Chapitre 3- LES REPRESENTATIONS SOCIALES LIEES A
L'EPARGNE DES MENAGES DU VILLAGE D'ADJAME BINGERVILLE
I - Les représentations sociales liées
à l'épargne des ménages
I -1 Les idéologies culturelles liées
à l'épargne des ménages
La société Ebrié est organisée en
plusieurs générations de classes d'âge. La plupart part des
ménages sont fortement conditionnés par les valeurs culturelles
que véhiculent cette institution sociale villageoise. En effet, la
génération est l'institution sociale par excellence au travers de
laquelle les valeurs culturelles Ebrié de l'épargne sont
transmises. Ces valeurs sont subtilement intériorisées et
soigneusement transmises de génération à
génération. L'enquête de terrain révèle que
60% des ménages admettent l'existence de ces valeurs culturelles
liées à l'épargne des ménages. Ces valeurs se
résument à la solidarité, à l'entraide, à la
pérennisation de la culture et au développement communautaire
grâce à la mutualisation des membres de la
génération.
Comme l'indique K.Y « Chez nous, il y a un proverbe
qui dit : il y a toujours cérémonies. C'est pourquoi, les membres
de la génération doivent cotiser 100 F CFA par mois dans le
registre financier de la génération et 3000 F CFA en cas de
décès pour faire face à toutes les situations. Donc, si un
membre du village qui ne sait pas que notre tradition nous demande de cotiser
lors d'un décès, quand son tour va venir lui seul il va soulever
le cercueil de son parent ». Ce discours, montre l'aspect coercitif
des normes sociales sur l'épargne des ménages qui se traduit dans
le cas du village d'Adjamé Bingerville, par la mis en place d'un
registre financier qui constitue un dispositif de mobilisation de ressources
financières de la part de la génération pour faire face
aux vicissitudes de la vie que pourrait connaitre l'un de ces membres. Ainsi,
ces pratiques participent à la reproduction de l'identité
culturelle et à la construction de l'appartenance des ménages
à leur groupe
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social par la mise en jeu de leur épargne
matérielle ou immatérielle dans les institutions sociales.
Aussi, 70% des ménages interrogés ont
indiqué qu'ils budgétisent le poste de dépense
épargne pour honorer les obligations culturelles telle la fête de
génération. En effet, ces ménages épargnent durant
deux (02) ou trois (03) ans pour dans un premier temps, s'acquitter des droits
individuels de leurs membres qui doivent effectuer leur sortie de
génération. Ces droits sont obligatoires pour tout
prétendant à la sortie de sa génération. Cette
participation individuelle à l'organisation de la sortie de la
génération s'élève à 40.000 F CFA pour les
hommes et à 80.000 F CFA pour les femmes. Ce montant est fixé par
les autorités du village. Cette contribution financière peut
être revue à la hausse si les responsables de la
génération sortante considèrent que le montant global
n'est pas à mesure d'organiser une sortie digne de leur rang.
De plus, une fois engagé dans le processus de sortie de
leur génération, les membres sont obligés de rechercher
des ressources additionnelles qui varient entre 200.000 F CFA à
1.000.000 F CFA, qui t'à puiser totalement dans l'épargne
familiale ou à contracter un crédit, pour organiser la
cérémonie. Comme le souligne T.H, chef de la catégorie
Djehou « Mon fils, chez nous ici, c'est génération on
connait. Un Ebrié qui joue avec la sortie de sa
génération, ce n'est pas quelqu'un à qui on peut confier
une responsabilité dans le village. (...) chacun doit bien se
préparer. S'il faut demander crédit à un frère ou
à un ami, nous le faisons pour que les invités soient à
l'aise et que les autres sachent que toi aussi tu es homme ».
Ainsi, le respect strict de ces dispositions sociales à
travers la mise en jeu de leur épargne dans les institutions sociales,
symbolise l'attachement des ménages d'Adjamé Bingerville à
leurs valeurs culturelles. Cette logique d'action procure aussi aux
ménages une forme de reconnaissance et d'intégration sociale qui
participe au maintien de leur statut social. Se
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soustraire de ces obligations culturelles, peut conduire dans
très souvent des cas à une exclusion ou du moins à une
disqualification sociale16. Par exemple l'individu qui ne
s'impliquerait pas financièrement ou matériellement dans le
décès d'un membre de sa génération se fera à
son tour abandonné par les autres membres de la génération
en cas de décès dans sa famille. Et part la suite, ce dernier
assiste à la dévalorisation de son statut social par les autres
membres de la communauté qui le qualifie socialement
d'incompétent ou d'irresponsable.
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