1
« La place dévolue aux droits fondamentaux n'a
cessé au long du siècle de s'affirmer»1.
Après la Seconde Guerre Mondiale, de nombreux Etats européens ont
intégré au sein même de leur Constitution une
déclaration des droits fondamentaux ayant pour but de protéger
les individus de toute violation de leurs droits. « La
Communauté puis l'Union connaissent le même mouvement : les
traités originaires ne contenaient pas de dispositions
générales relatives aux droits de la personne mais la Cour de
justice a dû rapidement pallier cette lacune »2,
l'Union européenne (ci-après « l'Union ») adoptant
finalement une déclaration des droits de l'Homme par la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « Charte
»).
La distinction qui voudrait que le terme de « droits de
l'Homme » renvoie à la Convention et celui de « liberté
fondamentale » à l'Union3 ne sera pas suivie ici. En
effet, il existe un flou en la matière, la doctrine ne semblant plus
faire de différence entre les droits de l'Homme et les droits
fondamentaux4. « La protection des droits de l'homme ou des
droits fondamentaux, comme on voudra les appeler, les deux expressions
étant synonymes »5, bien que des distinctions
puissent encore exister entre les deux termes. Les droits de l'Homme
excluraient, en principe, les droits reconnus aux personnes morales. De
même, le terme de droit fondamental permettrait d'inclure les droits
économiques, attachés à la matière
communautaire6.
L'Union, et avant elle la Communauté européenne,
n'avait pas pour premier objectif la protection des droits de l'Homme. «
Il n'est pas exagéré de penser que la protection des droits
de l'homme n'était pas la préoccupation prioritaire des
négociateurs du traité instituant la Communauté
européenne »7. En effet, les droits reconnus aux
personnes au sein des traités initiaux n'étaient liés
qu'à la nécessité de créer un marché commun
entre les Etats membres.
L'étude de Hans von der Groeben, l'un des
négociateurs des Traités de Rome, met « en
lumière le fait que les traités européens, [...],
ont consacré d'une manière positive, dans un
1 Actes du colloque de Caen, 23 février
1996 publiés sous la direction de Constance GREWE, Questions sur le
droit européen, Presses Universitaires de Caen, Centre de recherche
sur les droits fondamentaux, 1996, 273p, p.161
2 DOLLAT Patrick, Droit européen et
droit de l'Union européenne, 2ème édition,
2007, Sirey, édition Dalloz, 475p, point 165
3 BERGE Jean-Sylvestre et ROBIN-OLIVIER Sophie,
Introduction au droit européen, Thémis droit, PUF, 2008,
1ère édition, 551p, p.209
4 PELISSIER, Catherine, La protection des
droits économiques et sociaux fondamentaux dans la Communauté
européenne, thèse sous la direction de SUDRE
Frédéric, ANRT, Lille, collection thèse à la carte,
2004, 469p, p.18
5 BRUN, Alain, Les droits fondamentaux et le
citoyen européen, in Actes du colloque international
organisé par le Centre de Recherches Hannah Arendt les 16 et 17 mars
2006, Les droits fondamentaux à l'épreuve de la
mondialisation, édition Cujas, institut catholique d'études
supérieures, 2006, 166p, p.45, p.46
6 op.cit. BERGE et ROBIN-OLIVIER, p.209
7 SIMON, Denys, Des influences réciproques
entre CJCE et CEDH : « Je t'aime, moi non plus » ?, Revue
Pouvoirs, 2001/1, n°96, p31-49, p32
2
ensemble de dispositions d'allure tantôt plus
générale, tantôt plus concrète, certains principes
qui sont, pour le moins, proches d'une garantie des droits fondamentaux
»8. Ainsi, la reconnaissance de la liberté de
circulation des travailleurs et de la non discrimination entre les citoyens des
Etats membres a permis une première approche de la protection des droits
de l'Homme au sein de la Communauté.
L'objectif premier de la construction communautaire
était la création d'un lien solide entre les Etats membres. Pour
se faire, une approche basée uniquement sur l'aspect économique
des relations étatiques était préférable. En effet,
les Etats européens avaient montré des réticences à
mettre en place une coopération politique d'intégration, ce qui
s'est traduit par l'échec de la mise en place de la Communauté
européenne de défense et de la Communauté politique
européenne. Les rédacteurs des traités de Rome ont donc
choisi de ne consacrer que les droits fondamentaux pouvant contribuer à
la création du marché commun. En outre, l'Europe possédait
déjà une organisation qui avait fait de la protection des droits
de l'Homme sa priorité, le Conseil de l'Europe.
Créé en 1949, le Conseil de l'Europe adopte un
an plus tard un instrument particulier de protection des droits de l'Homme, la
Convention de Sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales9 (ci-après « la Convention »). La
particularité de cette Convention est l'instauration d'un juge
spécifique chargé du contrôle du respect des droits de
l'Homme énoncés. La Cour européenne des droits de
l'Homme10 (ci-après « la Cour de Strasbourg ») a
ainsi été instituée dans le but de s'assurer que les Etats
signataires (ci-après « Hautes Parties ») de la Convention
respectaient leurs engagements. La jurisprudence que la Cour de Strasbourg
adopta, et les divers protocoles additionnels à la Convention, permirent
à la Convention de développer la protection des droits de l'Homme
au sein des différentes Hautes Parties en permettant la prise en compte
de l'évolution sociale.
Mais les deux organisations européennes ne restent pas
étrangère l'une à l'autre et les relations se
développent. Dès 1959, une coopération s'installe de
manière informelle par
8 PESCATORE, Pierre, Les droits de l'homme et
l'intégration européenne, Cahiers de droit européen,
Bruyant, 1968, p.629-673, in PESCATORE, Pierre, Etudes de droit
communautaire européen 1962-2007, avec une liste bibliographique
complémentaire, Grands écrits, collection droit de l'Union
européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant 2008, 1005p, p.127,
p.146
9 Convention de Sauvegarde des droits de l'Homme et
des libertés fondamentales, Rome, 4.XI.1950, telle qu'amendée par
les protocoles n°11 et 14
10 A noter que la Cour européenne des droits
de l'Homme n'a été instituée qu'en 1998,
précédemment c'est la Commission européenne des droits de
l'Homme qui procédait au contrôle du respect de la Convention
3
l'échange de lettres, de rapports mais également
d'experts11. Cette première relation a eu pour mérite
de permettre un premier rapprochement entre les deux organisations
européennes, même si elle n'a pas permise la mise en place d'une
réelle coopération au sens strict. En 1987, les deux
organisations décident de mettre en place un rapport annuel
étudiant leurs relations12. Deux ans plus tard, l'on
prévoit un dialogue politique entre la Communauté
européenne et le Conseil de l'Europe par l'instauration de
réunions annuelles. Depuis 1996, la Commission est autorisée
à participer aux réunions du Comité des Ministres. En
outre, en 2001, les deux organisations ont adopté un programme commun
pour permettre le développement de la démocratie dans les Etats
de l'Est de l'Europe.
« A priori, la concurrence entre systèmes, et
partant entre juridictions ne devrait pas exister »13.
Mais les organisations se chevauchant territorialement et évoluant vers
plus de compétence. Les relations entre les deux organisations sont
complexes depuis que l'Union étend ses compétences dans le
domaine des droits de l'Homme.
En effet, assez rapidement, les Etats membres de la future
Union (ci-après « les Etats membres ») ont
désiré de renforcer les liens qui les unissaient, notamment
à travers le domaine des droits fondamentaux14. Dès
1973 au sein de la déclaration de Copenhague,
« les chefs d'État et de gouvernement des Neuf
énoncent dans la déclaration sur l'identité
européenne [...] qu' : « ils entendent sauvegarder les principes de
la démocratie représentative, du règne de la loi, de la
justice sociale - finalité du progrès économique - et du
respect des droits de l'Homme, qui constituent des éléments
fondamentaux de l'identité européenne... »
»15.
Cet attachement est renouvelé au sein même du
préambule de l'Acte unique en 1986. « On assiste à un
phénomène d'accrétion qui tôt ou tard finit par
produire ses effets dans l'ordre communautaire, soit en constituant un bain qui
imprègne de façon diffuse l'activité communautaire, soit
en se traduisant par un amendement au traité »16.
L'activité de l'Union et les révisions successives des
traités démontrent clairement ce cheminement. Les
déclarations du passé ont conduit à une évolution
des objectifs de l'Union, passant progressivement d'une Union uniquement
économique à une Union également politique.
11 Fascicule 6100 : Conseil de l'Europe - objectifs
et structures politiques, JurisClasseur Europe Traité, mise
à jour 1er novembre 2009, point 41
12 ibid., point 42
13 BURGORGUE-LARSEN, Laurence, Le fait
régional dans la juridictionnalisation du droit international,
colloque de Lille « La juridictionnalisation du droit international
», SFDI, Paris, Pedone, 2003, 552p, p.203-264
14 C'est le cas du projet de traité pour une
union politique de 1953, de la déclaration des chefs d'État lors
du sommet de Paris de 1972, du projet dit Spinelli de 1984 ou de la
déclaration des droits et des libertés fondamentaux de 1989.
15 Supra note 2, DOLLAT, point 159
16 ibid., point 159
4
En 1992, le Traité de Maastricht marque un tournant de
la conception du rôle de l'Union dans le domaine de la protection des
droits fondamentaux. En effet, il énonce que
« l'Union respecte les droits fondamentaux, tels
qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales, [...], et tels qu'ils
résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres,
en tant que principes généraux du droit communautaire
»17.
Le Traité de Maastricht a également
créé la citoyenneté de l'Union à l'égard des
nationaux des Etats membres18, permettant notamment l'obtention de
droits politiques spécifiques. « L'institution de la
citoyenneté européenne et la proclamation des droits y
afférents constitue sans doute la première tentative d'envergure
en vue de dépasser la logique essentiellement économique des
origines »19.
Cinq ans plus tard, le Traité d'Amsterdam indique
à son article 6 §1 que l'Union « est fondée sur les
valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de
démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi
que de respect des droits de l'homme ». Cet article rejoint les
critères politiques, élaborés lors du Conseil
européen de Copenhague de 1993, que les Etats candidats à
l'adhésion de l'Union doivent respecter. Mais c'est surtout un symbole
du changement de perspective de la politique de l'Union et de son ouverture
vers la rédaction d'un texte de protection des droits fondamentaux
propres à l'Union20.
De plus, le droit de l'Union21 ne se contente pas
uniquement d'énoncer des droits et libertés, il prévoit
les moyens de les faire respecter par les Etats membres. En effet, le
Traité d'Amsterdam prévoit à son article 7 des sanctions
à l'encontre des Etats membres qui violeraient gravement et avec
persistance les principes énoncés à l'article 6.
En outre, la valeur de principes directeurs est
conférée aux droits fondamentaux. Ainsi, les droits fondamentaux
ne sont plus uniquement des droits subjectifs mais doivent permettre de guider
les activités de l'Union et de créer une Communauté de
droit, aujourd'hui devenue Union de droit.
L'Union de droit et l'État de droit reposent sur des
critères identiques. « D'une part la soumission de l'ensemble
des autorités publiques, y compris le législateur, à des
normes supérieures préalablement édictées ; d'autre
part, l'organisation de procédures de contrôle
17 article F§2 du traité de Maastricht
18 article 8 du traité de Maastricht
19 AKANDJI-KOMBE, Jean-François, Le
développement des droits fondamentaux dans les traités,
in LECLERC, Stéphane, AKANDJI-KOMBE, Jean François et
REDOR, Marie-Joëlle, L'Union européenne et les droits
fondamentaux, CRDF Université de Caen, Bruyant, 1999, 235p, p.31,
p.42
20 ibid, p.48 et 56
21 Anciennement droit communautaire. A noter que
nous n'utiliserons que le terme de « droit de l'Union » permettant de
faire référence tant aux droits anciens qu'actuels
5
garantissant le respect des normes et de leur
hiérarchie afin d'éviter l'arbitraire »22.
L'Union de droit a ainsi pour objectif de protéger les droits et les
libertés des citoyens. Il est à noter que la Cour de Luxembourg
avait, dès 1986, jugé que « la Communauté
économique européenne est une communauté de droit en ce
que ni ses Etats membres ni ses institutions n'échappent au
contrôle de la conformité de leurs actes à la charte
constitutionnel de base qu'est le traité »23.
L'entrée en vigueur, le 1er décembre
2009, du Traité de Lisbonne renforce l'Union de droit, l'article 19
§1 du Traité sur l'Union européenne (ci-après «
TUE ») disposant que la Cour de Luxembourg « assure le respect du
droit dans l'interprétation et l'application des traités
», et la protection des droits de l'Homme au sein de l'Union. En
effet, le Traité de Lisbonne fait dans un premier temps
référence, à son article 2 TUE, aux « valeurs
» de l'Union24. Il consacre également, comme l'un
des objectifs de l'Union, la protection des droits de l'Homme25.
Mais l'apport principal se trouve à l'article 6 TUE, le paragraphe 1
accordant à la Charte la valeur juridique d'un traité, tandis que
le paragraphe 2 prévoit l'adhésion de l'Union à la
Convention.
Jusqu'à l'entrée en vigueur du Traité de
Lisbonne, la protection des droits de l'Homme au sein de l'Union était
basée, essentiellement, sur la jurisprudence de la Cour de Justice des
Communautés européennes26 (ci-après « Cour
de Luxembourg ») et non sur le droit originaire ou dérivé,
même si ce dernier a permis la reconnaissance de droits
fondamentaux27. La jurisprudence de la Cour de Luxembourg a ainsi
permis d'instaurer au sein de l'Union une protection des droits de l'Homme
basée sur la création prétorienne des principes
généraux du droit de l'Union européenne.
Mais, « l'Union européenne ne constitue pas
une organisation internationale de défense des droits de l'homme en tant
que telle. La protection des droits de l'homme constitue une mission
essentielle, mais non exclusive, pour cette organisation
»28. Le fait que les Etats membres de l'Union soient
également Hautes Parties à la Convention devait permettre une
22 supra note 2, DOLLAT, point 163
23 CJCE, 23 avril 1986, Les Verts c/ Parlement
européen, aff. 294/83. Rec.1986 p 01339
24 dignité humaine, liberté,
démocratie, égalité, Etat de droit et droits de l'Homme
25 notamment dans ses relations extérieures,
article 3§5 TUE
26 devenue Cour de Justice de l'Union
européenne après l'entrée en vigueur du Traité de
Lisbonne en 2009
27 Directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin
2000, relative à la mise en oeuvre du principe de
l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de
race ou d'origine ethnique (JO L 180 du 19 juillet 2000, p.22) ; Directive
97(80(CE du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de
la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe (JO L 14 du
20 janvier 1998, p.6) ; Directive 95/46/CE du Parlement européen et du
Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à
caractère personnel à la libre circulation de ces données
(JO L 281 du 23 novembre 1995, p.31)
28 LE BOT, Olivier, Charte de l'Union
européenne et Convention de sauvegarde de l'Homme : la coexistence de
deux catalogues de droits fondamentaux, Revue trimestrielle de droits de
l'Homme, n°55/2003, p.781-811, p.810
6
protection des droits fondamentaux au sein de
l'Union29. Pourtant, très rapidement des limites se sont
posées, notamment par le fait que le droit de l'Union prime sur le droit
interne des Etats membres et soit d'effet direct. L'idée d'une
adhésion de l'Union à la Convention est donc rapidement
née.
La proposition de l'adhésion de l'Union à la
Convention a été lancée pour la première fois en
197930. A la suite de divers appels à l'adhésion de la
part des Communautés31 mais également du Conseil de
l'Europe32.
En 1996, c'est le refus de la Cour de
Luxembourg33 qui avait arrêté le processus en
indiquant qu'une révision des traités était
nécessaire pour permettre l'adhésion de l'Union à la
Convention. Elle relevait ainsi que
« si le respect des droits de l'Homme constitue (...)
une condition de la légalité des actes communautaires, force est
toutefois de constater que l'adhésion à la convention
entraînerait un changement substantiel du régime communautaire
actuel de la protection des droits de l'Homme, en ce qu'elle comporterait
l'insertion de la Communauté dans un système institutionnel
international distinct ainsi que l'intégration de l'ensemble des
dispositions de la convention dans l'ordre juridique communautaire
»34.
Par la suite, la place réservée aux droits de
l'Homme dans le Traité d'Amsterdam a conduit à considérer
ce Traité comme étant « un coup fatal à
l'adhésion de l'Union à la Convention »35,
voir même à « une disparition du système de la
Convention européenne des droits de l'Homme dans l'Union
»36. Les dispositions du Traité de Lisbonne montre
qu'il n'en est rien, l'adhésion de l'Union à la Convention
n'ayant jamais été aussi vraisemblable, l'Union en ayant fait une
de ses priorités pour les prochains mois37.
29 BERTONCINI Yves, CHOPIN Thierry, DULPHY Anne,
KAHN Sylvain et MANIGAND Christine, Dictionnaire critique de l'Union
européenne, Armand Colin, Paris, 2008, 489p, p.127
30 Commission Memorandum, Accession of the
Communities to the European Convention on Human Rights, Bulletin of the
European communities, Supplement 2/79, adopted by the Commission on 4 april
1979, COM(79)210 final, 21p
31 entre autres : communication de la Commission du
19 novembre 1990, SEC(90)2987 final ; communication de la Commission du 9
octobre 1995, SEC(90)2087 final - C3 - 0022/93 ; proposition de
résolution du Parlement européen, P.E. Doc. 80/79 ; document de
travail du Parlement européen du 6 mars 1986, Doc. B 2-1692/85.
32 Entre autres: APCE, Résolution 745 (1981)
sur l'adhésion des Communautés européennes à la
Convention des Droits de l'Homme ; APCE, Résolution 1068(1995) relative
à l'adhésion de la Communauté européenne à
la Convention européenne des droits de l'homme
33 CJCE, avis 2/94, 28 avr. 1996, Adhésion
à la CEDH : Rec. CJCE 1996, I, p. 1759
34 supra note 2, DOLLAT, point 1123
35 RENUCCI, Jean-François, L'Union
européenne : futur justiciable de la Cour européenne, Les
Petites Affiches, 2 mars 2006, n°44, p.41
36 ibid
37 Conseil de l'Union européenne,
Adhésion de l'Union européenne à la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, 6180/10, LIMITE, CATS14, JAI114, COHOM26, DROIPEN14,
Bruxelles, 8 février 2010 (10.02) (OR. en)
7
Le Traité de Lisbonne, issu de l'échec du
Traité établissant une Constitution pour l'Europe, a permis de
remettre à l'ordre du jour la question de l'adhésion de l'Union
à la Convention. C'est notamment « sous l'influence de
l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux que la question de
l'adhésion est revenue à l'ordre du jour européen
»38. L'idée de l'adhésion de l'Union
à la Convention a été relancée par la Finlande en
200039. Dès 2001, le Comité directeur pour les droits
de l'homme était chargé d'étudier les implications
juridiques d'une telle adhésion40. En 2005, la Commission
indiquait que « l'adhésion à la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales renforcera l'engagement européen de protéger les
droits de l'homme, en introduisant un contrôle juridictionnel externe du
respect des droits fondamentaux par l'Union européenne
»41.
Pourtant, la distinction était que « deux
voies s'ouvraient pour assujettir la Communauté au respect des droits
fondamentaux »42. La première voie
était l'ajout d'un catalogue des droits fondamentaux aux traités
communautaires, la seconde l'adhésion à la Convention. Le
Traité de Lisbonne ne tranche pas entre ces deux possibilités
mais les cumuls. Ainsi, il intègre la Charte et prévoit
l'adhésion de l'Union à la Convention au sein d'un seul et
même article, l'article 6 TUE.
L'adhésion de l'Union à la Convention est
restée d'actualité car son absence en tant que Haute Partie
à la Convention projette une image négative de la protection des
droits de l'Homme par l'Union, d'autant plus que les Etats candidats à
l'adhésion de l'Union doivent au préalable faire partie de la
Convention et que l'Union intègre dans ses accords multilatéraux
avec les Etats tiers des clauses sur le respect des droits de l'Homme.
En outre, cette non-adhésion provoque des distorsions
de droit entre les deux organisations européennes et entre l'Union et
ses Etats membres. La protection même des droits de l'Homme est remise en
cause puisque les deux Cours européennes pourraient avoir des
discordances jurisprudentielles sur certains points des droits fondamentaux.
Enfin, les violations des droits de l'Homme par le droit de l'Union ne peuvent
être pleinement contrôlées et les
38 IMBERT, Pierre-Henri, De l'adhésion de
l'Union européenne à la CEDH - symposium des Juges au
Château de Bourglinster - 16 septembre 2002, Droits
fondamentaux, n°2, janvier-décembre 2002, p11-19, p11
39 Conférence des représentants
des gouvernements des Etats membres, CIG 2000 : Compétence pour
adhérer à la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à
Rome le 4 novembre 1950, Délégation finlandaise, CONFER4775/00,
LIMITE, Bruxelles, 22 septembre 2000 (28.09) (OR. En)
40 op. cit. IMBERT
41 Communication de la Commission au Conseil et
au Parlement européen établissant pour 2007-2013 un
programme-cadre « droits fondamentaux et justice », 6 avril
2005, COM(2005)122 final, p4
42 GAUTRON Jean-Claude, Droit
européen, mementos Dalloz, Dalloz, 13ème
édition, 2009, 337p, p.47
8
modifications du droit de l'Union restent difficilement
réalisables par la condamnation d'un Etat membre et non de l'Union.
« Ainsi que le fait remarquer l'Assemblée,
« les lacunes les plus graves sont constatées dans les institutions
de l'Union européenne elle-même : il s'agit des seules
autorités publiques actives dans les Etats membres du Conseil de
l'Europe qui échappent à la juridiction de la Cour
européenne des Droits
43
de l'Homme [...] » ».
Mais cette double approche de la protection des droits de
l'Homme dans l'Union, avec la Charte et l'adhésion à la
Convention, n'est pas sans posée des difficultés. « De
ce foisonnement ressortent des relations complexes entre les deux droits
européens en présence »44.
Comment les deux ordres européens vont-ils pouvoir
co-exister ? Le Conseil de l'Europe doit faire face à la concurrence de
l'Union, d'autant plus que le territoire de celle-ci tant à
s'élargir au fur et à mesure des nouvelles
adhésions45. L'adhésion de l'Union à la
Convention permettrait de renforcer les liens entre les deux organisations et
de permettre une coopération entre les différentes
institutions.
Comment l'Union pourra-t-elle concilier l'application de deux
normes de protection des droits de l'Homme ? « La multiplication des
textes, au même titre que l'inflation législative, peut nuire
à la qualité et à l'applicabilité de l'ensemble
»46, d'autant plus lorsque ce domaine d'action est
déjà couvert par une organisation qui a prouvé sa
capacité de protection. « Les risques résultant d'une
protection à géométrie variable et de la coexistence de
deux mécanismes parallèles de protection des droits et
libertés ne doivent pas être sous-estimés
»47.
Face également aux difficultés qu'engendrerait
une telle adhésion, l'on peut se demander « si le jeu en vaut
la chandelle »48 ? En effet, l'adhésion de l'Union
à la Convention permettra-t-elle un renforcement de la protection des
droits fondamentaux des citoyens de l'Union ?
43 Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe, Adhésion de l'Union européenne/Communauté
européenne à la Convention européenne des Droits de
l'Homme, doc.11533, 18 mars 2008, 38p, p.7
44 supra note 42., GAUTRON, p.26
45 supra note 11, fascicule 6100, point 46
46 BLUMANN, Claude, Citoyenneté
européenne et droits fondamentaux en droit de l'Union européenne
: entre concurrence et complémentarité, in «
Mélange en hommage au Doyen Gérard COHEN-JONATHAN -
Libertés, justice, tolérance », volume I et II, Bruyant,
2004, 1784p, p.265, p.274
47 supra note 26, BERTONCINI et al.,
p.127
48 CHALTIEL, Florence, L'Union européenne
doit-elle adhérer à la Convention Européenne des Droits de
l'Homme ?, Revue du Marché Commun et de l'Union
Européenne, 1 janvier 1997, n°404, p.34-50, p.47
9
Des incertitudes quant à l'utilité d'une telle
adhésion, au moment où l'Union se dote d'un instrument de
protection des droits de l'Homme, ont été soulevées
[Partie 1]. D'autant plus que les modalités de l'adhésion et les
répercutions sur les deux organisations européennes, l'Union et
le Conseil de l'Europe, risquent de déstabiliser le système de
protection mis patiemment en place en Europe depuis soixante ans [Partie 2].
10
Partie 1. Le contrôle de la conformité des
actes de l'Union vis-à-vis des droits fondamentaux
En 2000, l'Union s'est dotée d'un instrument de
protection des droits de l'Homme, la Charte. Cette dernière est
entrée en vigueur le 1er décembre 2009 et est
opposable aux institutions de l'Union et aux Etats membres lorsqu'ils mettent
en oeuvre le droit de l'Union. La Charte devrait donc permettre une
valorisation des droits fondamentaux au sein de l'Union et une protection des
droits des citoyens de l'Union [Titre 2].
Mais la mise en oeuvre de cette Charte a été
précédée de la volonté des deux Cours
européennes de protéger les droits de l'Homme. Ainsi, une
véritable appropriation de la Convention par la Cour de Luxembourg avait
eu lieu, tandis que la Cour de Strasbourg s'efforçait, par des moyens
détournés, d'appliquer la Convention aux actes de l'Union [Titre
1].
Titre 1. L'application de la Convention aux actes de
l'Union
Bien que l'Union ne soit pas partie à la Convention,
cette dernière a une influence très forte sur la jurisprudence de
la Cour de Luxembourg. Très rapidement, elle a fait de la Convention
l'un de ses éléments principaux pour la protection des droits
fondamentaux [Chapitre 1].
Cependant, la Cour de Strasbourg a également
cherché, via l'application aux Etats membres, à appliquer la
Convention aux actes de l'Union [Chapitre 2].
Chapitre 1. L'influence de la Convention sur le
contrôle de la Cour de Luxembourg
L'influence de la Convention s'est effectuée à
travers la création des principes généraux du droit. Ces
principes ont permis à la Cour de Luxembourg de dégager des
règles applicables à l'Union, notamment dans le domaine de la
protection des droits de l'Homme.
Poussée par les juridictions suprêmes nationales
[Section 1], la Cour de Luxembourg a progressivement créé un
corpus de règles de protection des droits de l'Homme au sein de l'Union
[Section 2].
11
Section 1. La protection des droits de l'Homme au sein
de l'Union : volonté des juridictions suprêmes nationales
Bien que la Cour de Luxembourg ait affirmé dans
l'arrêt Flaminio Costa c/ E.N.E.L.49 que «
la primauté du droit communautaire constituait une «
exigence existentielle » à l'uniformité, et
partant, à la pérennité de l'ordre juridique nouvellement
créé »50, les Cours constitutionnelles,
souveraines dans leurs Etats respectifs, rejetteront la primauté du
droit de l'Union sur les Constitutions nationales51.
Le contentieux qui naîtra sur la question de savoir si
le droit dérivé communautaire était constitutionnel
n'avait pour fin que de créer un « contentieux dissuasif
»52. Les Cours constitutionnelles souhaitaient s'assurer
que les institutions communautaires, puis de l'Union, « respectent les
droits fondamentaux protégés par les constitutions nationales et,
d'autre part, qu'elles n'empiètent pas sur les compétences des
Etats membres »53.
Il est à noter qu'à l'origine seules les Cours
constitutionnelles allemandes et italiennes exerçaient un contrôle
de constitutionnalité du droit dérivé communautaire visant
à vérifier le respect des droits fondamentaux reconnus par leurs
Constitutions nationales respectives. « La Cour constitutionnelle
allemande entendait inciter ou « stimul[er] » ces
institutions [communautaires] à progresser dans la voie de la
protection des droits fondamentaux »54.
Ainsi, les réserves de constitutionnalité ont
pour objectif de faire en sorte que les institutions de l'Union
« garantissent toujours mieux les droits fondamentaux
et, d'autre part, de leur interdire tout relâchement en ce domaine si
sensible. C'est la raison pour laquelle les réserves de
constitutionnalité nous paraissent politiquement nécessaires,
même si elles sont indiscutablement contraires au droit de l'Union
européenne »55.
Par l'arrêt Frontini et Pozzani56,
la Cour constitutionnelle italienne a relevé une réserve de
constitutionnalité, qui demeure cependant improbable.
« Selon cet arrêt, la constitutionnalité
du droit dérivé ne pourrait, en effet, être
contrôlée que dans l'hypothèse où les institutions
communautaires retiendraient une interprétation « aberrante de
l'article [249 CE (devenu 288 TFUE)] » de nature à
49 CJCE, 15 juillet 1964, Flaminio Costa c/
E.N.E.L., aff. 6/64, Rec. p.1154, points 1158 à 1160
50 COUTRON Laurent, La contestation incidente
des actes de l'Union européenne, Thèses, collection droit de
l'Union européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant 2008, 872p,
p.278
51 à l'exception du Luxembourg et des Pays-Bas
; op.cit. COUTRON, p.278
52 op.cit. COUTRON, p.279
53 ibid
54 ibid, p.279-280
55 ibid., p.281
56 Cour constitutionnelle italienne, 27
décembre 1973, n°183, Frontini et Pozzani, RTDE, 1974,
p.148
12
« violer les principes fondamentaux de [l']ordre
juridique constitutionnel ou les droits inaliénables de la personne
humaine » »57.
Mais c'est surtout l'arrêt Solange58,
de 1974, de la Cour constitutionnelle allemande qui a eu un impact sur la
conception de la protection des droits de l'Homme par la Cour de Luxembourg.
Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle allemande «
réserve son contrôle ultime sur les actes du droit
communautaire « aussi longtemps » que la Communauté ne se
serait pas dotée d'une déclaration de droits équivalente
au niveau de protection garanti par la loi fondamentale allemande
»59.
Suite à l'évolution jurisprudentielle de la Cour
de Luxembourg en matière de protection des droits de l'Homme, La Cour
constitutionnelle allemande précisera en 198660 «
qu'au fond, il n'existait aucun problème relatif aux droits
fondamentaux »61. En 200062, elle
évoquera le fait que la protection des droits de l'Homme n'est pas
identique entre l'Allemagne et l'Union mais que cette dernière permet la
protection d'un standard européen de droits
fondamentaux63.
Les Cours constitutionnelles des autres Etats membres ont
imité les Cours constitutionnelles allemande et italienne en posant des
réserves de constitutionnalité. Mais aujourd'hui, le but n'est
plus de faire en sorte que les institutions communautaires respectent les
droits fondamentaux. Par sa déclaration du 13 décembre
200464, le Tribunal constitutionnel espagnol entend « se
prémunir contre une éventuelle déviance dans le
comportement des institutions de l'Union »65.
Relevons que, en Allemagne, Italie et Espagne, « la
mise en oeuvre de la réserve ne repose [donc] pas sur
la spécificité du droit fondamental prétendument
méconnu par l'acte de droit dérivé
»66 mais sur la capacité de l'Union à
protéger les droits fondamentaux. « Il s'ensuit que la cour
constitutionnelle peut, théoriquement, s'assurer que la Cour de justice
garantit effectivement le respect d'un droit consacré à la fois
par le droit de l'Union européenne et par le
57 supra note 50, COUTRON, p.284
58 Cour constitutionnelle de Karlsruhe, 29 mars 1974,
dit Solange I, B. Verf. GE, 37, p.271, RTDE 1974, p.316
59 PESCATORE, Pierre, La coopération
entre la Cour communautaire, les juridictions nationales et la Cour
européenne des droits de l'homme dans la protection des droits
fondamentaux : enquête sur un problème virtuel, Revue du
marché commun de l'Union européenne, n°466, mars 2003,
p.151-159, in PESCATORE, Pierre, Etudes de droit communautaire
européen 1962-2007, avec une liste bibliographique
complémentaire, Grands écrits, collection droit de l'Union
européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant 2008, 1005p, p.865,
p.871
60 Cour constitutionnelle de Karlsruhe, 22 oct. 1986,
BverfGE 73, Solange II : RTDE 1987, p. 537
61 op.cit. PESCATORE, p.871
62 Cour constitutionnelle de Karlsruhe
(2ème chambre), 7 juin 2000, 2 BvL 1/97
63 CHALTIEL, Florence, Le Traité de Lisbonne
devant la Cour constitutionnelle allemande : conformité et
démocratie européenne (A propos de la décision du 30 juin
2009), Les Petites Affiches, 23 juillet 2009, n°146, p.4
64 déclaration du Tribunal constitutionnel, 13
décembre 2004, DTC n°1/2004
65 op.cit. COUTRON, p.285
66 ibid., p.289
13
droit constitutionnel »67. La Cour
constitutionnelle allemande se réserve ainsi le droit d'effectuer un
second contrôle après celui réalisé par la Cour de
Luxembourg, alors même que cette dernière « se
considère seule compétence pour contrôler la
validité des actes européens »68.
Les Cours constitutionnelles continuent ainsi de faire «
planer une sorte d'épée de Damoclès sur la production
normative de l'Union européenne, [...] [et] incitent fortement
les institutions européennes à garantir toujours mieux les droits
fondamentaux »69.
Cette pression des juridictions nationales a permis à
la Cour de Luxembourg de prendre toute la mesure des compétences qui lui
étaient conférées pour la protection des droits de l'Homme
dans l'Union.
Section 2. La Convention comme source
privilégiée de la Cour de Luxembourg pour la protection des
droits de l'Homme
« Les principes généraux du droit sont
des règles de droit non écrites, d'origine jurisprudentielle,
dont l'autorité se rapproche de celle du droit primaire
»70. En effet, les principes généraux sont
hiérarchiquement supérieurs au droit dérivé de
l'Union. De plus, ils s'appliquent aux Etats membres lorsque ces derniers
exercent une action dans le champ du droit de l'Union, notamment lorsqu'ils le
mettent en oeuvre71.
La Cour de Luxembourg a développé
spécifiquement les principes généraux du droit de l'Union
dont le but de pallier le déficit des normes de protection des droits de
l'Homme existant au sein du droit primaire. Elle s'est alors inspirée
des traités constitutifs de l'Union, du droit international et des
principes communs aux Etats membres. « Pour autant, la Cour n'est pas
l'auteur de ces principes : elle les constate, elle les formule et elle en
sanctionne le respect »72.
67 supra note 50, COUTRON, p.289
68 VAN DER JEUGHT, Stefaan, Le Traité de
Lisbonne et la Cour de justice de l'Union européenne, Journal de
droit européen, 1 décembre 2009, n°164, p.297-303,
p.300
69 op.cit. COUTRON, p.296
70 DOLLAT Patrick, Droit européen et
droit de l'Union européenne, 2ème édition,
2007, Sirey, édition Dalloz, 475p, point 615
71 COSTA, Jean-Paul, La Cour européenne
des droits de l'Homme : vers un ordre juridique européen ?, in
« Mélange en l'hommage à Louis Edmond Pettiti »,
Bruyant, Bruxelles, 1998, 791p, p.197, p.215
72 op. cit., DOLLAT, point 615
14
Dans un premier temps, la Cour de Luxembourg a refusé,
au nom du principe de l'autonomie du droit de l'Union, de contrôler la
légalité des actes communautaires au regard des droits
fondamentaux garantis par les Constitutions nationales73.
Cependant, « cette solution risquait d'associer
l'intégration communautaire à un affaiblissement des droits de la
personne et à une remise en cause de la protection offerte par la
convention européenne des droits de l'homme »74.
Dès 196975, la Cour de Luxembourg revient
donc sur sa jurisprudence de 1959 et « reconnaît que les droits
fondamentaux font partie du droit communautaire en tant que principes
généraux du droit »76. L'année
suivante, elle précise dans l'affaire Internationale
Handelsgesellschaft
« qu'en effet, le respect des droits fondamentaux
fait partie intégrante des principes généraux du droit
dont la Cour de justice assure le respect ; que la sauvegarde de ces droits,
tout en s'inspirant des traditions constitutionnelles communes aux Etats
membres, doit être assurée dans le cadre de la structure
77
et des objectifs de la Communauté ».
Mais la Cour de Luxembourg ne se contente pas de se
référer aux traditions constitutionnelles communes aux Etats
membres pour revendiquer les principes généraux du droit de
l'Union.
Ainsi, en 1974, elle considère « que les
instruments internationaux concernant la protection des droits de l'Homme
auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré
peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir
compte dans le cadre du droit communautaire »78.
L'année suivante, la Cour de Luxembourg se
réfère explicitement à la Convention79. La
mention expresse de la Convention s'explique par la ratification de la
Convention par la France le 3 mai 1975. Tous les Etats membres étant
enfin soumis à la Convention, cette dernière pouvait être
invoquée par la Cour de Luxembourg.
« La Cour de justice a par la suite
préféré recourir à la Convention plutôt
qu'aux traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, vu la
difficulté d'apprécier la
73 CJCE, 4 février 1959, Stork c/ Haute
Autorité de la CECA, aff. 1/58, Rec. 1948
74 supra note 70, DOLLAT, point 166
75 CJCE, 12 novembre 1969, Stauder c/ Ville d'Ulm,
aff. 26/69, Rec. p.419
76 op. cit. DOLLAT, point 167
77 CJCE, 17 décembre 1970, Internationale
Handelsgesellschaft, aff. 11/70, Rec.CJCE 1970 p.1125
78 CJCE, 14 mai 1974, Nold, aff. 4/73, Rec.
CJCE 1974 p.491
79 CJCE, 28 octobre 1975, Rutili, aff. 36/75,
Rec.CJCE 1975, p.1219
15
généralité et le caractère
commun de ces dernières »80. Mais l'on peut
également considérer que tous les Etats membres étant
soumis à la Convention, cette dernière entre dans le champ des
traditions communes aux Etats membres. Ainsi, « la Cour n'a jamais
justifié juridiquement son utilisation de la Convention
européenne des droits de l'homme »81.
L'importance que prendra la Convention au sein de la
jurisprudence de protection des droits de l'Homme de la Cour de Luxembourg
conduira le professeur Cohen-Jonathan à indiquer qu'elle constitue
« l'épine dorsale de l'ordre normatif européen
»82. En effet, la Cour de Luxembourg a reconnu de nombreux
droits, au travers de l'application de la Convention. Les principes
généraux du droit qui ont été relevés ne se
limitent pas aux traditionnels droits tels que le droit de
propriété83 ou le droit au respect de la vie
privée84, mais sont également liés aux droits
procéduraux tels que le droit à un procès équitable
dans un délai raisonnable85 et le droit à la
présomption d'innocence86.
Avec l'arrêt Krombach87, la Cour de
Luxembourg instaure une protection des droits de l'Homme en matière
d'exécution réciproque des décisions judiciaires qui va
au-delà de celle élaborée par la Cour de Strasbourg. En
premier lieu, « il résulte [...] de la jurisprudence
communautaire que le respect des droits de la défense dans toute
procédure ouverte contre une personne et susceptible d'aboutir à
un acte faisant grief constitue un principe fondamental du droit communautaire
»88. Les Etats ont le droit de ne pas appliquer une
décision de justice étrangère si les droits de la
défense, telles qu'interprétés par l'article 6 de la
Convention, ont été violés de façon flagrante ou
manifeste. La Cour de Luxembourg a jugé dans l'affaire Krombach
que la prise en compte de la violation des principes fondamentaux du
procès équitable ne devait pas être atténuée
par le fait que l'affaire portée sur une action
indemnitaire89. La position de la Cour de Luxembourg a
été confortée par la suite par la Cour de
Strasbourg90.
80 GAUTRON Jean-Claude, Droit
européen, mementos Dalloz, Dalloz, 13ème
édition, 2009, 337p, p.46
81 RIDEAU, Joël, La coexistence des
systèmes de protection des droits fondamentaux dans la Communauté
européenne et ses Etats membres, Annuaire international de justice
constitutionnelle, 1991, p11, p.28
82 COHEN-JONATHAN (G.), Aspects
européens des droits fondamentaux, Paris,Montchrestien,
coll.Préparation au CRFPA, 3ème édition, 2002, p.
204.
83 CJCE, 13 décembre 1979, Hauer, aff.
44/79, Rec.CJCE 1979, p. 3727
84 CJCE, 26 juin 1980, National Panasonic,
aff. 136/79, Rec. 2033
85 CJCE, 17 décembre 1998, Baustahhlgewebe
GmbH c/ Commission, aff. C-185/95 P
86 CJCE, 8 juillet 1999, Montecatini SpA c/
Commission, C-235/92 P
87 CJCE, 28 mars 2000, Krombach, aff.
C-7/98
88 JurisClasseur Europe Traité,
Fascicule 452 : Ordre public et droit communautaire, mise à jour 27 juin
2002, point 33
89 ibid., point 36
90 Cour EDH, 13 févr. 2001 : RTDH 2001, p. 802,
chron. F. Sudre
16
Ainsi, « l'avocat général Jacobs assure
même que « la convention peut être
considérée à des fins pratiques, comme faisant partie du
droit communautaire » »91. Le Traité de
Lisbonne confirme l'importance donnée à la Convention, indiquant
à l'article 6 §3 TUE que « l'ensemble des droits de le
CEDH est garanti dans l'Union en tant que principes généraux
»92. Notons que le TUE indique désormais la
formulation « principes généraux » et non plus «
principes généraux du droit communautaire » ce qui «
pourrait indiquer un ancrage encore plus solide des droits fondamentaux non
écrits dans le droit de l'Union »93.
Cependant, la Cour de Luxembourg se doit de rester dans la
limite de ses compétences. Ainsi, « le contrôle du
respect des droits de la personne dans les domaines qui ne relèvent pas
du droit communautaire »94 reste à la charge des
juges nationaux et de la Cour de Strasbourg.
Cette autolimitation s'expliquerait également par la
vocation principalement économique de l'Union95.
L'application des principes généraux du droit et la protection
des droits fondamentaux par la Cour de Luxembourg sont limités par les
intérêts communautaires, et donc économique pour la
plupart.
La Cour de Luxembourg a ainsi toujours admis que des
restrictions aux droits fondamentaux pouvaient être apportées pour
permettre la réalisation des objectifs de l'Union, notamment la
création d'un marché commun96. « Les
fondements de la construction européenne ne sont donc pas toujours
compatibles avec une protection optimale des droits fondamentaux
»97. En outre, l'extension des compétences de
l'Union dans des domaines non économique conduirait à une
restriction de la protection de certains droits98. De plus, l'Union
n'étant pas liée à la Convention, la Cour de Luxembourg
peut sélectionner les droits reconnus par la Convention99.
91 GERKRATH, Jorg, Les principes
généraux du droit ont-ils encore un avenir en tant qu'instruments
de protection des droits fondamentaux dans l'Union européenne ?,
Revue des affaires européennes, 1 janvier 2006, n°1,
p.31-43, p.35
92 ANGEL Benjamin, CHALTIEL-TERRAL Florence,
Quelle Europe après le traité de Lisbonne ? Bruyant,
LGDJ, Montchrestien, Lextenso éditions, 2008, 195p, p.138
93 op.cit. GERKRATH, p.38
94 supra note 70, DOLLAT, point 168
95 REDOR, Marie-Joëlle, La vocation de
l'Union européenne à protéger les droits fondamentaux, in
LECLERC, Stéphane, AKANDJI-KOMBE, Jean François et REDOR,
Marie-Joëlle, L'Union européenne et les droits
fondamentaux, CRDF Université de Caen, Bruyant, 1999, 235p, p.13,
p.23
96 ibid, p.24
97 ibid, p.25
98 ibid.
99 COHEN-JONATHAN, Gérard et FLAUSS,
Jean-François, De l'office de la Convention européenne des droits
de l'Homme dans la protection des droits fondamentaux dans l'Union
européenne : l'arrêt Matthews contre Royaume-Uni du 18
février 1999, Revue universelle des droits de l'Homme, 30
novembre 1999, n°7-9, p253-262, p.254
17
Mais quel sera l'avenir des principes généraux
du droit élaborés par la Cour de Luxembourg après la
consécration de la Charte ?
Certains auteurs, tel que Frédéric Sudre et
Jean-François Flauss, considèrent que les principes
généraux du droit de l'Union ont déjà
été abandonnés par la Cour de Luxembourg au profit de
nouveaux instruments de protection100. Dès 2002, l'on
indiquait que les « principes généraux du droit
communautaire serait la marque d'une époque aujourd'hui
dépassée »101.
Pourtant, le TUE, à son article 6§3, consacre
toujours ces principes comme faisant « partie du droit de l'Union
». La Charte n'a donc pas eu pour résultat de faire «
disparaître la nécessité de protéger les droits
fondamentaux par le jeu des principes généraux
»102. En effet, la jurisprudence de la Cour de Luxembourg,
tout comme celle de la Cour de Strasbourg relative à la Convention,
permettra de faire évoluer la Charte, et ainsi les droits fondamentaux,
en fonction de la société. La « cristallisation
»103 des droits fondamentaux dans la Charte sera ainsi
évitée.
En outre, l'approche de la cour de Luxembourg vis-à-vis
du droit de l'Union et des droits fondamentaux laisse prévoir que le
juge « ne renoncera pas à son rôle créateur en
matière de droits fondamentaux »104. Le juge pourra
ainsi reconnaître de nouveaux droits sur la base de l'évolution
des traditions constitutionnelles nationales et de l'interprétation
constructive de la Convention105. Les principes
généraux ont ainsi l'avantage d'être plus flexibles dans
leur création. Les droits sont ainsi plus rapidement consacrés
par le juge que par les Etats106.
« Compte tenu du fait que la Charte codifie, entre
autres, des droits qui résultent des traditions constitutionnelles
communes aux Etats membres ainsi que de la CEDH et que ces deux sources
inspirent encore les principes généraux du droit dont la Cour
assure le respect, on peut s'attendre à une interaction féconde
des différentes sources matérielles »107.
100 supra note 91, GERKRATH, p.34
Mais, « le juge communautaire pourrait se sentir
« lié » par un texte dévolu aux droits et
libertés et perdre une part de sa légitimité à
faire oeuvre prétorienne en la matière »108.
Dans ce cas, les droits fondamentaux auraient été figés
par la Charte. « L'espace subsistant pour une
101 DUBOUIS, Louis, Les principes généraux
du droit communautaire, un instrument périmé de protection des
droits fondamentaux ?, in « Les mutations contemporaines du droit
public - mélanges en l'honneur de Benoit Jeanneau », Dalloz, 2002,
p77, 720p, p.78
102 KAUFF-GAZIN, Fabienne, Les droits fondamentaux dans le
traité de Lisbonne : un bilan contrasté, Europe,
n°7, juillet 2008, dossier 5
103 ibid.
104 ibid.
105 JACQUE, Jean-Paul, Le Traité de Lisbonne - une vue
cavalière, Revue trimestrielle de droit européen,
2008,
p.439
106 op.cit. DUBOUIS, p.90
107 op.cit. GERKRATH, p.32
108 CORREARD, Valérie, Constitution européenne
et protection des droits fondamentaux : vers une complexité
annoncée ?, Revue trimestrielle de droits de l'Homme, 2006,
n°2, p501, p.506
18
protection juridictionnelle des droits fondamentaux sera
limité. Il ne sera pas inexistant pour autant. [...] La
protection des droits fondamentaux bénéficiera ainsi d'un
précieux filet de sécurité »109.
Pour autant, c'est la Charte qui est consacrée comme
base de protection des droits fondamentaux au sein de l'Union, les principes
généraux du droit n'étant qu'une « source
subsidiaire et complémentaire »110.
En outre, la Convention elle-même est reconnue par le
Traité et l'adhésion prochaine de l'Union à la Convention
permettra une application directe de cette dernière par le juge de la
Cour de Luxembourg, sans la nécessité de passer par la
création de principes généraux.
Par sa jurisprudence des principes généraux du
droit, la Cour de Luxembourg se contentait de suivre les préceptes
d'autres juridictions et d'appliquer les normes d'autres institutions ou de ses
Etats membres. Cette conception des droits fondamentaux conduisait l'Union
à être condamnée « à un suivisme permanent,
par rapport à [ses] mentors »111 ce qui ne pouvait
être suffisant pour une organisation ayant pour inspiration de se
développer sur la scène internationale et politique.
En outre, la Cour de Luxembourg ne pouvait dégager ces
principes généraux qu'en se basant sur des affaires qui lui
étaient soumises au préalable.
Enfin, bien que les principes généraux
permettent de s'adapter à la société et de revendiquer des
droits plus rapidement, ils ne vont pas forcément renforcer la
sécurité juridique des individus112.
Comme le précise la professeur Marie-Joëlle Redor,
la Cour de Luxembourg a développé les principes
généraux du droit dans le but de renforcer le droit de l'Union et
son applicabilité par les Etats membres, l'objectif de renforcement de
la protection des droits fondamentaux n'étant certainement que
secondaire113.
La jurisprudence de la Cour de Luxembourg a ainsi permis
d'instaurer au sein de l'Union une protection des droits de l'Homme
basée sur la création prétorienne des principes
généraux du droit de l'Union. Même si « l'Union
européenne ne constitue pas une organisation
109 supra note 91 GERKRATH, p.43
110 supra note 102, KAUFF-GAZIN
111 BLUMANN, Claude, Les compétences de l'Union
européenne en matière de droits de l'Homme, Revue des
affaires européennes, 1 janvier 2006, n°1, p.11-30, p.11
112 PICHERAL, Caroline, Droit institutionnel de l'Union
européenne, université droit, Ellipses, 2006, 336p, p.87
113 supra note 95, REDOR, p.21
19
internationale de défense des droits de l'homme en
tant que telle. La protection des droits de l'homme constitue une mission
essentielle, mais non exclusive, pour cette organisation
»114.
Mais la Cour de Luxembourg n'est pas la seule à se
demander la place de la Convention dans l'ordre juridique communautaire. En
effet, la Cour de Strasbourg s'interroge également de connaître
l'application de la Convention à l'Union.
Chapitre 2. L'application indirecte de la Convention aux
actes de l'Union par la Cour de Strasbourg
Bien que la Cour de Strasbourg ait cherché à
appliquer la Convention aux actes de l'Union, elle a toujours refusé de
considérer que l'Union était partie à la Convention
(Section 1) et a contrôlé le respect de cette dernière sur
les actes des Etats membres (Section 2).
Section 1. Le rejet par la Cour de Strasbourg de la
doctrine de la succession
La doctrine de la succession a été
développée dans un premier temps dans le cadre de la succession
territoriale mais « s'étend, par l'identité de motifs,
à une situation caractérisée par le fait que plusieurs
Etats fusionnent certaines de leurs compétences en vue de les exercer
désormais en commun »115.
Pierre Pescatore, ancien juge à la Cour de justice des
Communautés européennes, s'est posé alors
« la question de savoir si, en vertu de la doctrine
de succession d'États, la Communauté n'avait pas
été subrogée de plein droit dans les obligations des Etats
membres découlant de la Convention européenne des droits de
l'Homme,
116
dans toute la mesure des compétences
transférées à la Communauté ».
La question se posait d'autant plus que la Cour de Luxembourg
avait accepté une telle approche concernant l'Accord
général sur les tarifs douaniers et le commerce117.
« Ainsi, toutes les compétences concédées aux
Communautés européennes restent justiciables de la
Convention
114 LE BOT, Olivier, Charte de l'Union européenne et
Convention de sauvegarde de l'Homme : la coexistence de deux catalogues de
droits fondamentaux, Revue trimestrielle de droits de l'Homme,
n°55/2003, p.781-811, p.810
115 supra note 59, PESCATORE, p.881
116 ibid., p.731
117 CJCE, 12 décembre 1972, international fruit
cy., aff. jointes 21 à 24/72
20
européenne des droits de l'Homme dans les termes
mêmes qui leur étaient précédemment applicables
»118.
Durant un temps, la Commission elle-même avait soutenu
cette approche. Elle s'est cependant rattachée au point de vue du
Parlement européen concernant l'adhésion de l'Union à la
Convention dans son mémorandum du 4 avril 1979119.
L'Union a été fondée par des Etats ayant
des principes communs, et notamment le respect de la Convention, la France
ayant ratifiée la Convention en 1975 rappelons le. Le transfert de
compétences et de pouvoirs à l'Union n'a cependant pas eu pour
objet de « libérer ces pouvoirs, ni à l'égard
d'Etats tiers, ni à l'égard de leurs propres sujets, des
contraintes et contrôles résultant de la Convention
européenne des Droits de l'Homme »120.
Ainsi, « la Communauté européenne,
comme institution commune à plusieurs Etats parties à la
Convention, se situe nécessairement dans la même mouvance
politique et juridique. Elle est liée à l'observation de la
Convention au même titre que les Etats qui l'ont instituée
»121. La Cour de Luxembourg est alors une juridiction de
droit interne qui a obligation d'appliquer la Convention.
« Il s'agit là, en réalité,
d'une manifestation de l'effet de succession reconnu en droit international,
sauf que nous avons affaire ici à une succession ni territoriale, ni
générale, mais à une succession fonctionnelle et
limitée ; [...] ; à l'instar des Etats membres qui sont à
l'origine de ce transfert, elle doit exercer ses prérogatives dans le
respect des contraintes résultant de la Convention des Droits de
l'Homme, tout comme elle doit aussi respecter les valeurs inhérentes aux
traditions constitutionnelles communes aux Etats membres
»122.
« On adhère pas à ce qui est
déjà en vigueur »123, l'Union étant
liée directement à la Convention par les compétences qui
lui avaient été transférées.
En outre, le Traité de Maastricht lui-même a
permis aux Etats membres de reconnaître « sans le savoir cet
état de choses »124 en indiquant à son
article F.2 que « l'Union respecte les droits fondamentaux, tels
qu'ils sont garantis par la Convention », ce qui renvoie à la
Convention et à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
118 supra note 59. PESCATORE,, p.881
119 PESCATORE, Pierre, La Cour de justice des
Communautés européennes et la Convention européenne des
droits de l'homme, Protection des droits de l'homme : la dimension
européenne, Mélanges Gérard J. WIARDA, Heymanns
Verlag, Koln, 1988, p.441-455, in PESCATORE, Pierre, Etudes
de droit communautaire européen 1962-2007, avec une liste
bibliographique complémentaire, Grands écrits, collection
droit de l'Union européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant
2008, 1005p, p.731, p.744
120 ibid., p.742
121 ibid.
122 ibid., p.742-743
123 ibid., p.733
124 ibid., p.881
21
« La Cour de Strasbourg, par une
déférence mal placée ou par son ignorance des
règles du droit international en matière de succession d'Etats,
n'a pas tiré jusqu'ici la même conséquence
»125, certains auteurs indiquant que la Cour de Strasbourg
ne serait pas familière du droit international126. Pourtant,
dans l'arrêt Matthews, la Cour de Strasbourg indique que la
« Convention n'exclut pas le transfert de compétences à
des organisations internationales, pourvu que les droits garantis par la
Convention continuent d'être reconnus. Pareil transfert ne fait donc pas
disparaître la responsabilité des Etats membres
»127. En outre, la Cour de Strasbourg a déjà
appliqué les règles de droit international général,
notamment pour déterminer la règle de l'épuisement des
voies de recours internes128.
Mais la Cour de Strasbourg ne reconnaît pas
l'applicabilité directe de la Convention à l'Union. Sans cette
reconnaissance de compétence, la doctrine de succession ne peut
s'appliquer. En effet, c'est la Cour de Strasbourg « qui, à
l'égal de toute juridiction internationale, est souveraine dans la
détermination de sa propre compétence, ce que dit explicitement
l'article 32 de la Convention. C'est donc à Strasbourg que se trouve la
clé de la solution »129.
Ainsi, bien que la doctrine de la succession d'État
soit applicable à la relation de l'Union avec la Convention, «
personne ne veut explorer la piste »130, comme
l'affaire CFDT131 le démontre. Les lacunes de la
protection des droits de l'Homme, et d'un système de protection à
multiples niveaux, ont alors été mises à jour. En effet,
les trois juridictions qui ont été saisies ; nationale,
communautaire et européenne ; se déclarent incompétentes
pour connaître de cette affaire. « Le Conseil d'État
français n'y est pour rien, sa décision est irréprochable.
Quant à la Cour communautaire, elle n'aurait pu éviter
l'irrecevabilité qu'au prix d'une jurisprudence hardie, que d'aucun,
à coup sur, lui auraient reproché comme « gouvernement des
juges » »132. C'est donc l'appréciation que la
Commission des Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe qui est remise en
cause, celle-ci refusant de reconnaître l'effet de succession. Selon
Pescatore, la Cour de Strasbourg
« n'a pas aperçu cet effet de succession ; elle
a méconnu le fait que la Communauté est liée par la
Convention en tant qu'institution commune, créée par des Etats
parties
125 supra note 59, PESCATORE, p.882
126 FLAUSS, Jean-François, Le droit international
général dans la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'Homme, in COHEN-JONATHAN, Gérard et FLAUSS,
Jean-François, Droit international, droits de l'Homme et
juridictions internationales, collection droit et justice 55, Bruyant et
Nemesis, 2004, 152p, p.73, p.75
127 CEDH, 18 février 1999, Matthews c/ Royaume-Uni, req.
N°24833/94, Rec. 1999-I, §32
128 op.cit. FLAUSS, p.93
129 op.cit. PESCATORE, p.882
130 supra note 119, PESCATORE, p.731
131 CommissionEDH, n°8030/77, CFDT c. Communautés
européennes, décision du 10 juillet 1978, D.R. 13, p.231
132 op. cit. PESCATORE, p.741
22
à celle-ci ; elle a failli à son devoir de
protection en ignorant que le transfert de juridiction, des Etats parties
à un autre sujet de droit, n'a pas pu détériorer la
position des personnes protégées par la Convention
»133.
La question de l'adhésion de l'Union à la
Convention est alors « ce que l'on appelle, par une expression bien
française : un « faux problème »
»134 qui ne serait qu'un « exercice superflu
»135 et qui n'aboutirait « qu'à semer la
confusion »136.
En effet, bien que la Cour de Luxembourg n'ait pas
indiqué la base juridique de sa reconnaissance, il est évident,
comme sa jurisprudence le démontre, qu'elle considère que la
Convention s'applique à l'Union.
En outre, l'application de la Convention par l'Union aurait pu
être accentuée par le passé, sans passer par une
adhésion. Le Conseil aurait pu, comme l'indique M. Pescatore dès
1988, reconnaître « le droit de recours individuel, en vertu de
l'article 25, et la juridiction de la Cour des droits de l'Homme en vertu de
l'article 46 : il suffirait de vouloir »137.
Si la Convention pouvait être appliquée, de
droit, à l'Union, dans ce cas pourquoi se poser la question d'une
adhésion qui, comme nous allons le voir, posera de multiples
difficultés ?
En outre, l'Union démontre déjà son
intérêt pour la protection des droits de l'Homme, tant dans sa
politique interne qu'externe. « Il n'existe pas, dans la
Communauté européenne, de problème réel concernant
les droits de l'homme et, qu'en tout cas, les principes du système
permettraient d'y faire face, ce que la jurisprudence a amplement
démontré »138.
L'adhésion de l'Union à la Convention semble
n'être alors basée que sur un motif politique, permettant de
donner une image forte de protection des droits de l'Homme au sein de l'Union,
notamment par le fait que la légitimité de cette protection sera
assurée par un organe externe à l'Union qui a déjà
prouvé sa capacité à renforcer les droits de l'Homme sur
le continent européen. L'adhésion de l'Union permettra donc d'
« améliorer l'image de la Communauté et
[d'] imposer à ses organes, comme aux Etats
membres, le respect des libertés fondamentales comme critère des
démocraties européennes »139. A l'heure
où l'Union cherche à se doter d'une
133 supra note 119, PESCATORE, p.743
134 ibid
135 ibid, p.745
136 ibid.
137 ibid., p.746
138 PESCATORE, Pierre, Les droits de l'homme et
l'intégration européenne, Cahiers de droit européen,
Bruyant, 1968, p.629-673, in PESCATORE, Pierre, Etudes de droit
communautaire européen 1962-2007, avec une liste bibliographique
complémentaire, Grands écrits, collection droit de l'Union
européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant 2008, 1005p, p.127,
p.127
139 supra note 80, GAUTRON, p.48
23
force politique sur la scène internationale, cette
adhésion ne pourra que renforcer sa parole concernant la protection des
droits de l'Homme.
En effet, l'Union
« devrait pouvoir accepter que sa propre politique
des Droits de l'Homme fasse l'objet de critiques dans les organisations
multilatérales. L'absence de vérification systématique du
respect des droits de l'Homme au sein des Etats membres a mené à
une situation de « double standard » où l'UE promet une
politique plus rigoureuse à l'extérieur qu'à
l'intérieur de ses frontières »140.
Bien que des auteurs, et des juges de la Cour de Luxembourg,
soutiennent la théorie que l'Union, par les compétences qui lui
ont été dévolues, serait liée à la
Convention, Denys Simon rappelle que
« en termes de rapports de systèmes, comme
aurait dit Kelsen, il est clair que la Communauté européenne,
n'étant pas partie à la Convention européenne des droits
de l'homme, n'est pas tenue en vertu du droit international des traités
de se soumettre aux obligations inscrites dans la Convention et dans ses
protocoles »141.
L'Union doit donc adhérer à la Convention pour
que cette dernière lui soit appliquée en son entier et non au bon
désir des juges. Il ne faut pas oublier que
« lorsque certains parmi les Etats parties à
une convention multilatérale (telle la Convention) mettent sur pied
ultérieurement un système distinct de celui créé
par le premier accord, ils demeurent responsables, vis-à-vis des autres
Etats parties à la première convention, du respect des
obligations assumées en vertu de celle-ci
»142.
Nonobstant cette règle de droit international, «
la question de savoir si un traité ayant pour objet la protection
des droits fondamentaux prévaut de toute manière, en cas
d'incompatibilité, sur un traité postérieur conclu entre
certaines ou l'ensemble des mêmes parties contractantes
»143 s'était également posée.
La Cour de Strasbourg, depuis l'arrêt Tête
contre France144, a toujours insisté sur la chronologie
des traités signés par les Etats, indiquant qu' « on ne
saurait [...] admettre que, par le biais de transferts de
compétences, les Hautes Parties contractantes puissent soustraire, du
même coup, des matières normalement visées par la
Convention aux garanties qui y sont édictées ».
Pourtant, il est bien évident que si un État est lié par
deux traités et qu'une obligation
140 BERTONCINI Yves, CHOPIN Thierry, DULPHY Anne, KAHN Sylvain
et MANIGAND Christine, Dictionnaire critique de l'Union
européenne, Armand Colin, Paris, 2008, 489p, p.131
141 SIMON, Denys, Des influences réciproques entre CJCE
et CEDH : « Je t'aime, moi non plus » ?, Revue Pouvoirs,
2001/1, n°96, p31-49, p34
142 BULTRINI, Antonio, La responsabilité des Etats
membres de l'Union européenne pour les violations de la Convention
européenne des droits de l'Homme imputables au système
communautaire, Revue trimestrielle de droit de l'Homme, 2002, p5-43,
p11
143 ibid, p11
144 Commission EDH, 9 décembre 1987, Tête c/ France,
req. N°11123/84, DR 54, p.53
24
de l'un va à l'encontre de l'autre, l'État sera
dans l'obligation d'effectuer un choix. La responsabilité de
l'État pour violation d'un des deux traités sera alors
engagée145.
Cette situation est d'autant plus difficile à soutenir
que désormais la Cour de Strasbourg contrôle les actes des Etats
membres pris sur application du droit de l'Union.
Section 2. Le contrôle des actes de mise en oeuvre
du droit de l'Union par les Etats membres : l'adhésion forcée de
l'Union
La certitude sur cette question est que, malgré une
jurisprudence ouvrant la saisine de la Cour de Strasbourg au plus grand nombre,
une requête introduite à l'encontre de l'Union ne peut pas
être recevable devant la Cour de Strasbourg. En effet, l'Union
n'étant pas signataire de la Convention, la Cour de Strasbourg a
toujours refusé de se reconnaître une compétence
ratione personae en la matière146. Cette approche
est conforme à la lettre de la Convention qui dispose à son
article 19 que la Cour de Strasbourg est instituée pour faire respecter
la Convention aux Hautes Parties contractantes.
Pourtant dans le cadre de l'Union, la question était
également de savoir, alors même que des normes naissent de l'Union
et non plus des Etats, si ces derniers devaient rester responsables devant la
Convention de ces normes147. La question se pose d'autant plus dans
le cadre de l'Union car les normes sont désormais votées à
la majorité qualifiée. Dans ce cas, peut-on rendre un Etat
responsable d'un acte communautaire auquel il se serait peut-être
opposé ?148
Le droit de l'Union étant appliqué et
transféré au sein même des Etats membres, la Cour de
Strasbourg s'est reconnue compétente pour connaître de
l'application du droit de l'Union en droit interne. Sur ce point, les
requêtes introduites contre les Etats membres sont donc susceptibles
d'être examinées. Cette position est conforme aux règles de
droit international public sur les traités successifs149.
Conformément à ces règles, un Etat doit respecter les
obligations nées de la signature de différents traités. La
signature d'un traité ne le libère en aucun
145 supra note 142, BULTRINI, p11-12
146 Commission EDH, 10 juillet 1978, CFDT c/
Communautés européennes, DR 13, p.231
147 BENOIT-ROHMER, Florence, A propos de l'arrêt
Bosphorus Air Lines du 30 juin 2005 : l'adhésion contrainte de l'Union
à la Convention, Revue Trimestrielle de droits de l'Homme,
2005, n°64, 64/2005, p.827-853, p.832
148 ibid
149 article 30 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969
25
cas de ses obligations liées à un traité
antérieur, d'autant plus lorsque ce traité est relatif à
la protection des droits de l'Homme150.
Ainsi, dans la décision
Tête151, la Commission européenne des droits
de l'Homme indiquait que « on ne saurait [...] admettre que
par le biais de transferts de compétence, les Hautes Parties
contractantes puissent soustraire, du même coup, des matières
normalement visées par la Convention aux garanties qui y sont
édictées »152. Le système
conventionnel admet donc la responsabilité des Etats membres pour les
actes enduits par des organisations internationales auxquelles ils sont partis.
Cependant, dans le cas d'espèce, bien que la France possédait une
marge d'appréciation pour la transposition et qu'elle pouvait donc
être déclarée responsable, elle n'avait pas
été condamnée car il n'y avait pas eu violation de la
Convention.
De même, dans l'arrêt
Cantoni153, la Cour de Strasbourg a également
jugé que la France pouvait être responsable, même si la loi
en cause était une transposition mot pour mot d'une directive
communautaire, mais qu'il n'y avait pas de violation de la Convention dans le
cas d'espèce. Si la Cour de Strasbourg avait condamné la France,
elle aurait alors indirectement contrôlé un acte de l'Union.
La Cour de Strasbourg a semblé ainsi beaucoup plus
prudente sur la question du contrôle du droit de l'Union au vu de la
Convention.
Dans l'affaire M & Co.154, la Cour de
Strasbourg a reconnu en « s'appuyant notamment sur certaines
déclarations de principe des institutions communautaires et sur la
jurisprudence de la Cour de justice, [...] que le système communautaire
reconnaissait les droits fondamentaux et assurait aussi le contrôle de
leur respect »155.
La Cour de Strasbourg précise que la règle du
respect des engagements antérieurs s'applique également sur les
traités constitutifs et que ces derniers doivent respecter la
Convention. En outre, bien que les Etats aient transmis des compétences
à une organisation supranationale, ils restent responsables des actes
pris dans le cadre de ces compétences devant la Cour de Strasbourg.
150 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.831
151 Commission EDH, 9 décembre 1987, Tête c/
France, req. N°11123/84, DR 54
152 supra note 151, p. 52
153 CEDH, 15 novembre 1996, Cantoni c. France, req
n° 17862/91, Rec 1996, p. 1614
154 CEDH, 9 février 1990, M & Co., Req. no
13258/87, D.R. 64, p. 138
155 supra note 142, BULTRINI, p14
26
L'Etat a le droit de transmettre des compétences
à des organisations, mais il demeure responsable des violations de la
Convention engendrées par l'application de règle issue de cette
organisation. En effet, si l'Etat pouvait appliquer en droit interne des
dispositions contraires à la Convention sans risque d'être
condamné pour violation, il serait facile pour les Etats de contourner
leur obligation. De plus, ce sont les Etats qui choisissent de devenir partie
à une organisation et qui définissent les compétences de
cette dernière, il est donc logique qu'ils demeurent responsables devant
la Convention. Le but est d'éviter que
« une catégorie d'actes imputables à un
système mis sur pied par un groupe d'Etats parties à la
Convention et susceptible de toucher au respect des droits garantis par
celle-ci échappe au contrôle du mécanisme qu'elle a
justement instauré afin de garantir un respect uniforme de ses
dispositions. Situation peu satisfaisante à bien des égards,
surtout si l'on tient compte de la nature des droits en cause.
»156
Il est à noter que cette décision a
été vivement critiquée. En effet, il semblerait que dans
le cas d'espèce, la Cour de Strasbourg se soit inspirée de la
Cour constitutionnelle allemande et de son arrêt Solange.
Cependant, contrairement à la Cour constitutionnelle, la Cour de
Strasbourg ne met pas de limite à la confiance qu'elle accorde à
la capacité de l'Union de protéger les droits de l'Homme puisque
l'utilisation du terme « aussi longtemps » n'est pas
effectuée157. Il semblerait que dans le cadre de la
Communauté, et non de l'Union, la Cour de Strasbourg est mis en place
une présomption irréfragable de protection équivalente
alors même que
« les organes de la Convention ont [...J
été institués pour examiner des cas individuels d'atteinte
aux droits fondamentaux et non pas pour établir des équivalences
de protection théoriques et de principe. Tous les Etats ayant
ratifiés la Convention ont accepté l'obligation de respecter et
faire respecter les droits qui y sont énoncés, et leur pratique,
dans la plupart des cas, est normalement conforme à cet engagement. Cela
n'empêche pas que les organes de la Convention aient été
chargés de vérifier que tel est bien le cas
»158.
De plus, la Cour de Strasbourg se doit de contrôler le
respect de la Convention par les Etats membres et non de supposer que tel est
bien le cas. En effet, « si les organes de la Convention devaient se
fier uniquement aux engagements de principe des Etats parties et aux
conclusions des tribunaux internes dans des cas concrets, ils ne constateraient
pas souvent des violations de la Convention »159.
En outre, cette présomption de conformité des
actes aux droits de l'Homme n'a pas lieu envers les Etats alors même que
ces derniers ont également mis en place des procédures de
156 supra note 142, BULTRINI, p24
157 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.840
158 op.cit., BULTRINI, p16
159 ibid
27
protection des droits de l'Homme160. En outre,
quelle aurait été la position de la Cour de Strasbourg si l'Union
n'avait jamais pris en compte les droits de l'Homme dans son système ?
Les Etats dans cas seraient-ils restés tenus responsable des actes de
l'Union ?161 A moins que la Cour de Strasbourg n'ait accordé
cette équivalence de protection que dans le cas d'espèce,
c'est-à-dire dans le cadre du respect par l'Union d'une procédure
de protection des droits de l'Homme, conforme à l'article 6 de la
Convention, concernant le domaine de la concurrence, permettant aux Etats
d'appliquer directement un arrêt de la Cour de Luxembourg sans passer par
la procédure de l'exequatur162.
La Cour de Strasbourg s'est prononcée dans un premier
temps sur le seul droit primaire de l'Union avec l'affaire
Matthews163. Par cet arrêt, la Cour de Strasbourg
accepte de contrôler la conformité d'un acte communautaire avec la
Convention. « Par la même, elle s'érige en ultime
contrôleur du droit communautaire »164, place qui
était jusqu'alors occupée par la Cour de Luxembourg. En effet, la
Cour de Strasbourg rappelle ainsi son rôle de « Juge
Suprême des droits de l'homme pour l'ensemble de l'Europe
»165.
La Cour de Strasbourg ne s'oppose pas au contrôle du
droit primaire de l'Union car ce dernier est issu de l'accord entre Etats et
entre dans le champ classique du droit international des traités et non
dans celui du droit de l'Union, l'Union n'étant pas à la base de
la signature des traités mais le résultat166. En
outre, dans le cas d'espèce le vote de la norme communautaire avait
été effectué à l'unanimité.
En outre, par cet arrêt, la Cour de Strasbourg se
procure une compétence quasi illimitée mais « mine
simultanément l'uniformité et la spécificité de
l'ordre juridique communautaire »167.
La Cour de Strasbourg a donc affirmé sa
compétence ratione personae à l'égard des Etats
membres de l'Union lorsqu'ils appliquent le droit de l'Union,
conformément aux dispositions de l'article 1 de la Convention. Ainsi,
« on peut dire avant tout que les Etats sont
responsables par rapport aux actes normatifs dont ils ont la maîtrise
directe : les actes transposant en droit interne une réglementation
communautaire, indépendamment de la marge de manoeuvre que la
réglementation dont il s'agit laisse aux Etats (affaires Tête,
Procola et Cantoni), et
160 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.841
161 ibid
162 ibid
163 supra note 80, GAUTRON, p.5
164 ibid, p.4
165 supra note 99, COHEN-JONATHAN et FLAUSS, p.257
166 op.cit. GAUTRON, p.6
167 ibid.
28
ceux par lesquels l'Etat participe à
l'élaboration du droit communautaire primaire (affaire Matthews)
»168.
La Cour de Strasbourg a longtemps tardée à
prendre position concernant le statut du droit de l'Union dans les cas
où les Etats n'ont aucune marge de manoeuvre. « De mauvais
esprits pouvaient se demander si la Cour avait vraiment l'intention de statuer
sur cette question ou si elle s'efforcerait de laisser la situation dans
l'incertitude dans l'attente d'une éventuelle adhésion de l'Union
à la Convention »169.
En 2005, avec l'affaire Bosphorus170, la
Cour de Strasbourg rompt enfin le silence. L'affaire concernait la mise en
oeuvre, par un règlement communautaire d'une décision du Conseil
de sécurité de l'ONU. La Cour de Luxembourg, par un recours
préjudiciel, avait confirmé l'application du règlement au
cas d'espèce. Cette affaire a été considérée
comme « politiquement sensible »171, et bien que
la Cour de Strasbourg avait toujours rejeté pour irrecevabilité
les requêtes mettant en cause le droit de l'Union dérivé,
« la Cour s'est enfin décidée à préciser
les règles relatives au contrôle qu'elle exerce sur les mesures
nationales d'exécution du droit communautaire
»172.
Dans le cas d'espèce, l'Etat applique une norme
communautaire de droit dérivé, sans bénéficier
d'une marge d'appréciation. « La question est épineuse
car la violation alléguée aboutit à mettre en cause un
acte communautaire à travers une mesure d'application nationale et, en
conséquence, de façon indirecte la responsabilité de la
Communauté, alors que celle-ci n'est pas partie à la Convention
»173.
L'arrêt Bosphorus distingue les situations
où l'Etat membre dispose d'une marge d'appréciation pour mettre
en oeuvre le droit de l'Union et les situations où les Etats n'ont pas
un tel pouvoir. Mais il n'en demeure pas moins que la Cour de Strasbourg
effectue un contrôle indirect du droit de l'Union vis-à-vis de la
Convention. Ainsi,
« si l'acte national à l'origine de la
violation des droits de l'homme n'est qu'une transcription pure et simple du
droit communautaire ou plutôt, ne traduit aucune marge de manoeuvre de
l'Etat, celui-ci n'est pas jugé responsable au regard de la Convention
à condition que le droit communautaire offre une protection
équivalente des droits fondamentaux. En revanche, si l'Etat a fait usage
d'un pouvoir
168 supra note 142, BULTRINI, p24
169 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.827
170 CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm ve
Ticaret AS contre Irlande, req. n° 45036/98
171 op.cit. BENOIT-ROHMER, p.829
172 ibid
173 ibid
29
d'appréciation en mettant en oeuvre le droit
communautaire, il reste entièrement responsable de ses actes au regard
de la Convention »174.
Bien que la Cour se soit reconnue compétente, elle a
également considéré que l'Union possédait un niveau
de protection des droits de l'Homme équivalent à celui de la
Convention. En effet, la Cour de Strasbourg est « conduite à
évaluer à l'aune de la Convention EDH le système
communautaire de protection des droits fondamentaux, (...) [et]
considère que celui-ci protège ces droits d'une manière
équivalente au système européen de protection des droits
de l'homme »175, décernant ainsi un «
label général de conformité à la Convention
»176.
« Par protection « équivalente », la
Cour entend une protection « comparable » à celle
assurée par la Convention »177, c'est-à-dire
une garantie matérielle et procédurale des droits de
l'Homme178. L'Union ayant une jurisprudence, et désormais un
instrument, de protection des droits de l'Homme, la Cour de Strasbourg en a
déduit qu'elle protégeait de façon équivalente les
droits de l'Homme. La notion de « protection « équivalente
» permet à la Cour de ne pas se prononcer sur une vaste
catégorie d'actes communautaires et d'actes nationaux qui les
exécutent, tout en sauvegardant la possibilité [...] d'intervenir
dans des circonstances exceptionnelles de violation « manifeste »
»179.
Le recours à la notion de protection équivalente
permet de prendre en compte le fait que des Hautes Parties à la
Convention soient également Etats membres de l'Union. Cette doctrine
devrait donc naturellement disparaître en cas d'adhésion de
l'Union à la Convention. Cependant, l'on peut également envisager
l'option inverse qui viserait à appliquer cette doctrine de la
protection équivalente à toutes les Hautes Parties. Ceci
permettrait entre autre de désengorger la Cour de Strasbourg. Mais les
critiques de cette doctrine envers l'Union sont également applicables
aux Etats membres. En effet, le but de la Convention n'est pas de supposer
qu'un État respecte les droits de l'Homme mais de contrôler que
tel est bien le cas. L'on peut également envisager le maintien de la
situation actuelle où la protection équivalente ne s'applique
qu'envers les dispositions de l'Union. Pourtant l'équivalence de
protection a été conçue pour permettre une protection des
droits de l'Homme par rapport à des normes
174 KAUFF-GAZIN, Fabienne, L'arrêt Bosphorus de la CEDH :
quand le juge de Strasbourg décerne au système
communautaire un label de protection satisfaisante des droits
fondamentaux (CEDH, 30 juin 2005), Les Petites Affiches, 24 novembre
2005, n°234, p.9
175 ibid
176 ibid
177 CIAMPI, Annalisa, L'Union européenne et le respect
des droits de l'homme dans la mise en oeuvre des sanctions devant la Cour
européenne des droits de l'Homme, Revue générale de
droit international public, 2006, n°110-1, p85, p.93
178 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.844
179 op.cit. CIAMPI, p.107
30
communautaires. Si l'Union adhère, cette doctrine ne
devrait plus avoir d'effet car l'obstacle juridique serait levé et la
Cour de Strasbourg pourrait appliquer directement la Convention à
l'Union et contrôler son droit par rapport à la Convention. Une
dérogation de cette envergure pour l'Union ne serait pas profitable dans
un système qui se veut égalitaire pour tous ses membres. En
outre, l'Union désire avoir la même place que les autres Hautes
Parties. Dans ce cas, elle doit également avoir les mêmes
obligations et devoirs et ne pas se baser sur des présomptions qui
n'existent pas pour les Etats180.
Cette présomption d'équivalence ne pourrait
être levée que si une détérioration du
système de protection des droits de l'Homme au sein de l'Union avait
lieu181. « Il est [donc] difficile
d'imaginer des circonstances dans lesquelles la présomption de
compatibilité avec la Convention pourrait être renversée
»182. Mais cette possibilité permet cependant de
revenir en parti sur la présomption irréfragable que
l'arrêt M. & Co. avait mise en place. De plus, une
protection équivalente étant effectuée et l'Etat se
limitant, sans marge d'appréciation, à l'application de l'acte
communautaire, la Cour de Strasbourg en déduit une présomption de
conformité. « La Cour explique cette présomption de
conformité par l'exigence de ne pas paralyser le fonctionnement de
l'intégration européenne »183.
La Cour de Strasbourg prend ainsi en compte la
particularité de l'ordre juridique communautaire en évitant que
les Etats effectuent un contrôle de conventionalité sur les actes
de l'Union et ne les écartent d'une application interne. Ceci remettrait
en cause le fondement de l'Union184. « La
présomption permet à la Cour de reprendre l'exercice de son
contrôle dès qu'elle jugera dans une affaire donnée que la
protection accordée par le droit communautaire n'est pas satisfaisante
»185.
Mais
« pour apprécier si la présomption peut
ou non jouer, elle devra déterminer si l'Etat membre disposait ou non
d'une marge de liberté dans l'application de la norme communautaire.
Ceci la conduira à se pencher sur des notions telles que celle
d'applicabilité directe, portant ainsi atteinte au monopole de la Cour
de Luxembourg. Nul doute que la coopération entre les cours sera
appelée à se développer pour éviter des solutions
contradictoires »186
180 Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
Adhésion de l'Union européenne/Communauté
européenne à la Convention européenne des Droits de
l'Homme, doc.11533, 18 mars 2008, 38p, p.29
181 POTTEAU, Aymeric, A propos d'un pis-aller : la
responsabilité des Etats membres pour l'incompatibilité du droit
de l'Union avec la Convention européenne des droits de l'homme,
Revue trimestrielle de droit européen, 2009, p.697
182 supra note 177, CIAMPI, p.100
183 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.845
184 ibid, p.846
185 ibid
186 ibid, p.852-853
31
L'Etat est ainsi entièrement responsable devant la Cour
de Strasbourg quand il a mis en oeuvre le droit primaire de
l'Union187. Il n'en demeure pas moins que le caractère
particulier de l'Union doit être pris en compte. Mais ceci peut
être réalisé par le mécanisme de la marge nationale
d'appréciation, que l'on pourrait appliquer également à
l'Union. L'État est donc responsable également lorsqu'il met en
oeuvre, avec une marge de manoeuvre, le droit dérivé de
l'Union188. Si l'Etat ne possède pas de marge de manoeuvre,
sa responsabilité est alors limitée, la Cour de Strasbourg se
contentant de contrôler si la protection des droits de l'Homme au sein de
l'Union est équivalente à celle de la Convention189.
« Si c'est le cas, la Cour en déduit une présomption de
conventionalité des mesures nationales de pure exécution des
obligations mises à la charge des Etats parties par l'organisation
»190. Ainsi, l'arrêt Bosphorus ne laisse
subsister que « la question de la recevabilité des
requêtes formées à l'encontre d'actes communautaires de
droit dérivé qui ne font pas l'objet de mesures nationales
d'exécution notamment parce qu'ils ne produisent pas d'effets hors de
l'ordre interne des Communautés »191.
Aujourd'hui, l'on se trouve dans une situation paradoxale
où le particulier qui a attaqué un acte communautaire pour
annulation devant la Cour de Luxembourg ne peut pas, par la suite, saisir la
Cour de Strasbourg pour inconventionalité de la procédure de la
Cour de Luxembourg alors qu'un particulier qui est irrecevable à
demander l'annulation d'un acte devant la Cour de Luxembourg pourra saisir la
Cour de Strasbourg192. Le « critère de
l'intervention étatique apparaît donc exagérément
formaliste car, dans le domaine du contentieux communautaire de la
légalité, il conduit en réalité à moduler le
degré de protection apportée par la Convention en fonction de la
recevabilité du recours en annulation »193.
La Cour de Strasbourg semble donc, dans l'affaire
Bosphorus considérer « que l'accès direct pour le
moins limité à la juridiction communautaire constituait le point
faible du mécanisme communautaire de protection des droits fondamentaux
»194.
Mais cet arrêt est également un signe de
confiance envers le système de protection des droits de l'Homme de
l'Union. C'est également une incitation pour la Cour de Luxembourg
à ne pas diminuer son niveau de protection des droits
fondamentaux195.
187 hypothèse de l'arrêt Matthews
188 hypothèse de l'arrêt Bosphorus
189 hyptohèse de l'arrêt Bosphorus
190 supra note 181, POTTEAU
191 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.853
192 op.cit. POTTEAU
193 ibid.
194 ibid.
32
Cependant le contrôle que la Cour de Strasbourg exerce
désormais sur les actes étatiques exécutant le droit de
l'Union a conduit certains auteurs à se demander si
« la Cour n'a-t-elle pas voulu par cet arrêt
établir un régime transitoire dans l'attente de l'adhésion
tout en exerçant une pression discrète sur l'Union dans la mesure
où la solution retenue produit, certes d'une manière
nuancée, des conséquences similaires à l'adhésion
sans que l'Union puisse bénéficier des
196
avantages de celle-ci ? ».
En effet, l'Union « deviendrait responsable au
travers des Etats membres. Dans ce cas, l'adhésion de l'Union à
la Convention, sans être formelle, serait de facto
réalisée »197. La Cour de Strasbourg
avait tenté d'attendre une adhésion officielle de l'Union
à la Convention par son arrêt M & Co. Cependant,
après l'échec du Traité établissant une
Constitution pour l'Europe, la Cour de Strasbourg a été plus
exigeante dans son arrêt Bosphorus.
« L'inégalité de traitement entre les
Communautés et ses Etats membres en matière de
responsabilités du fait des conséquences dommageables d'actes
communautaires, ainsi que les risques croissants de divergences
jurisprudentielles entre la Cour EDH et la CJCE, sont à l'origine de
l'article 6-2 TUE modifié qui prévoit l'adhésion de
l'Union à la CEDH »198
Pourtant, « en étendant sa compétence
aux actes de droit primaire, la Cour suggère une responsabilité
collective des Etats membres »199. La
responsabilité collective des Etats membres pourrait être mise en
place,
« il suffit pour cela d'interpréter au sens
large l'obligation de garantir les droits de la Convention « à
toute personne relevant de leur juridiction » souscrite par les Parties en
vertu de l'article premier de la CEDH, c'est-à-dire sans la limiter
à l'exercice direct des pouvoirs de souveraineté dans le
territoire national, mais en englobant l'exercice de compétences
transférées à des organisations internationales ou
supranationales »200.
Antonio Bultrini, référendaire à la Cour
de Strasbourg, soutient que le fonctionnement de l'Union, notamment par la
place omniprésente des Etats lors de l'élaboration du droit de
l'Union et dans le fonctionnement de l'Union, ainsi que l'imbrication des Etats
membres et de l'Union conduit indubitablement à se demander pourquoi les
Etats ne pourraient pas être responsables collectivement devant la Cour
de Strasbourg des actions de l'Union201.
195 Cour européenne des droits de l'Homme, Conseil de
l'Europe, Dialogue entre juges - Cinquante ans de la Cour européenne
des droits de l'Homme vus par les autres Cours internationales,
Strasbourg, 2009, 93p, p.40
196 supra note 147, BENOIT-ROHMER, p.829
197 ibid., p.839
198 supra note 70, DOLLAT, point 1122
199 supra note 80, GAUTRON, p.6
200 KRUGER, Hans Christian et POLAKIEWICZ, Jorg, Proposition
pour la création d'un système cohérent de protection des
droits de l'Homme en Europe, Revue universelle des droits de l'Homme,
30 octobre 2001, n°1-4, p1-
14, p.5
201 supra note 142, BULTRINI, p32 à 35
33
En outre, la responsabilité collective des Etats
permettrait de simplifier l'exécution des arrêts de violation de
la Convention pris sur un acte communautaire. En effet, les Etats devraient
tous modifier les actes pris sur cet acte communautaire et par
conséquent l'État condamné ne sera pas contraint de violer
l'un des traités, la Convention ou le droit de l'Union.
L'arrêt Matthews de la Cour de Strasbourg
aborde
« l'éventualité d'une
responsabilité collective des Etats membres dans l'adoption d'un acte
communautaire de droit originaire. Cette idée de responsabilité
collective des Etats membres est à l'évidence de nature à
étendre le contrôle de la Cour européenne des droits de
l'homme dans le champ du droit communautaire, et de susciter de nouvelles
interférences avec le contrôle opéré par la Cour de
justice des Communautés européennes »202.
Il est cependant à noter que la Cour de Strasbourg a
soigneusement laissé la question de l'acceptation d'une requête
dirigée contre l'ensemble des Etats membres de l'Union au
débat203.
De même, qu'en est-il des actes communautaires qui ne
créent des effets qu'au sein de l'Union et non au sein des Etats ? La
Cour de Strasbourg n'a jamais répondu à cette question. En effet,
dans le cadre de l'affaire Christiane Dufay204, la
Commission avait considéré qu'elle ne pouvait examiner la
requête faute d'avoir épuisé les voies de recours
interne.
Durant longtemps, le paradoxe était que les Etats
membres étaient adhérents à la Convention et que la Cour
de Luxembourg se référait expressément à la
Convention pour protéger les droits de l'Homme au sein de l'Union mais,
la Convention ne pouvait examiner le droit de l'Union. La Cour de Strasbourg a
donc, par le biais des Etats membres, effectué un contrôle du
droit de l'Union. L'on se retrouve donc dans une situation inverse où
l'Union se voit appliquer un texte auquel elle n'a pas, encore,
adhéré, mais où elle ne peut se prévaloir de la
protection de ce dernier, notamment pour participer au jugement. En outre,
« Dans la situation actuelle, où les
systèmes juridiques des Etats membres de l'Union continuent d'être
soumis au contrôle du mécanisme conventionnel, on ne voit aucune
raison pour que le système institutionnel communautaire, et notamment
son appareil judiciaire, jouisse, lui, d'une telle exemption. D'autant moins
que le système juridictionnel communautaire, nonobstant ses remarquables
progrès, présente toujours des lacunes d'une certaine
gravité ; par exemple, l'accès de l'individu à la justice
reste fort limité et clairement en retrait par rapport à celui
offert à la fois par le mécanisme conventionnel et par les
mécanismes de protection judiciaire nationaux
»205.
202 supra note 141, SIMON, p40
203 CEDH, 4 juillet 2000, Société Guérin
automobiles c/ les quinze Etats de l'Union européenne, req.
N°5171/99
204 CommissionEDH, décision du 19 janvier 1989, Dufay c/
Communautés européennes, req. N°13539/88
205 supra note 142, BULTRINI, p26-27
34
Bien que l'Union ne soit pas soumise à un
contrôle externe de son action, elle a tenté par son droit interne
de protéger les droits de l'Homme en instaurant la Charte. Cette
instauration d'un instrument interne de protection ne remet cependant pas en
cause l'utilité de l'adhésion à un instrument externe de
contrôle, qui a déjà prouvé par le passé
qu'il était fiable.
35
Titre 2. L'entrée en vigueur de la Charte :
instrument communautaire de protection des droits de l'Homme
La Charte permet de prendre en considération les droits
de l'Homme au sein même de l'Union et d'appliquer leurs respect aux
institutions. Bien que l'instauration d'un tel outil représente une
action importante pour l'Union [Chapitre 1], de fortes limites sont
relevées [Chapitre 2] ce qui conforte l'idée de l'adhésion
à l'Union.
Chapitre 1. Instrument unique mais peu innovant quant
aux droits protégés
La Charte est une avancée dans la conception que
l'Union peut donner d'elle. Ainsi, elle passe d'une conception uniquement
économique à celle plus politique et d'organisme respectant les
droits fondamentaux [Section 1]. Cependant, des limites importantes peuvent
être relevées puisque la Charte ne permet pas une innovation
importante des droits de l'Homme [Section 2].
Section 1. La Charte : un pas décisif de l'Union
sur le chemin de la protection des droits de l'Homme
La Charte fait suite à une longue tradition occidentale
de déclarations des droits de l'Homme. Dès la fin des
années quatre-vingt, des recommandations au sein de l'Union sont
effectuées pour adopter une charte des droits206.
Mais pourquoi élaborer un nouveau texte alors
même que la Convention a démontré son effectivité et
sa capacité à protéger les droits de l'Homme au sein du
continent européen ?207 L'évolution de l'Union et sa
volonté de ne plus être uniquement une union économique
semble être une des explications. De plus, la Convention, bien
qu'appliquée à l'ensemble des Etats
206 Livre blanc de la Commission européenne de 1988, Doc.
PE 115.274/déf
207 BRAIBANT, Guy, De la Convention européenne des
droits de l'Homme à la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, in « Mélange en hommage au Doyen
Gérard COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance
», volume I et II, Bruyant, 2004, 1784p, p.327, p.327
36
membres, ne peut être opposée à l'Union,
et n'est appliquée que par la volonté de la Cour de
Luxembourg.
Ainsi, en 1999, le sommet européen de
Cologne208, suivi de celui de Tampere209, lance le projet
de l'élaboration d'une Charte des droits fondamentaux pour l'Union.
L'objectif de la rédaction d'un tel instrument est de permettre «
de rendre visible les droits des citoyens de l'Union
»210 et de rassurer les Cours constitutionnelles
nationales quant à la protection des droits de l'Homme au sein de
l'Union.
La Charte a été élaborée au sein
d'une « Convention » représentant l'Union et les Etats
membres, le pouvoir exécutif et législatif211. «
Pour la première fois, toutes ces institutions siégeaient sur
un pied d'égalité. Aucune hiérarchie n'était
établie, personne n'avait le droit de veto, il n'existait pas de
délégations « nationales »
»212. De plus, des consultations des autres institutions
communautaires et de la société civile ont été
organisées et les futurs membres de l'Union ont également pris
part aux débats. Ceci a permis de prendre en compte le point de vue de
tous les acteurs de la construction communautaire.
Il est à souligner que l'élaboration
entière de la Charte fut réalisée par consensus et
compromis, aucun vote n'ayant eu lieu, les différents articles ayant
fait l'objet de négociations permettant de prendre en compte les
différentes sensibilités des Etats membres.
Le 7 décembre 2000, à l'occasion du Conseil de
Nice, la Charte a été proclamée solennellement. Elle fut
par la suite intégrée au Traité établissant une
Constitution pour l'Europe, lui donnant valeur juridique. Cependant, la
ratification de ce traité ayant échoué, la Charte n'a vu
son applicabilité reconnue qu'avec l'entrée en vigueur du
Traité de Lisbonne.
Selon l'expression consacrée par Denys Simon, la Charte
a subit à l'occasion une « capitis diminutio
»213. La Charte ne se trouve plus à
l'intérieur du Traité, même si sa valeur juridique reste
inchangée. Cependant, le fait de devoir se référer
à un autre texte que le Traité nuit à la lisibilité
des droits reconnus au sein de la Charte. Cette transformation de la Charte
« en
208 3 et 4 juin 1999
209 15 et 16 octobre 1999
210 Direction d'ouvrage AVGERI Parthenia et MAGNILLAT
Marie-Pierre, Enjeux et rouages de l'Europe actuelle, Culture et
citoyenneté européennes, Sup'Foucher, édition
2009-2010, 2009, 383p, p192
211 Elle était ainsi composée des
représentants des chefs d'État et de gouvernement, des
représentants de la Commission, du Commissaire à la Justice et
aux Affaires étrangères, de 16 membres du Parlement
européen et de 30 membres des Parlements nationaux.
212 Ob.cit., AVGERI et MAGNILLAT, p.193
213 SIMON, Denys, Les droits fondamentaux dans le traité
de Lisbonne, Europe, n°2, février 2008, repère 2
37
droit primaire par ricochet »214
s'explique par la volonté d'effacer tout signe de constitutionnalisation
après l'échec du Traité établissant une
Constitution pour l'Europe en 2005.
De plus, bien que la Charte ait désormais valeur de
traité, elle « n'oblige pas les Etats membres à modifier
leurs constitutions respectives »215.
Cependant, bien que la Charte n'ait acquis force contraignante
qu'en 2009, elle s'est vue invoquée devant les juridictions
communautaires, conventionnelles et nationales, dès 2002.
Ainsi, les avocats généraux de la Cour de
Luxembourg ont multiplié les références à la Charte
lors de l'élaboration de leurs conclusions216. Pour sa part,
le Tribunal de Première Instance s'est référé
à la Charte dans un jugement du 3 mai 2002217. De plus,
après une longue période de refus, la Cour elle-même s'est
basée sur la Charte pour rendre son arrêt du 27 juin
2006218.
Montrant une fois de plus l'interaction entre les deux
systèmes juridiques, la Cour de Strasbourg s'est appuyée sur
l'article 9 de la Charte pour reconnaître le mariage des transsexuels
lors de son arrêt du 12 juillet 2002219.
Enfin, la Charte a également été
invoquée au sein des Etats membres. Ainsi, le Commissaire du
Gouvernement dans l'affaire Casanovas a évoqué la Charte
même si, en absence de force juridique, elle n'a pas été
appliquée par le juge220.
Tout comme la Convention, la Charte s'applique à un
territoire et non à des citoyens. Ainsi, la Charte protègent les
droits de toutes personnes se trouvant sur le territoire des Etats membres,
qu'elles soient présentes de façon régulière ou
irrégulière, et sans distinction de nationalité.
Cependant, une partie des droits relatifs à la
citoyenneté de l'Union ne sont opposables qu'aux citoyens des Etats
membres. Il en va ainsi du droit de vote aux élections du Parlement
européen. Mais, la reconnaissance d'un droit d'accès aux
documents administratifs221 est étendue à toute
personne, tout comme le droit à une bonne
administration222.
214 RIDEAU, Joël, La protection des droits
fondamentaux dans l'Union européenne - perspectives ouvertes par le
traité de Lisbonne, Revue des affaires européennes,
2007/2008, n°2, p185-207, p.195
215 supra note 210, AVGERI et MAGNILLAT, p.192
216 Conclusion de l'avocat général Tizzano du 8
février 2001 concernant l'affaire BECTU, aff. C-173/99, Rec. II-313
217 TPI, 3 mai 2002, Jégo-Quéré,
aff. T-177/01, Rec. p.II-2365
218 CJCE, 27 juin 2006, Parlement européen c/
Conseil, aff. C-540/03, Rec. p.I-5769
219 CEDH, 12 juillet 2002, Christine Goodwin c/
Royaume-Uni, Req. N°28957/95
220 CE, 28 févr. 2001, n° 229163 : Juris-Data
n° 2001-061830 ; Collectivités - Intercommunalité 2001,
comm. 134, note J. Moreau ; AJDA 2001, p. 971, note I. Legrand et L. Janicot
221 article 42 de la Charte
222 article 41 de la Charte
38
La Charte s'applique également aux organes et
institutions de l'Union, ce qui permet de prendre en compte les organes
indépendants qui sont de plus en plus nombreux au sein de l'Union.
Elle s'applique notamment aux Etats membres lorsqu'ils mettent
en oeuvre le droit de l'Union, conformément à une jurisprudence
de la Cour de Luxembourg223. Ceci implique tous les niveaux de
gouvernance des Etats membres.
Sur le fond, l'on distingue traditionnellement plusieurs
générations de droits de l'Homme. La première
génération correspond aux droits civils et politiques tandis que
la seconde génération regroupe les « droits sociaux,
culturels et économiques que les Etats doivent garantir
matériellement »224. Ces droits ont
été regroupés au sein de la Convention.
Cependant, de nouveaux droits, dit de troisième
génération, ont peu à peu vu le jour. Ils rassemblent des
droits fondés notamment sur la dignité de la personne humaine,
tel que le droit au développement, à la paix, à la
protection de l'environnement. Ces différents droits ont
été protégés au sein du Conseil de l'Europe, mais
par la signature de Conventions distinctes de la Convention.
De plus, chaque article de la Charte a fait l'objet d'une
explication au sein d'un document annexe, n'ayant cependant pas de valeur
juridique car élaboré par le proesidium. Ce document
permet de donner une interprétation aux différents droits
exposés et devra être pris en compte par la Cour de Luxembourg
lors de l'application de la Charte.
Formellement, la Charte se compose de sept titres. Les six
premiers titres constituent l'énumération et la définition
des différents droits protégés par la Charte ;
dignité, libertés, égalité, solidarité,
citoyenneté et justice. « Ce plan renouvelle l'approche des
Droits de l'Homme et constitue l'un des apports importants de la Charte
»225. Le dernier titre correspond aux «
dispositions générales régissant
l'interprétation et l'application de la Charte ».
La Charte est ainsi devenue « le premier instrument
international à donner corps au principe d'indivisibilité des
droits de l'homme et à rassembler dans un seul texte les droits civils
et politiques et les droits sociaux, qui se voient ainsi reconnaître la
même qualité de « valeurs communes » que les
premiers »226.
223 CJCE, 13 avr. 2000, Kjell Karlsson : aff. C-292/97,
Rec. CJCE 2000, I, p. 2737
224 supra note 210, AVGERI et MAGNILLAT, p188
225 ibid., p.195
226 SUDRE, Frédéric, Droit européen
et international des droits de l'Homme, collection droits fondamentaux,
PUF, 2008, 9ème édition revue et augmentée,
843p, p.156
39
Mais, bien que la Charte soit une avancée significative
pour l'Union, qu'en est-il de son apport aux droits des citoyens de l'Union
?
Section 2. Une Charte cependant peu innovante sur le
fond
L'apport de la Charte aux droits de l'Homme a
été plus ou moins bien accueilli et prête à
confusion.
En effet, certains auteurs considèrent que la Charte
n'est que le regroupement de textes déjà existants227,
qualifiant même la Charte de « plagiat de la Convention
européenne »228 et « qu'aucune de ses
dispositions ne constitue une création originale
»229.
En effet, « la Charte présente une nature
foncièrement résiduelle »230, reprenant des
droits garantis au sein d'autres instruments et étant ainsi liée
à l'interprétation qui en a été faite. La Charte
reprend également des droits qui se trouvent au sein même des
Traités de l'Union, tel que la liberté de circulation. «
Les doublons qui en résultent nuisent sans aucun doute à la
clarté des textes et des règles »231.
La Charte s'est également fortement inspirée de
la Convention. Cette dernière a une place toute particulière au
sein de l'Union depuis son invocation par la Cour de Luxembourg et
représente un modèle pour la protection des droits de l'Homme. En
outre, la Convention
227 LEBRETON, Gilles, Critique de la Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne, Recueil Dalloz, 2003,
p.2319 ; HAGUENAU-MOIZARD, Catherine, Les droits de l'Homme : une ou
plusieurs Europe ?, La Gazette du Palais, 19 juin 2008, n°171,
p.31 ; FALLON, Marc et SIMON, Anne-Claire, Le renouvellement des politiques de
l'Union européenne dans le traité de Lisbonne, Revue des
affaires européennes, 2007/2008, n°2, p243 Entre autres la
Charte regrouperait les droits reconnus au sein de la Convention relative
à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe
signée en 1979, de la Convention européenne du paysage
signée en 2000, de la Déclaration des Droits de l'Enfant des
Nations Unis signé en 1959, du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels
228 PESCATORE, Pierre, La Cour de justice des
Communautés européennes et la Convention européenne des
droits de l'homme, Protection des droits de l'homme : la dimension
européenne, Mélanges Gérard J. WIARDA, Heymanns
Verlag, Koln, 1988, p.441-455, in PESCATORE, Pierre, Etudes
de droit communautaire européen 1962-2007, avec une liste
bibliographique complémentaire, Grands écrits, collection
droit de l'Union européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant
2008, 1005p, p.731
229 PESCATORE, Pierre, La coopération entre la Cour
communautaire, les juridictions nationales et la Cour européenne des
droits de l'homme dans la protection des droits fondamentaux : enquête
sur un problème virtuel, Revue du marché commun de l'Union
européenne, n°466, mars 2003, p.151-159, in
PESCATORE, Pierre, Etudes de droit communautaire européen
1962-2007, avec une liste bibliographique complémentaire, Grands
écrits, collection droit de l'Union européenne dirigée par
Fabrice Picod, Bruyant 2008, 1005p, p.865, p.871, p.874
230 FALLON, Marc et SIMON, Anne-Claire, Le renouvellement des
politiques de l'Union européenne dans le traité de Lisbonne,
Revue des affaires européennes, 2007/2008, n°2,, p.248
231 ibid., p.249
40
représente un regroupement des différents droits
fondamentaux. La liste de ces droits n'étant pas « extensible
à l'infini »232, la Charte se devait de les
reprendre.
Cependant, cette limitation de l'apport de la Charte
s'explique par le fait que la « Convention » « n'avait pas
la légitimité démocratique pour aller plus loin
»233, conformément au mandat qui lui avait
été dévolu.
Mais pour certains auteurs, la Charte demeure une
réelle valeur ajoutée à la protection des droits
fondamentaux en Europe234 en permettant un élargissement du
« champ d'application de plusieurs droits déjà reconnus
par la CEDH »235, ce qui représente un apport en
soi.
La Charte a également permis de prendre acte des
évolutions techniques et de la société, comme la prise en
compte de la bioéthique ou de l'accès aux services
d'intérêt économique général.
La nouveauté principale de la Charte par rapport
à la Convention est l'insertion des droits sociaux au sein d'un
instrument de protection des droits de l'Homme pouvant être
appliqué par un juge. Ces droits étaient déjà
évoqués auparavant par le droit de l'Union, notamment par
l'adoption de directives. Ils sont ainsi « inscrits en qualité
de droits invocables ou de principes susceptibles d'entraîner une
législation communautaire ou nationale »236.
Cependant, ces droits sont fortement limités par les
« clauses horizontales » de l'article 51. « Sans doute, ces
clauses horizontales ne concernent-elles pas les seuls droits sociaux. Mais,
force est bien de constater qu'elles sont de nature à limiter la
portée des droits sociaux plus qu'elles ne limitent la portée des
autres garanties apportées par la Charte »237. Ceci
est d'autant plus visible que l'Union n'a pas de compétence
revendiquée en matière de droits sociaux.
232 HAGUENAU-MOIZARD, Catherine, Les droits de l'Homme : une
ou plusieurs Europe ?, La Gazette du Palais, 19 juin 2008, n°171,
p.31
233 CANDELA SORIANO, Mercedes, Les droits de l'Homme dans
les politiques de l'Union européenne, Larcier, 2006, 283p, p.52
234 Commission des Communautés européennes,
Communication de la Commission sur la Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne, COM(2000)559 final, Bruxelles, 13 septembre
2000, 10p ; BLUMANN, Claude, Citoyenneté européenne
et droits fondamentaux en droit de l'Union européenne : entre
concurrence et complémentarité, in « Mélange en
hommage au Doyen Gérard COHEN-JONATHAN - Libertés, justice,
tolérance », volume I et II, Bruyant, 2004, 1784p, p.265 ;
CORREARD, Valérie, Constitution européenne et protection des
droits fondamentaux : vers une complexité annoncée ?, Revue
trimestrielle de droits de l'Homme, 2006, n°2, p501 ; PECHEUL, Armel,
Le traité de Lisbonne - La Constitution malgré nous ?,
édition Cujas, 2008, 155p
235 DOLLAT Patrick, Droit européen et droit de
l'Union européenne, 2ème édition, 2007,
Sirey, édition Dalloz, 475p point 174
236 GAUTRON Jean-Claude, Droit européen, mementos
Dalloz, Dalloz, 13ème édition, 2009, 337p, p.50
237 PECHEUL, Armel, La Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, RFDA, 2001, p.688
41
Dans le cadre spécifique des droits de la
défense, la Charte s'est inspiré du célèbre article
6 de la Convention relatif au droit à un procès équitable
qui a fait l'objet d'une jurisprudence abondante. La Charte a retenu à
son article 47 §2 une application plus générale de la
notion. « Il n'y a là, a priori, aucune restriction
comparable à celle de la Convention européenne et tenant aux
notions de « contestations sur des droits et obligations de
caractère civil » ou bien encore sur la notion de «
bien-fondé de toute accusation en matière pénale
» »238.
La Charte reconnaît cependant des droits que les
traités ne permettent pas de respecter. Ainsi, le droit à
l'accès au juge, comme dans le cadre de la Convention, se trouve
limité par les traités de l'Union. La Charte et les
traités ayant la même valeur juridique, « c'est un
principe l'adage prior tempore potior jure qui s'applique. La Charte
bénéficierait ainsi d'une prévalence, mais qui se
révèlerait difficilement applicable compte tenu de la clause de
non-extension des compétences de l'article 51
»239.
Ainsi, « le droit de se marier et le droit de fonder
une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent
l'exercice » selon l'article 9 de la Charte. Cette édiction
permet de prendre toutes les formes de mariage reconnues par les Etats membres,
sans imposer une évolution en la matière. C'est une
avancée par rapport à l'article 12 de la Convention qui ne
protège que le droit au mariage hétérosexuel.
Concernant le droit à l'éducation, la Charte
prévoit à son article 14 la gratuité de l'enseignement
obligatoire. En outre, il indique que
« la liberté de créer des
établissements d'enseignement dans le respect des principes
démocratiques, ainsi que le droit des parents d'assurer
l'éducation et l'enseignement de leurs enfants conformément
à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques,
sont respectés selon les lois nationales qui en régissent
l'exercice ».
Cette formule est cependant moins protectrice que la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg dans ce domaine qui dispose que la
référence est la Convention et non les normes nationales de
chaque Etat240.
Concernant le droit des minorités indiqué
à l'article 21 de la Charte, mais également à l'article 2
TUE, il pourrait conduire la France à modifier sa position sur la
question, notamment par une révision de la Constitution. Il semblerait
que « le Conseil constitutionnel n'a pas anticipé
238 supra note 237, PECHEUL
239 BLUMANN, Claude, Les compétences de l'Union
européenne en matière de droits de l'Homme, Revue des
affaires européennes, 1 janvier 2006, n°1, p.11-30, p.26
240 CEDH, 7 décembre 1976, Kjeldsen, Bush Madsen et
Pedersen c/ Danemark, A n°23
42
ici la force du droit des minorités
»241. Pour le Conseil constitutionnel, le refus de la
France de reconnaître des groupes spécifiques serait une tradition
constitutionnelle particulière, telle que la laïcité. Cette
spécificité française devrait donc être
respectée, le droit de l'Union se rattachant uniquement au respect des
traditions constitutionnelles communes. Il est à douter que la Cour de
Luxembourg puisse avoir la même approche, notamment car son
interprétation se base sur les traditions communes des Etats
membres242. Il reste à considérer sous quel angle la
Cour de Luxembourg prendra en compte ces traditions communes, au plus petit
dénominateur commun ou de façon plus large. Dans le second cas,
la spécificité française dans ce domaine, tout comme dans
le domaine de la laïcité, risque d'être difficilement
retenue.
Tout comme la Convention, la Charte a prévu des
exceptions à l'application des droits protégés. Cependant,
pour tenter d'éclaircir la portée des droits, les restrictions
n'ont pas été inscrites au sein de chaque article.
La Charte a ainsi opté pour l'inscription d'une
restriction générale au sein de l'article 52. Cet article stipule
que des restrictions aux droits sont possibles mais uniquement si elles ont
été prévues par la loi, dans le respect des droits et si
« elles sont nécessaires et répondent effectivement
à des objectifs d'intérêt général reconnus
par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui
».
Cette réserve générale porte sur tous les
articles de la Charte. Pourtant, certains droits fondamentaux sont
considérés comme intangibles, tel que le droit à la vie ou
l'interdiction de la torture. Doit-on alors considérer que l'article 52
s'applique à ces articles ? Les explications du proesidium
rappellent que ces droits sont intangibles. Mais, « sur le plan
juridique, elles [ces explications] ont [donc] tout
au plus valeur d'aide à l'interprétation
»243. Cependant, l'article 52 §3 de la Charte
précise que l'interprétation des droits correspondant à la
Convention doit se faire à la lumière de cette dernière.
Les restrictions à ces droits devraient donc être exclues en
application de la vision conventionnelle244.
En outre, l'article 52 prévoit les règles
d'interprétation de la Charte. Mais comment interpréter les
termes de cet article ? En effet, le paragraphe 4 de cet article se
réfère à une interprétation en « harmonie
» avec les traditions constitutionnelles des Etats membres et le
241 PECHEUL, Armel, Le traité de Lisbonne - La
Constitution malgré nous ?, édition Cujas, 2008, 155p,
p.105
242 ibid., p.108
243 KRUGER, Hans Christian et POLAKIEWICZ, Jorg, Proposition
pour la création d'un système cohérent de protection des
droits de l'Homme en Europe, Revue universelle des droits de l'Homme,
30 octobre 2001, n°1-4, p1-14, p.8
244 CARLIER, Jean-Yves, La condition des personnes dans
l'Union européenne, Bruxelles, Larcier, précis de la
Faculté de droit de l'Université catholique de Louvain, 2007,
485p, point 137
43
paragraphe 6 renvoie aux législations et pratiques
nationales en indiquant qu'elles doivent être « pleinement
prises en compte ». Le juge de la Cour de Luxembourg aura la lourde
tache d'interpréter la Charte et ses différentes dispositions.
La Charte éloigne notamment la conception d'une
identité communautaire, qui est pourtant revendiquée dans le TUE.
Le fait que la Charte reprenne des éléments de la Convention, qui
n'a pas été rédigée au sein de l'Union, montre la
difficulté de voir en elle une conception d'une identité. En
outre, l'adhésion de l'Union à la Convention serait
également un coup d'arrêt à l'idée que la Charte
serait la base de l'identité communautaire puisque l'Union serait partie
à une autre norme de protection des droits fondamentaux,
extérieure à l'Union.
De plus, le fait que la Charte fasse référence
à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg pour l'interprétation
de certain de ses droits
« atténue sans contexte sa force novatrice. Du
coup, elle apparaît comme une simple consolidation de l'acquis
jurisprudentiel en matière de droits fondamentaux, ce que les juges
constitutionnels français (Cons.const., 19 nov.2004, n°004-505 DC)
et espagnols (DTC, 13 décembre.2004, n°1/2004) n'ont pas
manqué de relever »245.
Et pourtant, la Charte représente un symbole pour la
construction communautaire. C'est un changement d'optique de l'Union qui passe
d'une finalité économique à une finalité humaniste
en mettant ses citoyens au coeur de son action246.
Cependant, les limites à son application conduisent
à se demander si elle sera réellement un instrument fiable de
protection des droits de l'Homme.
245 ANDRIANTSIMBAZOVINA, Joël et al., Dictionnaire
des droits de l'Homme, Quadrige Dicos Poche, PUF, 1ère
édition, 2008, 1074p, p.133
246 ibid, p.130
44
Chapitre 2. Une Charte limitant fortement son impact
sur la protection des droits de l'Homme
L'Union a cherché à se doter d'un texte de
protection des droits de l'Homme permettant de prendre en compte les diverses
volontés des Etats membres et le caractère juridique des droits.
Cependant, la portée limitée de la Charte [Section 1] et
certaines dispositions de la Charte [Section 2] ternissent la
réalisation.
Section 1. Le respect des principes du droit de l'Union
limitant les effets de la Charte
Bien que la Charte ait acquis valeur juridique, l'application
directe de ses dispositions pourrait être remise en cause [§ 1], et
il est fortement précisé que la Charte ne permet en aucun cas
d'étendre le domaine de compétences de l'Union [§ 2].
§ 1. Un effet direct de la Charte plus ou moins
étendu
En droit de l'Union, une charte n'a pas de valeur juridique.
En l'espèce, la Charte est considérée comme un protocole
additionnel aux traités. Ainsi, conformément à l'article 6
§1 du TUE ;
« L'Union reconnaît les droits, les
libertés et les principes énoncés dans la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000,
telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg,
laquelle a la même valeur juridique que les traités
».
Les protocoles ont la même valeur juridique que les
traités. Cependant, leur but est lié à un désir des
institutions et des Etats membres de ne pas alourdir les traités,
permettant notamment de faire adopter les traités sous réserve
des exceptions. En effet, il est plus simple de modifier un protocole qu'un
traité. En droit de l'Union, et conformément à la
Convention de Vienne de 1969, il n'existe pas de réserve
d'interprétation ayant valeur juridique. Les protocoles permettent ainsi
de contourner cette règle en permettant des dérogations à
certains droits communautaires pour les Etats membres.
Mais quelle est la valeur exacte d'un traité en droit
de l'Union ? Les traités correspondent au droit primaire de l'Union. Un
acte de droit dérivé ne peut donc déroger au droit
primaire et la Cour est compétente, conformément à
l'article 263 TFUE, pour annuler les actes de l'Union qui
45
ne seraient pas conforme à ce droit. Cette interdiction
de déroger au droit primaire s'étend tant aux actes des
institutions de l'Union qu'à ces engagements internationaux «
conclu[s] par la Communauté ou par les Etats membres
»247, conformément à la jurisprudence de la
Cour de Luxembourg248. Les actes de l'Union devront donc respecter
les dispositions de la Charte, sous peine d'être annulés par la
Cour de Luxembourg.
Mais, bien que la Charte ait obtenue valeur juridique, elle
« ne se voit pas nécessairement reconnaître un effet
direct »249.
L'effet direct du droit de l'Union a été reconnu
par la Cour de Luxembourg en 1963250. Il « est
généralement défini comme la capacité du droit
communautaire à créer des droits et des obligations dans le
patrimoine juridique des particuliers et de permettre à ceux-ci de les
invoquer devant le juge en cas de violation supposée
»251.
Pour qu'une norme communautaire soit d'effet direct, elle doit
regrouper trois critères ; la clarté et la précision des
mesures, l'inconditionnalité des dispositions et être
immédiatement applicable. Cependant, cet effet direct est diversement
appliqué selon la norme de base.
Ainsi, toutes les dispositions des traités ne sont pas
d'effet direct à l'égard des Etats membres, et l'effet horizontal
entre particuliers n'est qu'exceptionnel. L'effet vertical, envers les Etats,
est limité aux dispositions instituant une obligation inconditionnelle
d'abstention, de faire ou une obligation devenue inconditionnelle après
une période transitoire. Concernant l'effet horizontal de la Charte,
« une influence pourrait également s'exercer
quant à l'invocabilité de ces droits dans les rapports entre
particuliers : l'importance fondamentale d'un droit, reflétée par
son insertion dans la charte, pourrait être jugée
déterminante afin de fonder son applicabilité horizontale dans
les relations entre personnes physiques ou morales
»252.
La Cour de Strasbourg considère que, par la combinaison
de l'article 13 et 1 de la Convention, les dispositions de la Convention sont
invocables en justice et d'effet direct « dès lors qu'elles
sont suffisamment claires et précises, ce qu'elles sont de plus en plus
du fait de
247 supra note 235, DOLLAT, point 605
248 TPI, 10 juillet 1990, Tetra Pak, aff T-51/89, Rec.
II-309
249 supra note 230, FALLON et SIMON, p.248
250 CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos c/
Administration douanière des Pays-Bas, aff. 26/62
251 op. cit. DOLLAT, point 677
252 DONY Marianne et BRIBOSIA Emmanuelle, Commentaire de
la Constitution de l'Union européenne, éditions de
l'université de Bruxelles, Institut d'études européennes,
2005, 451p, p.129
46
l'interprétation qu'en donne la Cour
»253. Cependant, « la primauté de la
Convention sur les normes législatives internes relève de chaque
État »254.
La Cour de Luxembourg pourrait considérer que la Charte
a un effet direct horizontal pour certaines de ses dispositions. En outre, le
préambule de la Charte se réfère à la personne et
à ses obligations envers autrui255. De plus, la Cour de
Luxembourg a déjà accepté d'appliquer le droit de l'Union
dans les relations entre particuliers, « même lorsque ces
règlementations étaient le fait de personnes morales
privées, considérant simplement que « les droits
fondamentaux...sont protégés dans l'ordre juridique communautaire
» (Bosman, 1995, point 79) »256.
La Cour de Luxembourg appliquera la Charte en contrôlant
le respect de cette dernière par les institutions de l'Union lors de
l'élaboration du droit de l'Union, et par les Etats membres au moment de
l'application du droit de l'Union. « Ainsi, la protection des droits
fondamentaux sera étendue aux actes de l'Union européenne, y
renforçant la protection des droits et libertés
»257.
En outre, la Charte est fortement limitée dans sa
portée puisque l'article 51§1 indique que
« les dispositions de la présente Charte
s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect
du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres
uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. En
conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en
promeuvent l'application, conformément à leurs compétences
respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union
telles qu'elles lui sont conférées dans les traités.
»
« En effet, la Charte ne doit pas créer de
dettes supplémentaires pour les Etats »258. Cette
disposition ne fait cependant que reprendre la jurisprudence de la Cour de
Luxembourg qui indiquait que « en ce qui concerne les Etats membres,
il résulte sans ambiguïté de la jurisprudence de la Cour que
l'obligation de respecter les droits fondamentaux définis dans le cadre
de l'Union ne s'impose aux Etats membres que lorsqu'ils agissent dans le cadre
du droit communautaire »259.
253 supra note 236, GAUTRON, p.41
254 ibid.
255 supra note 244, CARLIER, point 134
256 ibid.
257 BERTONCINI Yves, CHOPIN Thierry, DULPHY Anne, KAHN Sylvain
et MANIGAND Christine, Dictionnaire critique de l'Union
européenne, Armand Colin, Paris, 2008, 489p, p.128
258 supra note 210, AVGERI et MAGNILLAT p.196
259 CJCE, 13 juillet 1989, Wachauf, aff. 5/88, Rec.
2609
47
En outre, l'article 51 permet de rassurer les Etats qui
craignaient une extension des compétences de l'Union par l'entrée
en vigueur de la Charte260. Mais le fait que la Charte soit
applicable pour les Etats que dans les cas d'application du droit de l'Union
« exprime une conception minimaliste et restrictive du rôle des
droits fondamentaux dans l'ordre juridique interne, conception qui ne s'accorde
pas avec la répartition actuelle des compétences entre l'Union et
ses Etats membres et l'acquis de l'Union relatif aux droits fondamentaux
»261.
Mais cette disposition ne s'applique qu'à la Charte.
Ainsi, « il y aura ce paradoxe que le champ d'application des droits
de la Charte sera plus restreint que celui des droits fondamentaux
déjà garantis par le droit de l'Union, y compris le droit
jurisprudentiel de celle-ci. Il y aura ainsi deux catégories de droits
fondamentaux de portée différente »262.
§ 2. Une Charte n'étendant pas les
compétences de l'Union en matière de droits de l'Homme
Les compétences de l'Union demeurent des
compétences d'attribution et sont divisées en trois
catégories ; compétences exclusives, compétences
partagées et compétences d'appui.
Dès les années quatre-vingt dix, l'on indiquait
qu'une adhésion de l'Union à la Convention serait superflue,
l'Union respectant les droits de l'Homme. Pourtant, dans le domaine des droits
de l'Homme, aucune compétence générale attribuée
à la Communauté n'était prévue au sein des
Traités, bien que certains droits inhérents à la personne
soient reconnus. La rédaction de l'avis 2/94 relatif à
l'adhésion de l'Union à la Convention affirme cette vision de
l'absence de pouvoir des institutions dans ce domaine263. La Cour de
Luxembourg indiquait ainsi que « l'adhésion de la
Communauté à la Convention conduirait à un
véritable changement de nature de l'objet de la Communauté
européenne en intégrant les dispositions de la CEDH
»264.
L'article 352 TUE (ex-article 308 TCE) a durant longtemps
permis une extension des compétences de la Communauté et
formé la base juridique pour des actions de la Communauté
260 BADINTER, Robert, La Charte des droits fondamentaux
à la lumière des travaux de la Convention sur l'avenir de
l'Europe, in « Mélange en hommage au Doyen Gérard
COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance », volume I et
II, Bruyant, 2004, 1784p, p.143, p.149
261 KOUKOULIS-SPILIOTOPOULOS, Sophia, De Biarritz à
Nice : le projet de Charte des droits fondamentaux
est-il articulé avec le droit de l'Union ?, La Gazette
du Palais, 31 octobre 2000, n°305, p.18
262 ibid
263 REDOR, Marie-Joëlle, La vocation de l'Union
européenne à protéger les droits fondamentaux, in
LECLERC, Stéphane, AKANDJI-KOMBE, Jean François et REDOR,
Marie-Joëlle, L'Union européenne et les droits
fondamentaux, CRDF Université de Caen, Bruyant, 1999, 235p, p.13,,
p.22
264 DRAGO, Guillaume, La Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne : présentation générale,
enjeux
et perspectives, Les Petites Affiches, 13
décembre 2000, n°248, p.5
48
en matière de protection des droits de l'Homme.
L'action de l'Union serait donc possible si son but était de
réaliser un objectif de l'Union.
Rappelons que la référence expresse à la
protection des droits de l'Homme comme objectif n'a lieu que dans le cadre
d'une action extérieure de l'Union265, notamment par
l'insertion de clauses dites « droits de l'Homme » dans les accords
conclus par l'Union avec des Etats tiers. Dès 1995, l'on indiquait que
l'Union avait compétence en matière de promotion et de protection
des droits de l'Homme266. Dans son arrêt de
1996267, la Cour de Luxembourg a indiqué que la
Communauté « dispose de la compétence d'adopter des
mesures dans le domaine des droits de l'homme, mais celle-ci ne saurait
toutefois être considéré comme générale
»268 lorsque la Communauté exerce ses compétences dans
le domaine de la politique extérieure et de sécurité
commune.
De plus, l'article 83 TFUE prévoit que l'Union peut
intervenir en matière pénale, matière hautement
liée aux droits de l'Homme, pour définir des règles
minimales communes.
Ainsi, pour la Commission, la protection des droits
fondamentaux est un « objectif horizontal de la Communauté que
l'on retrouverait dans toutes les politiques »269. Il est
indéniable que « la protection des droits fondamentaux est au
coeur même de l'ordre juridique communautaire, depuis des
décennies : sans protection des droits fondamentaux, la primauté
du droit européen serait elle-même mise en péril
»270.
Le préambule du TUE se réfère à
l'attachement de l'Union pour les droits fondamentaux, l'article 2 TUE
précisant les fondements. « Cette disposition n'est pas
seulement déclaratoire ; elle revêt un caractère concret
»271 puisque les Etats doivent respecter certains
critères avant l'adhésion et peuvent être exclu en cas de
violation272.
265 article 3§5 TUE
266 RACHET, Jean-Michel, De la compétence de l'Union
européenne en matière de défense et de promotion des
Droits de l'Homme, Revue du Marché Commun et de l'Union
européenne, 1 avril 1995, n°387, p.256-260
267 CJCE, 3 décembre 1996, République
portugaise c/ Conseil, aff. C 268/94, Rec. 1996-12, p. 6177
268 BOSSE-PLATIERE Isabelle, L'article 3 du traité
UE : Recherche sur une exigence de cohérence de l'action
extérieure de l'Union européenne, thèse, collection
droit de l'Union européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant
2009, 859p, p.176
269 JACQUE, Jean-Paul, Droits fondamentaux et
compétences internes de la Communauté européenne, in
« Mélange en hommage au Doyen Gérard COHEN-JONATHAN -
Libertés, justice, tolérance », volume I et II, Bruyant,
2004, 1784p, p.1007, p.1013
270 BRUN, Alain, Les droits fondamentaux et le citoyen
européen, in Actes du colloque international organisé par le
Centre de Recherches Hannah Arendt les 16 et 17 mars 2006, Les droits
fondamentaux à l'épreuve de la mondialisation, édition
Cujas, institut catholique d'études supérieures, 2006, 166p,
p.45, p.51
271 PRIOLLAUD, François-Xavier et SIRITZKY, David,
Le traité de Lisbonne - texte et commentaire article par article des
nouveaux traités européens (TUE - TFUE), la documentation
française, 2008, 523p, p.33
272 article 7 TUE
49
L'utilisation de l'article 7 TUE est dissuasive.
Premièrement, les termes employés sont peu précis et il
serait complexe de mettre en pratique les notions de « gravité
», de « risque clair ». Le déclenchement de cette
procédure semblerait donc assez arbitraire de la part de la Commission.
En outre, « l'impact politique que pourrait avoir une telle
procédure, voire même son simple déclenchement
»273 a un effet dissuasif sur les Etats.
« Les droits fondamentaux doivent être un
terrain privilégié du principe de coopération loyale qui
est au coeur du système communautaire »274.
De plus, les objectifs de l'Union sont
énumérés à l'article 3 TUE qui indique à
plusieurs reprises des droits fondamentaux, tel que l'égalité
entre les hommes et les femmes.
Ainsi, « si le respect de ces droits est sans doute
une condition indispensable à la légalité de l'action
communautaire, il ne suffit pas à donner naissance à un titre de
compétence même implicite et l'article 308 (actuel 352 TUE)
ne peut être utilisé »275.
Pourtant,
« en se limitant à une définition de la
compétence qui est celle d'une seule compétence d'attribution, la
Cour s'interdit et interdit par là même aux institutions
communautaires de se saisir des droits fondamentaux en tant que
compétence communautaire sans une modification explicite des
traités qui, soit présenterait une liste de droits fondamentaux
protégés par l'ordre juridique communautaire, en une
déclaration solennelle, soit rattacherait cet ordre juridique à
un autre comprenant des droits fondamentaux, et il est logique de penser
d'abord à celui mis en oeuvre par la C.E.D.H.
»276.
L'évolution récente de l'Union montre que la
protection des droits fondamentaux est de plus en plus au centre des
préoccupations des Etats membres et de l'Union.
En effet, le Traité de Lisbonne a permis la mise en
place d'un outil de protection des droits de l'Homme et prévoit
expressément l'adhésion à la Convention.
Par ailleurs, les compétences de la Cour de Luxembourg,
et également de sa saisine par les particuliers, ont été
étendues à pratiquement tous les domaines d'action de l'Union.
L'Union a-t-elle aujourd'hui compétence dans le domaine des droits de
l'Homme ?
273 GORI, Gisella et KAUFF-GAZIN, Fabienne, L'arrêt
Matthews : Une protection globale des Droits de l'Homme par une vision
réductrice de l'ordre juridique communautaire ?, Revue Europe,
1 janvier 2000, n°1, p.4-8, p.62
274 BRUN, Alain et CRABIT, Emmanuel, Faire respecter les
droits fondamentaux à l'intérieur de l'Union européenne -
Pistes de réflexion sur le rôle de la Commission
européenne, Revue des affaires européennes, 1 janvier
2006, n°1, p.45-63, p.63
275 supra note 269, JACQUE, p.1014
276 supra note 264, DRAGO
50
Mais, « la question des droits de l'homme se
prête mal à la théorie des compétences. Car les
droits fondamentaux existent en soi, du moins selon la théorie
naturaliste qui irradie toute la philosophie des droits de l'homme depuis au
moins 1789 »277. En effet, « les droits de
l'homme ne constituent pas un domaine de compétences
»278.
La compétence est définie traditionnellement
comme « un pouvoir d'agir dans un domaine déterminé
»279 et de créer des normes. Cependant, certains
auteurs ont eu une vision beaucoup plus large des compétences de
l'Union, indiquant notamment que les droits fondamentaux
« devraient constituer non seulement une
compétence mais l'objet de la Communauté, ou autrement dit un
principe de répartition des compétences communautaires, à
caractère « transversal » (v. en ce sens D. Simon, Europe,
juin 1996, p. 3 ; R. Mehdi, Justices, no 6, 1997, p. 58), parce que « les
raisons d'être de la Communauté impliquent sa soumission aux
droits de l'homme » (P. Wachsmann, R.T.D.E., 1996, p. 481).
»280
Au sein du Traité de Lisbonne, les droits fondamentaux
sont « confirmés en tant que valeurs de l'Union, ils sont aussi
érigés en objectifs à part entière tant au niveau
interne à l'Union qu'externe, et justifient, à ce titre, la mise
en place d'une politique autonome menée en faveur de leur promotion
»281.
La Charte insiste également sur le fait que son
adoption n'étend pas les compétences de l'Union. En effet, le TUE
précise à l'article 6 § 1 alinéa 2 que « les
dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les
compétences de l'Union telles que définies dans les
traités ». La Déclaration sur la Charte précise
que
« la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, juridiquement contraignante, confirme les droits
fondamentaux garantis par la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils
résultent des traditions constitutionnelles communes aux États
membres.
La Charte n'étend pas le champ d'application du
droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union, ni ne
crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour
l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches
définies par les traités »282.
277 supra note 239, BLUMANN, p.12
278 IMBERT, Pierre-Henri, De l'adhésion de l'Union
européenne à la CEDH - symposium des Juges au Château de
Bourglinster - 16 septembre 2002, Droits fondamentaux, n°2,
janvier-décembre 2002, p11-19, p. 17
279 op.cit. BLUMANN, p.12
280 supra note 264, DRAGO
281 KAUFF-GAZIN, Fabienne, Les droits fondamentaux dans le
traité de Lisbonne : un bilan contrasté, Europe,
n°7, juillet 2008, dossier 5
282 Déclarations annexées à l'acte final
de la conférence intergouvernementale qui a adopté le
Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007, Partie A,
1).
51
Cette prescription semble difficilement applicable. La Charte
ayant force de traité, elle « ouvre des compétences
normatives à l'Union pour légiférer dans le champ des
principes »283. De plus, les principes reconnus dans la
Charte « sont aussi des compétences nouvelles de l'Union
européenne, y compris lorsque ces compétences ne sont que des
objectifs européens »284. En outre, «
lorsqu'on établit une telle Charte des droits fondamentaux, à
vocation particulièrement générale et englobante, on tend
par là même vers une compétence générale
donnée aux institutions communautaires »285.
Pourtant, la Charte précise, et même
répète, qu'elle n'étend pas les compétences de
l'Union et ne vise pas à mettre en place une compétence
générale en matière de droits de l'Homme286.
« En réalité, on peut même avancer que
l'incorporation de la Charte dans la Constitution [aujourd'hui le
Traité de Lisbonne] conduira à limiter, à tout le
moins encadrer, les compétences de l'Union, par un respect scrupuleux
des droits fondamentaux, sous le contrôle de la CJCE
»287.
Il n'en demeure pas moins que, même si une
compétence en matière de protection des droits fondamentaux n'est
pas inscrite directement dans les Traités, leur place au sein de l'ordre
juridique communautaire n'a cessé de s'étendre. Ils ont «
atteint un degré de sédimentation tel [...] que nier une
compétence normative parait complètement obsolète
»288 et qu'il faut admettre, comme le professeur Claude
Blumann, « que les droits de l'homme sont un « objet » de la
Communauté et de reconnaître à l'Union une
compétence générale en la matière
»289.
« Que ce soit négativement ou positivement, la
Communauté semble [donc] pouvoir légiférer dans le champ
des droits fondamentaux dès lors que son intervention constitue
l'accessoire d'une compétence qui lui appartient en propre
»290. Ainsi, comme le montre l'adoption de la Charte,
« rien n'interdit aux Etats membres d'adopter des normes de droit
primaire dans le champ des droits fondamentaux »291.
283 supra note 239, BLUMANN p.30
284 supra note 241, PECHEUL, p.104
285 supra note 264, DRAGO
286 supra note 260, BADINTER, p.153
287 ibid., p.149
288 op.cit., BLUMANN, p.30
289 SUDRE, Frédéric, L'Union européenne
et les droits de l'Homme. De quelques interrogations..., Revue des affaires
européennes, 1 janvier 2006, n°1, p.7-9, p.8
290 op.cit. BLUMANN, p.15
291 ibid, p.21
52
L'Union possèderait donc une compétence
générale dans le domaine des droits de l'Homme. Elle aurait ainsi
l'obligation d'assurer le respect des droits fondamentaux, conformément
aux Traités, par le biais du contrôle de la Cour de Luxembourg sur
les actes des institutions. Or, cette protection a longtemps été
absente des traités, ce qui était d'autant plus
préjudiciable à l'Union, et à ses citoyens, que les Etats
avaient transféré une partie de leurs compétences à
l'Union, organisation supranationale. Cette dernière ayant un impact
incontestable sur le droit interne des Etats membres, l'incertitude quant au
respect des droits de l'Homme par l'Union devait être levée.
L'on a pu ainsi reprocher à l'Union de mener une
politique en matière d'asile et d'immigration, mais également
dans le domaine des affaires extérieures, alors même que le
Parlement européen ne pouvait être que consulté dans ces
domaines et que la Cour de Luxembourg avait une compétence
limitée. L'extension progressive des pouvoirs du Parlement
européen et des compétences de la Cour de Luxembourg par le
Traité de Lisbonne devraient permettre de revenir sur cette limite.
En effet, « le souci de construire un espace de
sécurité très nettement affirmé dans le
traité d'Amsterdam, ajouté aux préoccupations
économiques libérales affirmées par les premiers
traités laisse donc quelque peu sceptique quant à la vocation de
l'Union européenne à protéger les droits fondamentaux
»292.
La Charte insiste sur le fait qu'elle n'étend pas les
compétences de l'Union. « Pourtant, si un jour la Charte devait
acquérir un caractère contraignant et être
interprétée par le juge comme source directe de droit
communautaire, les barrières que l'article 51 tente d'opposer à
toute extension des compétences de la Communauté pourraient se
révéler fragiles »293.
292 supra note 263, REDOR, p.30
293 DUTHEIL De La ROCHERE, Jacqueline, Fascicule 160 : Charte
des droits fondamentaux de l'Union européenne, JurisClasseur Europe
Traité, mis à jour 3 mars 2009, point 138
53
Section 2. Des limites tenant à certaines
dispositions de la Charte
Certaines dispositions de la Charte limitent fortement son
application et sa protection envers les citoyens de l'Union. Ainsi, certains
droits ne relèvent que des principes [§ 1] et une clause de «
opting-out » accordée au Royaume-Uni et à la Pologne devrait
exclure l'application de la Charte pour une partie du territoire de l'Union
[§ 2].
§ 1. La distinction entre droits et principes
Contrairement à la Convention qui revendique un droit
qui est justiciable par lui même, la Charte effectue une distinction
entre les droits, inconditionnels ou non, et les principes, conformément
à l'article 52 §5 de la Charte. Il est à noter que les
principes « concernent principalement le chapitre relatif à la
solidarité »294. Ainsi,
« les droits subjectifs supposent une action positive
de la part des institutions de l'Union et des Etats membres, ils sont
directement invocables en justice. En revanche, les principes qui n'ont pas
d'effet directs : ils doivent être observés au cours de l'adoption
des actes législatifs ou exécutifs nécessaires à la
mise en oeuvre des politiques de l'Union, leur évocation devant le juge
n'étant admise que pour l'interprétation et le contrôle de
la légalité de ces actes »295.
Rappelons que « les droits subjectifs sont
définis comme des prérogatives ou les « facultés
d'agir » que le droit objectif consacre et sauvegarde au profit des
sujets de droit »296. La majorité des Etats
européens297 « considèrent en effet les
droits fondamentaux comme des droits subjectifs et comme des normes de droit
objectif »298, capables de produire par eux-mêmes
« des droits au profit des particuliers ; ce sont donc des droits qui
sont directement applicables, dont toute personne peut invoquer la violation
même en l'absence de concrétisation législative
»299.
« La fonction première des droits fondamentaux
est de protéger la sphère privée des personne de la toute
puissance de l'État »300, et dans le cadre de la
Charte, des institutions de l'Union et des Etats membres lorsqu'ils appliquent
le droit de l'Union.
294 supra note 244, CARLIER, point 139
295 supra note 235, DOLLAT, point 173
296 Actes du colloque de Caen, 23 février 1996
publiés sous la direction de Constance GREWE, Questions sur le droit
européen, Presses Universitaires de Caen, Centre de recherche sur
les droits fondamentaux, 1996, 273p, p.163
297 ibid., p.164
298 ibid, p.163
299 ibid.
300 ibid., p.168
54
Les personnes physiques, et morales dans une moindre mesure,
sont titulaires des droits fondamentaux. Une distinction traditionnelle, qui
s'est estompée après la Seconde Guerre Mondiale, divisait les
droits fondamentaux des personnes physiques entre les droits de l'Homme et les
droits du citoyen. La Charte reprend cette division, bien que nombre de droits
du citoyen sont également applicables à tout individu.
Pour la Convention, l'édiction de l'article 1 a permis
d'appliquer directement ces dispositions. Mais quant est-il pour la Charte ? En
effet, à aucun moment la « Convention » n'a indiqué un
tel souhait de voir les dispositions de la Charte avoir la force de droits
subjectifs. Peut-on considérer que la Charte est invocable devant le
juge par les particuliers ? Pourtant, « la question de la
reconnaissance des droits subjectifs est théoriquement
indépendante de l'existence ou non d'un recours juridictionnel
»301, mais dans la pratique c'est lors du recours
juridictionnel que le particulier pourra faire valoir ses droits. « A
l'inverse, la reconnaissance de droits subjectifs serait illusoire si leurs
titulaires ne pouvaient les invoquer utilement »302.
Les droits fondamentaux sont également des normes
objectives qui « s'imposent à tous les pouvoirs publics. Ils
dominent l'ensemble de l'ordre juridique et valent pour toutes les branches du
droit, y compris du droit privé »303. «
Que les droits fondamentaux soient considérés comme des
normes de droit objectif n'a rien d'étonnant : les droits subjectifs
reposent sur des normes objectives »304.
Mais la Charte énonce essentiellement des principes,
qui ne permettent pas de
« obtenir d'un juge une prestation positive. Ils ne
constituent que des objectifs politiques. Au mieux, ils interdisent seulement
aux pouvoirs publics de prendre des mesures qui pourraient contrarier les
objectifs poursuivis par ces « principes ». En clair, les principes
ne sont justiciables que si le législateur ne les respecte pas dans le
cadre de son action »305.
Le particulier ne pourra donc se prévaloir de ces
principes que si le législateur national ou l'Union décide de les
mettre en oeuvre.
« Tout déprendra donc de la signification que
l'on accorde à cette notion de mise en oeuvre. Cette dernière
n'intervient-elle que dans les seuls cas où l'objet d'un acte est
explicitement de fixer les conditions d'application du principe ? Une telle
vision ne paraît-elle pas trop restrictive ? S'il est vrai qu'un
particulier ne peut invoquer un principe à l'encontre d'une mesure
individuelle le concernant, ce principe ne permet-il pas de demander au juge
d'apprécier la conformité d'une quelconque législation
dont l'effet serait de remettre en cause ledit principe ? » 306
301 supra note 296, acte du colloque de Caen 1996,
p.166
302 ibid.
303 ibid, p.179
304 ibid, p.181
305 supra note 237, PECHEUL
306 JACQUE, Jean-Paul, Le Traité de Lisbonne - une vue
cavalière, Revue trimestrielle de droit européen, 2008,
p.439
55
Si ces principes ne sont pas mis en oeuvre, le juge pourra
cependant avoir le pouvoir de censurer les mesures qui iraient à leur
encontre307.
Les nouveaux droits308 qui ont été
inscrits dans la Charte relèvent plus de principes et donc ne pourront
pas être invoqués directement en tant que tel devant le juge. Il
faudra donc effectuer dans un premier temps « une distinction claire
entre les droits et les principes contenus dans la Charte
»309, d'autant plus qu'il existe des articles mixtes.
Cependant, il est difficile de considérer que l'Union
soit fondée sur une communauté de valeurs alors même que la
Charte ne s'applique pas à tous les Etats membres. En effet, le
Royaume-Uni et la Pologne, ont obtenu un protocole excluant l'application de la
Charte à leur pays310. « Il faut souligner ici un
nouvel instrument de protection des droits, mais regretter les clauses
dérogatoires »311.
§ 2. Une clause de « opting-out » efficace
?
Le protocole n°30 exclu l'application de la Charte au
Royaume-Uni et à la Pologne. « C'est une clause dite
« opting-out » assez contestable sur le plan juridique
»312, la Charte étant censée avoir valeur de
traité.
Le Royaume-Uni a souhaité l'insertion de ce protocole
dans le but de protéger son modèle social et de «
rassurer la City londonienne »313.
« L'acharnement du Royaume-Uni à
l'égard des droits sociaux est particulièrement vif et se traduit
en amont par un noyautage du texte, en aval par un corsetage de son
interprétation et au total, par un abandon final et une totale
disgrâce »314. Dès l'élaboration de la
Charte, le Royaume-Uni avait en effet insisté pour que les droits
sociaux adoptés ne soient que de faible portée et que ces droits
soient clairement expliqués pour éviter toute dérive
jurisprudentielle. Ces
307 supra note 306 JACQUE
308 droit à l'environnement (article 37 de la Charte),
accès aux services d'intérêt général (article
36 de la Charte), protection des consommateurs (article 38 de la Charte)
etc.
309 CORREARD, Valérie, Constitution européenne
et protection des droits fondamentaux : vers une complexité
annoncée ?, Revue trimestrielle de droits de l'Homme, 2006,
n°2, p501, p.507
310 L'Union, une communauté de valeurs ?, Revue
Trimestrielle de droit européen, 2008, p.1
311 ANGEL Benjamin, CHALTIEL-TERRAL Florence, Quelle
Europe après le traité de Lisbonne ? Bruyant, LGDJ,
Montchrestien, Lextenso éditions, 2008, 195p, p.138
312 supra note 236, GAUTRON, p.50
313 ZILLER, Jacques, Les nouveaux traités
européens - Lisbonne et après, CLEFS Politique, Lextenso
Editions, Montchrestien, 2008, 159p, p.123
314 supra note 281, KAUFF-GAZIN
56
précautions auront été vaines puisque le
Royaume-Uni demandera, et obtiendra, un statut spécifique pour
l'application de la Charte.
Si le Royaume-Uni avait la volonté de limiter la
portée des droits sociaux en adoptant ce protocole, l'objectif pour la
Pologne est tout autre. En effet, la Pologne voulait s'assurer que «
la Charte ne porte atteinte en aucune manière au droit des Etats
membres de légiférer dans le domaine de la moralité
publique, du droit de la famille ainsi que de la protection de la
dignité humaine et du respect de l'intégrité humaine
physique et morale »315. La Pologne désirait ainsi
protéger sa conception de la famille. « A vrai dire, on voit
mal comment le protocole pouvait répondre aux préoccupations
polonaises puisque celles-ci portent sur des aspects du droit de la famille qui
sont déjà largement couvertes par la Convention européenne
des droits de l'homme à laquelle la Pologne est partie
»316.
Les déclarations de la Pologne et du Royaume-Uni
conduisent à ce que la Charte ne leurs soit pas appliquée.
« En réalité elle doit s'imposer aux
institutions européennes. « C'est plus symbolique qu'autre
chose », affirme un diplomate. Ce qui est loin d'être certain.
En effet, dès lors que la charte a une valeur juridique contraignante
pour les institutions, la Cour de justice devient officiellement
compétente pour en garantir l'application »317.
Ainsi, pour le Royaume-Uni et la Pologne, « ni la
Cour de justice ni une juridiction de l'un des ces Etats ne peut constater
l'incompatibilité d'une règle de l'un de ces Etats avec la
Charte, laquelle, par ailleurs, ne crée aucun « droit
justiciable » applicable à l'un de ces Etats
»318.
Les critiques sur ce protocole sont nombreuses. En effet,
« il suffit de lire le protocole (avec soin et sans rire) pour voir
qu'il n'a guère de sens »319. En effet,
l'applicabilité d'une telle immunité semble difficilement
envisageable.
La Charte sera cependant applicable à ces deux pays si
elle protège les mêmes droits que la législation nationale.
En outre, l'apport de ce protocole est d'autant plus incertain que les deux
Etats reconnaissent que la Charte ne fait que reprendre des droits
déjà reconnus et protégés. Bien que la Charte ne
puisse s'appliquer à ces deux Etats, la Convention et les principes
généraux du
315 déclaration n°61 au Traité de la
République de Pologne sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne
316 supra note 306, JACQUE
317 supra note 311, ANGEL et CHALTIEL-TERRAL, p.137
318 supra note 230, FALLON et SIMON, p.248
319 supra note 313, ZILLER,p.123
57
droit eux sont applicables. La référence aux
principes généraux affaiblit donc la portée du
protocole320. « Comment justifier un opting out sur une
partie de l'acquis alors que le même préambule confirme par
ailleurs le respect de cet acquis par le Royaume-Uni et la Pologne ?
»321. Les Etats sont donc déjà liés
à ces droits par d'autres instruments de protection des droits de
l'Homme que la Charte, tels la Convention ou les principes
généraux du droit. Le juge aura alors la délicate mission
de définir si oui ou non ces droits sont similaires.
« En ce qui concerne le contrôle
juridictionnel, le protocole prévoit certes que la Charte n'en
étend pas le champ de ce contrôle, mais elle ne le restreint pas
non plus. Il en résulte que le contrôle de la cour et des
juridictions nationales
322
continuera à s'exercer de la même manière
qu'auparavant ».
Premièrement, les juridictions des autres Etats
membres, qui appliquent la Charte, pourraient être «
amenées à connaître de l'application d'une disposition
émanant de l'un de ces Etats »323 et leurs
appliquer alors la Charte.
En outre, dans le cas de la transposition en droit interne des
directives, ces dernières devant respecter la Charte, l'on peut
être amené à en déduire « qu'il doit en
aller de même pour leur mise en oeuvre »324 et que
la Cour de Luxembourg appliquera alors la Charte à tous les Etats
membres si un contrôle devait avoir lieu.
De plus, ces Etats ayant obtenu des dérogations, «
leurs citoyens ne pourront pas bénéficier des mêmes
droits que ceux des autres Etats membres »325. Ceci va
à l'encontre même de l'égalité qui doit exister
entre tous les citoyens mais respecte le principe que les Etats membres
demeurent souverains et qu'ils peuvent refuser de participer à certains
domaines en négociant des dérogations lors des traités.
L'utilité de ce protocole a donc été
remise en cause. En effet, le protocole « n'empêche pas les
avocats de demander l'application des droits codifiés par la Charte,
étant donné qu'ils s'imposent de toute façon au
Royaume-Uni sur la base des dispositions ou décisions de jurisprudence
dont ils proviennent »326.
« tout au plus l'article 2 pourrait avoir pour effet
de rendre inopérante sur le territoire de la Pologne et celui du
Royaume-Uni une interprétation d'un droit consacré par la Charte
qui aurait sa source dans les traditions constitutionnelles
320 BROSSET, E. et al., Le Traité de Lisbonne -
Reconfiguration ou déconstitutionnalisation de l'Union européenne
?, Bruyant, 2009, 352p, p.153
321 ibid., p.156
322 supra note 306, JACQUE
323 supra note 230. FALLON et SIMON, p.248
324 supra note 311, ANGEL et CHALTIEL-TERRAL, p.138
325 supra note 210, AVGERI et MAGNILLAT p.239
326 supra note 313, ZILLER, p.124
58
communes aux Etats membres de l'Union, mais qui
n'existerait justement pas dans l'un de ces pays »327.
De plus, l'article 1§2 du protocole n°30 stipule que
« rien dans le titre IV de la Charte ne crée des droits
justiciables à la Pologne ou au Royaume-Uni, sauf dans la mesure
où la Pologne ou le Royaume-Uni a prévu de tels droits dans sa
législation nationale ». Cette disposition semble aller
à l'encontre de l'article 52§5 de la Charte328 qui
précise que
« les dispositions de la présente Charte qui
contiennent des principes peuvent être mises en oeuvre par des actes
législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et
organismes de l'Union, et par des actes des Etats membres lorsqu'ils mettent en
oeuvre le droit de l'Union, dans l'exercice de leurs compétences
respectives ».
Il est également à noter que le protocole ne
reprend pas la distinction entre les droits et les principes
énoncés dans la Charte. Il semblerait donc qu'aucune des
dispositions du titre IV de la Charte ne soient applicable. Pourtant, ces
droits peuvent être protégés par d'autres instruments,
« il est vraisemblable que le pouvoir de nuisance de
ce Protocole soit plus insidieux, rendant la saisine de la CJCE par voie
préjudicielle par les juridictions nationales britanniques et
polonaises, plus incertaine si celles-ci rencontrent un problème de
compatibilité au regard des droits sociaux fondamentaux d'une mesure
nationale de mise en oeuvre du droit communautaire
»329.
Ce refus du titre IV par la Pologne est d'autant plus
étrange qu'elle avait déclaré
« que, compte tenu de la tradition liée au
mouvement social « Solidarité » et de sa contribution
importante à la lutte en faveur des droits sociaux et du travail, elle
respecte intégralement les droits sociaux et du travail établis
par le droit de l'Union, et en particulier ceux qui sont
réaffirmés au titre IV de la Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne »330.
Bien que les déclarations n'aient pas de valeur
juridique, elle va à l'encontre de l'objectif du protocole. Le Titre IV
de la Charte serait-il alors applicable également à la Pologne,
ou au contraire, la Pologne soulignerait-elle que son droit national
protège suffisamment les droits sociaux ? Les juges auront de nouveau la
délicate mission d'interpréter ces intentions331.
« Il est évident que ce protocole risque de
créer une situation d'insécurité juridique
»332. Certains auteurs indiquent que le protocole
priverait la Commission de pouvoir saisir la Cour de Luxembourg pour manquement
de ces Etats aux dispositions de la Charte. En outre, les juges nationaux de
ces Etats ne pourraient saisir la Cour de Luxembourg d'une question
préjudicielle
327 supra note 313, ZILLER, p.124
328 supra note 281, KAUFF-GAZIN
329 ibid.
330 déclaration n°62 aux traités «
Déclaration de la République de Pologne relative au protocole sur
l'application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
à la Pologne et au Royaume-Uni »
331 op. cit. KAUFF-GAZIN
332 VAN DER JEUGHT, Stefaan, Le Traité de Lisbonne et
la Cour de justice de l'Union européenne, Journal de droit
européen, 1 décembre 2009, n°164, p.297-303, p.301
sur l'interprétation d'une disposition de la Charte,
cette dernière n'étant pas applicable dans les Etats, la
réponse de la Cour de Luxembourg ne pourrait avoir d'effet en droit
interne333.
Pourtant, des auteurs indiquent également que ce
protocole n'a aucune portée juridique, les Etats étant
liés à la protection des droits fondamentaux et à la
Charte par l'article 6§3 TUE.
« Ainsi, sur un sujet aussi essentiel que la
protection des droits fondamentaux, le traité de Lisbonne consacre une
Europe à géométrie variable, où l'étendue de
la protection des droits n'est pas partout identique
»334.
La volonté de l'Union de créer
véritablement espace de liberté, de sécurité et de
justice serait rendue plus vraisemblable par l'adhésion de l'Union
à la Convention qui permettrait de combler les lacunes communautaires de
protection des droits de l'Homme, notamment vis-à-vis de la
procédure juridictionnelle. « Dans une optique de clarté
et de sécurité juridique, l'adhésion de l'UE à la
CEDH complèterait logiquement et utilement les dispositions contenues
dans la Charte »335. En outre, le fait que la Cour de
Strasbourg voit se multiplier les plaintes contre le droit de l'Union montre
qu'il y a une véritable attente des citoyens.
Il faut assurer la sécurité juridique au sein du
continent européen. « L'Europe doit se doter d'une juridiction
homogène en matière de droits de l'homme
»336. L'adhésion de l'Union à la Convention
semble alors être le meilleur moyen d'y parvenir.
59
333 supra note 332 VAN DER JEUGHT
334 supra note 257, BERTONCINI et al, p.128
335 supra note 243, KRUGER et POLAKIEWICZ, p.4
336 ibid., p.6
60
Partie 2. L'adhésion de l'Union à la
Convention : la solution à une protection efficace des droits de l'Homme
des citoyens de l'Union ?
L'adhésion de l'Union à la Convention permettra
une soumission des actes de l'Union à un contrôle externe.
Cependant, cette adhésion n'est pas sans poser des difficultés
sur l'aménagement de la Convention [Titre 1] et ne résoudra qu'en
partie les interférences entre les deux ordres normatifs, conventionnels
et communautaires [Titre 2].
Titre 1. La conclusion de l'accord d'adhésion :
la difficulté de prendre en compte les particularités relatives
à l'Union
La Convention devra être adaptée pour permettre
l'adhésion d'une organisation sui generis et non d'un Etat
[Chapitre 1]. L'accord d'adhésion qui sera conclu devra notamment
stipuler les modalités de la prise en compte de l'Union dans le
système conventionnel [Chapitre 2].
Chapitre 1. Une révision nécessaire de la
Convention
L'adhésion de l'Union à la Convention ne se fera
pas automatiquement et les Etats membres, tant de la Convention que de l'Union,
devront au préalable donner leur accord [Section 1]. Mais cet accord
devra également modifier certains termes ne pouvant s'adapter à
l'adhésion d'une organisation sui generis [Section 2].
61
Section 1. La signature de l'accord d'adhésion
par tous les Etats concernés
Conformément à la Convention de Vienne de 1969,
l'adhésion s'entend comme le consentement d'un État a être
lié par un traité337. Selon la définition
donnée par le Conseil de l'Europe, « l'adhésion est le
moyen habituel par lequel un État qui n'a pas participé à
la négociation d'un traité et ne l'a pas signé peut
ultérieurement consentir à être lié par ses
dispositions »338.
L'adhésion de l'Union à la Convention a
été prévue au sein du protocole n°14339 de
2004, qui est entré en vigueur le 1er juin 2010. L'article 59
§2 de la Convention ne précise pas les modalités de
l'adhésion, laissant libre le choix de l'instrument, entre un protocole
d'amendement ou un traité d'adhésion. Quel que soit le choix qui
sera effectué, une procédure de ratification des modifications
nécessaires devra de nouveau être réalisée. Bien que
ces modifications n'affectent pas les obligations des Etats parties mais ne
visent qu'à permettre une application de la Convention à l'Union,
organisation sui generis, des obstacles à cette nouvelle
ratification pourraient surgir et ralentir le processus d'adhésion.
L'Union ayant également obtenu la personnalité
juridique et l'article 6 §2 TUE prévoyant expressément que
l'Union adhère à la Convention, cette adhésion peut
définitivement être scellée.
Le Comité directeur pour les droits de l'Homme propose
d'effectuer un amendement global à la Convention par la voie d'un
protocole, pour prendre en compte les différentes modifications
nécessaires à l'adhésion de l'Union. Cependant, dans le
domaine de la participation de l'Union au budget de la Cour de Strasbourg, le
Comité propose un accord séparé qui ne lierait que l'Union
et le Conseil de l'Europe340.
Mais ce protocole devra être signé par tous les
Etats parties à la Convention avant de ne pouvoir entrer en vigueur.
L'on a constaté, avec le protocole n°14, que la signature d'un
protocole peut prendre plusieurs années et être bloquée par
un État partie.
337 Article 2 §1 b) de la Convention de Vienne de 1969
338 Site Internet du Conseil de l'Europe
339 Protocole n°14 (STE 194), entré en vigueur le 1
juin 2010
340 Conseil de l'Europe, Strasbourg, 28 juin 2002,
DG-II(2002)006 [CDDH(2002)010 Addendum 2], Etude des questions juridiques
et techniques d'une éventuelle adhésion des CE/de l'UE à
la Convention européenne des droits de l'Homme, Rapport
adopté par le Comité directeur pour les Droits de l'Homme, p.4
62
« En théorie »341, une
« clause d'acceptation tacite » pourrait être envisagée
dans le cas d'espèce pour permettre une adhésion plus rapide de
l'Union. Cette clause permet une entrée en vigueur automatique,
après un certain délai, si aucune Haute Partie ne pose
d'objection. Mais cette pratique de l'acceptation tacite d'une réforme
s'utilise traditionnellement pour des domaines techniques. Ainsi, elle a
été utilisée en 1998 concernant la
télévision transfrontière. Elle a cependant
créé des problèmes au niveau national342.
L'adhésion de l'Union à la Convention est loin de ne poser des
interrogations qu'au sein de l'Union. En effet, la Russie, qui a tardé
à signer le protocole n°14, émettait des réserves
quant à la possibilité pour l'Union d'adhérer, notamment
dû au fait qu'un juge, de la nationalité d'un des Etats membres,
devrait être élu. « L'entrée en vigueur d'un tel
instrument sans le consentement exprès de toutes les Parties à
être liées serait sans précédent, et par
conséquent insusceptible d'être considérée comme
adéquate ou acceptable par les Hautes Parties Contractantes à la
Convention »343.
Mais, à la conclusion d'un protocole d'amendement
pourrait être substituée la conclusion d'un traité
d'adhésion entre l'Union et tous les Etats parties à la
Convention. Cette démarche suivrait celle de l'Union lors de
l'adhésion d'un nouvel État. Le traité pourrait
également contenir les amendements à la Convention
nécessaires à son bon fonctionnement après
l'adhésion de l'Union, ce qui permettrait de n'effectuer qu'une seule
démarche pour réaliser l'adhésion, au lieu de
l'élaboration du protocole d'amendement suivi d'un accord
d'adhésion.
Un protocole d'amendement devra être pris pour que la
Convention puisse être appliquée à l'Union. Ce dernier
s'appliquera après la signature de toutes les Hautes Parties. Nous
pouvons supposer que la signature des vingt-sept Etats membres sera acquise.
Mais qu'en est-il des Etats tiers à l'Union ? En effet, le protocole
n°14 de la Convention n'a été ratifié que
tardivement, la Russie ayant eu quelques réticences.
Le traité de Lisbonne prévoit
expressément l'adhésion de l'Union à la Convention. «
Cette obligation de résultat atteste de l'importance que les Etats
membres de l'UE accordent à l'adhésion. Toutefois, cette
considération peut être tempérée par l'analyse des
modalités
341 supra note 340, DG-II(2002)006, p.5
342 ibid, p.13
343 ibid, p.5
63
procédurales et des conditions posées
à l'adhésion, qui la rendent complexe »344.
Ainsi, des obstacles à l'adhésion demeurent.
Conformément à l'article 216 §1 TFUE ;
« L'Union peut conclure un accord avec un ou
plusieurs pays tiers ou organisations internationales lorsque les
traités le prévoient ou lorsque la conclusion d'un accord, soit
est nécessaire pour réaliser, dans le cadre des politiques de
l'Union, l'un des objectifs visés par les traités, soit est
prévue dans un acte juridique contraignant de l'Union, soit encore est
susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la
portée. »
C'est le choix du traité d'adhésion qui a
été effectué, au détriment d'un protocole
d'amendement à la Convention. Cette procédure a plusieurs
avantages,
« l'Union sera liée directement par toutes les
dispositions du traité d'adhésion ; elle repose sur une seule
procédure alors que la ratification ou l'approbation initiale d'un
protocole d'amendement suppose ensuite l'adhésion de l'Union ; un
traité d'adhésion permettra de présenter plus clairement
les dispositions inhérentes à l'adhésion de l'Union
»345.
En effet, la lettre même du traité de Lisbonne
rend cette adhésion soumise à une procédure difficile,
même si classique, de tout accord international.
Contrairement au Traité établissant une
Constitution pour l'Europe, la procédure de ratification de l'accord
d'adhésion à la Convention a été durci, suivant les
dispositions de l'article 218 §8 al 2 TUE correspondant à la
procédure ordinaire de ratification qui est cependant plus
périlleuse.
La procédure simplifiée aurait permis de ne pas
passer par la ratification de tous les Etats membres. L'on peut
s'étonner que ce choix n'ait pas été retenu puisque
l'adhésion de l'Union à la Convention est un renforcement des
droits de l'Homme au sein de l'Union et que la Charte et la jurisprudence de la
Cour de Luxembourg reconnaissent déjà ces droits. « Mais
il s'agit de réformes plus techniques que politiques
»346 et une ratification par chacun des Etats est
préférable.
L'article 218 TUE dispose spécifiquement que le
Parlement européen doit donner son approbation à la conclusion
d'un accord d'adhésion à la Convention347. Il est
à noter que « dès
344 KAUFF-GAZIN, Fabienne, Les droits fondamentaux dans le
traité de Lisbonne : un bilan contrasté, Europe,
n°7, juillet 2008, dossier 5
345 DOLLAT Patrick, Droit européen et droit de
l'Union européenne, 2ème édition, 2007,
Sirey, édition Dalloz, 475p, point 1125
346 ibid., point 613
347 article 218 §6 a) ii) TFUE
64
l'origine [début des années 90]
cette perspective a bénéficié du soutien du Parlement
européen et de la Commission mais elle suscitait l'opposition du Conseil
de l'Union »348.
De plus, le Conseil devra se prononcer à
l'unanimité349. « S'agit-il d'un verrou
procédural réel ? »350. Comme lors de chaque
accord, il est certain que des Etats chercheront à disposer de
dérogations ou à faire valoir leur point de vue. Rappelons que la
Charte, qui avait été pourtant acceptée par tous les Etats
membres en 2000, a fait l'objet d'un nouveau protocole après
l'échec du Traité établissant une Constitution pour
l'Union. Il n'est donc pas exclu que, malgré la ratification du
Traité de Lisbonne, des Etats fassent part de réticences. «
Toutefois, cette situation reste théoriquement improbable,
l'unanimité ne change a priori pas grand-chose puisque les
Etats membres de l'Union seront appelés de toute façon à
approuver cet accord en aval, conformément à leurs règles
constitutionnelles respectives comme le prévoit l'article 218§8
alinéa 2 du TFUE »351. Ce point de vue est
partagé par le professeur Florence Benoit-Rohmer352.
En effet, il est précisé que « la
décision portant conclusion de cet accord entre en vigueur après
son approbation par les Etats membres, conformément à leurs
règles constitutionnelles respectives »353. Ce
point risque donc d'être le plus délicat. Les ratifications
antérieures ont montré les difficultés pour les Etats de
signer des accords qui avaient déjà l'appui communautaire. La
signature des deux derniers traités le démontre. Le Traité
établissant une Constitution pour l'Europe a dû être
abandonné après le rejet des populations françaises et
néerlandaises en 2005. Le traité de Lisbonne est également
entré difficilement en vigueur après le refus irlandais et n'a pu
aboutir qu'après un second référendum. Bien que
l'adhésion de l'Union à la Convention semble beaucoup moins
problématique qu'un traité modificatif des compétences de
l'Union, un échec peut être envisageable. En effet, l'accord devra
passer par des procédures diverses, conformément aux droits
nationaux. Il devra ainsi obtenir la faveur des citoyens irlandais par un
référendum, mais majoritairement, ce sera aux Parlements
nationaux de voter.
L'on peut noter cependant que les Etats semblent prêts
à une adhésion puisque le traité de Lisbonne est
entré en vigueur. Pourtant des réticences avaient eu lieu, et
sont toujours présentes.
348 supra note 345., DOLLAT, point 1123
349 article 218 §8 TFUE
350 supra note 344, KAUFF-GAZIN
351 supra note 344, KAUFF-GAZIN
352 Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
Adhésion de l'Union européenne/Communauté
européenne à la Convention européenne des Droits de
l'Homme, doc.11533, 18 mars 2008, 38p, p.21
353 article 218 §8 TFUE
65
Ainsi, « certains Etats membres de l'Union font la
sourde oreille aux appels réitérés, y compris au sein de
l'Union, en faveur d'une adhésion rapide de la Communauté, voire
de l'Union elle-même, à la Convention »354.
« On sait très bien que certains Etats membres sont fermement
opposés à cette possibilité »355 et
la mise en place de cette procédure « leur ouvre un droit de
veto »356. Ces nouvelles modalités pour la
signature de l'accord d'adhésion ont conduit à remettre en cause
la volonté des Etats membres de soumettre l'Union à un
contrôle externe.
« Si, pour une fois, le traité accorde tant
d'importance aux Etats c'est tout simplement - tout en faisant semblant de
respecter les apparences - pour retarder le moment où le système
juridique de l'Union devra subir le contrôle d'un système
juridique extérieur : celui du droit européen des droits
357
de l'homme ».
En outre, la Cour de Luxembourg pourra toujours être
saisie pour avis par « un État membre, le Parlement
européen, le Conseil ou la Commission »358. «
De plus, si l'avis de la Cour n'était pas sollicité, celle-ci
aurait encore le pouvoir d'annuler la décision de conclusion de l'accord
»359.
Le contrôle de l'accord par la Cour de Luxembourg «
tend à éviter les inconvénients d'une contradiction
entre l'accord et le traité constitutif par un examen préalable
»360. Cependant, l'adhésion de l'Union à la
Convention étant prévue par le Traité, il est difficile
d'imaginer un refus de la Cour de Luxembourg.
Notons que dans le cadre de l'avis 2/94, la Cour de Luxembourg
avait examinée la compatibilité de l'accord avec les
traités communautaires, notamment par rapport aux compétences de
l'Union, avant même l'ouverture des négociations car l'objet et
les effets institutionnels de cet accord d'adhésion de l'Union à
la Convention étaient connus361. La Cour de Luxembourg avait
alors relevé une inadéquation de l'adhésion de l'Union
avec la Convention par rapport à la lettre des traités.
354 BULTRINI, Antonio, La responsabilité des Etats
membres de l'Union européenne pour les violations de la Convention
européenne des droits de l'Homme imputables au système
communautaire, Revue trimestrielle de droit de l'Homme, 2002, p5-43,
p6
355 ibid, p6-7
356 GAUTRON Jean-Claude, Droit européen, mementos
Dalloz, Dalloz, 13ème édition, 2009, 337p, p.51
357 PECHEUL, Armel, Le traité de Lisbonne - La
Constitution malgré nous ?, édition Cujas, 2008, 155p,
p.113-114
358 article 218 §11 TFUE
359 supra note 345, DOLLAT, point 606.
Référence à l'arrêt de la CJCE du 9 août 1994,
France c/ Commission, aff. C-327/91
360 RIDEAU, Joël, Droit institutionnel de l'Union
européenne et des Communautés européennes, LGDJ,
5ème édition, 2006, 1281p, p.736
361 NEFRAMI, Elestheria, Fascicule 192 : Accords
internationaux, JurisClasseur Europe Traité, mise à jour
29 mars 2007, point 127
66
En cas de saisine de la Cour de Luxembourg dans notre cas
d'espèce, la Cour ne pourrait se retrancher, comme en 1996,
derrière l'incompétence de l'Union pour signer un tel accord.
Premièrement, l'Union a aujourd'hui la personnalité juridique.
Deuxièmement, le fait que l'adhésion de l'Union soit
prévue au sein même du Traité démontre la
volonté des Etats membres de faire adhérer l'Union à la
Convention. Cependant, il est à souligner que la Cour de Luxembourg,
lors de son contrôle, s'attache à préserver l'autonomie de
l'ordre juridique communautaire362. Les questions sur ce point
pourraient poser des difficultés. En cas d'avis négatif de la
Cour de Luxembourg, la procédure normale est une révision des
Traités. Mais si le refus est lié à l'autonomie juridique
communautaire, la modification des Traités risque de n'être qu'une
procédure vaine puisque les Traités ont déjà pris
des précautions en vue de protéger ce point. Cependant, l'accord
lui même peut être modifié, conformément à
l'article 218 §11 TFUE.
Bien entendu, une fois signés, « les accords
internationaux conclus [...] avec des Etats tiers ou des organisations
internationales, constituent une source à part entière du droit
communautaire »363. La Convention aura alors une place
supérieure au droit dérivé communautaire. La Convention
sera donc au dessus des normes nationales car appartenant au droit de
l'Union364. Pour sa part, la Charte fait partie du droit primaire de
l'Union. Mais lorsque l'Union sera partie à la Convention, la Cour de
Luxembourg, conformément à l'article 1 de la Convention, devra
appliquer la Convention et se conformer à la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg365. Ainsi, l'article 216 §2 TFUE rappelle que «
les accords conclus par l'Union lient les institutions de l'Union et les
Etats membres ». Conformément à la jurisprudence de la
Cour de Luxembourg dans son arrêt Haegeman 366,
« la responsabilité de la Communauté [aujourd'hui
de l'Union] peut être engagée pour violation de leurs
dispositions »367.
L'arrêt Haegeman de la Cour de Luxembourg a
notamment précisé que « les dispositions de l'accord
forment partie intégrante, à partir de l'entrée en vigueur
de celui-ci, de l'ordre juridique communautaire ». De plus, «
les accords internationaux ne bénéficient pas d'une
présomption d'effet direct, ce principe étant intimement
lié au caractère propre du système
362 supra note 361, NEFRAMI, point 130
363 supra note 345, DOLLAT, point 623
364 GERKRATH, Jorg, Les principes généraux du
droit ont-ils encore un avenir en tant qu'instruments de protection des droits
fondamentaux dans l'Union européenne ?, Revue des affaires
européennes, 1 janvier 2006, n°1, p.31-43, p.41
365 ibid., p.42
366 CJCE, 30 avril 1974, Haegeman, aff. 131/73, Rec.
459
367 op.cit., DOLLAT, point 623
67
juridique communautaire »368.
Cependant, la Cour de Luxembourg « accepte (également) de
reconnaître l'effet direct des dispositions d'un accord international, si
les dispositions visées sont reprises dans un acte communautaire
produisant, par nature, un tel effet »369. La Charte
reprenant les droits énoncés dans la Convention, l'on peut
envisager que la Cour de Luxembourg donnera un effet direct aux dispositions de
l'accord d'adhésion à la Convention.
« Néanmoins, l'accord ne sera opposable aux
justiciables qu'à partir de la date de sa publication au Journal
officiel de l'Union, l'obligation de publication étant définie
par le règlement intérieur du Conseil du 31 mai 1999, et non
directement par les traités »370.
Il est à noter que bien que des accords conclus
antérieurement par les Etats membres ont pu être rattachés
par la suite au droit de l'Union par le juge de la Cour de Luxembourg, il
« a toujours refusé la thèse de la succession de la
Communauté à la convention européenne des droits de
l'homme »371.
Mais la Convention n'est plus composée que d'un seul
texte. Ainsi, le Parlement européen recommande que l'Union adhère
aux protocoles additionnels de la Convention lorsque ces derniers portent sur
des droits « qui correspondent à la Charte des droits
fondamentaux (n°1, 4, 6, 7, 12 et 13), et ceci indépendamment de
leur ratification par les Etats membres de l'Union
»372.
« L'adhésion de l'Union à la CEDH
constitue un premier pas essentiel qui devrait ensuite être
complété par l'adhésion de l'Union à, entre autres,
la Charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre
1961 et révisée à Strasbourg le 3 mai 1996, en
cohérence avec les acquis déjà consacrés dans la
Charte des droits fondamentaux ainsi que dans la législation sociale de
l'Union »373.
Sur ce point, l'avis de la Commission des libertés
civiles, de la justice et des affaires intérieures, tout comme celui de
la Commission des affaires étrangères, diffère puisqu'il
indique que seuls les protocoles ratifiés par tous les Etats membres
doivent également être ratifiés par
368 supra note 345, DOLLAT, point 693
369 ibid., point 694
370 ibid. ,point 624
371 ibid., point 627
372 Parlement européen, Document de séance
sur les aspects institutionnels de l'adhésion de l'Union
européenne à la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 6 mai 2010,
A70144/2010, 2009/2241(INI), 21p, p.5
373 ibid., p.10
68
l'Union. Il invite cependant les Etats membres à signer
tous les protocoles reconnaissant des droits inscrits dans la
Charte374.
En effet, la ratification de la Convention par l'Union ne doit
pas être un moyen détourné, par le biais de l'application
directe du droit de l'Union, pour intégrer dans le droit interne des
Etats membres des dispositions de la Convention qu'ils n'ont pas
ratifiées375.
Cependant, ces protocoles et autres restrictions ne concernent
que le droit interne des Etats membres. L'adhésion de l'Union à
la Convention « ne produirait d'effet juridique que dans la mesure
où le droit de l'Union est concerné »376.
Aucune barrière normative ne limite aujourd'hui
l'adhésion de l'Union à la Convention. Tant le droit primaire de
l'Union que la Convention permettent une telle adhésion. Cependant, le
traité de Lisbonne et le protocole n°14 ne résolvent pas
tous les problèmes dûs à l'adhésion d'une
entité telle que l'Union à la Convention qui fut
élaborée pour être appliquée à des Etats
souverains et non à une institution sui generis.
Dans ce cadre, la difficulté est de trouver les
modalités pour prendre en compte l'Union au sein de la Cour de
Strasbourg et du Comité des Ministres.
Section 2. La nécessaire prise en compte des
spécificités communautaires par le système
conventionnel
L'adhésion de l'Union à la Convention engendrera
des difficultés quant à l'interprétation de certains
termes aux vues de la spécificité de l'Union [§1].
L'adhésion permettra également un contrôle du droit de
l'Union par la Cour de Strasbourg, à laquelle l'Union devrait participer
[§2]. Le contrôle du respect de la Convention passant
également par celui de l'exécution des arrêts de la Cour de
Strasbourg, l'Union devrait pouvoir participer au Comité des Ministres
[§3].
374 supra note 372, A7-0144/2010, document du Parlement
européen, p.14
375 CHALTIEL, Florence, Le traité de Lisbonne : les
droits fondamentaux, Les Petites Affiches, 10 avril 2008, n°73,
p.10
376 BADINTER, Robert, La Charte des droits fondamentaux
à la lumière des travaux de la Convention sur l'avenir de
l'Europe, in « Mélange en hommage au Doyen Gérard
COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance », volume I et
II, Bruyant, 2004, 1784p, p.143, p.154
69
§1. L'inadaptation de certains notions à
l'Union
Le protocole n°8 au Traité dispose que des
modalités pour l'adhésion de l'Union à la Convention
doivent être prises, notamment dans le but « de préserver
les caractéristiques spécifiques de l'Union et du droit de
l'Union »377.
Le Comité directeur pour les droits de l'Homme a
relevé en 2002378 trois grands types de dispositions à
prendre dans le cadre d'une adhésion de l'Union à la Convention.
En premier lieu, des amendements à la Convention devront être
pris. En second lieu, les termes de la Convention spécifiques aux Etats
devront faire l'objet d'une interprétation pour une application à
l'Union. Enfin, l'adhésion devra également prendre en compte des
aspects plus techniques, tel que la participation de l'Union au budget de
fonctionnement de la Cour de Strasbourg379.
Le premier point de la Convention qui devait être
amendé est celui de l'article 59 indiquant que seuls des Etats pouvaient
adhérer. L'entrée en vigueur du protocole n°14 à la
Convention, le 1er juin 2010, a permis la modification de cet
article. Il prévoit expressément à son article 17 la
possibilité pour l'Union d'adhérer à la Convention.
Concernant les incohérences de vocabulaire entre la
Convention, écrite à l'origine pour des Etats souverains, et
l'Union, organisation sui generis, certains termes devront être
adaptés par des amendements aux différents articles de la
Convention. Ainsi, les termes se rapportant à la notion d'État
devront être étendus pour prendre en compte également
l'Union. Le préambule devra ainsi être amendé, faisant
directement référence à la notion d' «
État », tout comme l'article 10 et 27 de la Convention
pour ne citer qu'eux. Les références à la «
sécurité nationale »380 et à la
« nation »381 devront également être
amendées.
Mais, « la redéfinition de certains termes
peut s'avérer difficile. Il pourrait donc être
préférable d'adopter une clause générale
d'interprétation ayant pour effet d'indiquer que ces termes se
réfèrent également à l'UE ou sont applicables
mutatis mutandis à l'UE »382.
377 article 1 du protocole n°8 au Traité
378 Conseil de l'Europe, Strasbourg, 28 juin 2002,
DG-II(2002)006 [CDDH(2002)010 Addendum 2], Etude des questions juridiques et
techniques d'une éventuelle adhésion des CE/de l'UE à la
Convention européenne des droits de l'Homme, Rapport adopté par
le Comité directeur pour les Droits de l'Homme
379 supra note 340, DG-II(2002)006, p.4
380 par exemple à l'article 6 et 8 de la Convention,
article 2 du protocole additionnel à la Convention n°4
381 par exemple à l'article 7 et 15 de la Convention
382 IMBERT, Pierre-Henri, De l'adhésion de l'Union
européenne à la CEDH - symposium des Juges au Château de
Bourglinster - 16 septembre 2002, Droits fondamentaux, n°2,
janvier-décembre 2002, p11-19, p13
70
La modification des termes de la Convention pourrait
s'effectuer au sein même de la Convention ou plus simplement par une
clause générale d'interprétation qui permettrait de
prendre en compte les dispositions particulières liées à
la qualité juridique de l'Union.
Mais c'est bien entendu la place de l'Union au coeur des
organes de contrôle de la Convention qui sera une difficulté
à surmonter.
Il est également à noter que des droits
particuliers reconnus par la Convention seront difficilement applicables
à l'Union. « La question d'un éventuel déficit
démocratique de l'Union »383 pourrait constituer
une violation de la Convention.
« La notion de « déficit
démocratique », selon une première acception, renvoie
à l'écart qui s'est creusé entre les pouvoirs
transférés à l'UE et l'efficacité des
procédures de surveillance et de contrôle du Parlement
européen »384. Cette conception se limite donc
à une seule institution alors même que l'Union est composée
de multiples organes permettant la création du droit de l'Union et d'une
démocratie indirecte.
Pourtant, les pouvoirs conférés au Parlement
européen n'ont cessé de s'étendre au fil des
révisions et de la construction communautaire. En outre, de nouvelles
voies ont été introduites au profit des citoyens de l'Union,
telle que le droit de pétition au Parlement
européen385.
Le fait que le Parlement européen soit élu au
suffrage universel direct par les citoyens de l'Union depuis 1979 ne semble pas
suffire à dissiper ce doute. Pourtant, ses pouvoirs et
compétences se sont renforcés au fil de la construction
communautaire, notamment avec le Traité de Lisbonne. Ainsi, la
procédure ordinaire lors du vote d'une norme communautaire est devenue
la codécision. En outre, dans le domaine délicat de la
coopération policière et judiciaire en matière
pénale, le Parlement a acquis un rôle de co-législateur
alors qu'il demeurait cantonné auparavant à un rôle
consultatif. Plus généralement, le Traité de Lisbonne
renforce la démocratie participative au sein de l'Union en
élaborant un droit d'initiative populaire386 et renforce la
place des Parlements nationaux387.
383 supra note 345, DOLLAT, point 176
384 BELORGEY, Nicolas, Les origines de la légitimation
non démocratique de l'Union européenne, Cités
2003/1, n°13, p.67-79, p.67
385 article 227 TFUE
386 article 11, §4 TUE
387 article 12 TUE
71
Par l'arrêt Matthews, la Cour de Strasbourg
indique au sujet du Parlement européen qu'il est « la partie de
la structure de la Communauté européenne qui reflète le
mieux le souci d'assurer au sein de celle-ci un régime politique
véritablement démocratique »388 et que le
Parlement européen peut être considéré comme un
« corps législatif » au sens de l'article 3 du Protocole
additionnel n°1 à la Convention389.
La difficulté de la conception de la démocratie
au sein de l'Union repose sur deux préceptes. En premier lieu, la
souveraineté doit appartenir au peuple. Cette souveraineté a
longtemps été limitée à une démocratie
indirecte, représentée par les chefs d'Etat et de gouvernement
des Etats membres et par des parlementaires nationaux. L'élection de ses
représentants était liée au processus de chaque Etat. La
mise en place d'un Parlement européen élu au suffrage universel
direct et l'extension de ses compétences ont permis de réduire
les critiques dans ce domaine. Cependant, l'on en vient aujourd'hui à
remettre en cause la démocratie au sein de l'Union par le fait que le
socle de la démocratie dans l'Union n'existe pas. En effet, bien que les
institutions de l'Europe soient issues d'élection, « il faut
aussi et avant tout qu'il y ait un « peuple »,
c'est-à-dire une communauté d'hommes et de femmes adhérant
suffisamment aux mêmes valeurs et au même projet politique pour
constituer une nation »390. La Charte revendiquant dans
son préambule des peuples de l'Europe et non un peuple, le professeur
Gilles Lebreton en déduit qu'il n'y a pas de peuple européen et
donc pas de démocratie au sein de l'Union391. De même,
selon la Cour constitutionnelle allemande, « il n'existe pas de peuple
européen, sujet d'une démocratie européenne
»392.
L'article 35§2 de la Convention indique que les
requêtes « précédemment examinée par la
Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement » sont rejetées. Dans
ce cas, les requêtes ayant déjà étaient soumises
à la Cour de Luxembourg peuvent-elles être examinées par la
Cour de Strasbourg ? Pour se faire, la Cour de Strasbourg devrait
considérer la Cour de Luxembourg comme faisant partie des voies de
recours internes, comme précisé par l'article 35§1 de la
Convention. Bien que la Cour de Luxembourg soit compétente pour
résoudre les conflits liés au droit de l'Union, et que la
procédure des questions
388 arrêt Matthews, §52
389 arrêt Matthews, §54
390 LEBRETON, Gilles, Critique de la Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne, Recueil Dalloz, 2003,
p.2319
391 ibid.
392 CHALTIEL, Florence, Le Traité de Lisbonne devant la
Cour constitutionnelle allemande : conformité et démocratie
européenne (A propos de la décision du 30 juin 2009), Les
Petites Affiches, 23 juillet 2009, n°146, p.4
72
préjudicielles lui donne un lien direct avec les
juridictions nationales, il est cependant difficile de considérer que la
Cour de Luxembourg puisse faire partir, à part entière, du
système juridique interne des Etats membres, à moins de ne la
considérer alors comme un quatrième degré de juridiction.
D'autant plus que « l'Europe, en particulier les deux plus importantes
organisations européennes que sont le Conseil de l'Europe et l'Union
européenne, a donné naissance, sous différentes formes,
à un ordre juridique intermédiaire, ni purement interne, ni
purement international »393.
Certains auteurs affirment que la Cour de Luxembourg serait
soumise à la Cour de Strasbourg et considérée comme une
juridiction interne394, tandis que d'autres rappellent le fait que
le système conventionnel est basé sur une coopération
entre les juridictions et non à une
hiérarchisation395. Pourtant, l'évolution de la place
de la Cour de Strasbourg vis-à-vis des juridictions nationales laisse
présager des difficultés en la matière396.
Les requêtes devant la Cour de Strasbourg doivent
répondre à des critères stricts pour être retenues.
Le principe de subsidiarité a été intégré au
sein de l'article 35 de la Convention, « la Cour ne peut être
saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel
qu'il est entendu selon les principes de droit international
généralement reconnus, et dans un délai de six mois
à partir de la date de la décision interne définitive
»397. La violation de la Convention doit avoir
été alléguée lors de ces différents recours,
« au moins en substance »398. Cette
procédure permet aux Etats de réparer leurs erreurs, jusqu'au
dernier recours possible. L'interprétation de «
l'épuisement des voies de recours internes » doit
être stricte. En effet,
« il s'agit d'une condition de recevabilité
qui renferme, en fait, une règle de compétence : un État
n'a accepté de répondre de ses actes devant la Cour que dans la
mesure où les autorités nationales ont eu, au préalable,
la
393 BERGE Jean-Sylvestre et ROBIN-OLIVIER Sophie,
Introduction au droit européen, Thémis droit, PUF, 2008,
1ère édition, 551p ; p.29 point 18 et 19
394 supra note 390, LEBRETON
395 BADINTER, Robert, La Charte des droits fondamentaux
à la lumière des travaux de la Convention sur l'avenir de
l'Europe, in « Mélange en hommage au Doyen Gérard
COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance », volume I et
II, Bruyant, 2004, 1784p, p.143 ; PECHEUL, Armel, La Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne, RFDA, 2001, p.688
396 FLAUSS, Jean-François, actualité de
la Convention européenne des droits de l'homme (novembre 1998- avril
2000), AJDA 2000, p.526 ; De DECAUX, Emmanuel et De TAVERNIER,
Paul, Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme Journal du droit international (Clunet) n° 3, Juillet 2008, chron.
5 ; FLAUSS, Jean-François, Actualité de la Convention
européenne des droits de l'homme (février-juillet 2004),AJDA
2004, p.1809
397 Art 35§1 de la Convention
398 CEDH, 19 mars 1991, Cardot c/ France, requête
n° 11069/84, point 34
73
possibilité de redresser la situation
dénoncée dans leur ordre juridique interne et avec les ressources
qui y sont prévues. »399
Cette règle devra également être
appliquée à l'Union et la Cour de Luxembourg devra donc avoir
rendu une décision avant que la Cour de Strasbourg ne soit saisie. La
Cour de Strasbourg contrôlera donc la décision, ou l'ordonnance,
rendue par la Cour de Luxembourg. Faudra-t-il attendre, dans le cas d'un
jugement du Tribunal de Première Instance, la décision de la Cour
de justice ou la décision du Tribunal sera-t-elle
considérée comme étant du dernier degré ? En outre,
le recours préjudiciel entre le juge national et la Cour de Luxembourg
devra-t-il être pris en compte pour permettre à cette
dernière d'avoir tranché le conflit existant ?
La Cour de Strasbourg a jugé concernant le refus de
saisir la Cour de Luxembourg d'une question préjudicielle que ce refus
« opposé par une juridiction nationale, appelée à
se prononcer en dernière instance, puisse porter atteinte au principe de
l'équité de la procédure,[...], en particulier lorsqu'un
tel refus apparaît entaché d'arbitraire »400.
Pourtant, la Cour de Strasbourg ne vérifie pas systématiquement
que le renvoi préjudiciel a été
effectué401.
Dans le cas précis du renvoi de décisions de la
Cour de Luxembourg devant la Cour de Strasbourg, cette dernière
« ne pourrait en aucun cas être
considérée comme une juridiction supérieure mais
plutôt comme une juridiction spécialisée exerçant un
contrôle externe sur le respect par l'Union des obligations de droit
international découlant de son
adhésion à la convention européenne des
droits de l'Homme »402.
Le fait d'être considéré comme une
juridiction interne par la Cour de Strasbourg ne devrait cependant pas nuire au
prestige de la Cour de Luxembourg. En effet, les Cours constitutionnelles
nationales sont soumises à la juridiction conventionnelle, ce qui ne
remet en aucun cas en cause leur importance et leur valeur.
399 Art. 567 à 621, Fascicule 20 : CONVENTION
EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS
FONDAMENTALES. - Juridiction : organisation et procédure ;
JurisClasseur Procédure pénale, mise à jour 11
avril 2005, point 26
400 Commission EDH, 22 juin 2000, Coëme et autres c/
Belgique, n°32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, point
114
401 POTTEAU, Aymeric, A propos d'un pis-aller : la
responsabilité des Etats membres pour l'incompatibilité du droit
de l'Union avec la Convention européenne des droits de l'homme,
Revue trimestrielle de droit européen, 2009, p.697
402 supra note 345, DOLLAT, 1 point 1128
74
La place de l'avocat général au sein de la Cour
de Luxembourg pourra également être remise en cause, ces derniers
étant « soustrait statutairement au principe du contradictoire
»403 ce qui est contraire à la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg concernant l'article 6 de la Convention. L'avocat
général a une place prépondérante durant la
procédure devant la Cour de Luxembourg. En effet, il présente ses
conclusions, basées sur l'interprétation du Traité, qui
permettent de mettre fin à la procédure orale. L'avocat
général est impartial et indépendant, il propose une
réponse à l'affaire en cause devant la Cour de Luxembourg. Il
fait parti intégrante de l'institution de la Cour de Luxembourg et ne
représente en aucun cas une partie à l'instance.
Etant donné la position particulière de l'avocat
général, la Cour de Luxembourg a jugé, dans l'ordonnance
Emesa Sugar404, que la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg dans l'affaire Vermeulen c/ Belgique405 ne
pouvait s'appliquer à l'organisation de la Cour de Luxembourg et
particulièrement à l'avocat général. En effet, le
statut même de l'avocat général précise son
indépendance406. En outre, l'avocat général ne
participe pas au délibéré de la Cour de Luxembourg et
n'est pas soumis hiérarchiquement aux juges de la Cour407.
Cependant, un rapprochement avec la fonction de commissaires
du gouvernement en France a été relevé408. La
Cour de Strasbourg a d'ailleurs, un mois après l'ordonnance de la Cour
de Luxembourg qui démontrait que le rôle de l'avocat
général ne violait pas l'article 6 de la Convention et ainsi le
principe de l'égalité des armes et du contradictoire, jugeait
dans l'affaire Kress409 que le rôle du commissaire du
gouvernement auprès du Conseil d'État n'était pas en
adéquation avec les principes d'un procès équitable.
« La pratique de la Cour de justice devrait
évoluer vers un accroissement de la garantie du contradictoire. A
défaut, l'autorité et la légitimité de ses
arrêts risquent d'être remises en cause devant les autorités
nationales et internationales »410.
403 PESCATORE, Pierre, Etudes de droit communautaire
européen 1962-2007, avec une liste bibliographique
complémentaire, Grands écrits, collection droit de l'Union
européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant 2008, 1005p,
p.884
404 CJCE, ordonnance du 4 février 2000, Emesa
Sugar, aff. C-17/98, Rec., p. I-665
405 CEDH, 20 février 1996, Vermeulen c/ Belgique,
Rec.1996-I
406 article 252 § 2 TFUE
407 SPIELMANN, Dean, Cour de justice des Communautés
européennes, 4 février 2000, Revue trimestrielle de droits de
l'Homme, 2000, p.581-615, p. 589
408 ibid, p.590
409 CEDH, 7 juin 2001, Kress contre France, Req. no
39594/98.
410 Op.cit. SPIELMANN, p. 612
75
De nombreuses questions restent ainsi en suspens. Pourtant une
des grandes difficultés de l'adhésion est également la
prise en compte de l'Union au sein même de la Cour de Strasbourg. L'Union
devenant membre à part entière de la Convention, des droits
équivalents à ceux accordés aux Etats membres devraient
lui être consentis.
§ 2. La place de l'Union au sein de la Cour de
Strasbourg : la nomination du juge
La prise en compte de l'Union au sein même de la Cour de
Strasbourg par l'élection d'un juge a fait l'objet de débat.
La première solution serait la nomination d'un juge
ad hoc pour représenter l'Union à la Cour de Strasbourg.
Mais comment élire un juge ad hoc pour chaque affaire pendante
?411 L'élection d'un juge à part entière semble donc plus
indiquée permettant également de représenter,
conformément à la tradition devant la Cour de Strasbourg, tous
les systèmes juridiques412. Mais quelle sera la place du juge
de l'Union ? Doit-il siéger normalement ou exclusivement pour les
affaires mettant en cause l'Union ?
Selon la procédure instaurée par la Convention,
« les juges sont élus par l'Assemblée parlementaire au
titre de chaque Haute Partie contractante, à la majorité des voix
exprimées, sur une liste de trois candidats présentés par
la Haute Partie contractante »413. L'Union devra donc
avoir un juge pour la représenter. Depuis l'entrée en vigueur du
traité de Lisbonne, l'Union a démontré qu'elle
s'était dotée d'une représentation uniforme grâce
à un président et à une haute autorité aux affaires
étrangères. Le juge nommé à la Cour de Strasbourg
pourrait contribuer à renforcer cette image.
La difficulté réside cependant dans le fait que
l'Union est composée d'Etats également membres du Conseil de
l'Europe et ayant donc à cet effet déjà un juge à
la Cour. Ceci signifie donc que deux juges risqueraient d'avoir la même
nationalité. Mais la question de la nationalité du juge est un
« faux problème » car tant le système communautaire que
conventionnel n'oblige la nomination d'un juge par nationalité, c'est
uniquement un juge par Etat.
411 KRUGER, Hans Christian et POLAKIEWICZ, Jorg, Proposition
pour la création d'un système cohérent de protection des
droits de l'Homme en Europe, Revue universelle des droits de l'Homme,
30 octobre 2001, n°1-4, p114, p.11
412 ibid., p.12
413 Article 22 de la Convention
76
En outre, l'on peut facilement imaginer des affaires où
un État serait représenté par deux juges, un premier
siégeant au nom de l'État en question et un second au nom de
l'Union. Bien entendu, bien que les juges soient issus dans un premier temps
d'un choix des Etats, ils ne représentent pas ces derniers. La question
de la présence du juge de l'Union se rapproche de la compétence
des juges de la Cour de Strasbourg. En effet, les juges sont nommés par
rapport à un Etat mais se doivent par la suite d'être
indépendants et impartiaux. Pourquoi, dans ce cas, la situation
serait-elle différente pour le juge de l'Union ? Y aurait-il plus de
risque que ce dernier soit moins impartial qu'un juge nommé au nom d'un
Etat ?414 D'autant que des critiques sur l'impartialité des
juges à la Cour de Strasbourg existent
déjà415.
La question de savoir si l'on peut considérer l'Union
comme un État pose une plus grande difficulté. En effet, l'on ne
peut considérer que l'Union soit membre de la Convention sans lui donner
les mêmes droits qu'aux autres membres. Cependant, l'Union est
composée d'Etats qui sont eux-mêmes membres de la Convention. Dans
ce cas, il y aura une sorte de double représentation, qui pourrait
être défavorable aux Etats membres de la Convention mais non
membres de l'Union. Il a été également relevé que
l'Union n'avait pas toutes les qualités de la souveraineté
puisque les Etats n'ont transmis qu'une partie de leur propre
souveraineté à l'Union. De même, les Etats membres de
l'Union ne seraient alors plus totalement des Etats puisqu'ils ne seraient plus
en possession d'une souveraineté pleine et
entière.416
Pour le Parlement européen, l'Union devrait pouvoir
proposer une liste de trois candidats pour la fonction de juge à la Cour
de Strasbourg. Cette liste devrait être élaborée suivant
les modalités suivies au sein de l'Union pour l'élection des
juges de la Cour de Luxembourg, avec la participation du Parlement
européen, ou suivant la nomination des commissaires européens.
L'Union, représentée par la Commission, devrait pouvoir avoir un
droit de vote lors des contrôles de l'exécution des arrêts
de la Cour de Strasbourg par le Comité des Ministres. Enfin, pour
permettre une représentation de l'Union lors de l'élection par
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe du juge
représentant l'Union, des eurodéputés devraient être
autorisés à être présents lors du
vote417.
La nomination d'un juge représentant l'Union est
primordiale pour permettre une réelle intégration de l'Union dans
le système conventionnel. En outre, le système juridique
étant
414 supra note 340, DG-II(2002)006, p.16-17
415 FLAUSS, Jean-François, Actualité de la
Convention européenne des droits de l'homme (septembre
2007-février 2008), AJDA 2008, p.978
416 supra note 345, DOLLAT, point 1131
417 supra note 372, document de séance du
Parlement européen, p.6
77
particulier, un juge représentant ce dernier serait
fortement profitable, notamment pour prendre en compte des
particularités communautaires. Enfin, la nomination des juges des Etats
membres a pour objectif de représenter leur système juridique
national et non celui de l'Union. Le rôle du juge de l'Union pourrait
cependant être restreint. En effet, quelle serait la
légitimité d'un juge communautaire pour contrôler la
conformité d'un acte étatique dans un domaine qui n'aurait pas
été transféré à l'Union ? Mais dans ce cas,
l'on peut relever que les domaines de compétences des Etats membres qui
ont été transférés à l'Union n'ont jamais
empêché les juges de ces Etats de siéger à toutes
les affaires portées devant la Cour de Strasbourg. En outre, la
définition des affaires ayant un lien avec l'Union risque d'être
difficilement réalisable, d'autant plus que le droit de l'Union et les
compétences de l'Union évoluent régulièrement.
Faut-il envisager de créer une chambre
spécifique pour l'Union ? « La création d'une telle
chambre risque cependant de donner l'impression que l'UE jouit d'une position
privilégiée vis-à-vis des autres Parties
»418 et allongerait le délai de jugement. Mais dans
le même ordre d'idées, permettre à des juges de
nationalité différente de celles des Etats membres de
siéger à une affaire concernant le droit de l'Union donnerait le
pouvoir à une partie extérieure à l'Union de
déterminer son droit, de façon indirecte419. Pourtant
le système actuel permet à la Cour de Strasbourg de
contrôler le droit de l'Union de façon détournée,
comme nous avons pu le constater.
Mais cette option relève également deux
séries de questions. Premièrement, cette chambre devrait-elle
être composée uniquement des juges de l'Union et de ses Etats
membres ? Deuxièmement, la mise en place d'un tel traitement des
différents portants sur l'Union ne remettrait-il pas en cause le
principe de base de la Convention, c'est-à-dire un jugement collectif
par l'ensemble des Hautes Parties ? La Cour de Strasbourg ne s'est jamais
organisée par rapport aux particularismes des Etats, pourquoi l'Union
disposerait-elle de ce privilège ?
L'adhésion permettra d'attaquer des actes de l'Union
devant la Cour de Strasbourg sur la base d'une violation de la Convention.
« Sans amendement nécessaire du texte actuel de la CEDH,
l'Union pourra participer à la procédure, comme toute autre
partie défenderesse »420.
418 supra note 411, KRUGER et POLAKIEWICZ, p.12
419 supra note 411 ; KRUGER et POLAKIEWICZ, p.12
420 supra note 345, point 1129
78
La procédure classique suivie par les autres parties
sera donc appliquée à l'Union. Une difficulté
apparaît donc également pour « la participation de
l'Union en tant que « Partie co-défenderesse »
»421. Enfin, l'intervention de l'Union en tant que
co-défenderesse lors de requêtes introduites contre un Etat membre
mais pour application d'une norme communautaire pourrait permettre à
l'adhésion de prendre tous ses effets, l'Union pouvant défendre
son droit mais également être liée par la suite à la
décision. Rappelons en effet que les décisions de la Cour de
Strasbourg ne lient que les parties à l'instance et non tous les Etats.
La possibilité de se porter co-défendeur devrait également
être ouverte aux Etats membres dans les cas de requêtes introduites
contre l'Union422.
La difficulté se porte également sur l'article
36 § 1 de la Convention qui prévoit la tierce intervention pour les
Etats ayant un ressortissant comme requérant. L'on peut
considérer que le terme de « ressortissant » couvre celui de
« citoyen ». En effet, l'Union a accordé la citoyenneté
de l'Union aux citoyens des Etats membres. Cette citoyenneté est
directement liée à celle nationale. En l'occurrence, les
ressortissants sont donc déjà protégés par leur
Etat. Serait-il alors profitable de permettre en plus à l'Union
d'intervenir ? D'autant plus que « l'article 36 paragraphe 1
reflète la notion de protection diplomatique et qu'au sein de l'UE, ce
n'est pas l'Organisation mais les Etats membres la composant qui assurent une
telle protection à leurs ressortissants »423.
Mais le plus grave serait qu'en devenant une Haute Partie
contractante, l'Union risque d'être attaquée par des Etats tiers,
conformément à l'article 33 de la Convention. Les Etats membres
ne devraient pas pouvoir utiliser cette démarche contre l'Union puisque
l'article 344 TFUE dispose que « les Etats membres s'engagent à
ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation
ou à l'application des traités à un mode de
règlement autre que ceux prévus par ceux-ci ». Le
protocole n°8 article 3 indique que l'adhésion de l'Union ne pourra
affecter l'article 344 TFUE. Cette disposition permettra à la Cour de
Luxembourg de conserver sa position vis-à-vis du droit de l'Union. Dans
tous les cas, la procédure devant la Cour de Strasbourg est d'avoir
passé toutes les voies de recours internes. La Cour de Luxembourg ne
pourrait donc être délaissé au profit de la Cour de
Strasbourg. Un amendement sur cette question semble cependant superflu puisque
les Etats membres sont dans l'obligation de respecter tant la
421 supra note 345, point 1130
422 supra note 340, DG-II(2002)006, p.14
423 ibid , p.13
79
Convention que les Traités communautaires. La
possibilité offerte par la Convention devrait donc s'annuler uniquement
dans les cas mettant en cause l'interprétation du droit primaire.
En outre, revenir sur l'article 33 de la Convention «
remettrait en question un principe fondamental du système
conventionnel : le principe de la garantie collective
»424. Gageons que la requête étatique,
utilisée uniquement dans des cas particuliers, restera lettre morte
contre l'Union.
§3. Le droit de vote de l'Union au Comité des
Ministres
La place de l'Union au sein du Comité des ministres
relève également une certaine difficulté. Il est à
noter que le Comité des Ministres est chargé de contrôler
l'exécution des arrêts de la Cour de Strasbourg. Quelle sera la
place de l'Union au sein de ce Comité ? A ce jour, des membres de la
Commission européenne ont le statut d'observateur, ceci leur permettant
d'être présents mais ne leur donnant pas le droit de vote. «
Dans la mesure où l'Union serait signataire de la CEDH, il serait
logique qu'elle bénéficie du droit de vote et participe de la
surveillance de l'exécution des arrêts au même titre que les
autres Parties contractantes »425.
Mais, la responsabilité de l'Union devant la Convention
se limite à des compétences plus restrictives que celles des
Etats. Dans ce cas, « le droit de vote de l'UE devrait être
limité aux affaires impliquant le droit communautaire
»426. « Pourtant, un droit de vote
général pour toutes les affaires semble être
préférable au regard du principe de la garantie collective des
droits contenus dans la Convention et pour éviter une situation
asymétrique vis-à-vis des autres Parties contractantes
»427.
Mais cette modification ne fait intervenir non pas uniquement
la Convention et le règlement de la Cour de Strasbourg mais
également celui du Conseil de l'Europe. Dans ce cas, l'Union doit-elle
également adhérer pleinement au Conseil de l'Europe pour pouvoir
adhérer à la Convention ? L'article 14 du Statut du Conseil de
l'Europe indique que seuls les Etats peuvent être membres du
Comité des ministres.
424 supra note 411, KRUGER et POLAKIEWICZ, p.13
425 supra note 345, DOLLAT, point 1133
426 supra note 382, IMBERT, p13
427 ibid.
80
« Pour éviter la lourde procédure
d'amendement du Statut, la solution la plus facile semble être un
amendement à l'article 46 de la Convention prévoyant le droit de
vote pour l'UE quand il s'agit de la supervision de l'exécution des
arrêts de la Cour. Un tel amendement aurait
préséance
sur les règles du Statut au titre de lex specialis et
posterior »428
De plus, cette vision n'est pas sans critique. Une
résolution statutaire pourrait permettre de contourner cette
difficulté. Le but est bien d'éviter la procédure
d'amendement au Statut du Conseil de l'Europe qui est plus complexe.
Cependant, le droit de vote accordé à l'Union
pourrait être refusé pour des questions de compétence. En
effet, les Etats possèdent un droit de vote en vertu de leur
souveraineté. L'Union ayant une souveraineté limitée, ceci
l'empêcherait d'avoir un droit de vote. Il a été
également envisagé de n'accorder le droit de vote à
l'Union que dans les affaires portant sur elle. Mais une limitation des droits
de l'Union constituerait une asymétrie dans le système
conventionnel, ce qui reviendrait sur le système même de la
Convention qui se base sur une garantie collective des droits.
« La nature collective du système
établi par la Convention, soulignée dans le préambule de
celle-ci, signifie qu'il incombe à l'ensemble des Etats, et pas
seulement à l'État défendeur, de veiller à ce que
les affaires connaissent une issue satisfaisante »429.
L'Union ne semble pas envisager d'adhérer à la
Convention sans avoir une emprise également sur les décisions du
Comité des Ministres. Ainsi, la Commission des Affaires
étrangères a indiqué que le Statut du Conseil de l'Europe,
ou tout du moins une résolution statutaire, devrait prévoir le
droit de vote de l'Union430.
Il demeure également la question de la place de l'Union
au sein même du Conseil de l'Europe. En effet, la Cour de Strasbourg,
conformément à l'article 50 de la Convention, est directement
financée par le Conseil de l'Europe. L'Union doit-elle alors
également adhérer au Conseil de l'Europe ? L'adhésion de
l'Union à la Convention n'implique pas l'adhésion au Conseil de
l'Europe. En effet, l'article 220 TFUE indique que « l'Union
établit toute coopération utile avec [...] le Conseil de
l'Europe » ce qui démontre qu'une adhésion au
Conseil
428 supra note 382, IMBERT, p13
429 ibid. p.16
430 Commission des affaires étrangères,
Parlement européen, Avis à l'intention de la Commission des
affaires constitutionnelles sur les aspects institutionnels de
l'adhésion de l'Union européenne à la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales, 13 mars 2010, 2009/2241(INI), p.4
81
de l'Europe ne semble pas être envisagée. De
plus, il faut posséder un titre de compétence pour pouvoir
adhérer à une organisation internationale. Pourtant, l'Union est
déjà liée au Conseil de l'Europe, une coopération
accrue et une adhésion aux différents organes de protection des
droits de l'Homme du Conseil de l'Europe devraient être
envisagées431. Mais, la coopération de l'Union avec
une organisation internationale, telle que le Conseil de l'Europe « ne
soulève aucune difficulté quand [...] la Communauté
n'aspire pas à acquérir la qualité de membre
»432.
« Une disposition contenant une base juridique
générale pour cette contribution [aux frais de
fonctionnement du système de contrôle de la Convention], sans
qu'il soit nécessaire d'amender formellement l'article 50 de la
Convention »433 pourrait être adoptée. Ceci
permettrait notamment d'écarter la question de l'adhésion de
l'Union au Conseil de l'Europe.
Francesco Capotorti, ancien avocat général
à la Cour de Luxembourg, a indiqué, lors de sa critique du
mémorandum de la Commission de 1979, que la négociation d'un
protocole d'adhésion de la Communauté à la Convention
soulèverait des « difficultés inextricables
»434 concernant la gestion économique de la Convention qui
« se trouverait altérée à un point tel qu'on peut
douter qu'un projet de ce genre puisse être acceptable pour les autres
Etats européens, non membres de la Communauté
»435.
Le Parlement européen semble cependant exclure
l'adhésion de l'Union au Conseil de l'Europe, mais souligne le fait que
certains droits devraient être conférés à
l'Union436.
Les modalités de l'adhésion de l'Union à
la Convention représentent un enjeu majeur pour la
pérennité du système qui sera mis en place. Des compromis
devront être trouvés sur des questions délicates, pour
permettre aux deux systèmes de fonctionner en harmonie tout en
évitant « une hiérarchisation des relations entre les
Cours de Luxembourg et de Strasbourg et [en permettant] de
préserver l'autonomie du droit de l'Union »437.
431 supra note 372 ; document de séance du
Parlement européen, p.10 ; Comité pour la prévention de la
torture, Commission européenne contre le racisme et
l'intolérance, Commission européenne pour l'efficacité de
la justice, Comité européen des droits sociaux, Commissaire aux
droits de l'homme etc.
432 MICHEL Valérie, Recherches sur les
compétences de la Communauté européenne, L'Harmattan,
2003, 704p, p.127
433 supra note 382, IMBERT, p13
434 supra note 403, PESCATORE, p.744
435 ibid.
436 surpa note 372, document de séance du
Parlement européen, p.6
437 supra note 345, DOLLAT, point 175
82
Chapitre 2. La gestion de la dualité de normes
au sein des deux organisations européennes
Au sein de l'Union, « le justiciable
bénéficie de trois cercles de protection juridictionnelle de ses
droits fondamentaux »438 ; au niveau national, au niveau
conventionnel avec la Cour de Strasbourg et au niveau communautaire avec la
Cour de Luxembourg. « L'articulation de ces cercles de protection des
droits fondamentaux est complexe. Se pose un double problème des
interférences entre le cercle national et le cercle supranational et des
interactions entre les composantes du cercle supranational
»439.
La complexité existante entre les normes nationales et
la Convention, s'accentue alors par l'entrée en vigueur de la Charte.
Les deux instruments européens étant applicable aux Etats
membres, lors de la mise en oeuvre du droit de l'Union, leurs relations doivent
permettre une harmonisation et une stabilité juridique [Section 1],
tandis que le système conventionnel doit préserver l'autonomie du
droit de l'Union, base de l'Union [Section 2].
Section 1. La compatibilité de la Convention et
de la Charte prévue par les dispositions de l'instrument
communautaire
« Il serait vain d'opposer la « Convention
» et la « Charte » ou d'établir entre ces deux textes
fondateurs une quelconque hiérarchie »440.
La Charte ne doit pas avoir pour rôle de remplacer la
Convention « en créant un nouveau standard minimum, mais
applicable seulement aux Etats membres de l'Union européenne
»441. Les droits de l'Homme ont vocation à
être universel et non « modulable en fonction notamment de la
situation économique des Etats appelés à les
protéger »442. En outre, « cela irait
à l'encontre de toute la tradition européenne et priverait
l'Europe de toute crédibilité sur la scène
438 ANDRIANTSIMBAZOVINA, Joël, La Cour de Strasbourg,
gardienne des droits de l'homme dans l'Union
européenne ?, Revue trimestrielle de droit
européen, 2006, p.566
439 ibid
440 BRAIBANT, Guy, De la Convention européenne des
droits de l'Homme à la Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne, in « Mélange
en hommage au Doyen Gérard COHEN-JONATHAN - Libertés, justice,
tolérance », volume I et II, Bruyant, 2004, 1784p, p.327, p.331
441 Conseil de l'Europe, Projet de Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne, Commentaire des observateurs du
Conseil de l'Europe sur le projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, CHARTE 4961/00, CONTRIB 356, Bruxelles, 13 novembre
2000, 3p., p.3
442 ibid
83
internationale quand elle prône
l'universalité des droits de l'homme. Elle se verrait, en effet,
reprocher d'entretenir elle-même plusieurs standards
»443.
La Charte, loin de détacher l'Union du système
conventionnel de protection des droits de l'Homme, se réfère
directement à celui-ci. Les diverses « clauses horizontales »
conduisent à renforcer la nécessité d'une adhésion
de l'Union à la Convention. « Il a été même
remarqué, avec raison, que cette adhésion est impliquée
par la logique même dans la Charte procède et qu'elle en est
même l'aboutissement normal »444.
Pour sa part, le Conseil de l'Europe, par son commentaire sur
le projet de Charte de 2000445 a indiqué sa satisfaction sur
le projet qui avait alors été présenté par l'Union.
Il était relevé que la Charte s'appuyait sur différentes
normes du Conseil de l'Europe446, en étendait d'autres et
enfin consacrait de nouveaux droits. La cohérence entre les
différentes normes était relevée, le Conseil de l'Europe
soulignant le fait que « dans le domaine des droits fondamentaux, en
effet, tout manque de cohérence non seulement met en péril la
sécurité juridique, mais risque surtout d'affaiblir ces droits
plutôt que de les renforcer »447.
Dans la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, la Charte
devrait se substituer à la Convention, ce qui entraînera «
par conséquent « une marginalisation de la Convention
européenne en tant qu'instrument de référence pour le juge
communautaire » »448. Cependant, avec
l'adhésion de l'Union à la Convention, cette dernière
intégrerait également l'ordre juridique communautaire.
Or, la Convention se compose notamment de protocoles, qui
n'ont pas été ratifiés de façon égale par
tous les Etats membres. En outre, « le juge communautaire a toujours
affirmé qu'il entendait s'inspirer de la norme garantissant le niveau de
protection le plus élevé »449 ce qui devrait
le pousser à appliquer la Charte en premier lieu, cette dernière
affirmant de nouveaux droits et étendant la portée d'autres
droits déjà reconnus.
443 supra note 441, CHARTE 4961/00
444 RENUCCI, Jean-François, L'Union européenne :
futur justiciable de la Cour européenne, Les Petites Affiches,
2 mars 2006, n°44, p.41
445 op cit CHARTE 4961/00
446 Convention européenne des droits de l'Homme, Charte
sociale, Convention sur les droits de l'Homme et la bio-médecine
447 ob.cit., CHARTE 4961/00, p.2
448 LE BOT, Olivier, Charte de l'Union européenne et
Convention de sauvegarde de l'Homme : la coexistence de deux catalogues de
droits fondamentaux, Revue trimestrielle de droits de l'Homme,
n°55/2003, p.781-811, p.790
449 ibid, p.791
84
« Certes, ce texte tient compte de l'existence de la
Convention européenne des droits de l'homme, conçue comme le
standard de base en matière de protection. Mais il est indéniable
que, si elle est adoptée et si elle se voit reconnaître une valeur
contraignante, la Charte communautaire contribuera à séparer
encore davantage le système de protection des droits fondamentaux dans
le cadre de l'Union et celui de la Convention européenne des droits de
l'homme »450.
L'arrêt Manesmannrörhen451
marque le début de la substitution de la Charte à la Convention.
« Cette décision marque un recul de la Convention
européenne dans la jurisprudence communautaire, en mettant fin au
mouvement d'application directe des dispositions de celle-ci [...]
»452.
« Deux standards différents ont
désormais vocation à coexister en Europe, et à se
concurrencer dans l'ordre juridique des Etats membres de l'Union
»453, entraînant ainsi un affaiblissement de la
sécurité juridique des justiciables de l'Union dans le cadre des
droits fondamentaux alors même que l'adhésion de l'Union avait
pour objectif le renforcement de l'Union de droit et de la protection des
droits fondamentaux des citoyens de l'Union. En effet, un contrôle
externe des actes de l'Union serait ainsi possible, permettant de placer
l'Union dans la position des Etats membres qui voient leurs actes internes
contrôler par la Cour de Strasbourg en matière de protection des
droits de l'Homme454.
Mais le risque de cette adhésion est que « les
deux instruments vont s'appliquer de manière concurrente dans le champ
d'application communautaire des Etats membres, et les justiciables
bénéficieront de droits différents selon que les
autorités nationales agissent dans le domaine communautaire ou en dehors
de celui-ci »455. Rappelons que les Etats membres sont
soumis tant à la Convention qu'au droit de l'Union, et donc à la
Charte, lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. Jusqu'à
présent, les juridictions nationales appliquaient un catalogue de droits
supranationaux identique, puisque le système communautaire renvoyait au
système conventionnel, mais « avec l'adoption de la Charte, la
concurrence entre les deux instruments
450 SIMON, Denys, Des influences réciproques entre CJCE
et CEDH : « Je t'aime, moi non plus » ?, Revue Pouvoirs,
2001/1, n°96, p31-49, p49
451 TPI, 20 février 2001, Manesmannröhren-Werke
AG, aff. T-112/98, Europe, avril 2001, n°141, note L. Idot, p.20
452 supra note 448, LE BOT, p.794
453 ibid., p.795
454 SZYMCZAK, David, L'adhésion de l'Union
européenne à la Convention européenne des droits de
l'Homme. « Serpent de mer » ou « Hydre de Lerne » ?,
Politeia, 1 avril 2008, n°13, p.405-418, p.408-409
455 op.cit., LE BOT, p.795
85
va conduire à des interférences
matérielles (conflit de catalogues) et organiques (conflits de
sentences) entre le système communautaire et le système
conventionnel »456.
Les juridictions nationales auront la difficulté de
respecter deux standards de normes, d'autant plus que « la
conciliation entre des normes opposées ne sera pas toujours possible
»457.
« Comme l'affirme Robert Badinter, « la
sécurité juridique des individus n'est pas assurée,
puisqu'ils ne peuvent s'assurer du contenu précis d'un droit fondamental
et, de surcroît, parce que devant leur juge national, chargé
à la fois de l'application du droit de l'Union et du droit de la
Convention européenne, deux solutions divergentes peuvent être
retenues ». Certains membres de la précédente Convention ont
employé à juste titre, pour désigner cette situation, la
formule d'un « paradis pour avocats », les habiles juristes pouvant
invoquer tantôt le catalogue communautaire, tantôt le catalogue
conventionnel, selon le sens ou la portée qu'ils souhaitent donner
à tel ou tel droit fondamental. »458.
« L'expérience montre que lorsque deux
juridictions contrôlent la conformité d'un acte au regard de
catalogues de droits fondamentaux aux contenus différents, le conflit de
sentences est inéluctable »459.
Il est également nécessaire de prendre en
considération la problématique du champ d'application de la
Convention et de la Charte. En effet, la Convention s'applique à toutes
les situations étatiques alors que la Charte ne s'applique qu'aux actes
étatiques pris dans le cadre de la mise en oeuvre du droit de l'Union.
Le juge devra donc appliquer la norme correspondant à l'acte
considéré. Le justiciable aura alors soit une protection de ses
droits fondamentaux limités aux premiers droits reconnus, civils et
politiques, soit une protection plus large intégrant les droits de
nouvelles générations460. Ce double standard va
imposer aux Etats le respect de normes différentes, plus ou moins
protectrices, selon leurs domaines d'action, communautaire ou non.
456 supra note 448, LE BOT, p.795-796
457 ibid, p.796
458 ibid
459 ibid, p.797
460 ibid, p.798
86
La concordance entre les deux normes est la solution pour une
protection efficace des droits de l'Homme. Mais les dispositions prises au sein
de la Charte semblent être insuffisantes à la préservation
de la cohérence entre les deux instruments. Il y a donc un risque, au
sein même des ordres juridiques des Etats membres, de voir les droits de
l'Homme moins bien protégés461.
Les relations entre la Convention et la Charte ont ainsi
été prévues par des clauses dites « horizontales
» aux articles 52 §3 et 53 de la Charte. Mais, « ces
préconisations apparaissent insuffisantes. Le lancinant problème
de la coexistence entre ces deux instruments reste donc d'actualité
»462. Un double mécanisme de protection des droits
de l'Homme est un risque pour la sécurité juridique des
individus463. « L'expérience montre
généralement qu'il est difficile d'éviter les
contradictions lorsque deux textes distincts sur un même sujet ayant un
libellé différent sont interprétés par deux
tribunaux différents »464. Les précautions
de la Charte semblent donc illusoires. Le statu quo ne peut plus
être tenu dès lors que la Charte est entrée en vigueur.
La Charte a élaboré à son article
52§3 une clause de correspondance concernant les droits reconnus par la
Charte et par la Convention. La cohérence entre les deux instruments
devrait ainsi être respectée, la Charte renvoyant
expressément à la Convention pour déterminer
l'interprétation donnée à un droit et ses limites. Mais
comment savoir si un droit reconnu par la Charte correspond à un droit
reconnu par la Convention ?
« cette notion de correspondance peut
apparaître incertaine d'autant que c'est la jurisprudence qui donne leur
portée véritable aux droits. Or la jurisprudence de la CEDH
étant seulement citée dans le préambule, elle ne
s'imposera durablement à l'Union que sur la base de son adhésion
à la Convention »465.
Dans ce cas, faut-il se référer uniquement
à la Convention ou également à l'interprétation qui
a été faite du droit ? En effet, pour reprendre l'exemple
énoncé par Frédéric Sudre,
« le droit de l'enfant d'entretenir des relations
avec ses parents (art.24§3 Charte) n'est pas énoncé comme
tel par la Convention mais est garanti par la Cour européenne au titre
du droit au respect de la vie privée et familiale
461 supra note 448, LE BOT, p.799
462 ibid, p.782
463 BERTONCINI Yves, CHOPIN Thierry, DULPHY Anne, KAHN Sylvain
et MANIGAND Christine, Dictionnaire critique de l'Union
européenne, Armand Colin, Paris, 2008, 489p, p.129
464 supra note 340, DG-II(2002)006, p.18
465 supra note 356, GAUTRON, p.52
87
(art.8, CEDH), dont l'énoncé est reproduit
par l'article 7 de la Charte ; est-
466
ce alors un droit « correspondant » ?
».
Cependant, les dispositions du droit de l'Union peuvent
toujours être plus protectrice des droits fondamentaux que la Convention,
cette dernière restant un standard minimum à respecter comme
l'indique son article 53467. Ceci permet donc de ne pas affaiblir la
protection des droits fondamentaux dans le cadre de l'Union. Cet article ne
permet cependant pas d'éviter des incohérences entre les
systèmes de protection468.
Mais ces dispositions ne semblent pas être suffisantes
pour permettre une cohérence systématique entre les
différents systèmes. En premier lieu, le document explicatif de
la Charte, élaboré par le proesidium, n'a pas la
même valeur juridique que la Charte. En second lieu, les articles
52§3 et 53 de la Charte ne font pas référence à la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg. La jurisprudence de la Cour de
Strasbourg ayant permis une évolution des droits de la Convention, il
est indispensable de la prendre en compte pour connaître la portée
réelle d'un droit469. Mais le fait que la Charte ne fasse pas
référence à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ne
doit pas faire oublier que la Cour de Luxembourg s'est déjà
basée dans le passé sur cette jurisprudence pour
déterminer les droits fondamentaux et que le Traité
lui-même renvoi à la jurisprudence conventionnelle. Un revirement
de la Cour de Luxembourg dans ce domaine semble donc être limité.
En outre, une règle de droit international privé stipule que
« lorsque la règle de conflit de lois conduit un juge à
appliquer un droit matériel autre que la lex fori, ce droit
étranger sera interprété en conformité avec la
jurisprudence des juridictions de l'État dont il émane
»470.
Ainsi, la référence de la Charte à
l'interprétation de la Convention en cas de droits correspondants «
aboutira en pratique à incorporer indirectement la Convention, ses
protocoles ainsi que la jurisprudence de la Cour EDH dans le droit de l'Union
»471.
Cependant, la clause de correspondance de l'article 52§3
de la Charte ne risque d'avoir de réel effet que pour les droits ayant
été reconnus par les deux instruments et ayant le même
466 SUDRE, Frédéric, Droit européen
et international des droits de l'Homme, collection droits fondamentaux,
PUF, 2008, 9ème édition revue et augmentée,
843p, p.159
467 supra note 448, LE BOT, p.800-802
468 ibid, p.807
469 ibid, p.803
470 CARLIER, Jean-Yves, La condition des personnes dans
l'Union européenne, Bruxelles, Larcier, précis de la
Faculté de droit de l'Université catholique de Louvain, 2007,
485p, point 128
471 supra note 364, GERKRATH, p.40
88
sens. Dans ce cadre, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg
correspondant à ses articles, est prise en compte472. Ceci ne
correspond qu'à onze articles de la Charte473. Dans tous les
cas, la protection accordée par l'Union pourra être plus
étendue que celle de la Convention.
Des droits de la Charte reçoivent quant à eux
« une identité de sens, mais non de portée, leur champ
d'application et leurs éléments constitutifs demeurent divergents
»474 ce qui ne permettra qu'une application partielle de
l'article 52§3 de la Charte.
Enfin, aucune cohérence n'est envisagée pour
certains droits reconnus pourtant par les deux normes. Tel est le cas pour le
principe d'interdiction de toute discrimination475. Il ne faut pas
oublier le fait que certains droits reconnus par la Charte ne sont pas inscrits
au sein de la Convention, même si ils ont pu être
dégagés par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
« La cohérence entre les deux instruments ne
sera en effet possible que si une identité est assurée au niveau
de la consécration des droits fondamentaux comme à celui de leur
interprétation »476. La révision de la
Convention, en reconnaissant les nouveaux droits proclamés par la
Charte, permettrait une meilleure cohérence entre les deux
normes477. La ratification de ce protocole par les seuls Etats
membres de l'Union et de la Convention pourrait être suffisante pour
permettre une cohérence des systèmes, les autres Etats
n'étant pas sujet à cette difficulté car non soumis au
droit de l'Union et à la Charte. Il n'en reste pas moins qu'une
interprétation divergente d'un droit sera toujours possible par les deux
Cours478.
« La meilleure façon d'établir la
nécessaire cohérence entre la CEDH et le droit communautaire est
l'adhésion des Communautés européennes ou de l'Union
à la Convention »479. L'adhésion permettrait
de soumettre à la seule Cour de Strasbourg les différents
liés aux droits de l'Homme. La soumission des Etats européens
à la Convention et à la juridiction unique de la Cour de
Strasbourg a déjà démontré son utilité et
l'impact positif sur la protection des droits fondamentaux.
472 supra note 448, LE BOT, p.806
473 ibid, p.805
474 ibid
475 ibid, p.806
476 ibid, p.807
477 ibid, p.808
478 ibid, p.808-809
479 supra note 411, KRUGER et POLAKIEWICZ, p.3
89
« En confiant à une instance unique (la Cour
européenne des droits de l'Homme) l'interprétation des droits
consacrés dans les deux instruments, on garantirait en effet une
interprétation uniforme des droits fondamentaux
»480. L'adhésion de l'Union à la Convention
soumettrait également la Cour de Luxembourg à
l'interprétation jurisprudentielle de la Convention, et des
différents nouveaux droits de la Charte en cas d'adoption du protocole
additionnel à la Convention481. Ainsi, la coexistence des
deux ordres normatifs serait possible en alliant « une identité
de catalogues à une homogénéité dans
l'interprétation des droits. Il s'agit là du seul moyen
d'organiser une articulation harmonieuse entre la Charte et la Convention. A
défaut, la coexistence entre les deux instruments risque de ne pas
s'avérer des plus « pacifique
» »482.
« Pour que les droits consacrés dans les deux
instruments reçoivent une interprétation uniforme, pour qu'ils
soient appréciés de manière identique selon que l'on se
réfère à la Charte ou à la Convention
européenne, il est nécessaire d'institutionnaliser les rapports
entre les deux Cours »483. Dans ce cadre, il semblerait
que l'adhésion de l'Union à la Convention permette une meilleure
intégration des ordres juridictionnels. En outre, bien que l'Union se
soit dotée d'un instrument de protection des droits fondamentaux
grâce à la Charte, celle-ci « vient renforcer les
avantages d'une adhésion, [...] [et] vient en outre faciliter
la réalisation de celle-ci, en en assouplissant les modalités
»484. Les dispositions de la Charte tendent à
contrôler l'autonomie du pouvoir d'interprétation de la Charte par
la Cour de Luxembourg et à imposer les modalités de sa
coordination avec la Convention. « Seule la jurisprudence
ultérieure permettra de connaître tant la portée que les
limites de cette autonomie. La question sous-jacente est : unification ou
dédoublement de la protection européenne des droits de l'Homme ?
»485.
Bien que la Charte ait tentée de résoudre la
difficulté de l'harmonisation entre les deux normes européennes,
« la question d'une coexistence harmonieuse et surtout
cohérente entre le système créé par la Convention
européenne des droits de l'homme et le système communautaire est
toujours là, loin d'avoir trouvé une solution satisfaisante
»486.
480 supra note 448, LE BOT, p.809
481 ibid, p.809
482 ibid, p.811
483 ibid, p.809
484 ibid
485 supra note 356, GAUTRON, p.52
486 supra note 354, BULTRINI, p5-6
90
La difficulté de mettre en place une harmonisation
réside notamment dans le fait que la Cour de Strasbourg devra respecter
l'autonomie du droit de l'Union. En effet, l'Union est fortement
attachée à ce principe, l'avis 2/94 de la Cour de Luxembourg
l'ayant rappelé487.
Section 2. Le maintien de l'autonomie du droit de
l'Union
Bien que le Royaume-Uni soit réticent à
l'évolution des compétences et des domaines d'action de l'Union,
concernant l'adhésion de l'Union à la Convention, la Chambre des
Lords se montre favorable, en soulignant qu'elle ne remettrait pas en cause
l'autonomie de l'ordre communautaire488.
En effet, en cas d'adhésion, la Cour de Strasbourg ne
sera pas saisie directement mais ne pourra contrôler que les affaires qui
lui seront déférées. Le point 1 de l'article 32 de la
Convention indique notamment que « la compétence de la Cour
s'étend à toutes les questions concernant l'interprétation
et l'application de la Convention et de ses Protocoles qui lui seront soumises
dans les conditions prévues par les articles 33, 34 et 47
».
Ceci n'entraînera pas un affaiblissement du rôle
de la Cour de Luxembourg, qui conservera son monopole de
l'interprétation du droit de l'Union.
En outre, l'autonomie du droit de l'Union ne devrait pas
être amoindrie par une adhésion de l'Union à la Convention
puisque la Cour de Strasbourg, certes peut condamner l'Union pour violation de
la Convention, mais elle laisse le choix des moyens aux Hautes Parties pour se
conformer à l'arrêt489. L'Union restera donc libre,
comme les Etats, de modifier son droit pour se conformer à la
Convention490. En effet, les arrêts de la Cour de Strasbourg
ont un caractère déclaratoire. La Cour de Strasbourg se refuse
ainsi à indiquer à l'État comment exécuter son
arrêt. Cependant, malgré le fait que ces arrêts ne soient
que déclaratoires, ils n'en demeurent pas moins revêtus de
l'autorité de la chose interprétée et le principe de
primauté et d'effet direct du
487 supra note 454, SZYMCZAK, p.415
488 supra note 374, BADINTER, p.152
489 supra note 382, IMBERT, p.17
490 RENUCCI, Jean-François, L'adhésion de
l'Union européenne à la Convention européenne des droits
de l'Homme : actualité d'une vieille idée..., in «
Mélanges en l'honneur de Pierre Julien - la justice civile au vingt et
unième siècle », Edilaix, 2003, p380, 432p, p.389
91
droit s'appliquent491. En outre, les arrêts
s'imposent à toutes les autorités nationales, qui devront au
minimum écarter la norme nationale contraire. La même règle
devrait ainsi s'appliquer également à l'Union.
Cependant, l'évolution de la jurisprudence de la Cour
de Strasbourg montre que cette autonomie tant à s'amoindrir. En effet,
désormais la Cour de Strasbourg enjoint les Etats, et donc dans un futur
proche certainement l'Union, d'exécuter certains actes pour se conformer
à l'arrêt rendu. « Les exceptions au principe de
l'absence de pouvoir d'injonction se multiplient ces dernières
années »492, même si ceci ne reste que des
« invitations ». Elle a ainsi jugé le 8 avril
2004493 que « l'injonction ne mettrait pas en cause, dans
son principe, le pouvoir d'appréciation dont dispose un Etat
défendeur quant aux modalités d'exécution d'un arrêt
de violation »494. Mais dès le 8 juillet 2004, la
Cour indique uniquement que « compte tenu des motifs sur lesquels
s'est fondé le constat de violation par les deux Etats
défendeurs, ces derniers doivent prendre toutes les mesures
nécessaires pour mettre un terme à la détention arbitraire
des requérants encore incarcérés et assurer leur
libération immédiate » 495. Cette nouvelle
approche semble être justifiée par le fait que la Cour ait
voulu
« donner effet à l'une des règles les
plus traditionnelles du droit de la responsabilité internationale de
l'Etat, [...] : l'obligation de faire cesser immédiatement l'illicite.
Elle répond de la sorte tardivement à une demande pressante
formulée à maintes reprises en doctrine. La réserve
manifestée jusqu'alors par la Cour européenne s'expliquait sans
doute par sa réticence à envisager la reconnaissance à son
profit, par voie prétorienne, d'un pouvoir d'injonction, mettant
à l'épreuve le caractère purement déclaratoire
prêté à ses arrêts. »496
La Cour de Strasbourg a notamment amplifié la
portée de ses arrêts en élaborant la technique des «
arrêts-pilotes »497. La Cour a alors indiqué que
des mesures générales au niveau national devaient être
prises car la violation touchait des milliers de personnes. L'Union devrait
donc respecter les indications de la Cour de Strasbourg en cas d' «
arrêt-pilote » prononcé à son encontre. La Cour de
Strasbourg a précisé que « ces mesures devaient
comprendre un mécanisme
491 LAMBERT ABDELGAWAD, Elisabeth, L'exécution des
décisions des juridictions européennes (Cour de justice des
Communautés européennes et Cour européenne des droits de
l'Homme), Annuaire français de droit international, 2006, p677,
p.683
492 ibid., p.697
493 CEDH, 8 avril 2004, Assanidzé c/
Géorgie, requête n° 71503/01
494 FLAUSS, Jean-François, Actualité de la
Convention européenne des droits de l'homme (février-juillet
2004),AJDA 2004, p.1809
495 CEDH, 8 juillet 2004, , Ilascu et autres c/ Moldova et
Russie, requête n° 48787/99, point 490
496 FLAUSS, op. cit.
497 première utilisation dans l'arrêt de la CEDH, 28
septembre 2005, Boniowski c/ Pologne, no 31443/96
92
offrant aux personnes lésées une
réparation pour la violation établie de la convention
»498. Pourtant, avec cette méthode, la Cour de
Strasbourg s'éloigne un peu plus des compétences que la
Convention lui octroie. Le risque est un bouleversement de «
l'équilibre entre la Cour et le Comité des Ministres, et
[de] déplace[r] la Cour à tort sur un champ
politique »499, mais également de remettre en cause
l'autonomie des Hautes Parties, bien que le but soit la protection des droits
de l'Homme.
Il est à noter que la Cour de Luxembourg utilise
également une variante des « arrêts-pilote ». Elle a
ainsi constaté en 2005500 « un manquement «
général » aux obligations communautaires d'un État,
desquelles on pouvait inférer une obligation d'adopter des mesures
générales au titre de l'exécution, mais cela sans aucune
conséquence au niveau du jugement de la Cour »501.
Le manquement généralisé est caractérisé par
rapport à la durée du manquement, à son ampleur et
à sa gravité502.
Tant la Cour de Luxembourg que la Cour de Strasbourg
justifient cette nouvelle méthode pour remédier à la
multiplication des recours et à « l'inadaptation de l'approche
classique pour remédier à des défaillances structurelles
»503.
Il est également précisé que la
Convention n'étant pas les compétences des Hautes Parties. La
Cour de Strasbourg a pour unique rôle de contrôler le respect de la
Convention et d'établir la responsabilité des Hautes Parties en
cas de violation. Cependant, la Cour de Strasbourg a élaboré des
obligations dites positives lors de l'affaire linguistique belge de
1968504, obligeant les Etats à agir pour protéger les
droits fondamentaux inscrits dans la Convention. La simple inaction de
l'État ne suffit plus505. Dans ce cadre, serait-il possible
qu'involontairement, la Cour de Strasbourg étende les compétences
de l'Union ?506 L'application de ces obligations à l'Union
semble restreinte. « Au vue de l'article 1er de la CEDH, il
est clair que, généralement, l'absence d'une compétence de
l'UE dans un domaine pour lequel un droit de la CEDH a une
498 supra note 491, LAMBERT ABDELGAWAD, p.701
499 ibid., p.703
500 CJCE, 26 avril 2005, Commission c/ Irlande, aff.
C-494/01, Rec. p. I-3331
501 op.cit. LAMBERT ABDELGAWAD, p.703
502 ibid, p.704
503 ibid.
504 CommissionEDH, arrêt du 23 juillet 1968, affaire
linguistique belge, Série A, n°6, p.32
505 MARGUENAUD, Jean-Pierre, La Cour européenne des
droits de l'Homme, collection connaissance du droit, Dalloz,
3ème édition, 2005, 155p, p.40-41
506 supra note 382, IMBERT, p.17-18
93
pertinence mènera à une absence de
responsabilité au regard de la CEDH »507. Il n'y
aura donc pas d'élargissement des compétences de l'Union par ce
biais, mais vraisemblablement une irrecevabilité de la requête.
Mais, dans le cas d'obligation positive de l'Union dans un domaine de
compétence où elle a déjà pris des dispositions,
elle devra prendre les mesures adéquates pour protéger les droits
des individus.
L'adhésion pourrait ainsi remettre en cause l'autonomie
de l'ordre juridique communautaire puisque l'Union et la Cour de Luxembourg
devraient se conformer à la décision de la Cour de
Strasbourg508. L'article 55 de la Convention prévoit en effet
que la Cour de Strasbourg est seule compétente pour régler les
conflits entre les Hautes Parties. Ces dernières ne peuvent, «
sauf compromis spécial », soumettre un différend
à l'appréciation d'une autre juridiction et se prévaloir
d'autres traités en la matière.
Ceci va à l'encontre des dispositions des
Traités communautaires. En effet, la Cour de Luxembourg doit demeurer,
conformément aux traités, l'interprète en dernier ressort
du droit de l'Union. Elle doit garantir le respect du droit de l'Union et les
Etats membres se sont engagés à ne pas soumettre un
désaccord portant sur l'interprétation des traités
à une autre instance. « En conséquence, le principe
d'autonomie de l'ordre juridique de l'Union exclut que la Cour de justice
puisse être liée par l'interprétation qu'une autre instance
juridictionnelle aura pu faire du droit de l'Union »509.
Mais si l'Union adhère à la Convention qui est soumise à
un tribunal international, la Cour de Luxembourg se devra de respecter
l'interprétation de la Cour de Strasbourg, conformément à
son avis 1/91510.
En outre, la Cour de Luxembourg avait précisé
dans son avis 2/94 que l'autonomie du droit de l'Union devait être
préservé, et notamment celle de la Cour, pour ne pas créer
une hiérarchisation de fait entre les deux Cours européennes.
Pourtant, l'adhésion ne devrait créer qu'une coopération
plus accrue entre les deux Cours et non une hiérarchisation.
Un recours devant la Cour de Strasbourg d'un arrêt de la
Cour de Luxembourg
« n'est pas non plus susceptible d'affaiblir
l'autorité de la Cour de Justice car la soumission au contrôle
d'une instance extérieure exprime une volonté, une ouverture en
faveur du plein respect des droits et libertés
507 supra note 382, IMBERT, p.18
508 CORREARD, Valérie, Constitution européenne
et protection des droits fondamentaux : vers une complexité
annoncée ?, Revue trimestrielle de droits de l'Homme, 2006,
n°2, p501, p.512
509 supra note 352, Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe, doc.11533, p.31
510 CJCE, Projet d'accord concernant la création de
l'Espace économique européen, 14 décembre 1991, avis 1/91,
Recueil CJCE 1991, p. I-6079, §40
94
garantis. Cela ne peut que renforcer l'autorité et la
crédibilité des
511
institutions communautaires et non les affaiblir
».
De plus, ces décisions ne seraient susceptibles de
recours devant la Cour de Strasbourg qu'en matière de droit de l'Homme.
La Cour de Strasbourg ne contrôlerait alors que le respect de ce droit et
non le droit de l'Union. Cependant, la Cour de Luxembourg prend en compte les
droits fondamentaux économiques de l'Union et pratique une
proportionnalité des actes pris par rapport aux différents droits
reconnus par l'Union. En effet, la Cour de Luxembourg est, conformément
à la lettre du traité, l'unique juridiction compétente
pour assurer, in fine, le respect du droit de l'Union. Elle effectue
la « conjug[aison de] l'interprétation
européenne des dispositions de la Convention européenne des
droits de l'Homme avec la logique communautaire »512. La
Cour de Strasbourg qui n'a pour objectif que de faire respecter les droits de
l'Homme prendra-t-elle en compte cette spécificité communautaire
? « Il est évident que la Cour de Strasbourg ne peut pas ne pas
s'intéresser au droit communautaire dès lors que des droits
fondamentaux sont en cause »513. Ainsi, l'adhésion
à la Convention entraînera automatiquement une soumission de
l'Union à la juridiction de la Cour de Strasbourg et donc une remise
« en cause de l'autonomie de l'ordre juridique communautaire et [du]
monopole de la Cour de justice »514. Pourtant, l'on sait
que la Cour de Strasbourg respecte le droit de l'Union et ses
spécificités, l'affaire concernant des discriminations entre
ressortissants communautaires et extra-communautaires515 le
démontre.
Il n'en demeure pas moins que la Cour de Luxembourg serait le
juge de droit commun de la Convention au sein du système communautaire
et que la Cour de Strasbourg ne serait saisie qu'en dernier recours. Le
Parlement européen a précisé en mai 2010516 que
« le rapport entre les deux juridictions européennes n'est pas
un rapport de hiérarchie mais de spécialisation ; la Cour de
justice de l'Union européenne aura ainsi un statut analogue à
celui qu'ont actuellement les cours suprêmes des Etats membres par
rapport à la Cour européenne des droits de l'Homme
»517. Mais quel est ce rapport actuellement ? A l'heure
où de nombreux auteurs posent
511 supra note 382, IMBERT, p.17
512 GARCIA-JOURDAN, Sophie, L'émergence d'un espace
européen de liberté, de sécurité et de
justice, Bruyant, 2005, 761p, p.75
513 supra note 490, RENUCCI, p.389
514 supra note 444, RENUCCI
515 CEDH, 18 février 1991, Moustaquin c/ Belgique,
série A n°193 ; CEDH, 7 aout 1996, C c/ Belgique,
req.n°21794/93, JCP 1997 I-4000
516 supra note 372, document de séance du
Parlement européen
517 ibid, p.5
la question de savoir si la Cour de Strasbourg ne serait pas
devenue un quatrième degré de juridiction518, il est
d'autant plus difficile de se conforter dans l'idée que la Cour de
Luxembourg ne sera pas hiérarchiquement soumise à la Cour de
Strasbourg.
« L'intervention des deux Cours sur un objet commun
»519 pourra engendrer des différences de
jurisprudence et donc de sentence. La Cour de Luxembourg appliquera la Charte
tandis que la Cour de Strasbourg appliquera la Convention, mais le but de la
saisine de ces deux Cours reste le même. Les justiciables attendent que
le juge constate la violation de la norme de protection des droits fondamentaux
dont il doit assurer le respect. Le risque de forum shopping et de divergence
jurisprudentielle est d'autant plus fort que
« l'acte national peut en effet être
attaqué - simultanément ou successivement - devant la Cour de
justice et la Cour européenne des droits de l'homme. En particulier, un
justiciable procédurier pourra exercer un recours devant les deux juges,
« utilisant le second comme une instance
520
d'appel de la première décision obtenue »
».
Mais la coordination des normes permettra telle la
continuité des deux ordres juridiques. En effet, sans la volonté
des Cours européennes, il est peu probable que les deux normes puissent
coexister convenablement. L'on se tourne alors aux relations existantes entre
la Cour de Strasbourg et la Cour de Luxembourg. En effet, si les deux
juridictions se retrouvent aujourd'hui en concurrence pour la protection des
droits de l'Homme, quelles relations peuvent-elles entretenir ?
95
518 supra note 396 FLAUSS ; De DECAUX,
Emmanuel et De TAVERNIER, Paul
519 supra note 448, LE BOT, p.796-797
520 ibid., p.797
96
Titre 2. Une dualité de systèmes
juridiques européens préjudicielle aux citoyens ?
La construction communautaire a conduit progressivement
l'Union à prendre en compte également les droits de l'Homme. La
Cour de Luxembourg a donc progressivement élaboré un catalogue de
principes généraux du droit de l'Union et s'est reconnue
compétente dans ce domaine. Une interaction des deux juridictions est
donc apparue [Chapitre 1], s'accentuant au fil du temps et risquant de se
développer avec l'entrée en vigueur de la Charte521.
Au contraire, pour d'autres auteurs, les interférences entres les deux
systèmes ont souvent été accentuées à tord,
et l'adhésion permettra de renforcer la liaison entre les deux
juridictions [Chapitre 2].
Chapitre 1. Deux juridictions supranationales reconnues
compétentes pour protéger les droits de l'Homme
La Cour de Strasbourg est un modèle pour la protection
des droits de l'Homme, tant en Europe que dans le monde522. Elle a
été spécialement conçue pour faire respecter la
Convention, et sa jurisprudence évolutive a permis à ce texte
d'évoluer et de s'adapter aux évolutions de la
société. Son rôle pour la protection des droits de l'Homme
en Europe n'est donc plus à démontrer. En effet, « si le
droit européen des droits de l'homme a pris l'importance
considérable qu'on lui reconnaît aujourd'hui, c'est très
certainement en raison de l'existence de la Cour EDH, chargée d'assurer
le respect de la Convention EDH»523.
Pour sa part, bien que la Cour de Luxembourg n'ait pas
été créée spécifiquement pour
protéger les droits de l'Homme, contrairement à la Cour de
Strasbourg, les affaires portées devant sa juridiction l'ont conduite
à mettre en place un système de protection des droits de l'Homme.
Ainsi, les deux juridictions européennes se retrouvent en partie en
concurrence sur ce domaine [Section 1]. L'évolution de leurs
procédures respectives a notamment permis de prendre
521 COHEN-JONATHAN, Gérard, Les rapports entre le
système de l'Union européenne et la Convention européenne
des droits de l'Homme - table ronde, in COHEN-JONATHAN, Gérard,
DUTHEIL De La ROCHERE, Jacqueline, Constitution européenne,
démocratie et droits de l'Homme, Droit et justice n°47,
Bruyant-Nemesis, 2003, 307p, p.261, p.262
522 KRUGER, Hans Christian et POLAKIEWICZ, Jorg, Proposition
pour la création d'un système cohérent de protection des
droits de l'Homme en Europe, Revue universelle des droits de l'Homme,
30 octobre 2001, n°1-4, p114, p.9 ; FLAUSS, Jean-François,
Le droit international général dans la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l'Homme, in COHEN-JONATHAN,
Gérard et FLAUSS, Jean-François, Droit international, droits
de l'Homme et juridictions internationales, collection droit et justice
55, Bruyant et Nemesis, 2004, 152p, p.73, p.73
523 BONFILS, Philippe, L'absence d'effet direct des
arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme en
matière civile, La Semaine Juridique Edition Générale
n° 51, 21 Décembre 2005, II 10180
97
en compte plus spécifiquement la protection des
individus en leur permettant d'accéder aux prétoires
européens [Section 2].
Section 1. L'accentuation des compétences de la
Cour de Luxembourg dans le domaine de la protection des droits fondamentaux
La Cour de Luxembourg, tout comme toutes les institutions de
l'Union, est soumise au principe de l'attribution des compétences par le
Traité, l'article 4 §1 TUE le réaffirmant. «
L'ajout de cette disposition reflète bien la méfiance de
certains Etats membres d'une Cour trop « activiste »
»524.
Le Traité d'Amsterdam avait permis d'étendre les
compétences de la Cour de Luxembourg, une adhésion à la
Convention ayant été exclue. La Cour devenait ainsi
compétente pour des domaines sensibles, susceptibles d'avoir un impact
sur le droit des personnes. Ainsi, le domaine de l'asile, des visas et de la
libre circulation des personnes entraient dans le champ d'action de la Cour de
Luxembourg. « Or il s'agit de questions susceptibles de donner lieu
à des recours devant la Cour européenne des droits de l'homme
»525. Une disposition était ajoutée au
Traité d'Amsterdam pour éviter tout risque de concurrence entre
les deux Cours, en limitant l'action de la Cour de Luxembourg ;
« la Cour de justice n'est pas compétente pour
vérifier la validité ou la proportionnalité
d'opérations menées par la police ou d'autres services
répressifs dans un État membre, ni pour statuer sur l'exercice
des responsabilités qui incombent aux États membres pour le
maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité
intérieure. »526
Le Traité de Lisbonne a permis de continuer ce
processus d'extension des compétences de la Cour de Luxembourg. La
suppression de l'organisation de l'Union en trois piliers donne
compétence à la Cour de Luxembourg pour traiter de tous les
domaines de compétence de l'Union527.
L'article 19 TUE étend la compétence de la Cour
de Luxembourg à tous les domaines de l'Union, et donc à l'ancien
troisième pilier. Cependant, l'article 24§1 alinéa 2 dispose
que
« la Cour de justice de l'Union européenne
n'est pas compétente en ce qui concerne ces dispositions, à
l'exception de sa compétence pour contrôler le respect de
l'article
524 VAN DER JEUGHT, Stefaan, Le Traité de Lisbonne et
la Cour de justice de l'Union européenne, Journal de droit
européen, 1 décembre 2009, n°164, p.297-303, p.300
525 GAUTRON Jean-Claude, Droit européen, mementos
Dalloz, Dalloz, 13ème édition, 2009, 337p, p.49
526 Article 35 §5 Traité d'Amsterdam
527 Article 263 TFUE
98
40 du présent traité et pour contrôler
la légalité de certaines décisions visées à
l'article 275, second alinéa, du traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne ».
Désormais, la Cour de Luxembourg est compétente
pour répondre aux domaines du Titre IV TUE relatif aux visas, asile et
immigration. Mais elle se voit cependant limitée dans son action. Ainsi,
l'article 275 TUE permet aux « personnes ou entités objet de
sanctions intelligentes d'invoquer leurs droits fondamentaux devant le juge
européen »528. Il n'en demeure pas moins que dans
le cadre délicat des opérations de police, la Cour de Luxembourg
n'est pas compétente pour contrôler la proportionnalité des
opérations accomplies. « Cette disposition exprime clairement
le souhait des Etats membres que l'Union européenne respecte les
fonctions essentielles de l'État, à savoir l'ordre public et la
sécurité nationale »529. Ainsi, dans ce
domaine précis, l'adhésion de l'Union à la Convention
semble être pour certains auteurs « le seul moyen d'assurer une
protection juridique exhaustive des citoyens, jusque dans le domaine
particulièrement sensible au regard des droits de l'homme que constitue
la coopération policière et judiciaire »530.
Cette adhésion, si elle s'effectue rapidement, sera d'autant plus
profitable qu'une période de transition de cinq ans a été
prévue par le protocole n°36. Ainsi, la Cour de Luxembourg, en
matière de coopération policière et judiciaire en
matière pénale, demeure limitée dans ses
compétences antérieures lorsque les actes ont été
pris avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. La
Commission ne pourra pas, durant cette période de transition, effectuer
de recours devant la Cour de Luxembourg dans ce domaine. Mais les actes pris,
ou modifiés, après l'entrée en vigueur du Traité de
Lisbonne pourront être portés à la Cour de Luxembourg.
De plus, la Cour de Luxembourg est compétente pour
« vérifier si la mise en oeuvre de la PESC n'affecte pas les
autres compétences de l'Union ou inversement »531
et pour « « contrôle[r] la légalité
» des décisions adoptées dans ce cadre quand celles-ci
comportent des mesures restrictives à l'encontre de personnes physiques
ou morales (article 275 TFUE) »532. Elle obtient ainsi une
compétence, certes limitée, dans ce domaine.
528 RIDEAU, Joël, La protection des droits
fondamentaux dans l'Union européenne - perspectives ouvertes par le
traité de Lisbonne, Revue des affaires européennes,
2007/2008, n°2, p185-207, p.201
529 supra note 524, Van Der JEUGHT, p.302
530 KRUGER, Hans Christian et POLAKIEWICZ, Jorg, Proposition
pour la création d'un système cohérent de protection des
droits de l'Homme en Europe, Revue universelle des droits de l'Homme,
30 octobre 2001, n°1-4, p114, p.11
531 BURGORGUE-LARSEN, Laurence, Jurisprudence
européenne comparée (2005), Revue du Droit Public, 1
juillet 2006, n°4, p.1106-1142, p.516
532 Le Traité de Lisbonne, Courrier hebdomadaire
2007/1976-1977, n°1976-1977, p.5-83, p.62
99
Aujourd'hui, la Cour de Luxembourg peut également
connaître de la conformité des actes du Conseil européen
vis-à-vis des Traités, conformément à l'article 269
TFUE, celui-ci étant devenu une institution. De plus, elle pourra
contrôler la validité des actes des agences de l'Union. Enfin, la
Cour de Luxembourg peut désormais être saisie par le Comité
des Régions533.
L'Union a instauré également un système
de saisine de la Cour de Luxembourg par les institutions contre d'autres
institutions. La frilosité des Etats à mettre en cause un autre
État pour des questions diplomatiques est ici totalement effacée,
les institutions n'hésitant pas à saisir la Cour de
Luxembourg.
Dès 1984, au sein du projet
Spinelli534, le Parlement européen demandait la mise
en place d'un recours spécifique pour la protection des droits de
l'Homme. Cette voie a été soutenue par la Cour de Luxembourg en
1995, permettant de renforcer la protection des droits de l'Homme alors
même que l'Union n'avait pas pour compétence ni objectif direct
les droits de l'Homme. Pourtant, si un tel recours était aujourd'hui mis
en place, il est certain qu'une réelle concurrence aurait lieu entre les
deux juridictions européennes.
Cette option a finalement été
écartée. Ceci s'explique notamment par le fait que les droits
fondamentaux au sein de l'Union sont étroitement liés aux autres
domaines d'action de l'Union. Il serait donc difficile de distinguer un moyen
tiré de la violation d'un droit fondamental de celui tiré d'une
liberté économique. Pourtant, une solution serait « de
limiter ce recours spécifique aux dispositions de la Charte. Ainsi,
seuls les droits et libertés garantis par la Charte seraient
acceptés comme moyen utile ouvrant droit à ce recours
spécial »535.
Mais, la mise en place d'un recours spécifique devant
la Cour de Luxembourg ne semble pas adéquate « car cela
pourrait perturber de nombreux équilibres qui ont été mis
en place au fil du temps. Au sein même de l'ordre communautaire,
l'organisation même de la justice pourrait pâtir d'une telle
réforme »536. Ceci conduirait également
à une autonomie de la protection des droits de l'Homme au sein de
l'Union. Or, un contrôle externe est toujours
préférable537. « A l'évidence, la
garantie des droits de l'Homme doit se réaliser, pour être
crédible, sous le contrôle d'une instance internationale assumant
le rôle du tiers objectif et indépendant
»538, ce que représente la Cour de Strasbourg.
533 Article 263 §3 TFUE
534 Projet Spinelli du Parlement européen, 12
avril 1984, JOCE C 77
535 CORREARD, Valérie, Constitution européenne
et protection des droits fondamentaux : vers une complexité
annoncée ?, Revue trimestrielle de droits de l'Homme, 2006,
n°2, p501, p.516
536 RENUCCI, Jean-François, Traité de droit
européen des droits de l'Homme, LGDJ, 2007, 1135p, p.962
537 ibid, p.962
538 ibid, p.951
100
« La non-adhésion aboutit en outre à
des situations pour le moins curieuses, les citoyens européens
étant désormais démunis devant des actes communautaires
violant leurs droits fondamentaux, alors que lorsque ces compétences
appartenaient aux Etats, ils avaient un recours devant la Cour
européenne »539.
Mais y aurait-il encore utilité à adhérer
à la Convention dans le cas de la création d'un recours
spécifique pour la protection des droits fondamentaux ? Oui, car
l'adhésion n'a pas pour unique but de mettre en place un recours
spécifique pour la protection des droits de l'Homme, mais bien de
soumettre le système communautaire à un juge externe et de
favoriser la cohérence entre les deux Cours. De plus la Charte
consacrant le droit à un recours effectif, l'Union doit permettre un tel
recours au sein même de son système. Il faut rappeler
également que « la Convention européenne des droits de
l'homme est en effet un mécanisme subsidiaire qui a uniquement vocation
à compléter les garanties mises en place par les systèmes
juridiques internes »540.
« L'absence de recours spécifique pourrait
inciter à l'externalisation des recours en matière de droits et
libertés fondamentaux notamment dirigés vers la Convention de
sauvegarde. Dans ce cas, l'autonomie du système juridictionnel
communautaire serait partiellement remise en cause »541.
Mais comme nous l'avons vu, l'externalisation des recours est une pratique
positive en matière de protection des droits de l'Homme et
l'adhésion de l'Union à la Convention ne devrait pas remettre en
cause l'autonomie du droit de l'Union.
Il est à noter qu'au niveau national la majorité
des Etats membres n'ont pas mis en place de recours spécifiques pour la
protection des droits de l'Homme. La mise en place de tel recours dans certains
Etats, notamment l'Allemagne, l'Autriche, l'Espagne et le Portugal, a permis
cependant une diminution de la saisine de la Cour de Strasbourg à leur
égard542.
La « stature de juge des droits fondamentaux dans
l'ordre juridique communautaire »543 était déjà
avancée en 1999 lors de l'extension des compétences de la Cour de
Luxembourg. La question se pose d'autant plus aujourd'hui avec la
révision du Traité de Lisbonne. Cependant, son champ d'action se
limite toujours à celui du droit de l'Union, ce qui restreint fortement
sa
539 supra note 536, RENUCCI, p.956
540 DUBOS, Olivier, Les juridictions nationales, juge
communautaire - contribution à l'étude des transformations de la
fonction juridictionnelle dans les Etats membres de l'Union
européenne, Paris, Dalloz, 2001, 1015p, p.870
541 supra note 535, CORREARD, p.518
542 RIDEAU, Joël, Les garanties juridictionnelles des
droits fondamentaux dans l'Union européenne, in LECLERC,
Stéphane, AKANDJI-KOMBE, Jean François et REDOR,
Marie-Joëlle, L'Union européenne et les droits
fondamentaux, CRDF Université de Caen, Bruyant, 1999, 235p, p.75,
p.78
543 ZAMPINI, Florence, La Cour de justice des
Communautés européennes, gardienne des droits fondamentaux «
dans le cadre du droit communautaire », Revue trimestrielle de droit
européen, 1999, p.659
101
capacité à être une concurrente de la Cour
de Strasbourg qui peut contrôler tout acte des Hautes Parties, et
notamment ceux pris en application du droit de l'Union.
Pourtant, les juridictions nationales ont par le passé
saisi la Cour de Luxembourg, via le recours préjudiciel, pour
connaître l'interprétation de la Convention. Erreur manifeste
d'interlocuteur ou volonté de recourir à une voie n'existant pas
au niveau de la Cour de Strasbourg ? La Convention faisant partie
intégrante du droit de l'Union, le juge de la Cour de Luxembourg devait
être compétent, à leurs yeux, pour effectuer son
interprétation544. Conformément à son domaine
de compétences, la Cour de Luxembourg, lorsque l'interprétation
est liée directement au droit de l'Union ou à un acte
communautaire, accepte d'interpréter la Convention545.
La Cour de Luxembourg a su s'imposer comme juridiction de
droit de l'Union mais elle a su également imposer le droit de l'Union
aux Etats membres, en n'hésitant pas notamment à écarter
l'application de normes constitutionnelles contraires au droit de l'Union
546. En outre, cette autorité a été
acceptée par les juridictions nationales qui n'hésitent plus
à adresser à la Cour des questions préjudicielles. Mais la
Cour de Luxembourg a également montré qu'elle était une
juridiction forte en matière de protection des droits de l'Homme.
« Le juge de Luxembourg est devenu au fil des
années un véritable juge des droits de l'homme,
développant une jurisprudence dynamique en matière de droits
fondamentaux à partir des dispositions des traités communautaires
ainsi que des principes généraux du droit communautaire, issus de
la CEDH et des traditions
547
constitutionnelles communes aux Etats membres ».
Dans un recours en annulation formé contre une
décision du Tribunal de Première Instance, la Cour de Luxembourg
a jugé548 que « les juridictions communautaires
doivent assurer un contrôle complet de la légalité de
l'ensemble des actes communautaires au regard des droits fondamentaux lesquels
font partie intégrante des principes généraux du droit
communautaire »549. Le juge se doit notamment de
contrôler la légalité des actes communautaires mettant en
oeuvre une résolution du Conseil de Sécurité des Nations
Unies.
544 supra note 543, ZAMPINI
545 ibid
546 PECHEUL, Armel, Le traité de Lisbonne - La
Constitution malgré nous ?, édition Cujas, 2008, 155p,
p.42
547 BADINTER, Robert, La Charte des droits fondamentaux
à la lumière des travaux de la Convention sur l'avenir de
l'Europe, in « Mélange en hommage au Doyen Gérard
COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance », volume I et
II, Bruyant, 2004, 1784p, p.143, p.143
548 CJCE, Grande ch., 3 sept. 2008, Yassin Abdullah Kadi,
Al Barakaat International Foundation c/ Conseil de l'Union
européenne, aff. C-402/05 P et C-415/05 P
549 NEFRAMI, Elestheria, Fascicule 192 : Accords
internationaux, JurisClasseur Europe Traité, mise à jour
29 mars 2007, point 115
102
Cependant, les risques de divergences entres les deux
systèmes, communautaire et conventionnel, se sont accrus lorsque la Cour
de Luxembourg a accepté de contrôler la conformité d'un
acte étatique de transposition du droit de l'Union avec les droits
fondamentaux550. Bien que ce contrôle entre dans la
sphère communautaire, il concerne un acte étatique et non plus le
droit de l'Union direct.
De plus, lors de l'application de la Convention, « la
CJCE a toujours pris garde de se ménager une marge d'autonomie par
rapport au texte conventionnel, qui risque fort aujourd'hui de s'accentuer avec
la promulgation de la Charte »551. Ainsi, concernant la
compatibilité des systèmes nationaux de protection des droits
fondamentaux avec le système communautaire, la Cour de Luxembourg a
toujours considéré que ces droits devaient être mis en
balance.
Par son arrêt Schmidberger552, la
Cour de Luxembourg a concilié la libre circulation des marchandises,
fondamental en droit de l'Union, avec le droit de manifestation, principe
général du droit. La Cour de Luxembourg s'est abstenue
d'effectuer une hiérarchisation entre ces deux droits mais a admis que
des restrictions à une liberté fondamentale étaient
possibles pour permettre la réalisation d'un autre droit fondamental,
laissant ainsi une marge d'appréciation aux Etats membres.
La Cour de Luxembourg a permis, de la même
manière, une restriction à la libre prestation de service et
à la libre circulation des marchandises, en se basant sur la protection
de la dignité humaine553.
Ainsi, « le respect des droits fondamentaux est une
condition de la légalité des actes communautaires, mais cela
n'exclut pas que le droit communautaire puisse porter atteinte aux droits des
particuliers »554.
De plus, par son arrêt du 11 juillet 1985555,
la Cour de Luxembourg a précisé les limites de sa juridiction en
matière de protection des droits de l'Homme. Ainsi,
« s'il est vrai qu'il incombe à la Cour
d'assurer le respect des droits fondamentaux dans le domaine propre du droit
communautaire, il ne lui appartient pas, pour autant, d'examiner la
compatibilité, avec la Convention européenne, d'une loi nationale
qui
550 CJCE, 13 juillet 1989, Wachauf, aff. 5/88, Rec.
p.2609
551 BURGORGUE-LARSEN, Laurence, Le fait régional
dans la juridictionnalisation du droit international, colloque de Lille
« La juridictionnalisation du droit international », SFDI, Paris,
Pedone, 2003, 552p, p.203-264
552 BENOIT-ROHMER, Florence, Valeurs et droits fondamentaux
dans la Constitution, Revue trimestrielle de droit européen,
2005, p.261
553 CJCE, 14 octobre 2004, société Omega c/
Bonn, aff. C-36/02, Rec. 2004, I-9609
554 CIAMPI, Annalisa, L'Union européenne et le respect
des droits de l'homme dans la mise en oeuvre des sanctions devant la Cour
européenne des droits de l'Homme, Revue générale de
droit international public, 2006, n°110-1, p85, p.97
555 CJCE, 11 juillet 1985, Cinémathèque c/
Fédéraiton nationale des cinémas français,
aff. 60/84, Rec. 1985 p. 2605
103
se situe, comme en l'occurrence, dans un domaine qui
relève de l'appréciation du législateur national
»556.
En effet, la Cour de Luxembourg n'a pas pour «
mission de s'occuper de la défense des droits de l'homme dans la
sphère de la souveraineté législative des Etats membres
»557.
La Cour de Luxembourg est donc au sommet de l'ordre judiciaire
de l'Union, seuls les traités pourraient limiter ses pouvoirs, mais il
est évident que dans une Union de droit, la question de la limitation
des pouvoirs du juge ne se pose pas. Au contraire, les pouvoirs de la Cour de
Luxembourg ont été renforcés par le Traité de
Lisbonne et par l'entrée en vigueur de la Charte. Ces nouvelles
compétences seront « de nature à conférer
définitivement une valeur de niveau constitutionnel à l'essentiel
des décisions de la Cour de Justice »558.
Section 2. La reconnaissance de l'accès des
particuliers aux Cours européennes : base de l'effectivité de la
protection des droits de l'Homme
Mais la protection des droits de l'Homme s'appuie en premier
lieu sur les juridictions nationales pour faire respecter la Convention. Les
juges nationaux sont ainsi les juges de droit commun du droit européen,
ils appliquent tant le droit de l'Union que conventionnel.
En effet, la Cour de Strasbourg ne peut être saisie
qu'après la réalisation de tous les recours internes efficaces en
la matière. En outre, la Cour de Luxembourg a affirmé très
rapidement que le juge de droit commun du droit de l'Union était le juge
national. Cependant, les juges nationaux ont la faculté de saisir la
Cour de Luxembourg pour une question préjudicielle, ce qui permet une
harmonisation des différentes interprétations du droit de l'Union
dans les différents Etats membres. Ce système est absent du
système conventionnel.
Les individus ont donc un recours direct grâce à
leurs juges nationaux. Cependant, le recours devant les Cours
européennes, tant de Strasbourg que de Luxembourg, n'a été
que tardif dans les deux systèmes. L'accès des particuliers aux
prétoires des juridictions européennes n'a
556 supra note 555, CJCE, 11 juillet 1985,
Cinémathèque, point 26
557 PESCATORE, Pierre, La Cour de justice des
Communautés européennes et la Convention européenne des
droits de l'homme, Protection des droits de l'homme : la dimension
européenne, Mélanges Gérard J. WIARDA, Heymanns
Verlag, Koln, 1988, p.441-455, in PESCATORE, Pierre, Etudes
de droit communautaire européen 1962-2007, avec une liste
bibliographique complémentaire, Grands écrits, collection
droit de l'Union européenne dirigée par Fabrice Picod, Bruyant
2008, 1005p, p.731, p.738
558 supra note 546, PECHEUL, p.44
104
jamais été illimité et continue
d'être strictement encadré, tant par la Convention que par les
Traités communautaires. De plus, comme la Cour de Luxembourg a
déjà eu à le préciser,
« il appartient, en principe, au droit national de
déterminer la qualité et l'intérêt d'un justiciable
pour agir en justice, le droit communautaire exige néanmoins que la
législation nationale ne porte pas atteinte au droit à une
protection juridictionnelle effective [...]. Il incombe en effet aux Etats
membres de prévoir un système de voies de recours et de
procédures permettant d'assurer le respect de ce
559
droit [...] ».
A l'origine de l'entrée en vigueur de la Convention, le
recours des particuliers n'était prévu que dans le cadre d'un
accord des Etats par la souscription à une déclaration
facultative du droit au recours individuel. Ainsi, avant le protocole n°11
de la Convention de 1998, la possibilité pour les individus de saisir la
Cour de Strasbourg était limité et en aucun cas obligatoire pour
les Etats. Ceci créait une disparité entre les citoyens de
l'Europe puisque certains avaient un accès à la Cour de
Strasbourg et d'autres non.
Le protocole n°11560 a mis fin au choix
laissé aux Etats membres d'accepter ou non le recours individuel en
mettant en place un accès direct des individus à la Cour de
Strasbourg. Bien entendu, la recevabilité des recours des particuliers
reste conditionnée à l'épuisement des voies de recours
internes. La place de la Cour s'est alors fortement développée en
permettant le recours individuel à la Cour. Ce droit « est
généralement considéré comme l'acquis le plus
précieux du droit européen des droits de l'homme. [...] le droit
de recours individuel constitue, en l'état, la forme la plus
achevée, et de surcroît unique, d'internationalisation du statut
de l'individu »561
Pourtant, sous la pression de la quantité des
requêtes introduites devant la Cour de Strasbourg et de la
difficulté de faire face à cette surcharge de travail, le
protocole n°14 a cherché à réduire l'accès des
particuliers. Ainsi, bien que de fortes critiques aient eu lieu concernant
l'accès des particuliers à la Cour de Luxembourg562,
la tendance devant la Cour de Strasbourg, est bien de limiter le recours des
individus563. Pourtant on indique que l'adhésion de l'Union
à la Convention aurait également pour effet de compenser «
les carences du système
559 CJCE, 13 mars 2007, Unibet, Aff C-432/05, point40-42
560 Protocole n°11 (STCE n°155), entrée en
vigueur le 1er novembre 1998
561 FLAUSS, Jean-François, Faut-il transformer la Cour
européenne des droits de l'homme en juridiction constitutionnelle ?,
Recueil Dalloz 2003, p.1638
562 LAMBERT ABDELGAWAD, Elisabeth, L'exécution des
décisions des juridictions européennes (Cour de justice des
Communautés européennes et Cour européenne des droits de
l'Homme), Annuaire français de droit international, 2006, p677,
p.692
563 BENOIT-ROHMER, Florence, A propos de l'arrêt
Bosphorus Air Lines du 30 juin 2005 : l'adhésion contrainte de l'Union
à la Convention, Revue Trimestrielle de droits de l'Homme,
2005, n°64, 64/2005, p.827-853, p.849
105
juridictionnel communautaire »564 en
permettant un accès à la Cour de Strasbourg pour les
particuliers. Le protocole n°14 instaure des restrictions.
Désormais, seules les affaires représentant un préjudice
important pourront être déclarées recevables.
Hélas,
« la notion de « préjudice important
» - qu'il appartiendra à la Cour européenne de
préciser - risque de conduire à écarter des requêtes
qui, pour mineures qu'elles soient quant au préjudice subi, peuvent
néanmoins soulever des questions de principe tenant à
l'application de la Convention ou à la « conventionalité
» du droit interne »565.
Mais, alors même que le protocole n°14 à la
Convention n'était pas encore entré en vigueur, les Hautes
Parties ont adopté une déclaration commune en février
2010566 pour préparer les futurs travaux visant à
réformer, une fois de plus, la Cour de Strasbourg567.
Durant longtemps, l'on a reproché au système
communautaire de restreindre l'accès des individus à la Cour de
Luxembourg.
Pourtant, les carences du système de protection de
l'Union, liées à son manque de recours possible pour les
particuliers, ont lieu pour des cas qui « sont très
limités puisqu'ils ne concernent que les hypothèses dans
lesquelles un acte communautaire de portée générale est
applicable à un particulier sans qu'il soit besoin de mesures nationales
d'application »568.
En outre, bien que la Cour de Strasbourg relève que
l'accès limité des particuliers à la Cour de Luxembourg
est une carence pour la protection des droits fondamentaux, elle n'en retient
pas moins que le système communautaire permet un niveau de protection
des droits fondamentaux équivalent à celui de la
Convention569.
De plus, bien que les individus n'aient eu que des voies de
recours limitées devant la Cour de Luxembourg, le système du
recours préjudiciel permettait aux individus, à travers leurs
juges nationaux, d'avoir accès aux juges de la Cour de Luxembourg.
Depuis 2008 une procédure d'urgence570, dans le cadre des
questions préjudicielles, a été instaurée pour les
personnes privées de liberté. La compétence de la Cour de
Luxembourg couvrant aujourd'hui tous les
564 supra note 521, COHEN-JONATHAN, p.280
565 SUDRE, Frédéric, Droit européen et
international des droits de l'homme, 9ème édition,
collection droit fondamental, PUF, 2008, Paris, 843p ; p694 point 323
566 Conférence de haut niveau sur l'avenir de la
Cour européenne des droits de l'homme, Déclaration d'Interlaken,
19 février 2010, site officiel du Conseil de l'Europe, communiqué
145(2010)
567 Réforme de la Cour EDH : adoption d'une
déclaration commune, La Semaine Juridique Edition
Générale, n°9, 1er mars 2010, 267
568 supra note 563, BENOIT-ROHMER, p.849
569 KAUFF-GAZIN, Fabienne, L'arrêt Bosphorus de la CEDH
: quand le juge de Strasbourg décerne au système communautaire un
label de protection satisfaisante des droits fondamentaux (CEDH, 30 juin 2005),
Les Petites Affiches, 24 novembre 2005, n°234, p.9
570 La Cour de Luxembourg a alors trois mois pour rendre sa
décision.
106
domaines d'action de l'Union, notamment de l'espace de
liberté, de sécurité et de justice, cette procédure
devrait être de plus en plus utilisée571.
Notons également que jusqu'à la réforme
récente de la Constitution française, la France était
partie à la Convention et n'offrait pas de voie de recours aux individus
pour effectuer un contrôle de constitutionnalité des
lois572. La position de la Cour de Luxembourg vis-à-vis de la
Convention est donc loin d'être inacceptable concernant l'accès
des individus à son prétoire.
L'accès des particuliers à la Cour de Luxembourg
était donc limité, en théorie, aux recours en
annulation573, en carence574 ou en
indemnité575. Mais l'individu avait surtout accès,
indirectement, à la Cour de Luxembourg par le biais des questions
préjudicielles des juridictions nationales.
Le recours en annulation était strictement
encadré pour les particuliers, notamment par l'instauration d'une
distinction entre les requérants privilégiés et non
privilégiés. Les particuliers faisaient partie de la seconde
catégorie et devaient démontrer qu'un intérêt
personnel et direct les poussait à agir. Dans ce cadre, le recours avait
une connotation subjective. La Cour de Luxembourg a élargi l'ouverture
des recours aux particuliers en indiquant dans une affaire de 1990 qu'une
personne directement concernée par l'acte incriminé, mais non
destinataire, pouvait effectuer un recours576. Cependant, aucun
recours général n'a été accordé par la Cour
de Luxembourg. Lorsque l'acte était de portée
générale, le droit de recours des individus était
refusé si ils possédaient d'autres voies de
recours577.
Le Tribunal de Première Instance a tenté en 2002
d'ouvrir l'accès des particuliers en acceptant un recours d'individus
non directement concernés par un acte
général578. La mise en place de ce recours objectif a
été rejetée par la Cour de Justice seulement quelques mois
plus tard579 et a conduit la Cour de Justice à censurer la
position du Tribunal de Première Instance580. La Cour de
Justice considérait en effet qu'une révision des traités
était nécessaire pour accepter de tels recours. Ce fut chose
faite avec la révision du Traité de Lisbonne.
571 Supra note 524, Van Der JEUGHT, p.303
572 CHALTIEL, Florence, L'Union européenne doit-elle
adhérer à la Convention Européenne des Droits de l'Homme
?, Revue du Marché Commun et de l'Union Européenne, 1
janvier 1997, n°404, p.34-50, p.44
573 article 263 TFUE
574 article 265 TFUE
575 article 268 et 340 TFUE
576 CJCE, 26 juin 1990, Sofrimport, aff. C-152/88,
Rec.1990, p.I-2477
577 CJCE, 15 juillet 1963, Plaumann, aff. 25/62
578 TPI, 3 mai 2002, Jégo-Quéré et
compagnie SA c/ Commission, aff. T-177/01 : Rec. CJCE 2002, II, p. 2365
579 CJCE, 25 juillet 2002, Union Pequenos Agricultores,
aff. C-50/00
580 CJCE, 1er avril 2004, Commission c/
Jégo-Quéré, C-263/02 P
107
Les individus ont aujourd'hui, conformément à
l'article 263 alinéa 4 TFUE, un droit d'accès au prétoire
de la Cour de Luxembourg plus étendu en matière de recours en
annulation. Cet article prévoit que « toute personne physique
ou morale peut former, [ ...], un recours contre les actes dont elle est le
destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que
contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne
comportent pas de mesures d'exécution ».
Ainsi, seuls les actes règlementaires concernant
directement l'individu et qui n'ont fait l'objet d'aucune mesure
d'exécution peuvent être attaqués.
Les actes législatifs sont définis à
l'article 289 §3 TFUE. La difficulté réside dans
l'interprétation de la notion d' « actes réglementaires
». Ils correspondent, conformément aux travaux
préparatoires, aux « actes non législatifs de
portée générale »581. Mais, les
articles 288 à 292 TFUE relatifs aux actes juridiques de l'Union ne font
pas référence à cette notion. Dans ce cas, il est possible
que l'individu puisse attaquer tous les actes non législatifs ou au
contraire uniquement les actes règlementaires
d'exécution582. De même, les directives ne semblent pas
relever de cette nouvelle voie de recours puisque des mesures
d'exécution doivent être prises pour les transposer. Ainsi, si
l'acte communautaire a fait l'objet d'actes nationaux en vue de son
exécution, c'est vers les juridictions nationales que le particulier
devra se tourner, le juge national pouvant par la suite avoir accès
à la Cour de Luxembourg par le biais de la question préjudicielle
si un doute sur la validité de l'acte communautaire naissait.
Mais, une ambiguïté sur l'interprétation
des mesures d'exécution peut être soulevée. En effet,
doit-on prendre en considération les actes qui n'ont pas reçu de
mesures d'exécution, alors même qu'ils auraient dû, ou
uniquement les actes qui, par leur nature même, ne peuvent produire des
mesures d'exécution ?583 En outre, il semblerait que
l'article 263 permette, en démontrant que le requérant est
individualisé par rapport à un acte normatif ou que cet acte
législatif ne soit pas normatif, d'attaquer tout acte
communautaire584. Dans le cas contraire, seuls les requérants
privilégiés585 seront en mesure de saisir la Cour de
Luxembourg pour connaître de la conformité d'un acte
législatif.
581 supra note 532, Le traité de
Lisbonne, p.63
582 Fascicule 120 : Traité établissant une
constitution pour l'Europe, JurisClasseur Europe Traité, mise
à jour 1er juin 2008, point 149
583 ibid, point 148
584 Fascicule 161-27-4 : Recours en annulation,
JurisClasseur Droit International, mise à jour 1er
juin 2008, point 363
585 Etats membres et institutions communautaires (Parlement
européen, Conseil européen, Conseil, Commission, Cour de justice
de l'Union européenne, Banque centrale européenne, Cour des
comptes). A noter que le Comité des Régions peut être
amené, pour sauvegarder ses prérogatives, à saisir la Cour
de Luxembourg dans ce cadre.
108
Cependant, la portée même de ce nouvel article
est incertaine586. En outre, l'interprétation de la notion
« individuellement concerné » pourrait étendre, ou au
contraire réduire, l'accès des particuliers à la Cour de
Luxembourg.
Cependant, la formulation de l'article 19 TUE qui
prévoit que « les Etats membres établissent les voies de
recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle
effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union »
pourrait conduire les Etats à mettre en place des procédures pour
que leurs juridictions soient dans l'obligation de saisir la Cour de Luxembourg
de questions préjudicielles en appréciation de validité
des actes communautaires. Le recours juridictionnel du particulier serait
assuré, mais de manière indirecte. L'avantage de cette
procédure serait de ne pas engorger la Cour de Luxembourg de demande des
particuliers et d'appliquer le principe qui fait du juge national le juge de
droit commun du droit de l'Union 587.
L'accès des particuliers à la Cour de Luxembourg
est un enjeu aux vues de l'adhésion de l'Union à la Convention.
La Commission aux affaires constitutionnelles du Parlement européen a
notamment souligné le fait que « la principale valeur
ajoutée de l'adhésion de l'UE à la CEDH réside dans
le recours individuel contre les actes de mise en oeuvre du droit de l'Union
par ses institutions ou par les Etats membres »588
précisant que ces requêtes peuvent être introduites par une
personne physique ou morale. En effet, l'article 6 de la Convention a
été interprété par la Cour de Strasbourg pour faire
en sorte que les individus aient un accès effectif à la justice.
La Cour de Strasbourg pourrait-elle considérer que tel est le cas au
sein de l'Union ? En outre, la Cour de Luxembourg doit désormais
appliquer la Charte, qui prévoit également à son article
47 le droit à un recours effectif589.
Il faut cependant prendre en compte qu'un accès ouvert
des particuliers à la Cour de Luxembourg risquerait d'augmenter
perceptiblement sa charge de travail. Les conséquences ont
été telles sur la Cour de Strasbourg que des mesures doivent
être prises rapidement pour faire face à un engorgement
hypothétique mais prévisible.
En revanche les affaires susceptibles d'être admises
pour un contrôle sont également différentes d'une
juridiction à une autre. En effet, la Cour de Luxembourg est
limitée aux affaires
586 BOT, Yves, Quelques perspectives après Lisbonne,
La Semaine Juridique Edition Générale, n°52, 21
décembre 2009, 580
587 ibid
588 Amendements de compromis, Parlement européen,
Commission des affaires constitutionnelles, 15 avril 2010, Les aspects
institutionnels de l'adhésion de l'Union européenne à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales, 2009/2241(INI), amendement n°10, p8
589 op. cit., BOT
109
liées au droit de l'Union. Cependant, dans un
arrêt de 1975590, la Cour de Strasbourg a indiqué que
l'article 6 de la Convention garantissait le droit des particuliers à
faire entendre par un tribunal leurs contestations à caractère
civil591. La limitation des droits au caractère civil, ou
pénal, a fait l'objet de fortes discussions, notamment sur la question
de savoir si les sanctions administratives pouvaient être prises en
compte592. Bien que la Cour de Strasbourg ait fortement
réduit les domaines administratifs qui auraient pu être
écartés de l'application de l'article 6 de la Convention, elle
n'a jamais étendu son interprétation jusqu'à supprimer
toute distinction et donc toutes inapplicabilités de l'article
6593. Avec l'arrêt Pellegrin594, elle a
même « recadré » cette application.
Précisons cependant que « le droit à un recours
juridictionnel au plan national n'est pas reconnu en tant que tel par la Cour
de Luxembourg, mais comme le corollaire nécessaire à
l'effectivité d'un droit résultant du droit communautaire
»595.
Pour sa part, la Cour de Luxembourg a forgé sa
conception du droit au juge sur la base des principes généraux du
droit de l'Union, l'objectif étant que le droit de l'Union soit
correctement appliqué sur l'ensemble du territoire de l'Union et que le
principe de primauté du droit de l'Union soit
respecté596. La Cour de Luxembourg se réfère
notamment à l'article 6 de la Convention dans son arrêt
Johnston597, permettant, via la notion de patrimoine
juridique commun, de consacrer le droit au juge. La Cour de Luxembourg affirme
ainsi « qu'il existait un principe général du droit
à un recours juridictionnel dont les sources d'inspiration se trouvaient
notamment dans les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres
ainsi que dans les articles 6 et 13 de la Convention »598.
Cependant, la Cour de Luxembourg ne prend pas en compte la distinction
opérée par l'article 6 de la Convention concernant les affaires
à caractère civil, pénal ou administratif599,
permettant ainsi de traiter un plus grand éventail d'affaires.
590 Commission EDH, 21 février 1975, Golder,
série A, n°18
591 DUTHEIL De La ROCHERE, Jacqueline, Droit au juge,
accès à la justice européenne, Pouvoirs 2001/1,
n°96, p.123-141, p.125
592 ibid, p.126
593 ibid, p.131
594 CEDH, Gde Ch., 8 décembre 1999, Pellegrin c.
France, req. N°28541/95, rec 1999-VIII.; BURGORGUE-LARSEN, Laurence,
De l'art de changer de cap. Libres propos sur les « nouveaux »
revirements de jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme, in « Mélange en hommage au Doyen Gérard
COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance », volume I et
II, Bruyant, 2004, 1784p, p.329-344
595 op.cit. DUTHEIL De La ROCHERE, p.132
596 ibid, p.129
597 CJCE, 15 mais 1986, Marguerite Johnston c/ Chief
Constable o the Royal Ulster Constabulary, aff. 222/84, Rec. p.1651
598 supra note 535, CORREARD, p.513
599 CJCE, 3 décembre 1992, Oleificio Borelli,
aff. C-97/91, Rec. I p.6313
110
Chapitre 2. L'adhésion comme solution à
l'harmonisation des relations entre les deux Cours européennes ?
Denys Simon l'indiquait dès 2001 dans son article
« Des influences réciproques entre CJCE et CEDH : «
je t'aime, moi non plus » ? »600, que les
relations entre les deux Cours se basent sur une « dimension
essentiellement évolutive des influences réciproques
»601. Ainsi, les deux juridictions européennes ont
une influence réciproque certaine [Section 1] qui a permis notamment une
coopération de leur travail [Section 2].
Section 1. La relation ambiguë des Cours
européennes
« Le plus souvent, la concurrence évoque le
conflit »602, tant de normes que de juridictions. «
L'on glisse imperceptiblement de la problématique du conflit vers
celle de la cohérence, de l'unité, voir de l'identité des
ordres juridiques »603.
Les conflits entre les deux ordres sont renforcés pour
deux raisons. « Premièrement, le fait que la compétence
de l'ordre juridique supérieur n'est pas générale.
Deuxièmement, le fait que, s'il y a bien intégration
hiérarchique, il n'y a pas d'intégration organique, donc elle
n'est que fonctionnelle. Et aussi longtemps que ce sera ainsi, les conflits
restent inévitables »604.
Les juridictions doivent évoluer pour faire face
à l'évolution même de leurs organismes de rattachement. Les
élargissements de l'Union et du Conseil de l'Europe à l'Est ont
engendré des réformes des instituions mais également des
juridictions qui devaient faire face à de nouveaux conflits et à
de nouveaux membres. Rappelons, si besoin est, que tant la Cour de Strasbourg
que la Cour de Luxembourg, bien que liées à leur organisation de
création, restent indépendantes, tant des organisations que des
Etats membres. Cette indépendance se traduit notamment par
l'élaboration, en interne, des règlements
intérieurs605.
600 SIMON, Denys, Des influences réciproques entre CJCE et
CEDH : « Je t'aime, moi non plus » ?, Revue
Pouvoirs, 2001/1, n°96, p31-49
601 ibid, p31
602 Du BOIS De GAUDUSSON, Jean et FERRAND,
Frédéric, La concurrence des systèmes juridiques,
groupement
de droit comparé, institut de droit
comparé Edouard Lambert, Université Jean Moulin Lyon 3, Acte du
colloque de Lyon, 20 octobre 2006, Presse Universitaire d'Aix-Marseille, 2008,
162p, p.107
603 ibid.
604 ibid, p.117
605 supra note 551, BURGORGUE-LARSEN
111
La plus grande difficulté pour la coexistence des deux
systèmes réside dans le fait qu'ils n'ont pas été
créés dans la même optique606. Pourtant, la
séparation des compétences, entre une Union se préoccupant
uniquement du développement économique et un Conseil de l'Europe
protégeant les droits de l'Homme sur le continent européen,
semble devoir être aujourd'hui totalement dépassée. Mais,
la Cour de Strasbourg reste et demeure le symbole de la protection des droits
fondamentaux en Europe, mais également dans le monde. La Convention et
la Cour de Strasbourg sont en effet des modèles pour la protection
internationale des droits de l'Homme607 et ont un réel «
rayonnement international »608. De plus, les deux
juridictions, sur le plan international, sont des modèles de
juridictions régionales609. Mais la Cour de Strasbourg a
l'avantage de paraître « à la fois plus autonome,
c'est-à-dire plus isolée, et plus libre, c'est-à-dire
structurellement moins responsable des conséquences politiques,
administratives et économiques de ses arrêts, que ne l'est la Cour
de justice »610. En outre, « l'existence d'une
instance de contrôle située au niveau européen,
indépendante du système national dont elle examine les actes,
constitue pour les citoyens une garantie - aujourd'hui fondamentale à
leurs yeux - de la protection de leurs droits »611.
Trois hypothèses de conflit d'interprétation
entre la Cour de Luxembourg et la Cour de Strasbourg ont été
relevées par Jean-Sylvestre Berge et Sophie
Robin-Olivier612.
En premier lieu, l'hypothèse « para-conflictuelle
» serait le cas où les deux Cours statuent pour une même
affaire mais sur une base différente de protection des droits
fondamentaux. Il n'y aurait alors pas de conflit d'interprétation car
les Cours ne se prononceraient pas sur les mêmes droits. Cependant, la
solution finale pourrait être totalement
différente613.
En second lieu, l'hypothèse « abstraite »
serait l'interprétation du même droit mais dans des affaires
distinctes. L'interprétation différente d'un même droit
pourrait alors s'expliquer par le cas d'espèce614.
606 RIDEAU, Joël, La coexistence des systèmes de
protection des droits fondamentaux dans la Communauté européenne
et ses Etats membres, Annuaire international de justice
constitutionnelle, 1991, p11, p.41
607 WECKEL, Philippe, Les confins du droit européen
des droits de l'Homme et le progrès du droit, in «
Mélange en hommage au Doyen Gérard COHEN-JONATHAN -
Libertés, justice, tolérance », volume I et II, Bruyant,
2004, 1784p, p.1729
608 supra note 522, FLAUSS, p.73
609 supra note 551, BURGORGUE-LARSEN
610 LEGAL, Hubert, Composition et fonctionnement des Cours
européennes, Pouvoirs 2001/1, n°96, p.65-84, p.66
611 supra note 530, KRUGER et POLAKIEWICZ, p.9
612 BERGE Jean-Sylvestre et ROBIN-OLIVIER Sophie,
Introduction au droit européen, Thémis droit, PUF, 2008,
1ère édition, 551p, p.255
613 ibid., p.256
614 supra note 612, BERGE et ROBIN-OLIVIER, p.256-257
112
Enfin, l'hypothèse « réellement
conflictuelle » serait l'interprétation, dans la même
affaire, d'un même droit fondamental. Cette situation pourrait se
rencontrer dans les affaires qui auraient dans un premier temps
été soumises à la Cour de Luxembourg par la voie d'une
question préjudicielle, pour ensuite être
déférées devant la Cour de Strasbourg. L'hypothèse
inverse est également envisageable, la Cour de Strasbourg
protégeant un droit qui irait à l'encontre du droit de l'Union,
tel que le droit syndical. L'État serait alors dans une situation
insoutenable de devoir respecter les décisions contradictoires des deux
Cours615.
Bien que la Cour de Luxembourg se soit élevée
comme garante des droits fondamentaux au sein de l'Union, le rôle de la
Cour de Strasbourg reste primordial puisqu'il permet de palier le droit de
l'Union en matière de droits de l'Homme. Dans l'affaire Koua
Poirrez616, « la législation française
contenait en effet un élément de discrimination que le droit
communautaire n'a pu corriger, à défaut d'être applicable
aux faits de la cause, si bien qu'il a fallu l'intervention de la Cour de
Strasbourg pour qu'il fut remédié au problème
»617.
Cette affaire met en lumière une
inégalité de droit entre les individus, selon leur situation
vis-à-vis du droit de l'Union. En l'espèce, il aurait suffit que
le père du requérant ait travaillé dans un autre
État membre, et donc exercé une de ses libertés
fondamentales, pour que le droit de l'Union s'applique618. En effet,
en matière de regroupement familial, le droit de l'Union est plus
protecteur que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Cependant, le droit
au regroupement familial ne peut s'exercer dans le cadre communautaire que si
le citoyen de l'Union a exercé sa liberté fondamentale de se
déplacer et de travailler dans un autre État membre. Dans ce cas,
le regroupement familial sera complet car facilitant l'exercice d'une
liberté fondamentale communautaire. En revanche, dans le cas contraire,
si le citoyen de l'Union demeure dans son État de nationalité, le
droit de l'Union ne s'appliquera pas et c'est le droit national, avec la
Convention, qui sera la base du droit du requérant619. Or, la
Cour de Strasbourg en matière de regroupement familial est moins
protectrice que la Cour de Luxembourg. Sur la base de l'article 8 de la
Convention, la Cour de Luxembourg n'impose pas aux Etats le respect du choix du
lieu de résidence par les couples620.
615 supra note 612, BERGE et ROBIN-OLIVIER, p.258-259
616 CEDH, 30 septembre 2003, Koua Poirrez c/ France, req
n° 40892-98
617 CALLEWAERT, Johan, Paris, Luxembourg, Strasbourg : trois
juges, une discrimination - L'interaction entre les ordres juridiques national,
communautaire et conventionnel à l'épreuve de la pratique (en
marge de l'arrêt Koua Poirrez), Revue trimestrielle de droits de
l'Homme, 2005, n°61, p.159-169, p. 161
618 ibid, p.162
619 op.cit., CALLEWAERT, p.167-168
620 CEDH, 28 novembre 1996, Ahmut c. Pays-Bas, 1996-VI, p.2030
113
Dans ce cas précis, l'adhésion de l'Union
à la Convention ne modifierait pas la situation puisque
l'adhésion ne pourrait avoir pour effet de modifier le droit de l'Union
et que la Cour de Strasbourg devra prendre en compte, ce qu'elle fait
déjà, les particularités du droit de l'Union.
Les difficultés de cohésion entre les deux Cours
ont lieu car la Cour de Luxembourg applique les droits fondamentaux sous une
conception communautaire. Cette approche se révèle dans le
domaine de l'interruption volontaire de grossesse par exemple, où les
deux Cours ont été saisies de ce domaine mais sous une approche
totalement différente. La décision qui a été prise
dans ces deux affaires est forcément différente, la Cour de
Luxembourg se basant sur l'activité économique de cette pratique
et sur le fait qu'un service ne peut être limité entre Etats, la
Cour de Strasbourg se basant de son côté sur des
éléments de moralité621. Il n'en demeure pas
moins que la Cour de Luxembourg ne fait que respecter son domaine de
compétence qui est de faire respecter le droit de l'Union, celui-ci
ayant un aspect essentiellement économique qui se reporte sur la
protection des droits de l'Homme octroyée.
Bien que des discordances d'interprétations aient pu
exister entre la Cour de Luxembourg et la Cour de Strasbourg, l'application
d'un seul et même texte, la Convention, avait permis un certain
équilibre à la protection des droits de l'Homme au sein des
différents systèmes européens. L'entrée en vigueur
de la Charte, et son applicabilité, remet en cause cet équilibre
fragile par la mise en place d'une nouvelle norme de référence en
matière de protection des droits fondamentaux622. «
Les zones d'interférence entre les compétences respectives de
la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice des
Communautés européennes sont susceptibles de s'accroître
»623.
La jurisprudence des deux Cours et la volonté de
l'Union de se soumettre au respect des droits de l'Homme laissaient penser
qu'une « certaine perméabilité inéluctable, voire
une osmose délibérée, dans les rapports entre les deux
juridictions »624 allait prochainement voir le jour. Bien
au contraire, les évolutions géographique et institutionnelle de
l'Union « suscitent mécaniquement le risque d'un «
double standard » en matière de défense des
droits
621 OMARJEE, Ismaël, ROBIN-OLIVIER, Sophie et SINOPOLI,
Laurence, Questionnement sur la place des normes internationales et
européennes dans l'ordre juridique communautaire, chronique de droit
européen n°2, Les Petites Affiches, 26 juillet 2002,
n°149, p.9
622 LE BOT, Olivier, Charte de l'Union européenne et
Convention de sauvegarde de l'Homme : la coexistence de deux catalogues de
droits fondamentaux, Revue trimestrielle de droits de l'Homme,
n°55/2003, p.781-811, p.787
623 supra note 600, SIMON, p41
624 ibid, p33
114
fondamentaux, qui n'est pas de nature à
améliorer la situation des justiciables, ni à faciliter la
tâche des juridictions nationales »625.
Bien que les deux Cours semblent se rapprocher, «
certaines évolutions récentes peuvent susciter de
légitimes inquiétudes quant à la poursuite du mouvement.
Il en est ainsi en particulier de l'autonomisation croissante du système
communautaire de protection des droits fondamentaux »626.
L'adhésion de l'Union à la Convention ne doit pas conduire
à une absence de contrôle de la Convention par la Cour de
Strasbourg au profit de la compétence de la Cour de Luxembourg. En
effet, la Cour de Luxembourg reste aujourd'hui sur une interprétation de
la Convention
« à travers le « prisme communautaire
», qui justifie le filtrage interprétatif opéré au
nom de la spécificité de l'ordre juridique communautaire. Le
risque n'est alors pas négligeable de voir se développer des
divergences d'interprétation, voire une sorte de double standard,
à propos de la garantie de droits théoriquement
protégés sur la base des mêmes dispositions
conventionnelles »627.
En outre, la compétence de la Cour de Luxembourg reste
liée aux affaires de droit de l'Union. Ceci peut créer des
difficultés dans les cas de lien entre le droit de l'Union et les droits
de l'homme, ce qui se produit de plus en plus par l'extension des
compétences de l'Union.
L'entrée en vigueur de la Charte et son application
collective avec la Convention au sein de l'Union ne pourra pas faire «
disparaître à l'évidence les interférences entre
la pratique des deux juridictions. Il est clair toutefois qu'une telle
situation ne peut qu'aggraver les conflits d'allégeance auxquels
risquent d'être exposés les juges nationaux
»628.
En effet, comme nous l'avons indiqué auparavant, la
construction communautaire ne s'est pas effectuée à travers la
protection des droits de l'Homme. Ainsi, la construction dans un premier temps
économique de l'Union « explique que les rapports entre les
deux ensembles conventionnels, d'une part, et entre les deux mécanismes
de contrôle juridictionnel, d'autre part, n'aient pas été
envisagés lors de la signature des traités communautaires
»629. L'on peut donc d'autant plus s'étonner que le
traité de Lisbonne ne se soit pas penché plus longuement sur cet
état des lieux qui risque en effet de créer dans un futur proche
des interactions entre les deux systèmes. La mise en place d'une simple
procédure d'avis ou de renvoi en interprétation entre les deux
Cours semble illusoire et inappropriée. Cette procédure
permettrait une coopération renforcée entre la Cour de Strasbourg
et la Cour de Luxembourg et une interprétation uniforme
625 supra note 600, SIMON, p34
626 ibid, p47
627 ibid, p48
628 ibid, p49
629 ibid, p32
115
de la Convention par les deux systèmes. Elle
permettrait notamment de réduire le nombre d'affaires individuelles
portées devant la Cour de Strasbourg, à la double condition que
la Cour de Luxembourg soit tenue à l'interprétation de la Cour de
Strasbourg et qu'une requête portée devant la Cour de Strasbourg
ayant pour fondement le droit interprété à l'occasion du
premier renvoi soit déclarée irrecevable.
»632.
Cependant, la Cour de Luxembourg devrait être saisie de
l'affaire au préalable, ce qui limite l'accès des individus. En
outre, il est plus probable que la Cour de Luxembourg ne serait pas liée
à ces avis et pourrait s'en détacher, sous motivation, ce qui
créerait des distorsions de jurisprudence difficilement surmontables. De
plus, ceci exclu le recours des particuliers devant la Cour de Strasbourg. Il
faut également prendre en compte le cas d'une affaire ayant fait l'objet
de l'avis de la Cour de Strasbourg qui serait par la suite portée devant
elle. Le même juge ne pouvant trancher deux fois la même affaire,
la Cour de Strasbourg devra prendre garde à sa
composition630. Enfin, la Cour de Strasbourg devrait rendre des avis
sur des questions communautaires sans avoir un juge représentant l'Union
en cas de non-adhésion631. Un collège d'expert
pourrait cependant être mis en place permettant « de
prévenir les violations éventuelles des droits de l'homme tout en
ménageant les susceptibilités politiques ; elle évite de
marquer une subordination politique trop forte à l'égard du
système de Strasbourg
Pourtant, pourquoi créer un tel renvoi pour la Cour de
Luxembourg alors que les juridictions nationales, notamment constitutionnelles,
n'ont pas cette faculté ? Faudrait-il ouvrir cette faculté
à toutes les juridictions ?
La question se porte également sur les modalités
d'un tel recours. En effet, les délais de jugement sont de plus en plus
longs. Une telle procédure ne serait-elle pas un risque de les voir
s'allonger encore un peu plus, tant pour l'affaire en cause que pour les autres
qui ne pourraient être traitées durant ce laps de temps ?
630 supra note 530, KRUGER et POLAKIEWICZ, p.10
Il est à noter que la Commission des Affaires
étrangères du Parlement européen n'est pas favorable
à la mise en place d'une telle procédure d'interprétation,
notamment pour le fait que ceci allongerait inutilement les délais de
procédure633.
631 supra note 521, COHEN-JONATHAN, p.284
632 ibid., p.293
633 Commission des affaires étrangères,
Parlement européen, Avis à l'intention de la Commission des
affaires constitutionnelles sur les aspects institutionnels de
l'adhésion de l'Union européenne à la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales, 13 mars 2010, 2009/2241(INI), p.4
116
Pour le moment, sans adhésion rapide de l'Union, «
la Cour européenne des droits de l'homme finira tôt ou tard
par être confrontée à l'épineuse question de
l'étendue de sa sphère de juridiction, par rapport notamment aux
actes émanant d'institutions communautaires »634.
En outre, c'est bien à la Cour de Luxembourg qu'il incombe « la
responsabilité concrète de situer la place des droits
fondamentaux, et notamment de ceux consacrés par la Convention
européenne des droits de l'homme, dans la légalité
communautaire »635. L'on peut ainsi espérer que
« « la concurrence » sur le «
marché » européen de la garantie des droits des
l'homme soit mieux régulée »636 par le
traité d'adhésion de l'Union à la Convention.
L'adhésion semble être la solution
adéquate pour permettre de prendre en compte tant le fonctionnement de
la juridiction de Strasbourg, basé sur le recours individuel, que les
particularismes de l'ordre juridique communautaire. Les divergences de
jurisprudence pourraient également être
supprimées637. L'adhésion devrait permettre un
éclaircissement de la situation entre les deux Cours et les deux ordres,
même si pour le moment « les choses se sont [...]
compliquées davantage encore, avec notamment [...] l'adoption de la
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
»638.
Les mesures qui ont été prises jusqu'à
présent pour assurer une coexistence et une
complémentarité des systèmes ne semblent pas être
suffisantes et ne créeront qu'un prolongement des procédures. En
outre, « la Charte revêtue d'une force contraignante, n'est pas
cohérent avec l'adhésion simultanée à la Convention
européenne des droits de l'homme »639, notamment
par le fait que des membres de la Convention ne sont pas membres de l'Union.
« Sur le papier, l'adhésion [...] permettrait
selon l'abstraction des pures opérations de l'esprit de concevoir une
meilleure cohérence de la protection des droits fondamentaux. Les
risques de conflits seraient neutralisés et, s'il pouvait
être
640
envisagé de manière vertueuse (...), un tel
système serait merveilleux ».
634 BULTRINI, Antonio, La responsabilité des Etats
membres de l'Union européenne pour les violations de la Convention
européenne des droits de l'Homme imputables au système
communautaire, Revue trimestrielle de droit de l'Homme, 2002, p5-43,
p7
635 supra note 600, SIMON, p35
636 ibid, p49
637 DUTHEIL De La ROCHERE, Jacqueline, La Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne : quel apport à la
protection des droits ?, in « Les mutations contemporaines du droit
public - mélanges en l'honneur de Benoit Jeanneau », Dalloz, 2002,
p91, 720p, p.104, DUBOUIS, Louis, Les principes généraux du
droit communautaire, un instrument périmé de protection des
droits fondamentaux ?, in « Les mutations contemporaines du droit
public - mélanges en l'honneur de Benoit Jeanneau », Dalloz, 2002,
p77, 720p, p.87
638 op.cit. BULTRINI, p6
639 supra note 521, COHEN-JONATHAN, p.267
640 BOCCARA, David, Faut-il que l'Union européenne
adhère à la Convention européenne des droits de l'homme ?
Mal étreint qui trop embrasse..., Recueil Dalloz, 2006,
p.1343
117
Le ton ironique de cette appréciation des
retombées de l'adhésion démontre que la cohérence
entre les deux systèmes est loin d'être acquise.
Mais les deux juridictions ont-elles besoin d'un
mécanisme de coopération ? En effet, leur interaction
démontre une capacité à travailler conjointement.
Section 2. La coordination des deux juridictions
européennes par le dialogue et la diplomatie
Les divergences de jurisprudence entre les deux Cours sont
réelles mais ne doivent pas être accentuées. Ainsi, dans
l'arrêt Hoechst641, la Cour de Luxembourg a
effectué une interprétation différente de l'article 8 de
la Convention.
Par contre, il est
« inexact d'affirmer que la Charte européenne
des droits fondamentaux de l'Union accroît les risques de divergence de
jurisprudence entre les deux cours. Les dispositions de la Charte relatives
à la Convention témoignent au contraire de la volonté
d'aménager la coexistence entre les deux instruments dans le respect de
la Convention »642.
En outre, les dispositions de la Charte sont plus vastes que
celles de la Convention, la Charte intégrant des droits
spécifiques aux citoyens de l'Union qui n'existent pas dans le cadre de
la Convention. De plus, l'existence de deux systèmes de protection des
droits de l'Homme est antérieure à l'élaboration de la
Charte. L'Union protégeait en effet les droits fondamentaux en se
référant à la Convention643.
Par la mise en place des principes généraux du
droit, la Cour de Luxembourg « a tranché en faveur d'une
autonomisation du système communautaire de protection par rapport
à celui de Strasbourg »644, ce qui ouvrait la voie
aux conflits avec cette juridiction. La Cour de Luxembourg a cependant
tenté de limiter cette conséquence en se référant
directement à la Convention.
La Cour de Luxembourg, soutenue par la suite par le droit
primaire de l'Union, s'est appropriée la Convention et a, dans la
majorité des cas, appliqué l'interprétation qui en
était faite par la Cour de Strasbourg. Mais cette appropriation de la
jurisprudence de l'autre ordre juridique a également eu lieu dans le
sens inverse. Ainsi, la Cour de Strasbourg s'est référée
à la
641 CJCE, 21 septembre 1989, Hoechst,
Rec.p.2859
642 supra note 552, BENOIT-ROHMER
643 ibid.
644 supra note 525, GAUTRON, p.5
118
jurisprudence communautaire, et notamment à la Charte.
La Cour de Strasbourg s'efforce ainsi de prendre en considération les
particularités du droit de l'Union et de l'Union. «
Contrairement à certaines visions simplificatrices, la circulation des
raisonnements juridiques s'est opérée dans les deux sens, et
l'acculturation juridique entre Strasbourg et Luxembourg a été
réciproque »645.
La question de la hiérarchie entre les deux Cours doit
se poser dans le contexte de l'ordre juridique. Il existe deux types d'ordre
juridique ; moniste et pluraliste. Nous suivrons ici le raisonnement de
Françoise Tulkens646, juge à la Cour de Strasbourg.
Dans une conception moniste, une seule Cour se trouve au
sommet de l'ordre juridique. Les deux Europes que composent l'Union et le
Conseil de l'Europe ne sont pas encore prêtes à être
fusionnées pour ne former qu'une et même entité où
la Cour de Luxembourg pourrait prendre la tête de l'ensemble. En effet,
le territoire des deux organismes est loin d'être similaire. En outre, la
voie de la sécession de l'ordre juridique communautaire à celui
conventionnel doit être écartée, l'Union ayant la
volonté d'adhérer à la Convention. Cette adhésion
devrait créer une « absorption »647 de la
Cour de Luxembourg par la Cour de Strasbourg. Cet effet de l'adhésion ne
semble pourtant pas être la volonté de l'Union, et encore moins de
la Cour de Luxembourg.
Si on aborde la conception pluraliste de l'ordre juridique, la
coexistence entre les différents ordres doit exister. « Dans le
domaine de la protection des droits de l'homme, le pluralisme est un fait, une
réalité »648. Il y a en premier lieu
plusieurs textes de protection des droits de l'Homme, l'Europe étant un
modèle de pluralisme avec des textes nationaux de protection, la Charte
et la Convention. En second lieu, il existe plusieurs juridictions de
protection des droits de l'Homme, les juges nationaux, la Cour de Strasbourg et
la Cour de Luxembourg. Le pluralisme permet ainsi de « distinguer non
seulement une multiplicité d'ordres juridiques mais aussi la
diversité de leurs structures »649.
La conception pyramidale de l'ordre juridique se transforme en
réseau juridique pour permettre la protection des droits de l'Homme.
« Dans cette perspective du réseau, la hiérarchie est
remplacée par l'alternance, la subordination par la coordination, la
linéarité par
645 supra note 600, SIMON, p44
646 TULKENS, Françoise et CALLEWAERT, Johan, Le point
de vue de la Cour européenne des droits de l'Homme,
in CARLIER, Jean-Yves et De SCHUTTER, Olivier, La
charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - son apport
à la protection des droits de l'Homme en Europe - hommage à
Silvio MARCUS HELMONS, Bruyant, 2002, 304p, p.219, p.238
647 ibid.
648 supra note 646, TULKENS et CALLEWAERT, p.239
649 RIGAUX, François, Conclusions, in
CARLIER, Jean-Yves et De SCHUTTER, Olivier, La charte des
droits
fondamentaux de l'Union européenne - son apport
à la protection des droits de l'Homme en Europe - hommage à
Silvio MARCUS HELMONS, Bruyant, 2002, 304p, p.253, p.258-259
119
l'interaction, la confrontation par la coexistence,
l'opposition par l'altérité et la réciprocité
»
650.
Dans cette perspective de coordination et d'harmonisation
entre les deux Cours, un dialogue s'est instauré. « Il y va
d'un processus d'interaction (Wechselwirkung), aucun acteur ne pouvant
prétendre exercer de suprématie sur tous les autres,
l'idée même de suprématie étant, comme celle de
souveraineté, incompatible avec une protection effective des droits
fondamentaux »651.
Le dialogue entre les juges « correspond à une
réalité complexe qui mêle rapports entre deux ordres
juridictionnels autonomes et application d'un seul et même droit
»652.
Les deux Cours tiennent des rencontres bilatérales
depuis une décennie pour permettre une meilleure coopération
entre elles. Le fait que les juges de ces deux Cours présentent des
discours similaires lors de réunions et de colloques montre qu'un
rapprochement certain existe déjà entre elles. « Alors
qu'une grande partie de la doctrine a mis l'accent sur la rivalité des
cours européennes, c'est l'esprit de coopération qui
prévaut à Luxembourg comme à Strasbourg si l'on
écoute le discours des juges eux-mêmes »653.
En outre, un conflit entre les deux Cours ne ferait qu'affaiblir leur position
face aux juridictions nationales, alors même qu'elles ont toutes deux
élaboré depuis des décennies une jurisprudence audacieuse
qui serait alors remise en cause654. L'évolution du droit et
de la construction communautaire vers la protection des droits de l'Homme a
conduit à un enchevêtrement du système communautaire et
conventionnel655. La séparation entre les deux
systèmes peut alors paraître illusoire, Luzius Wildhaber, ancien
président de la Cour de Strasbourg, ayant ainsi indiqué que les
deux systèmes étaient désormais liés et devaient se
développer ensemble656. « Il y a bel et bien une
« convergence » entre la Cour européenne des droits de l'homme
et la CJCE ainsi qu'une complémentarité entre la Convention et la
Charte »657. La faculté des deux Cours à
travailler ensemble et à coopérer leur permettra de
dépasser les difficultés d'une coexistence des deux
systèmes juridiques. En effet, « une guerre
650 supra note 646., TULKENS et CALLEWAERT, p.239
651 supra note 649. RIGAUX, p.262
652 supra note 612, BERGE et ROBIN-OLIVIER, p.416
653 SHEECK, Laurent, La diplomatie commune des cours
européennes, in MBONGO, Pascal et VAUCHEZ, Antoine, Dans la
fabrique du droit européen - scènes, acteurs et publics de la
Cour de justice des Communautés européennes, collection droit de
l'Union européenne, Bruyant, 2009, 254p, p.10, p.109
654 ibid, p.111
655 ibid, p.112
656 ibid.
657 ibid., p.113
120
des cours européennes nuirait avant tout aux Cours
elles-mêmes »658. La « diplomatie » des
Cours européennes et le dialogue des juges qui se sont instaurés
entre elles, mais également entre les juridictions nationales, devraient
permettre de consolider les ordres juridiques actuels et leur
complémentarité659.
L'importance de la volonté des deux Cours
européennes d'instaurer un dialogue est primordiale pour une
coopération effective et efficace. En effet, des passerelles entre
juridictions internationales régionales ont déjà
été créées avec succès au sein même de
l'Europe, entre la Cour BENELUX et la Cour de Luxembourg. Les Etats membres du
BENELUX étant également membres, fondateurs, de l'Union, la Cour
BENELUX s'est « sans difficulté aucune considérée
comme une « juridiction des Etats membres » au sens de l'article 234
T.CE »660 et utilise donc le renvoi préjudiciel
devant la Cour de Luxembourg. Les relations avec la Cour de Luxembourg ont
cependant été plus tendues avec la Cour AELE, « Cour
morte-née »661. Une procédure d'information
a été mise en place entre les deux Cours, mais l'avantage est
manifestement donné à la Cour de Luxembourg qui demeure la
juridiction d'interprétation du droit de l'Union et qui n'est pas
liée aux décisions de l'organisation
régionale662.
La Cour de Luxembourg semble jalouse de ses
prérogatives, sous la bannière de la préservation de
l'autonomie du droit de l'Union 663. Mais tout comme les
juridictions nationales, même suprêmes, ont fini par voir dans leur
relation avec les Cours européennes une coopération et non une
hiérarchisation, l'on peut espérer que les deux Cours suivront le
même cheminement664.
Mais, la coopération entre les deux juridictions ne
doit pas faire oublier le danger du « suivisme automatique - et donc
aveugle - qui perdrait de vue tant le niveau de protection des droits que les
particularités propres de chaque système
»665. Ainsi, certaines divergences de jurisprudence
permettraient un développement des droits, comme nous avons pu le voir,
chaque Cour européenne apprenant au contact de la jurisprudence de
l'autre.
658 supra note 653, SHEECK, p.137
659 MBONGO, Pascal et VAUCHEZ, Antoine, Dans la fabrique
du droit européen - scènes, acteurs et publics de la Cour de
justice des Communautés européennes, collection droit de
l'Union européenne, Bruyant, 2009, 254p, p.245
660 supra note 551, BURGORGUE-LARSEN
661 ibid
662 ibid
663 ibid
664 ibid
665 BURGORGUE-LARSEN, Laurence, De l'autonomie de la
protection du droit communautaire par rapport à la Convention
européenne des droits de l'homme ?, AJDA, 2009, p.1321
121
« Plus qu'une opération juridique,
l'adhésion est un état d'esprit »666.
Un ordre juridique européen, applicable aux deux
systèmes, est en train de voir le jour. Les différences qui
caractérisent les deux systèmes s'estompent au fil du temps.
L'espace géographique, même s'il est loin d'être identique,
tend à le devenir. Les objectifs et les compétences se rejoignent
sur le thème des droits de l'Homme, mais pas uniquement, le Conseil de
l'Europe ayant également des activités dans des domaines
très variés tel que la culture ou l'environnement667.
Enfin, les deux ordres juridictionnels se complètent et s'organisent de
plus en plus de façon similaire.
En 2000, le Président de la Cour de Strasbourg, M.
Luzius Wildhaber, indiquait, sous l'approbation du Comité des Ministres,
que « l'existence de deux systèmes de protection risque
d'affaiblir la protection globale offerte et d'entamer la
sécurité juridique dans ce domaine »668. La
multiplication des catalogues doit s'effectuer dans la maîtrise des
différents systèmes et leur coexistence, au risque de ne
créer que de l'insécurité juridique.
Il y a un véritable cumul de normes entre la protection
conventionnelle, communautaire et nationale. La multiplication des sources de
protection des droits de l'Homme est-il une marque de renforcement des droits
de l'Homme ? On pourrait en douter, d'autant plus que ces sources
s'accompagnent de juridictions de protection spécifique. «
Cette omniprésence des libertés, si elle peut paraître
rassurante, ne doit pourtant pas conduire à une « inflation »
des droits fondamentaux. Une utilisation abusive de ces obligations de
protection peut en effet aboutir à une dépréciation des
libertés »669. Pourtant, comme nous avons pu
l'indiquer, la liste des droits de l'Homme n'est pas extensible à
l'infini. Ainsi, les différentes sources proclament les mêmes
droits. « Certains craignent alors que cette «
prolifération » des droits n'aboutisse à une «
désarticulation » du système de protection
»670.
666 CALLEWAERT, Johan, Paris, Luxembourg, Strasbourg : trois
juges, une discrimination - L'interaction entre les ordres juridiques national,
communautaire et conventionnel à l'épreuve de la pratique (en
marge de l'arrêt Koua Poirrez), Revue trimestrielle de droits de
l'Homme, 2005, n°61, p.159-169, p.169
667 DOLLAT Patrick, Droit européen et droit de
l'Union européenne, 2ème édition, 2007,
Sirey, édition Dalloz, 475p, point 944 et suivants
668 KRUGER, Hans Christian et POLAKIEWICZ, Jorg, Proposition
pour la création d'un système cohérent de protection des
droits de l'Homme en Europe, Revue universelle des droits de l'Homme,
30 octobre 2001, n°1-4, p114, p.14
669 Actes du colloque de Caen, 23 février 1996
publiés sous la direction de Constance GREWE, Questions sur le droit
européen, Presses Universitaires de Caen, Centre de recherche sur
les droits fondamentaux, 1996, 273p, p.187
670 CORREARD, Valérie, Constitution européenne
et protection des droits fondamentaux : vers une complexité
annoncée ?, Revue trimestrielle de droits de l'Homme, 2006,
n°2, p501, p.520
122
Mais « à ceux qui craignent que la
multiplication des sources et la pluralité des juges chargés de
les appliquer soit un facteur d'insécurité juridique, nous
répondrons qu'il s'agit là d'un enrichissement de l'Etat de
droit, qui ne craint rien tant que le monopole »671.
L'adhésion de l'Union à la Convention ne pourra
être positive pour la protection des droits de l'Homme que si elle est
correctement encadrée. Certains auteurs indiquant déjà que
« déclarée, la compétition l'est
assurément en Europe entre Strasbourg et Luxembourg, entre deux cours
dont on sait que l'activité est au Zénith
»672.
Mais l'adhésion de l'Union à la Convention est
également un enjeu pour la survie des deux organisations
européennes. Ainsi, l'on a pu indiquer après l'échec du
Traité établissant une Constitution pour l'Europe que l'Union
était en manque d'idée et au bout de son processus
d'intégration. Mais le Conseil de l'Europe, après le semi
échec du Sommet des chefs d'État et de gouvernement à
Varsovie en 2005673, est lui aussi à la recherche d'un second
souffle, que l'adhésion de l'Union à la Convention pourrait
produire.
Le Conseil de l'Europe est conscient de la place que prend le
droit de l'Union au sein des Etats membres mais également de la
jurisprudence de la Cour de Luxembourg. Ainsi, lors du colloque organisé
en 2008, il a été indiqué que
« si nous ne faisons rien, nous risquons d'être
dépassés par la Cour européenne de Justice, car la
protection des droits fondamentaux au sein de l'Union européenne devient
plus importante et la Cour européenne de Justice sera appelée
à interpréter la Charte par exemple. Même si la Cour
européenne de justice continue de renvoyer à la jurisprudence de
la Cour, il demeure qu'étant davantage une cour constitutionnelle, ses
recours préjudiciels concernant les droits fondamentaux pourraient au
bout du compte sembler plus accessibles et plus instructifs pour les
juridictions nationales que les décisions de Strasbourg, d'autant qu'ils
sont traduits dans toutes les langues officielles des Etats membres
»674.
La prise en compte des droits de l'Homme par la Cour de
Luxembourg réduit l'influence de la Cour de Strasbourg. En outre,
l'élargissement de l'Union, qui compte aujourd'hui plus de la
moitié des Hautes Parties du Conseil de l'Europe, pousse le Conseil de
l'Europe à renforcer son rôle de protecteur des droits de l'Homme.
Hormis son rôle de protecteur des droits de
671 GUYOMAR, Mattias, Les rapports entre droit communautaire,
droit de la Convention européenne et droit interne. A propos du secret
professionnel des avocats, RFDA, 2008, p.575
672 BURGORGUE-LARSEN, Laurence, Le fait régional
dans la juridictionnalisation du droit international, colloque de Lille
« La juridictionnalisation du droit international », SFDI, Paris,
Pedone, 2003, 552p, p.203-264
673 COURCELLE, Thibault, Le Conseil de l'Europe et ses limites
- L'organisation paneuroéenne en pleine crise identitaire,
Hérodote, n°118, La Découverte,
3ème trimestre 2005, p.48-67, p.62-63
674 Direction générale des droits de l'Homme et
des affaires juridiques, Conseil de l'Europe, Vers une mise en oeuvre
renforcée de la Convention européenne des droits de l'Homme au
niveau national, Colloque organisé sous l'égide de la
présidence suédoise du Comité des Ministres du Conseil de
l'Europe, Stockholm, 9-10 juin 2008, 165p, p.78
123
l'Homme et de la notoriété de la Cour de
Strasbourg, le Conseil de l'Europe est méconnu des citoyens
européens et se confond régulièrement à leurs yeux
avec l'Union elle-même675.
Mais l'adhésion de l'Union à la Convention
risque d'être difficilement gérable pour la Cour de Strasbourg.
« Pour louable et estimable qu'il soit, ce projet n'en reste pas moins
inutile sinon abstrus en l'état de saturation actuelle de la Cour de
Strasbourg »676. Bien que le protocole n°14 soit
entré en vigueur, il faudra du temps pour désengorger la Cour de
Strasbourg, et l'expérience de la révision de la procédure
par le protocole n°11 montre que les résultats attendus ne seront
peut être qu'illusoires. Une adhésion de l'Union ne ferait
qu'accentuer cette situation. Quelle serait alors l'utilité d'une
adhésion si le jugement n'ait prononcé que des années
après la saisine. « Si cela devait se faire, il faudrait
plutôt envisager un sérieux concours de l'Union pour que celle-ci
vienne plutôt en aide à la Cour européenne
»677. En viendrait-on à envisager une
adhésion non pas dans l'intérêt de l'Union mais dans celui
de la Convention et de la Cour de Strasbourg ? Ainsi, l'adhésion ne
serait qu'une « béquille, un secours ou une aide
matérielle, que pourrait certainement procurer l'Union au Conseil de
l'Europe, qui en éprouve indéniablement un cruel besoin, pour
remédier aux dysfonctionnements d'une Cour européenne
n'étant plus à même de servir les fins pour lesquelles elle
a été créée »678.
Certains auteurs voient, dans l'élaboration d'un droit
de l'Homme communautaire, la fin de la Convention et de son système de
protection679. A moins que cette adhésion de l'Union à
la Convention ne soit que le début d'une « intégration
beaucoup plus complète des deux ordres qui trouve, à notre
époque, ses limites dans des considérations politiques et
d'organisation d'échelles »680. Guy Braibant
remarque ainsi que « la prochaine étape du progrès des
droits de l'homme ou des droits fondamentaux, sera peut-être
constituée par la fusion de la Convention et de la Charte en un texte
unique. Dans un demi-siècle ? »681. Pour reprendre
les termes de Jean-Paul Costa, « l'Europe est condamnée
à s'unir, à bref délai »682.
675 surpa note 673, COURCELLE
676 BOCCARA, David, Faut-il que l'Union européenne
adhère à la Convention européenne des droits de l'homme ?
Mal étreint qui trop embrasse..., Recueil Dalloz, 2006,
p.1343
677 supra note 674, BOCCARA
678 ibid
679 GAUTRON Jean-Claude, Droit européen, mementos
Dalloz, Dalloz, 13ème édition, 2009, 337p, p.8
680 op. Cit. BOCCARA
681 BRAIBANT, Guy, De la Convention européenne des
droits de l'Homme à la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, in « Mélange en hommage au Doyen
Gérard COHEN-JONATHAN - Libertés, justice, tolérance
», volume I et II, Bruyant, 2004, 1784p, p.327, p.333
682 COHEN-JONATHAN, Gérard, Les rapports entre le
système de l'Union européenne et la Convention européenne
des droits de l'Homme - table ronde, in COHEN-JONATHAN, Gérard,
DUTHEIL De La ROCHERE, Jacqueline, Constitution européenne,
démocratie et droits de l'Homme, Droit et justice n°47,
Bruyant-Nemesis, 2003, 307p, p.261, p.275
124
Le double standard de protection pouvant se mettre en place
entre la protection des droits fondamentaux au niveau du Conseil de l'Europe et
de l'Union européenne ne doit pas faire oublier que les Etats
eux-mêmes ont une compétence accrue dans ce domaine. Nous ne
sommes donc plus en présence d'un double standard mais d'un triple,
comme les réactions des différentes Cours constitutionnelles des
Etats membres ont pu le démontrer dans le passé. «
L'efficacité supérieure de certains mécanismes de
protection nationaux plaide aussi dans le sens de leur maintien pour assurer
une garantie effective du respect des droits fondamentaux que n'assure pas au
même degré le système de la Convention européenne
des droits de l'homme »683. En outre, la Convention et la
Charte sont des instruments de protection minimum des droits de l'Homme, les
droits nationaux pouvant être plus protecteurs.
« Il est évident que l'existence d'un
système national développé de protection des droits est de
nature à réduire l'importance des systèmes
extérieurs et particulièrement de celui de la Convention
européenne des droits de l'homme qui ne sera amené à
intervenir qu'en cas de dysfonctionnement du système national
»684.
De plus, ce qui se joue en Europe pourrait avoir un impact au
sein des autres juridictions internationales régionales, notamment en
Afrique et en Amérique latine, « car « nulle cloison
étanche » ne séparer la sphère économique
[...] de la sphère de la protection des droits
»685. Ceci est d'autant plus vrai que les organisations
purement économiques évoluent vers la prise en compte des droits
de l'Homme, le modèle de l'Union le démontre, tout comme celui de
la Charte Andine de Promotion et de Protection des Droits de
l'homme686 de la Communauté andine.
683 RIDEAU, Joël, La coexistence des systèmes de
protection des droits fondamentaux dans la Communauté
européenne et ses Etats membres, Annuaire
international de justice constitutionnelle, 1991, p11, p.33
684 ibid.
685 supra note 672, BURGORGUE-LARSEN
686 Carta Andina para la Promoción y Protección de
los Derechos Humanos, adoptée le 26 juillet 2002
125
TABLE DES MATIERES
Introduction 1
Partie 1. Le contrôle de la conformité des
actes de l'Union vis-à-vis des
droits fondamentaux 10
Titre 1. L'application de la Convention aux actes de
l'Union 10
Chapitre 1. L'influence de la Convention sur le contrôle de
la Cour de Luxembourg 10
Section 1. La protection des droits de l'Homme au sein de
l'Union : volonté des
juridictions suprêmes nationales 11
Section 2. La Convention comme source
privilégiée de la Cour de Luxembourg pour la
protection des droits de l'Homme 13
Chapitre 2. L'application indirecte de la Convention
aux actes de l'Union par la Cour de
Strasbourg 19
Section 1. Le rejet par la Cour de Strasbourg de la doctrine
de la succession 19
Section 2. Le contrôle des actes de mise en oeuvre du
droit de l'Union par les Etats
membres : l'adhésion forcée de l'Union
24
Titre 2. L'entrée en vigueur de la Charte :
instrument communautaire de protection
des droits de l'Homme 35
Chapitre 1. Instrument unique mais peu innovant quant aux droits
protégés 35
Section 1. La Charte : un pas décisif de l'Union sur
le chemin de la protection des
droits de l'Homme 35
Section 2. Une Charte cependant peu innovante sur le fond
39
Chapitre 2. Une Charte limitant fortement son impact
sur la protection des droits de
l'Homme 44
Section 1. Le respect des principes du droit de l'Union
limitant les effets de la Charte 44
§ 1. Un effet direct de la Charte plus ou moins
étendu 44
§ 2. Une Charte n'étendant pas les
compétences de l'Union en matière de droits de l'Homme 47
Section 2. Des limites tenant à certaines dispositions
de la Charte 53
§ 1. La distinction entre droits et principes
53
§ 2. Une clause de « opting-out » efficace ?
55
126
Partie 2. L'adhésion de l'Union à la
Convention : la solution à une protection efficace des droits de l'Homme
des citoyens de
l'Union ? 60
Titre 1. La conclusion de l'accord d'adhésion :
la difficulté de prendre en compte les
particularités relatives à l'Union
60
Chapitre 1. Une révision nécessaire de la
Convention 60
Section 1. La signature de l'accord d'adhésion par
tous les Etats concernés 61
Section 2. La nécessaire prise en compte des
spécificités communautaires par le
système conventionnel 68
§1. L'inadaptation de certains notions à l'Union
69
§ 2. La place de l'Union au sein de la Cour de
Strasbourg : la nomination du juge 75
§3. Le droit de vote de l'Union au Comité des
Ministres 79
Chapitre 2. La gestion de la dualité de normes au sein des
deux organisations européennes 82
Section 1. La compatibilité de la Convention et de la
Charte prévue par les dispositions
de l'instrument communautaire 82
Section 2. Le maintien de l'autonomie du droit de l'Union
90
Titre 2. Une dualité de systèmes juridiques
européens préjudicielle aux citoyens ? 96
Chapitre 1. Deux juridictions supranationales reconnues
compétentes pour protéger les
droits de l'Homme 96
Section 1. L'accentuation des compétences de la Cour
de Luxembourg dans le domaine
de la protection des droits fondamentaux 97
Section 2. La reconnaissance de l'accès des
particuliers aux Cours européennes : base
de l'effectivité de la protection des droits de
l'Homme 103
Chapitre 2. L'adhésion comme solution à
l'harmonisation des relations entre les deux
Cours européennes ? 110
Section 1. La relation ambiguë des Cours
européennes 110
Section 2. La coordination des deux juridictions
européennes par le dialogue et la
diplomatie 117
Conclusion 121
Table des matières 125
Bibliographie 127
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