PARTIE 1 : DE L'INFORMATION À L'ÉCHANGE
DES CONSENTEMENTS DANS LA VENTE
« SURPRISE » À L'ESSAI
De nombreuses particularités relatives à la
vente conclue par le site internet entrent directement en conflit avec le
régime juridique des contrats à distance. Ainsi en effet, le
vendeur, tenu en principe d'informer l'acheteur à l'égard des
caractéristiques essentielles de la chose vendue et de son prix
(chapitre I), occultera éventuellement une partie de ces informations
afin de provoquer un « effet de surprise » chez l'acheteur. Ce
dernier ne découvrira en effet le contenu de la malle et le prix des
vêtements et accessoires qu'il souhaitera éventuellement garder,
qu'après l'avoir reçue et ouverte. C'est pourquoi nous avons
d'ailleurs décidé de surnommer l'acte juridique conclu « la
vente surprise ».
D'autres questions non moins importantes y sont également
liées.
Ainsi, les dispositions relatives au régime juridique
du contrat électronique contraignent le vendeur à respecter une
certaine procédure dans l'échange des consentements, ce qui pose
notamment problème si des échanges complémentaires ou
contradictoires pouvaient avoir lieu entre l'acheteur et le styliste en dehors
du site internet (chapitre II).
Enfin, les particularités de la vente conclue sur le
site internet méritent d'être analysées sous l'angle des
conditions de validité de la vente « surprise », lorsqu'elle
est notamment conclue à distance par voie électronique (chapitre
III).
CHAPITRE 1 : L'obligation du vendeur de définir
les caractéristiques essentielles de la chose et son prix
Il ne s'agit pas ici d'analyser de manière
générale l'ensemble des informations que le vendeur doit
délivrer à l'acheteur, ainsi de celles prévues par
l'article L 121-18 du Code de la consommation qui impose au vendeur de
mentionner dans son offre un panel d'informations relatives notamment à
son identité, aux moyens de paiement, frais de livraison et à
l'existence d'un droit de rétractation et ses limites
éventuelles.
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Nous nous en tiendrons aux seules informations prévues
par les articles L 111-1 et L 113-3 du Code de la consommation (Section 1),
auquel renvoie d'ailleurs l'article L 121-18 du même code, et qui doivent
en outre être fournies au consommateur, par écrit ou sur un autre
support durable à sa disposition, en temps utile et au plus tard au
moment de la livraison, à moins que le vendeur n'ait satisfait à
cette obligation avant la conclusion du contrat, comme le prévoit
l'article L 121-19 1° du Code qui intègre ces informations au
dispositif.
Dans un second temps, il s'agira de déterminer les
sanctions qu'encourt l'acte conclu ou le professionnel vendeur en cas de
manquement de ce dernier à son obligation d'information prévue
par le Code de la consommation (section 2).
SECTION 1 L'objet de l'information : les
caractéristiques essentielles de la chose et son prix
L'actuel article L 111-1 du Code de la consommation exige
seulement du professionnel vendeur, qu'il mette le consommateur acheteur en
mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien,
avant la conclusion du contrat (§1).
Réitérée par l'article 4 du projet de loi
relatif à la consommation qui modifie le libellé de l'article L
111-1 dudit Code, cette exigence s'accompagne désormais31
d'une obligation pour le professionnel de renseigner l'acheteur sur le prix du
bien (§2).
§ 1 Interprétation objective et subjective des
caractéristiques essentielles de la chose
La version actuelle du Code de la consommation sépare
de façon très nette la vente et la prestation de service dans le
cadre de l'obligation générale d'information, en consacrant
à chacun de ces contrats un article propre.
Ainsi l'information due par le vendeur est quasiment
circonscrite aux caractéristiques essentielles de la chose à la
différence de celle due par le prestataire de services qui est tenu de
délivrer au consommateur un ensemble d'informations beaucoup plus
large,
31 Auparavant, elle ne figurait pas dans l'obligation
générale d'information mais seulement à l'article L
113-3.
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ainsi notamment de son identification et des conditions
générales du services... Il n'en a pas toujours été
ainsi. En effet, la loi du 26 juillet 199332 qui avait introduit cet
article dans le Code de la consommation33 traitait de manière
commune34 l'obligation générale d'information du
vendeur et du prestataire de service, au sein d'un même article L
1111.
Cependant, malgré les réformes successives de
l'obligation générale d'information du professionnel, la notion
de « caractéristiques essentielles du bien » n'a jamais
été définie par le législateur. A cet égard,
on peut se demander si l'obligation du vendeur de renseigner l'acheteur sur les
caractéristiques essentielles du bien se confond avec l'obligation
générale de renseignement découverte par la jurisprudence.
En effet, prenant acte de l'évolution des rapports entre contractants et
de l'inégalité de savoir dans laquelle sont parfois
placées les parties, la jurisprudence a mis à la charge de «
celui qui sait » une obligation de renseigner son co-contractant.
Néanmoins, pour que cette obligation existe, il est
nécessaire de réunir certaines conditions et notamment que le
débiteur de cette obligation sache détenir une information «
pertinente », c'est-à-dire, essentielle aux yeux de son
co-contractant car susceptible de lui faire renoncer au projet de conclure le
contrat ou à tout le moins de lui faire changer les conditions de son
accord.
On peut donc se demander si l'article L 111-1 du Code de la
consommation donne un support textuel à cette obligation dans les
rapports entre professionnels et consommateurs ou consacre une obligation
différente. En effet, nous savons que les caractéristiques d'un
bien sont les éléments qui permettent de le distinguer d'un autre
d'une même nature. Mais la question est de savoir si celles qui sont
essentielles au sens de cet article sont celles qui sont déterminantes
du consentement de l'acheteur, essentielles à ses yeux, ou celles qui,
de manière différente, sont essentielles aux yeux de tout
consommateur.
32 Loi n° 93-949 du 26 juillet 1993 relative au code de
la consommation, JORF n°171 du 27 juillet 1993 p. 10538.
33 Avant d'être codifiée à l'article L
111-1 du Code de la consommation, cette disposition avait toutefois
été créée par la loi du 18 janvier 1992.
34 Hormis l'obligation spécifique pour le vendeur
d'informer l'acheteur de la période pendant laquelle les pièces
de rechanges seront disponibles sur le marché.
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Dans le premier cas, une interprétation subjective des
caractéristiques essentielles du bien obligerait l'acheteur à
prouver à chaque fois que telle ou telle lacune avait été
déterminante de son achat, même s'il se pourrait cependant qu'on
oblige le consommateur à fournir une telle preuve dans le cas seulement
où il serait impossible de présumer le caractère essentiel
de cette caractéristique35.
Dans le second cas, il s'agit plutôt d'une
interprétation objective des caractéristiques essentielles du
bien qui nous semble plus conforme à l'esprit du Droit de la
consommation.
En effet, apparu en France dans les années 1970, le
mouvement consumériste a milité en faveur de la
consécration d'un ordre juridique de protection propre à prendre
en compte l'inégalité des parties au sein du contrat au travers
d'une vision objective et catégorielle des parties. Ainsi,
l'économie essentiellement rurale et artisanale ayant laissé
place à une économie industrielle constituée d'acteurs au
poids considérable, la vision libéraliste du droit a
laissé place à une vision plus protectrice des
intérêts du plus faible, percevant les consommateurs tels une
masse une et indivisible face aux professionnels édictant leurs
conditions au travers d'une nouvelle figure contractuelle
dénommée contrat « d'adhésion »36.
Il nous semble donc que l'article L 111-1 du Code de la
consommation oblige le professionnel vendeur à renseigner le
consommateur acheteur sur les caractéristiques objectivement
essentielles aux yeux de tout consommateur, c'est-à-dire, les
éléments qui sont susceptibles de distinguer une chose d'une
autre, et auxquels tout consommateur attache une importance déterminante
de son consentement.
Si cette interprétation peut sembler plus protectrice
du consommateur sur le terrain notamment probatoire, dès lors qu'il
n'aura pas à établir devant une juridiction qu'une
35 Comme en matière d'erreur, où le juge se
livre à une interprétation subjective des qualités
substantielle d'un objet mais dispense la victime de l'erreur de prouver qu'une
qualité était substantielle à ses yeux dans le cas
où on ne pourrait pas douter qu'elle le serait aux yeux de chacun. Voir
sur ce point Aubry et Rau, Cour de droit civil français, t. IV, 6e
éd. Par Bartin, § 343bis p. 433 ; v. déjà Demolombe,
Cour de Code Napoléon, t. XXIV, 1970, n° 89 p. 91 et s, v. depuis
en ce sens, P. Malinvaud, De l'erreur de l'acheteur, L'authenticité du
bien d'art (étude critique), RTD civ. 1982, p. 55 et s.
36 Cette expression signifie que le consommateur n'a pas la
possibilité de négocier les termes du contrat de sorte qu'il ne
peut qu'y consentir purement et simplement.
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caractéristique du bien qu'il a acheté
était pour lui essentielle37, il n'en reste pas moins qu'elle
empêche cependant ce dernier d'obtenir une protection en fournissant une
telle preuve au cas où une étude statistique démontrerait
qu'une caractéristique du bien vendu n'était pas essentielle aux
yeux de la majorité de ses semblables.
Cette analyse ne nous semble pas devoir être remise en
question par la directive du 25 Octobre 201138 qui reprend cette
obligation pour le professionnel au sein de ses articles 6.1 a) et 6.1 b), en
la circonscrivant à la notion de « caractéristiques
principales ». Transposée dans les mêmes termes au sein du
futur article L 111-1 1° du Code de la consommation consacré par le
projet de loi relatif à la consommation, cette notion nous semble devoir
être interprétée de la même manière eu
égard à l'objectivité voulue par le législateur en
la matière.
En ce qui concerne notre cas d'espèce, on peut penser
que de nombreuses caractéristiques sont susceptibles d'être
caractérisées comme telles. Ainsi, le type de vêtements et
leurs tailles répondent à n'en pas douter à cette
qualification. Cependant, si le gestionnaire du site web demande aux
utilisateurs de renseigner leurs mensurations, il s'abstient de leur demander
combien de pantalons ou de vestes leur sont nécessaires, se contentant
de laisser à ces derniers le soin de cocher des cases correspondant au
type de vêtements et accessoires dont ils ont besoin. De même, il
est simplement demandé au potentiel acheteur de renseigner le ou les
styles qu'il affectionne (classique, rétro, vintage, etc...) sans donner
plus de détail sur la forme, la couleur et la coupe des vêtements
et accessoires.
Il nous semble que ces caractéristiques sont
essentielles aux yeux de tout consommateur, dans la mesure où
l'habillement contribue à renforcer l'identité de chacun. Il
paraîtra nécessaire à certains de choisir des
vêtements dont la coupe est susceptible de mettre en évidence ou
de dissimuler leurs formes, ou encore dont le ton de couleur est à
même de révéler leur excentricité ou au contraire
leur discrétion.
37 Ce qui nous semble plus difficile que de prouver qu'une
caractéristique est objectivement essentielle aux yeux de tout
consommateur grâce à un sondage.
38 Directive 2011/83/CE du Parlement européen et du
Conseil du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la
directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement
européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil
et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, JOUE
n° L 304, 22 novembre 2011, p.64.
31
C'est pourquoi l'esprit original dont s'inspire le vendeur, en
retenant volontairement certaines informations afin de garantir un effet de
surprise à l'acheteur, nous apparaît assez peu conforme à
l'objectif de protection visé par le législateur au travers de
l'information. En effet, le gestionnaire du site procède au contraire
à une rétention d'informations sur les caractéristiques
essentielles des biens qui seront livrés à l'acheteur en vue de
lui réserver un effet de surprise. L'acheteur peut d'ailleurs renoncer
à cet effet de surprise en contactant le styliste pour obtenir des
informations supplémentaires ou afin de préciser un peu plus ses
goûts et ses styles.
Le système semble ainsi diamétralement contraire
à celui voulu par le législateur car tout se passe comme si
c'était l'acheteur qui renseignait le vendeur et non le contraire. Il
semble donc que le vendeur méconnaisse les termes de l'article L 111-1
du Code de la consommation.
Cependant, nous tâcherons plus loin de nous demander si
la circonstance selon laquelle les lacunes informatives sont imputables
à l'acheteur, resté passif alors même qu'il avait la
possibilité de demander des informations supplémentaires, est de
nature à influer sur les sanctions encourues par le vendeur.
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