile Nkoa42(*) dans l'hameau Minkamga. Ces puits à pompe, réalisés, dans ces villages, par des élites (quatre sur cinq) ont contribué à semer la confusion dans l'esprit des populations du village, qui continuent à croire que le puits à pompe du PADC n'est qu'une fois de plus l'émanation d'une autre élite du village. Cette attitude est de plus en plus réconfortée par le fait que ces puits à pompe du PADC sont, dans un cas comme dans l'autre, sujet à « accaparement » de la part des élites qui trouveraient en cette intervention, une réduction de la distance avec leurs frères restés au village. En effet, bien de projets de développement sont très souvent sujet à « une appropriation », autre que le souhaiteraient leurs maîtres d'ouvrage. En ce sens que des groupes bien avisés dans les populations cibles l'utilisent pour accroître leur domination ou leur privilège. Les puits à pompe des villages Mebomo et Bikogo n'échappent pas à ce schéma. Il nous a été révélé lors des entretiens avec Lucien Motsala Lebelé, qu'après les réalisations des puits à pompe et d'autres composantes du PADC (une école primaire avec latrines améliorées, des étangs piscicoles, des porcheries, des poulaillers) dans le village Bikogo, les élites du village, qui au départ, avaient coopté le village, se sont soulevés et ont crée leur propre association, notamment le comité de développement de Bikogo (CODEBI). Cette association a été créée en opposition au comité de développement villageois de Bikogo (CODEVIBI), qui existe depuis les ateliers de planification villageoise43(*), qui ont duré presque une semaine avant le démarrage du PADC au village. Des ménages ont versé des contributions mensuelles, non plus au comité de gestion du puits à pompe du PADC, mais plutôt au CODEBI. Or, cette association va vite faire de tomber dans les erreurs de gestion dont a fait montre le CODEVIBI. La plus significative est le manque de transparence dans la gestion des sommes collectées. Pour preuve, les populations depuis sa création, n'ont pas reçu un état des sommes collectées par le CODEBI. Cette « règle de l'accaparement », selon l'expression chère à Olivier de Sardan (1995 : 137), fait que les mieux lotis ou les plus influents des paysans destinataires utilisent la mise en place d'un projet pour agrandir leur notoriété ou augmenter leur audience politique ou leur réseau de clientèle, accumuler des capitaux, des revenus, des ressources ou des prestiges. Cette lutte d'intérêts entre les élites et les responsables du comité de développement des villages se fait au détriment des populations utilisatrices. Ceci est de nature à pousser les populations utilisatrices à se détourner des puits à pompe. Cette influence directe des élites sur l'adhésion des populations aux puits à pompe se vérifie beaucoup plus à Bikogo qu'à Mebomo. D'autres facteurs externes liés la maintenance des puits à pompe pourraient aussi être à la base de l'adhésion partielle des populations à ces derniers. B- Les facteurs inhérents à l'innovation technologique des projetsCette sous-section s'engage à mettre en exergue le poids de l'innovation technologique dans l'adhésion des populations au puits à pompe. * 33 Résulte du désir d'expression de leur attachement au village natal, d'affirmer leur notoriété, acquisition de titres de noblesse. Ils réalisent, individuellement ou collectivement, une maison, une école, une route, un pont ou un puits à pompe. * 34 Ils doivent y construire ou y faire construire une route, un dispensaire, une école, un puits à pompe, un bureau de poste pour espérer recueillir les voix de leurs « compatriotes », lors des élections municipales, des députés à l'assemblé nationale ou des membres du bureau du comité de base des partis politiques. * 35 Les citadins qui recherchent du profit matériel ou financier en y lançant certaines réalisations. * 36 Modeste Mbonde Nock, née en 1957, adjoint d'arrondissement du sous-préfet d'Elig-Mfomo. Entretien du 06 février 2009 devant la sous-préfecture, lors des préparatifs de la fête de la jeunesse (11 février). * 37 Ndoki Ousseini, née en 1980, cadre à la direction de l'hydraulique rurale et l'hydrologie au MINEE. Entretien du 02 septembre 2009 dans son bureau. * 38 Faustin Abéna, née en 1947, infirmier retraité, ex-président du comité de santé intégré de Nkengué. Entretien du 29 juillet 2009 devant son domicile, qui tient lieu de cabinet pour des petites chirurgies et petites consultations à Mebomo. * 39 Par « entretien » ici, il faut entendre, l'hébergement et parfois la nutrition de l'équipe technique. Car, il n'existe pas de case de passage ni d'auberge, ou encore moins d'hôtel dans les deux villages étudiés. Il est plus facile de bénéficier de l'hospitalité d'une famille. En contre partie, l'hôte peut, selon sa volonté, assister la famille d'accueil dans les charges journalières (travaux champêtres, nutrition familiale). Nous avons eu l'opportunité d'être entretenu par la famille du jeune Ndzana, moto taximan, résidant à Bikogo. * 40 Cf. supra Chapitre I sur la présentation du milieu étudié. * 41 Cette élite, ex-DGA au MINSANTE, est en faite originaire de Nkengue, un village voisin, mais a financé la réalisation de ces deux puits en tant que beau-fils de ce village, c'est d'ailleurs la raison pour la quelle ces puits se trouvent dans les hameaux Nkolo Nanga et Nkolo Otomo, donc proche de sa belle famille, et non dans ceux de la chefferie, de zébédé nord ou sud qui sont par ailleurs, plus proche de Nkengue. * 42 Il l'a réalisé à titre personnel pour le compte de son collège, Popolorium, mais cependant l'ouverture est réglementée (matin et soir) et l'accès à ces heures reste libre à toute personne sans distinction. * 43 Les ateliers de planification permettent d'identifier et de mettre en oeuvre les priorités de développement des populations. Lors des ateliers de planification de Bikogo et de Mebomo, les priorités étaient l'électrification, l'eau potable, l'école et le centre de santé. |
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