5. Politique d'intégration et politique de la
ville: quelles convergences dans le Rhône?
En juillet 2008, sous la présidence Sarkozy, dans le
cadre de la révision générale des politiques publiques
(RGPP), les pouvoirs publics ont exclu les préoccupations de
l'intégration dans le champ de la politique de la ville en dissociant
tout bonnement politique de la ville et politique d'intégration. Cette
décision a eu pour conséquence de réduire les publics
bénéficiaires de la politique d'intégration aux
primo-arrivants (étrangers arrivés en France depuis moins de cinq
ans) de même que le budget101 dont près de 40 millions
ont été transférés à la politique de la
ville, au titre de l'accès aux droits et de la lutte contre les
discriminations.
101 « A l'occasion de cette nouvelle
répartition budgétaire, près de 60 millions d'euros
destinés à financer les actions d'intégration, ont
également été supprimées par la direction du
budget. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le Haut
Conseil considère que le seuil budgétaire critique de 100
millions d'euros pour mener à bien une politique d'intégration
est atteint ». Bernard Normand et
Jean-Christophe Sintive, in « Investir dans les associations pour
réussir l'intégration », Haut Conseil à
l'Intégration, avis remis au ministre de l'Intérieur le vendredi
2 mars 2012.
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Figure 5. Diagramme logique d'impact -
PDI Rhône
Source : Document-cadre du PDI Rhône 2010-2012.
Dès lors, les politiques de la ville, pilotés
entres autres par l'ACSE, s'inscrivent dans un cadre départemental,
territorialisées aux travers des contrats urbains de cohésions
sociale (CUCS) alors que la politique d'intégration est pilotée
depuis la région via le PRIPI.
Autre conséquences de cette dissociation :
§ la fragilisation des associations intervenant
antérieurement dans le champ de l'intégration avec une
multiplication des interlocuteurs (DAIC, OFII, DJRSCS)
§ leur retrait de certains quartiers prioritaires des
politiques de la ville
§ l'émergence des associations communautaires qui se
substituent dès lors aux services de l'État et
pratiquent la solidarité entre migrants de même
origine, quoique de l'avis du HCI, la tentation du communautarisme est
réelle
§ la complexification des procédures de
réponse à appels d'offres ou des appels à projets pour des
associations, soumises depuis au code des marchés publiques comme toute
entreprise classique et qui dès lors y renoncent.
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Cette « séparation étanche » a
été cependant dénoncée par le Haut Conseil à
l'Intégration dans son rapport de février 2012102 qui
fait valoir l'argument de la proximité des thématiques et des
populations que visent ces deux politiques et cite pour appuyer son analyse une
enquête de l'Insee d'octobre 2010103 :
« D'après l'enquête Trajectoires et
Origines les immigrés, c'est-à-dire les personnes nées
à l'étranger et de nationalité étrangère
à la naissance, et les descendants d'immigrés,
c'est-à-dire les personnes dont au moins un des parents est
immigré, représentent plus de la moitié des personnes
âgées de 18 à 50 ans vivant en ZUS (Zones urbaines
sensibles). Dans les ZUS de l'agglomération parisienne, ils
représentent même 64% de la population âgée de 18
à 50 ans ».Or, « Occultant cette
réalité, les décisions budgétaires de 2008 ont
centré les moyens financiers de l'intégration pour l'essentiel
sur l'intégration des primo-arrivants dans le cadre du contrat d'accueil
et d'intégration et les formations linguistiques gérées
directement par l'Office Français de l'Immigration et de
l'Intégration (OFII - soit près de 50 millions d'euros).
Au-delà de l'accueil et de l'intégration des primo-arrivants,
seules quelques actions ont été préservées en
direction de publics jugés prioritaires comme les femmes
immigrées ou les vieux travailleurs migrants, mais avec des moyens
budgétaires très réduits (moins de 20 millions d'euros du
programme budgétaire 104, géré par la Direction de
l'Accueil de l'Intégration et de la Citoyenneté -DAIC- si l'on
exclut les crédits destinés à la gestion des foyers de
travailleurs migrants et des centres provisoires d'hébergement de
réfugiés statutaires, auxquels s'ajoute une dizaine de millions
du Fonds européen d'intégration) ».
Dans le Rhône toutefois, les autorités
préfectorales ont fait le choix de collaborer avec les instances en
charge de la politique de la ville et donc des questions d'insertion, tant les
problématiques qu'elles portent s'imbriquent fortement. Aussi,
l'équipe projet ayant été chargé de
l'élaboration du Plan départemental de l'intégration dans
le Rhône pour 2010-2012 était composée d'un Inspecteur
d'Académie, d'un représentant de l'OFII, de 2
délégués du Préfet délégué
pour l'égalité des chances, d'un agent du développement
local pour l'intégration et&d'un représentant de la Direction
départementale de la cohésion sociale (DDCS).
Quant à la mise en oeuvre effective et conjointe de ces
deux politiques, nous ne disposions pas de suffisamment de données au
moment de notre enquête pour en faire un développement
conséquent. Quoi qu'il en soit, les populations immigrées du
Rhône( y compris les naturalisés), dont une part significative
réside dans les quartiers de la politique de la ville du Grand Lyon ( 14
zones de précarités précédemment définies )
font face à différentes problématiques qui recoupent les
champs couverts par les CUCS ou contrats urbains de cohésion sociale( y
compris les politiques d'insertion pour l'emploi par exemple )104 et
de l'intégration. Les politiques d'insertion s'appuient sur une logique
de discrimination positive même si elles ne sont pas
désignées comme tel. Dans la mesure où elles ciblent des
populations et des zones de vie particulières de l'espace social et
déploient à leur intention des stratégies
spécifiques. IL s'agit en clair d'un ensemble de mesures de mise
à niveau visant à rattraper l'écart qui peut exister entre
un migrant et ce que l'on considère comme une intégration
accomplie : cadre de vie décent, scolarité normale, emploi
stable, accès aux équipements urbains, relations sociales,
émancipation personnelle. Toutefois les politiques d'insertion se
destinent évidemment à tous les publics. La césure avec
les politiques d'intégration tient à la spécification des
mesures d'insertion à destination des populations immigrées
primo-arrivantes ou des personnes installées d'ancienne date sur le
territoire mais rencontrant des difficultés d'intégration
particulière: langue, santé, emploi, revenus, logement. Ce sont
entre autres les migrants âgés et les femmes. Entre politiques de
la ville et politique d'intégration, la frontière reste mince
sinon quasi inexistante. Les orientations de l'une et l'autre laissent
plutôt entrevoir une complémentarité, une convergence de
vues.
C'est en ce sens que le Haut-Conseil à
l'intégration a recommandé dans son rapport sus-indiqué
que la politique nationale d'intégration devait être
amplifiée et réinvestir les quartiers sensibles où les
associations jouent un rôle d'interface efficace sur la question de
l'intégration, mais finalement pas assez valorisé ni visible
auprès des pouvoirs publics locaux, régionaux et nationaux.
Aussi l'État devrait-il investir davantage dans les
associations pour réussir l'intégration, selon le HCI. Cela
implique une exigence de reconnaissance et de légitimation des
associations à travers un système de labellisation en
102 Bernard Normand et Jean-Christophe Sintive, «
Investir dans les associations pour réussir l'intégration
», op.cit.
103 Trajectoires et origines, Enquête sur la
diversité des populations en France, INED, INSEE, octobre 2010
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fonction des champs d'intervention, des process et
des résultats obtenus; puis une exigence de stabilité des
financements car , nous l'avons dit, la complexité des procédures
d'appels d'offres et d'appels à projets de même que la
multiplication des interlocuteurs pour les démarches de demande de
financement sont des facteurs d'exclusion de nombre d'associations
françaises ou de migrants qui n'ont pas toutes le même niveau de
ressources: connaissance des procédures administratives, des politiques
nationales en vigueur et du tissu associatif, bénévoles,
salariés, fonds et subventions, assise territoriale, capitaux
matériels, etc.
Tableau 12 : Politique de la ville. Géographie
prioritaire en Rhône-Alpes
Cela étant, à l'issue de ce tableau
général de la politique nationale d'intégration et ses
déclinaisons locales, il convient de s'interroger sur la place
qu'occupent réellement les associations et le rôle qu'elles jouent
dans le cadre de ces politiques publiques d'intégration et de la
ville.
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