CHAPITRE III : DECENTRALISATION FINANCIERE ET
CROISSANCE ECONOMIQUE : UNE REVUE DE LA LITTERATURE
INTRODUCTION
Les années 70 marquent dans la plupart des pays, le
début de la faillite de la gestion centralisée des affaires
publiques. Les Etats centraux ont d'énormes difficultés
financières et techniques à répondre aux besoins des
populations, notamment ceux des classes sociales les plus basses (DEMANTE et
TYMINSKY, 2008). Les pays Africains ne sont pas en marge de cette conjoncture,
la plupart des indicateurs de performances économiques de ces derniers
étant tendanciellement défavorables notamment dans les pays
d'Afrique francophone où les taux de croissance économique en
1980 sont négatifs dans des Etats comme le Cameroun (1,9%), le
Sénégal (-3,31%). Les Etats Africains au pouvoir central
très fort sont donc en difficulté, souvent
considérés comme des prédateurs par leur propre
société et même par les opinions internationales.
La détérioration des équilibres
macroéconomiques est fortement ressentie au niveau de la population, ce
qui va inciter davantage au procès de l'Etat post colonial en Afrique.
Les mécontentements sociaux trouvent ainsi une traduction politique.
C'est alors que les institutions de Breton Wood (principalement FMI et BM), en
tant que bailleurs de fonds internationaux incitent les Etats Africains
à recentrer leurs interventions sur les fonctions classiques (l'Etat
gendarme notamment) et à laisser aux acteurs infra Etatiques la
responsabilité des politiques de développement. Deux
méthodes sont proposées : la libéralisation
(qui s'est soldé par un échec, notamment avec les PAS et
le programme PPTE) puis la décentralisation.
La venue de la décentralisation s'avère donc
pour bon nombre d'entre ces Etats comme une sortie de crise et elle peut donc
être ainsi considérée comme une conséquence de
l'échec des politiques de développement et des mouvements sociaux
dans les années 80. C'est la raison pour laquelle MBACK (2002) affirme
que c'est essentiellement les raisons politique et économique qui
fondent les mouvements de décentralisation dans les pays Africains.
Cependant, nous nous intéresserons davantage au volet financier de ce
mode d'organisation c'est-à-dire la décentralisation
financière. Ce volet est crucial pour la réussite du
processus de décentralisation en Afrique car si d'une part, on
transfère les compétences (décentralisation
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des décisions avec le volet politique et
administratif), d'autre part le transfert de moyens
(décentralisation financière) doit suivre afin que les
compétences transférées soient effectivement
exercées par les collectivités locales. C'est donc ainsi que nous
analyserons le concept de décentralisation financière (section I)
avant de revisiter la théorie de l'impact de la décentralisation
financière sur la croissance économique (section II).
SECTION I : LA DECENTRALISATION FINANCIERE
La décentralisation est souvent analysée dans
une perspective de « haut en bas » même si cette
dernière n'est pas toujours clairement avancée dans les textes
(BIRD et VAILLANCOURT, 1998) ; à cet effet l'on peut établir une
relation « principal/agent » dans le processus de
décentralisation. L'Etat (le principal) délègue certaines
de ses compétences à une collectivité locale (l'agent)
tout en gardant sur elle, un droit de contrôle voilé sous la forme
d'une tutelle administrative (BIRD, 1993). Le transfert de compétences
ainsi effectif, il s'ensuit un transfert de moyens aux
différents gouvernements locaux : c'est la décentralisation
financière qui s'avère bien différente de la
décentralisation politique ou administrative. Si TIEBOUT (1956)
préconise la décentralisation du pouvoir décisionnel
politique (la décentralisation des décisions), cette
dernière doit surtout s'accompagner du volet financier. Il est donc
important de cerner le concept de décentralisation financière (I)
avant d'en préciser les fondements théoriques (II).
I. APPREHENSION DU CONCEPT
Face à un concept aussi multidimensionnel comme la
« décentralisation financière », il apparait
nécessaire de le distinguer des décentralisations politique et
administrative. L'on comprend donc que la « décentralisation
financière » est un des éléments constitutifs du
concept général de « décentralisation ».
Il s'agira donc pour nous de ressortir d'une part la
définition et les principes fondamentaux de la décentralisation
financière (1) avant de présenter les différentes formes
que peut prendre cette dernière (2).
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1. Définition et principes fondamentaux :
On entend par « décentralisation
financière » la « répartition des ressources
publiques et l'organisation des rapports financiers entre l'Etat et les
collectivités locales » (YATTA, 2000). Cette dernière ne
doit en aucun cas être confondue à la
décentralisation fiscale que BOKO (2008) définit
comme « le transfert vers les administrations locales des pouvoirs de
décision relatifs à la mobilisation des ressources au niveau
local en vue de l'exécution des responsabilités dévolues
par le gouvernement central ». La décentralisation fiscale est un
des éléments constitutifs de la décentralisation
financière.
En fait la décentralisation financière recouvre
le champ des ressources propres pour les collectivités
locales (la fiscalité locale ou encore la décentralisation
fiscale), l'identification d'un champ de ressources partagées
(la fiscalité partagée) et le transfert des
ressources de budget de l'Etat vers les collectivités locales
(transferts intergouvernementaux).
YATTA (2000) justifie cette décentralisation
financière par deux arguments :
- Les collectivités locales assurent certaines charges
au « nom et pour le compte de l'Etat » ; c'est le cas par exemple des
devoirs d'Etat civil, d'assainissement, d'entretien d'infrastructures
publiques...etc. La fourniture de services sociaux de base aux populations
locales par la commune en justifie le transfert des fonds dont elles sont
sujettes.
- De plus, les collectivités locales participent «
à la mise en oeuvre des politiques nationales » et contribuent de
ce fait à la réalisation des objectifs de développement
national. En effet, les collectivités locales mettent en oeuvre des
politiques en totale adéquation avec l'impulsion donnée au niveau
central en termes d'orientation. Elles contribuent à rendre effectif,
dans leurs localités respectives, la politique telle qu'impulsée
par le gouvernement. A ce titre encore, les transferts financiers sont encore
justifiés.
S'il apparait raisonnable que des fonds soient
transférés vers les gouvernements locaux, cela doit se faire dans
un cadre bien précis. Ainsi, les principes qui régissent
l'instauration de la décentralisation financière pourraient
être appréhendés à partir des arguments suivants
:
- L'adéquation entre les moyens
(ressources financières) et les compétences
transférées (MOINDZE, 2011). Cette maxime est cruciale pour la
réussite d'une décentralisation financière qui se veut
davantage efficace. Il ne serait pas commode d'embarrasser une
collectivité locale avec des prérogatives qu'elle ne serait pas
capable d'exécuter faute de moyens financiers adéquat. Cette
situation biaise tout le fonctionnement politico
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administratif dans le pays du moment où on attribue des
compétences à des autorités qui ne pourront jamais les
exercer.
- La clarification de l'information autour de
la décentralisation financière (BOKO, 2008). Les
collectivités locales devraient être capables d'anticiper les
transferts qui leur seront octroyées par le gouvernement central ceci
afin de pouvoir avoir une idée de leur budget. Cela leur permettrait
d'élaborer des politiques publiques beaucoup plus réalistes,
moins ambitieux mais concrets. Cette situation devrait être
évitée si les collectivités disposent réellement de
l'outil de fiscalité locale propre (ce qui est loin d'être le cas
en Afrique francophone), également si les transferts gouvernementaux se
font selon une formule bien définie et reconnue par tous (ce qui est
souvent bien rare en Afrique francophone, le procédé ad hoc
demeurant privilégié).
- Développer des fortes capacités de
mesure vis-à-vis de la décentralisation
financière et même du transfert de compétences (JUTTING et
al, 2005, KEARNY, 1999) ! En effet, il devient nécessaire aujourd'hui de
constamment faire une autoévaluation des politiques publiques
développées au sein des pays. Cette capacité de mesure
permet souvent de voir quel niveau de finances faudrait-il octroyer pour
exercer les compétences transférées. Bien au-delà,
cette capacité de mesure permet également de faire un bilan du
niveau atteint en termes de décentralisation financière et son
impact sur la croissance nationale.
- La progressivité dans le processus
de décentralisation financière. Il ne s'agira pas de
transférer d'un seul coup la totalité des financements suite
à un transfert total de compétences. Il faut tenir compte de la
qualité des ressources humaines à la disposition des
collectivités locales. A cet effet, les compétences autant
financières que décisionnelles doivent être progressivement
transférées afin de murir le personnel communal dans la gestion
des telles responsabilités.
La décentralisation financière est donc ainsi
régie par des principes bien définis, il en est de même des
divers outils dont dispose le gouvernement central pour la mise en oeuvre de
cette politique.
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