0
UNIVERSITE PARIS 1 PANTHEON-SORBONNE
Département Études internationales et
européennes
CONDITIONS D'ELIGIBILITE
DU PRESIDENT DE LA
REPUBLIQUE ET DEMOCRATIE
EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Eveline RODRIGUES PEREIRA
BASTOS Dirigé par Alix TOUBLANC
Master 2 Recherche Droits africains
2011-2012
1
« L'Université Paris 1 n'entend donner aucune
approbation aux opinions émises dans les mémoires. Ces opinions
doivent être considérées comme propres à leurs
auteurs ».
2
Remerciements
Je souhaiterais adresser mes remerciements au professeur Alix
TOUBLANC, professeur de droit constitutionnel et directrice du Master 2 droits
africains à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, pour
son aide et ses conseils avisés qui ont permis l'élaboration de
ce mémoire.
Je voudrais adresser mes remerciements à mes camarades
du Master 2 droits africains, qui se sont montrés toujours solidaires
à mon égard et présents en cas de difficultés.
J'adresse toute ma gratitude à ma famille et à
mes amis pour leur soutien et encouragements tout au long de
l'élaboration de ce mémoire.
3
Abréviations
- ACP : communauté Afrique-Caraïbe-Pacifique
- CEDEAO : communauté économique des
États d'Afrique de l'ouest
- CEE : communauté économique
européenne
- LGDJ : librairie générale de droit et de
jurisprudence
- ONU : organisation des nations unies
- UA : union africaine
4
SOMMAIRE :
INTRODUCTION 5
PARTIE I : LE DROIT POSITIF DES CONDITIONS
D'ÉLIGIBILITÉ ENTRE VISÉES
DÉMOCRATIQUES ET RÉALITÉS
ANTIDÉMOCRATIQUES 13
CHAPITRE 1 : LE DROIT POSITIF DES ÉTATS AFRICAINS
ORIENTÉ VERS LA RECHERCHE QUALITATIVE
EN MATIÈRE DE CANDIDATURE PRÉSIDENTIELLE
14 CHAPITRE 2 : LA LIMITATION DU NOMBRE DE MANDATS, INSTRUMENT DE LA
VOLONTÉ DE
LIMITATION DU POUVOIR 25
PARTIE II : DES CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ
LIMITÉES DANS LEUR MISSION PAR
LE PROBLÈME DE LEUR INSTRUMENTALISATION
35
CHAPITRE 1 : LES FORMES ANCIENNES ET NOUVELLES DE
L'INSTRUMENTALISATION DES
CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ 36 CHAPITRE 2 : LES
FAILLES DU CONSTITUTIONNALISME AFRICAIN FAVORISANT LE DÉTOURNEMENT
DES CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ 45
PARTIE III : L'EXISTENCE DE FREINS À
L'INSTRUMENTALISATION DES
CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ ? 54
CHAPITRE 1 : LE CONTRÔLE DU JUGE CONSTITUTIONNEL
DANS L'ÉLABORATION ET L'APPLICATION
DES CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ 55
CHAPITRE 2 : L'EXISTENCE DE SANCTIONS DES DÉTOURNEMENTS
DES CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ ? 71
CONCLUSION GENERALE 79
BIBLIOGRAPHIE 82
TABLE DES MATIÈRES : 88
5
Introduction
« Au début des années quatre-vingt-dix,
l'Afrique noire a connu de profondes aspirations politiques,
économiques, sociales. Ces mouvements ont eu pour conséquences la
chute des régimes monolithiques de parti unique et l'avènement du
renouveau démocratique avec la restauration du multipartisme et la
résurgence des élections libres et
compétitives1 ». Les mouvements contestataires des
régimes de parti unique se sont réunis au sein d'immenses
conférences nationales regroupant « paysans, travailleurs de
tous ordres, cadres de l'administration, partis et sensibilités
politiques, associations de développement, organisations non
gouvernementales, représentants de cultes, sans oublier des
personnalités ayant exercé sur le plan national ou international
des fonctions de premier plan2 ». Au sein de ces grands
rassemblements, on trouvait toutes les forces vives de la nation,
réunies dans le but de repenser les fondements de l'union de ses membres
à travers l'édiction d'un projet de Constitution. Le
constitutionnalisme né de ces conférences nationales africaines
semble marquer une rupture avec le passé, rupture avec la
volonté, pendant la période du « parti unique », de
faire taire l'expression de la pluralité des voix composant les
sociétés africaines. Ainsi, la réintroduction du
multipartisme3 impliqua notamment la nécessité de
réorganiser les règles de la compétition politique, afin
qu'elles puissent garantir le respect de la volonté du peuple.
Si on analyse attentivement le choix politique fait par le
nouveau constituant, on peut néanmoins relativiser l'impression de
rupture. En effet, les États africains ont tous adopté un
modèle démocratique bien particulier, le modèle
démocratique occidental, et s'inscrivent ainsi dans la continuité
du fait colonial. Si toute démocratie se définit comme un
régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par le peuple,
le modèle démocratique occidental a la spécificité
de constituer un « mode de régulation politique
1 El Hadj Omar Diop, Partis politiques et
processus de transition démocratique en Afrique noire, Paris,
Publibook, 2006, p. 23.
2 Conférence nationale du Bénin,
Rapport général de synthèse de la Conférence
des Forces vives de la nation, Cotonou, 1990, 16 p dans Fabien Eboussi
Boulaga, Les Conférences nationales en Afrique noire, une
affaire à suivre, Paris, Karthala, 2009, p. 180.
3 Le multipartisme était reconnu par la
plupart des constitutions africaines sans pour autant être
appliqué dans les faits.
6
dominant imposé à l'humanité tout
entière par la colonisation4 », et cela au nom
d'une théorie universaliste selon laquelle toutes les
sociétés humaines devraient tendre vers un progrès commun,
ici assimilé à celui des nations occidentales5. Cette
démocratie, loin d'être universelle en réalité, est
caractéristique du mode de pensée occidental. En effet, elle
repose notamment sur le principe de l'« individualisme libéral
», une doctrine « qui postule la primauté de l'individu
sur la collectivité sociale et qui pose, en effet, que les parties (les
individus) sont logiquement et ontologiquement antérieures au tout (le
groupe social)6 ». Les constituants africains ont donc
opté pour une doctrine qui semble éloignée, voire
même aux antipodes, des structures et modes de pensée
traditionnels africains, lesquels se caractérisent plutôt par
l'indissociabilité entre groupe et individus et dans lesquels le groupe
prime nécessairement l'individu7. Ce choix de poursuivre
l'intégration, au sein des sociétés africaines, d'un
modèle démocratique reposant essentiellement sur la
représentation du peuple par des personnes élues nécessita
que soient définies et posées « les questions relatives
à la limitation du mandat des élus, à l'organisation
périodique d'élections libres, régulières et
transparentes, aux mécanismes de gestion du contentieux
électoral, au statut des partis politiques, au statut de l'opposition et
à la régularité du jeu politique8
».
Au coeur du dispositif normatif régissant
l'organisation de la compétition électorale, les conditions
d'éligibilité tiennent une place importante puisqu'elles en
conditionnent l'accès. L'éligibilité est définie
par le Lexique de droit constitutionnel comme étant l'«
aptitude légale d'une personne à se porter candidate en vue
d'une élection9 ». Les dispositions instaurant des
conditions d'éligibilité vont donc réglementer
l'accès à la
4 Mbog Bassong, Les fondements de l'État
de droit en Afrique précoloniale, Paris, L'Harmattan, 2007, p.
11.
5 Cette thèse déterministe est
notamment développée par Emmanuel Kant dans son ouvrage
Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique
».
6 Boniface Kabore, «
L'universel démocratique et ses adaptations socio-culturelles :
considérations casuistiques », Political Philosophy, 1998,
non paginé.
[Réf. du 26 août 2012]. Format html.
Disponible sur :
http://www.bu.edu/wcp/Papers/Poli/PoliKabo.htm.
7 Voir Raymond Verdier, « L'ancien droit et le
nouveau droit foncier de l'Afrique noire face au développement »,
in John. N. Hazard (dir.), Le droit de la terre en Afrique (au Sud
du Sahara), Paris, G.-P. Maisonneuve et Larose, 1971, p. 67-88. Selon
l'auteur, le droit africain se caractérise par le fait que l'homme
n'acquiert sa personnalité juridique que dans le groupe et, à
l'inverse, n'existe pas en tant qu'individu isolé.
8 El Hadj Omar Diop, Partis politiques et
processus de transition démocratique en Afrique noire, op.
cit., p. 36.
9 Pierre Avril, Jean Gicquel, Que sais-je ?
Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, 2003, p. 49.
7
compétition électorale, en posant des
restrictions à cet accès. La nécessité de telles
restrictions est liée à l'importance de la fonction à
laquelle elles s'appliquent. Ainsi, plus la fonction est importante, plus on
constate que les conditions d'éligibilité y sont restrictives. La
fonction présidentielle, dans la mesure où elle est placée
à la tête du pouvoir exécutif, a une importance capitale.
Le pouvoir exécutif se présente, au sein de l'État, comme
« l'ensemble des organes gouvernementaux et administratifs qui sont
non seulement chargés de la mise en oeuvre des lois mais aussi de
définir la politique de la nation et qui possèdent une
prépondérance de fait dans l'initiative
législative10 ».
Un constitutionnalisme fortement
présidentialiste
Le constitutionnalisme africain se caractérise par son
attrait pour les exécutifs forts centrés autour de la personne du
président de la République11. Comme le font remarquer
justement André Cabanis et Michel Louis Martin, dans leur ouvrage Le
constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique francophone :
« Si, aujourd'hui, l'exercice de la fonction suprême a, d'une
manière générale, perdu la connotation autoritariste,
surtout sous les formes sultanistes et prétorianisées, qu'il
revêtait jusqu'à une époque récente, les transitions
politiques amorcées au tournant des années 1990 ne semblent pas
avoir beaucoup modifié cette prépondérance au sein de
l'espace politico-institutionnel12 ».
D'ailleurs, à partir de l'expression de Michel
Debré, selon laquelle le président de la République serait
« la clé de voûte » du régime politique
français, Frédéric Joël Aivo établit
l'idée selon laquelle « cette réalité de la
fonction présidentielle propre au départ à la pratique
gaullienne du pouvoir, s'est progressivement étendue à plusieurs
États francophones d'Afrique noire qui, comme la France, se sont
inscrits dans la même logique institutionnelle13 ».
C'est alors la question du mimétisme constitutionnel africain, dans son
option pour la « présidentialisation du régime
politique14 », qui est décrite. Cette affection
pour le présidentialisme ne touche pas seulement les États
10 Charles Debbasch, Yves Daudet, Lexique de
termes politiques, Dalloz, 2e éd., 1978, p. 113.
11 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
Paris, L'Harmattan, 2008, p. 14.
12 André Cabanis et Michel Louis Martin,
Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique
francophone, Louvain-La-Neuve, Bruylant-Academia, 2010, p. 59.
13 Frédéric Joël Aivo, Le
président de la République en Afrique noire francophone :
genèse, mutation et avenir de la fonction, Paris, l'Harmattan,
2007, p. 45.
14 El Hadj Omar Diop, Partis politiques et
processus de transition démocratique en Afrique noire, op.
cit., p. 36
8
francophones ; il s'agit d'une tendance que l'on retrouve de
façon globale sur l'ensemble du continent. Stéphane Bolle
définit le présidentialisme comme étant « une
configuration institutionnelle particulière, où le
président de la République - en droit et/ou en fait - concentre
l'essentiel de l'autorité, au détriment des autres
pouvoirs15 ». Les Constitutions africaines actuelles se
caractérisent notamment par l'importance des prérogatives
laissées au président de la République et la faiblesse des
dispositions prévoyant l'engagement de sa responsabilité.
Une prééminence
présidentielle nécessitant l'élaboration de conditions
d'éligibilité favorisant la « bonne gouvernance
»
Parce qu'elle se trouve au coeur des régimes politiques
africains, l'institution du président de la République
nécessite que les règles d'accès à sa fonction
soient élaborées avec soin. Une idée qui n'a pas
échappé au constituant africain lorsque le continent a connu sa
vague de démocratisation, apportée par les conférences
nationales. En effet, de nouvelles conditions sont alors apparues, afin de
répondre aux objectifs de démocratisation voulus par les
conférences nationales. De plus, comme l'indiquent Cabanis et Martin,
« Ayant voulu renouer avec l'idée de gouvernance
démocratique et d'État de droit, que ce soit par la conviction
idéologique ou par volonté de paraître partager le
système de valeurs dominant et donc de se voir insérées
dans la communauté internationale, les sociétés politiques
et civiles africaines ne pouvaient éviter de donner toute sa
signification et son effectivité au fait constitutionnaliste, ce qui
implique non seulement un régime de limitation des pouvoirs et de
protection des droits du citoyen, mais encore l'idée de la
supériorité de ce régime comme fondement du pouvoir et de
l'action de l'État16 ». Il a fallu mettre à
contribution les conditions d'éligibilité du président de
la République, afin d'atteindre des objectifs de « bonne
gouvernance » jugés indispensable au développement des
États africains. Cette notion de « bonne gouvernance » a
été théorisée par la Banque mondiale. L'institution
a, dans un premier temps, développé une définition
purement économiste de la notion, celle-ci
15 Stéphane Bolle, « Le régime
présidentiel : cache-sexe du présidentialisme ? », La
Constitution en Afrique, 2007, non paginé.
[Réf. du 11 juin 2012]. Format HTML.
Disponible sur :
http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-12777017.html.
16 André Cabanis et Michel Louis Martin,
Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique
francophone, op. cit., p. 7.
9
renvoyant « à une gestion
économiquement saine, transparente, et efficace des deniers publics.
Cette conception est dite technico-gestionnaire, parce que mettant en avant le
seul critère d'efficacité des modes de gestion économique
sans considération aucune de l'environnement socio-politique dans lequel
s'inscrivent ces modes de gestion17 ». Cependant, à
partir des années quatre-vingt-dix, la Banque mondiale va faire
évoluer la notion en lui ajoutant une dimension politique. La «
bonne gouvernance », c'est désormais le respect de la
démocratie et de l'État de droit comme composante indispensable
au développement économique et social d'un État. La bonne
gouvernance, dans son sens politico-économique, devient dès lors
une condition à l'attribution de l'aide financière à un
État. Lorsque l'on considère cette approche de l'aide au
développement, elle nous semble problématique pour deux raisons.
Tout d'abord, dans la mesure où la Banque mondiale est la seule à
apprécier l'existence ou non de la « bonne gouvernance », elle
soumet nécessairement l'État considéré à une
forme d'arbitraire. Ensuite, cet arbitraire est aggravé par le fait que
les critères d'appréciation de la bonne gouvernance reposent
uniquement sur le modèle occidental de démocratie et
d'État de droit, ce qui consacre une sorte de droit d'ingérence
à l'institution dans les affaires de l'État sollicitant une aide.
On peut dès lors légitimement se demander si l'institution a pour
objectif de conférer une aide au développement économique
des États dits « en développement », ou si elle vise
à imposer un modèle politique en leur sein.
Quoi qu'il en soit, les États africains se sont, dans
le but d'atteindre ces objectifs de « bonne gouvernance »,
dotés de nouvelles conditions d'éligibilité faisant leur
apparition dans le constitutionnalisme africain. Ont été
ajoutées, par exemple, des conditions censées garantir
l'existence d'aptitudes et ou compétences nécessaires à
l'occupation de la fonction, ainsi que, par exemple des conditions de
résidence drastiques, la multiplication des régimes
d'incompatibilité, etc. À côté de ces conditions, on
met en place une disposition phare dans le néo-constitutionnalisme
africain : il s'agit de la limitation du nombre de mandats. En effet, cette
disposition, limitant la rééligibilité des personnes ayant
déjà tenu la fonction de président de la
17 Abdourahmane Diallo, Problématique de
la gouvernance en République de Guinée et l'appui de la Banque
mondiale.
[Ressource électronique] - Université Sonfonia de
Conakry, 2009. Non paginé. [Réf. du 11 juin 2012] Format HTML.
Disponible sur :
http://www.memoireonline.com/05/09/2070/m_problematique-de-la-gouvernance-en-Republique-de-Guinee-et-lappui-de-la-Banque-mondiale.html
10
République, a comme but d'opérer un bornage de
l'exercice du pouvoir. Ismaïla Madior Fall estime que « les
nouveaux systèmes constitutionnels se sont employés à
restaurer l'idée de mandat telle qu'elle est connue dans la tradition
démocratique et républicaine. Cette restauration se
réalise d'abord et avant tout par la limitation du mandat dans le temps.
Il se réalise ainsi le passage d'un mandat longtemps
dévoyé dans un sens « monarchique » à un mandat
réhabilité dans une perspective démocratique et
républicaine18 ».
Le développement des conditions
d'éligibilité conduit de fait à encadrer toujours un peu
plus le choix des électeurs. Néanmoins, les conditions
d'éligibilité vont opérer un encadrement
bénéfique du suffrage19. La logique est celle de la
création de garde-fous, de protection du peuple contre lui-même et
sa capacité à élire une personne s'éloignant des
standards démocratiques établis par la Constitution. En effet,
les conditions d'éligibilité conçues pour garantir la
« bonne gouvernance » vont imposer des restrictions visant à
sélectionner des candidats qui seront à même de bien
appliquer les règles démocratiques posées par la
Constitution. Ainsi, certains constituants ont, par exemple, ressenti le besoin
d'imposer comme condition aux futurs candidats de savoir lire et
écrire20. La limitation du nombre de mandats protège,
quant à elle, de la réélection systématique de la
même personne à la tête de l'État.
L'intérêt de l'étude du
rôle des conditions d'éligibilité du président de la
République
On perçoit aisément les enjeux
démocratiques attachés à l'élection du
président de la République. Ce sont ces enjeux qui fondent
l'intérêt de l'étude de la question. En effet, une
vingtaine d'années après l'édiction de nouvelles
conditions d'éligibilité et leur assignation d'une mission de
favorisation de la démocratie, l'heure est arrivée de faire un
bilan de l'évolution de ces conditions quant à leur rôle
initial. La recherche des éléments permettant de favoriser ce
rôle et des éléments constitutifs d'obstacles à
celui-ci est primordiale afin de mener une étude Sur l'étendue de
leurs impacts, aujourd'hui, sur les démocraties africaines.
18 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
op. cit., p. 163.
19 Pour l'élection des présidents
africains, le suffrage le plus largement répandu est le suffrage
universel direct.
20 L'article 28 de la Constitution
sénégalaise du 22 janvier 2001 prévoit, quant à
elle, précisément que le futur candidat doit « savoir
écrire, lire et parler couramment la langue officielle ».
11
La présentation des différentes dispositions
électorales concernant l'accès à la candidature
présidentielle n'est pas dépourvue de nécessité.
Même si l'on sait qu'en Afrique, le mode d'accession au pouvoir n'est pas
toujours démocratique et que l'ordre constitutionnel n'est pas toujours
respecté, il existe un mouvement global allant dans le sens de l'abandon
progressif de la violence, au profit de la conquête politique par les
urnes. De plus, il est juste de dire que « si les changements
constitutionnels ne sauraient subsumer les réalités politiques ou
en être le principe directeur, ils ne sont pas pour autant sans effet sur
les comportements des classes politiques. Ce type de norme, du moins
lorsqu'elle consacre le libéralisme et le pluralisme, est un
préalable, quand bien même elle n'en serait pas consubstantielle,
à l'instauration d'un État de droit, quel que soit par ailleurs
le poids des autres facteurs, économiques, sociologiques et
internationaux participant également à sa formation. Et si des
asynchronies entre les textes et la réalité s'observent, elles ne
peuvent prendre trop d'ampleur, sauf à susciter un opprobre que peu de
pays sont en mesure de s'autoriser sans conséquence, du moins dans le
contexte actuel de la globalisation de la norme démocratique et de
l'exigence de « bonne gouvernance »21 ».
La problématique
Dans un contexte d'inflation constante des révisions
constitutionnelles, le texte fondamental, en Afrique, fait bien souvent l'objet
d'une instrumentalisation au profit des intérêts politiques des
dirigeants. Karim Dosso affirme que « la constitution qu'on avait
très tôt sacralisée, fétichisée, en Afrique
est devenue un texte ordinaire voire banal22 ». En effet,
le texte constitutionnel se trouvant au sommet de la hiérarchie des
normes, il ne devrait pas pouvoir être révisé aussi
facilement qu'une loi ordinaire, ni faire l'objet de modifications trop
fréquentes. Néanmoins, c'est la situation que l'on constate sur
le continent africain, depuis la création des Constitutions issues de la
vague démocratique. Dans ce contexte, on peut légitimement
s'interroger sur ce qui est advenu, au fil du temps, de ces conditions
d'éligibilité censées promouvoir une gestion
démocratique du pouvoir. La pratique généralisée de
l'instrumentalisation de la Constitution, et plus spécifiquement des
conditions d'éligibilité, a généralement pour
21 André Cabanis et Michel Louis Martin,
Les Constitutions d'Afrique francophone, évolutions
récentes, Paris, Karthala, 1999, p. 10.
22 Karim Dosso, « Les pratiques
constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone :
cohérences et incohérences », Revue française de
droit constitutionnel, n° 90, 2012, p. 17.
but d'écarter un adversaire politique de la
compétition électorale ou de se maintenir au pouvoir. Les recours
à l'instrumentalisation de la Constitution sont qualifiables de «
«coups juridiques», [qui] oscillent entre deux
tendances, celle des révisions constitutionnelles controversées
et celle des mandats électifs illimités23 ».
L'instrumentalisation conduit à écarter les conditions
d'éligibilité de leur rôle démocratique pour en
faire un outil antidémocratique au profit des intérêts du
pouvoir. De telles pratiques devraient, dans un système juridique sain,
se heurter à des obstacles d'ordre juridique ou judiciaire. Ainsi, on
peut légitimement se demander ce qu'il en est aujourd'hui dans le
constitutionnalisme africain.
Afin de répondre à de telles interrogations,
nous présenterons l'état du droit positif africain en
matière de condition d'éligibilité du président de
la République, au regard des fonctions démocratiques
assignées à celles-ci (Partie 1). Puis nous mettrons en
évidence la limitation du rôle démocratique des conditions
d'éligibilité par la pratique de l'instrumentalisation de
celles-ci (Partie 2). Enfin, il sera question de rechercher l'existence de
freins au phénomène de l'instrumentalisation (Partie 3).
12
23 Ibid., p. 23.
13
PARTIE I : Le droit positif des conditions
d'éligibilité entre
visées démocratiques et
réalités antidémocratiques
Même si les nouvelles dispositions constitutionnelles
n'ont pas permis de mettre un terme à toutes les difficultés
rencontrées par le constitutionnalisme africain, elles ont
néanmoins une forte valeur symbolique. Concernant la période du
monopartisme, Ismaïla Madior Fall nous dit que « les très
longs règnes consécutifs à l'institutionnalisation de la
présidence à vie ou au cumul illimité de mandats
favorisaient tout naturellement une confusion du pouvoir avec la personne du
Chef de l'État24 ». De plus, selon lui, le
système du monopartisme, dans lequel de nombreux « pères
fondateurs » des indépendances dirigeaient leur pays sans que soit
évoquée la question du renouvellement politique, a
contribué au phénomène de la sacralisation du pouvoir.
Autant de facteurs antidémocratiques auxquels devaient mettre un terme
les Constitutions nées de la vague de démocratisation. Il a
été question de prévoir des conditions
d'éligibilité permettant de garantir l'élection d'un
candidat répondant au standard d'un « bon gouvernant ». Au
regard des conditions d'éligibilité créées de ce
fait, on apprend que le bon dirigeant se doit d'être compétent,
respectueux des valeurs constitutionnelles, non soumis à l'influence de
certains groupes présents dans la société, etc. La
question de la limitation du pouvoir, notamment dans le but d'empêcher sa
personnalisation, a été réglée par l'introduction,
dans la grande majorité des Constitutions, d'une limitation du nombre de
mandats autorisés à une seule et même personne. On constate
aujourd'hui que le droit positif africain se caractérise par des
conditions d'éligibilité orientées vers la recherche d'un
candidat de qualité (Chapitre 1), mais avec une application difficile de
la règle de la limitation du nombre de mandats (Chapitre 2).
24 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
op. cit., p. 24.
14
Chapitre 1 : Le droit positif des États
africains orienté vers la
recherche qualitative en matière de candidature
présidentielle
La finalité des conditions d'éligibilité
est d'assurer aux électeurs l'existence d'un choix
éclairé, car prédéterminé par des
critères choisis par la loi électorale. Le professeur
Ismaïla Madior Fall, dans sa thèse sur le pouvoir exécutif
en Afrique25, met en évidence l'existence de conditions
d'éligibilité que l'on peut qualifier de classiques. Celles-ci
sont de l'ordre de trois, et sont qualifiées de « classiques »
du fait de l'absence de contestation suscitée par leur existence et du
fait de leur présence quasi-systématique dans le
constitutionnalisme africain, mais aussi mondial. Elles présentent la
particularité d'être, dans le constitutionnalisme africain,
particulièrement restrictives dans l'accès à la
candidature présidentielle (Section 1). Ces conditions sont
distinguées d'autres conditions, lesquelles ont pour objectif de
répondre à un besoin spécifique de « bonne
gouvernance ». Ces conditions prennent des formes variables d'un
État à un autre, en fonction de la conception que l'on se fait de
ce que doit être un bon président de la République. Les
conditions de « bonne gouvernance » encadrent l'ensemble des aspects
importants de la vie du candidat (Section 2).
Section 1 : Des conditions d'éligibilité
classiques opérant une sélection restrictive
Les conditions d'éligibilité classiques sont au
nombre de trois. Il s'agit, pour la personne souhaitant être candidate de
:
- posséder la nationalité du pays où elle
veut briguer la fonction suprême ; - remplir une condition d'âge
;
- jouir de ses droits civils et politiques.
Ces conditions semblent naturelles et ne posent pas de
problème dans leur principe. En effet, il s'agit des conditions
minimales requises dans la grande majorité des États du globe.
L'obligation de jouir de ses droits civils et politiques « concerne la
faculté pour tout citoyen de s'inscrire sur une liste électorale,
sans avoir été déchu par une décision
25 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
Paris, L'Harmattan, 2008, page 52.
15
judiciaire ; celle-ci pouvant avoir un caractère
civil ou pénal26 ». Cette disposition est toujours
présentée sous la forme du même énoncé et ne
nécessite pas d'observations particulières27. En
revanche, les conditions de nationalité et d'âge présentent
différents énoncés d'un État à un autre, ce
qui souligne des différences d'exigence en la matière, et
démontre le soin porté à la rédaction de ces
conditions. Ainsi, en Afrique, il est important de rechercher les raisons de la
prééminence d'une condition de nationalité restrictive (I)
; d'autre part, l'existence de conditions d'âge favorisant la
maturité au plus haut niveau de l'État pose question (II).
I) Les raisons de l'option généralisée
pour une condition de nationalité restrictive
Les États dans lesquels tout citoyen peut se
présenter à l'élection de président de la
République sont largement minoritaires sur le continent. En effet, les
États dans lesquels il n'est pas fait de distinction entre les
ressortissants d'origine et les ressortissants naturalisés ou
binationaux sont très rares. Dans cette catégorie d'États,
que l'on peut considérer comme ayant une condition de nationalité
libérale, il y a, par exemple, la Guinée ou Madagascar. L'article
29 de la constitution guinéenne dit simplement : « tout
candidat à la présidence de la République doit être
de nationalité guinéenne ».
En revanche, l'immense majorité des États du
continent africains présentent une condition de nationalité
restrictive. En effet, même lorsque les ressortissants naturalisés
ne sont pas exclus, le caractère restrictif de la condition vient du
rejet de la plurinationalité. C'est le cas, notamment, des Constitutions
djiboutienne et sénégalaise28, qui exigent simplement
que les candidats aient la nationalité du pays, mais celle-ci doit
être exclusive de toute autre, ce qui, de fait, va souvent exclure les
ressortissants naturalisés, sauf dans le cas où ils auraient
renoncé à leur nationalité d'origine. Néanmoins, la
condition de nationalité la plus fréquente est celle qui exige au
moins que le candidat soit un national d'origine ou de naissance. Alors que
les
26 Thomas Goudou, L'État, la politique
et le droit parlementaire en Afrique, Paris, Berger-Levrault, 1987, p.
352.
27 Seuls très peu de pays n'y font pas
référence. Néanmoins, l'exigence est souvent
remplacée par une condition similaire, par exemple l'article 24 de la
Constitution centrafricaine exige que le candidat n'ait pas fait l'objet d'une
« condamnation à une peine afflictive ou infamante ».
28 Respectivement article 24 de la Constitution du
4 septembre 1992 et article 28 de la Constitution du 22 janvier 2001.
16
Constitutions nigérienne et de la République
démocratique du Congo29 se bornent à cette exigence,
certaines conditions de nationalité, quant à elles, vont beaucoup
plus loin. Ainsi, la Constitution de Côte d'Ivoire du 23 juillet 2000
exige d'un candidat qu'il soit « ivoirien d'origine, né de
père et de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine. Il doit
n'avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne
doit s'être jamais prévalu d'une autre
nationalité30 ».
Il semblerait que l'on puisse expliquer ce
phénomène par deux raisons principales. La première raison
que l'on peut avancer est celle du nationalisme. Selon le dictionnaire Larousse
2012, celui-ci se définit comme étant une « doctrine qui
affirme la prééminence de l'intérêt de la nation par
rapport aux intérêts des groupes, des classes, des individus qui
la constituent31 ». À travers cette
définition, on perçoit, dans la condition de nationalité,
comme un moyen d'unir des ethnies et des individus, regroupés dans une
même nation, en leur réservant l'accès à la fonction
suprême. Cela peut-être comme un moyen de dépasser le «
tribalisme » sur un continent où une même ethnie se retrouve
dans des pays différents. Cette démarche s'inscrirait donc dans
la logique des efforts constants fournis par les États africains,
après les indépendances, pour donner naissance à une
nation qui n'existait pas, au sein d'entités fraîchement
constituées. Dans ce cas, on peut penser que la volonté de
favoriser l'éclosion d'une nation va dans le sens de la recherche du
modèle démocratique occidental d'État-nation. Le Petit
Robert 2012 nous fournit, quant à lui, un autre sens de la notion de
nationalisme. Il semblerait que la notion de nationalisme corresponde
également à une « exaltation du sentiment national ;
attachement passionné à la nation à laquelle on
appartient, accompagné parfois de xénophobie et d'une
volonté d'isolement32 ». En Côte d'Ivoire,
par exemple, les restrictions apportées à la condition de
nationalité et l'exaltation de la notion d'ivoirité ont pu
être perçues comme le produit de la
xénophobie33. Néanmoins, nous faisons une lecture
différente de la question, tendant plutôt à
interpréter cette forte exigence en matière de nationalité
comme étant au service
29 Respectivement article 47 de la Constitution du
25 novembre 2011 et article 72 de la Constitution du 18 février 2006.
30 Article 35.
31 Larousse maxipoche 2012, Paris, Larousse,
2011, p. 929.
32 Le Petit Robert 2012, Paris, Le Robert,
2011, p. 1672.
33 Éric V. Nguyen, Géopolitique
de l'Afrique, du continent noir oublié à la renaissance
africaine, Levallois-Perret, Studyrama perspectives, 2010, p. 93.
17
d'un objectif politique précis : écarter de
l'accès au pouvoir un opposant gênant34. Dans cette
mesure, une telle condition serait dépourvue d'intérêt
démocratique, puisqu'elle ne servirait qu'à garantir
l'intérêt personnel du dirigeant en place. Enfin, on peut avancer
cependant d'autres raisons à ce choix restrictif. Il s'agirait de la
faiblesse du contrôle exercé par les États sur leurs
frontières, ainsi que de la faiblesse de l'état civil, qui
contraindrait les États à faire preuve de fermeté dans la
détermination des conditions de nationalité, cela se traduisant
souvent par une accumulation d'exigences, telles que l'obligation de prouver
que ses parents sont citoyens d'origine également. Ainsi, le
caractère restrictif de la condition permettrait d'éviter
l'existence de fraude.
On peut difficilement attribuer le caractère restrictif
de la condition de nationalité à une seule raison. En effet, il
semblerait que celles-ci soient multiples, même au sein d'un même
État. Néanmoins, l'efficacité d'une telle condition
à garantir le respect des institutions et du principe
démocratique par le futur président n'est pas
démontré. En effet, si l'on cherche, par le choix en faveur d'un
président natif d'origine qui serait porté par un esprit
patriotique, à assurer une bonne gestion du pouvoir, on est bien loin
d'arriver au résultat escompté, tant la question nationale est
complexe en Afrique et tant l'idée de l'État-nation moderne y est
abstraite35.
Dans la catégorie des conditions classiques, on trouve
aussi la condition d'âge, laquelle a en commun avec la condition de
nationalité d'avoir un caractère assez restrictif, avec, sur le
continent, une préférence pour les candidats d'âge
mûr.
II) La condition d'âge favorise la maturité au
plus haut niveau de l'État
La quasi-totalité des États africains
présentent une condition d'âge imposant un âge minimal. Cet
âge minimal se distingue de l'âge de la majorité civile
permettant à un individu d'être considéré
juridiquement comme civilement capable et responsable. Sur le continent,
l'âge requis pour accéder à la candidature
présidentielle est toujours beaucoup plus élevé que
l'âge de la majorité civile. À titre de comparaison, en
France, par exemple, l'âge requis n'est que de 23 ans. En revanche,
l'âge minimal le plus
34 Cet opposant s'avérait être la
personne de l'actuel président Alassane Ouattara. La restriction de
l'accès au jeu politique, à travers le renforcement de l'exigence
en matière de nationalité, a été perçue
à l'époque comme ayant pour seul but d'exclure ce dernier de la
compétition présidentielle.
35 Il ne s'agit pas ici de dire que sur le
continent africain, la notion d'État-nation est absente ; il a
été démontré leur existence en Afrique
précoloniale, notamment par les travaux de Cheikh Anta Diop. C'est
l'État-nation au sens occidental du terme et délimité par
les frontières issues de la colonisation qui pose problème, car
il ne prend pas assise sur la réalité.
18
fréquent en Afrique est de 35 ans ; on le retrouve par
exemple au Burundi et au Togo36. L'âge minimal le moins
élevé, et aussi celui le moins fréquemment retenu, est
celui de 30 ans, que l'on retrouve au Botswana et en République
démocratique du Congo37. Entre les deux, pour ce qui est de
la fréquence, on trouve l'âge de 40 ans. Cet âge est requis
à Djibouti, au Bénin et au Soudan du Sud38.
Selon Ismaïla Madior Fall, le caractère
relativement élevé de l'âge minimal requis en
matière présidentielle est typique des démocraties
républicaines, lesquelles, selon lui, entrent dans une « logique
gérontocratique qui favorise l'accès au pouvoir des «
vieux routiers de la politique39 ». Néanmoins
André Cabanis et Michel Louis Martin40 s'étonnent de
l'existence d'une condition d'âge minimale aussi élevée en
Afrique, où la population est jeune, l'âge médian tournant
généralement autour de 18-19 ans. En effet, même si l'on
comprend la nécessité de donner l'accès au pouvoir
à des personnes jouissant d'une certaine maturité et d'une
expérience politique, il est permis de se demander, eu égard aux
grandes difficultés que rencontrent les États africains, s'il est
encore nécessaire d'imposer une condition d'âge minimale aussi
restrictive, dans la mesure où l'on sait que les règles
implicites du jeu politique ne fournissent que peu de chances de
réussite aux candidats inexpérimentés ou peu connus dans
l'arène politique. Le risque de la victoire d'un candidat jeune et peu
qualifié est très faible. De plus, cette mesure conduit à
empêcher le renouvellement des acteurs politiques. En Afrique, il s'agit
généralement d'une même poignée d'individus qui se
disputent le pouvoir pendant de nombreuses années.
On ne peut s'empêcher de constater la dichotomie entre
l'âge de la population et le caractère fortement
gérontocratique du pouvoir. On peut, par exemple, citer le
président zimbabwéen, Robert Mugabe, qui a actuellement 88 ans,
alors que l'âge médian de la population du Zimbabwe était,
en 2011, d'un peu plus de 18 ans. Plusieurs Constitutions du continent semblent
néanmoins avoir pris en compte cette problématique, à
travers l'adoption d'une condition d'âge maximale. Cet âge
maximal
36 Respectivement article 97 de la Constitution du
18 mars 2005, article 62 de la Constitution du 14 octobre 1992.
37 Respectivement article 33 de la Constitution 30
septembre 1966 et article 72 de la Constitution du 18 février 2006.
38 Respectivement article 24 de la Constitution du
15 septembre 1992, article 44 de la Constitution du 4 décembre 2004 et
article 98 de la Constitution du 7 juillet 2011.
39 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
op. cit., p. 57.
40 André Cabanis et Michel Louis Martin,
Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique
francophone, Bruxelles, Bruylant-Academia, 2010, p. 66.
19
est quasiment toujours de 70 ou 75 ans, et on le retrouve
notamment au Tchad, au Bénin, au Congo (Brazzaville) et en Côte
d'Ivoire41. La catégorie des États ayant opté
pour cette limitation est encore très marginale, et la question d'un
âge limite pour pouvoir exercer le pouvoir reste controversée sur
le continent. Au Sénégal notamment - au-delà de la
question de savoir s'il était constitutionnellement
rééligible -, on a pu s'interroger sur l'opportunité, pour
Abdoulaye Wade, de se représenter aux élections
présidentielles de 2012, en raison de son grand âge42.
À ce sujet, Béchir Ben Yahmed estime qu'« il y a douze
ans, les socialistes sénégalais, qui avaient exercé le
pouvoir depuis l'indépendance en 1960, le perdaient au
bénéfice des libéraux d'Abdoulaye Wade. Ce fut alors, en
2000, une alternance politique qui a fait date. Celle qui se dessine pour ce
mois de mars sera, si elle se réalise, une alternance de
génération. Elle est, à mon avis, tout aussi
nécessaire et devrait être
bénéfique43 ». Puis, concernant la question
d'un âge maximal, il nous dit que « le sujet de «
l'âge du capitaine » est délicat. Mais on peut, même en
Afrique et en Asie, où l'on se doit de respecter et de ménager
« les anciens », l'aborder sans craindre de manquer de respect
à qui que ce soit. On se doit même de traiter le sujet, car il est
politique et concerne le destin de nos peuples44 ». En
effet, la question n'est pas superflue et, en la matière, il ne s'agit
pas de prédéterminer l'âge jusqu'auquel on est
considéré comme étant toujours apte à diriger. Ce
serait sous-estimer les électeurs que de penser qu'ils ne sont pas
capables de voir, par exemple, la sénilité d'un candidat. En
réalité, l'existence d'un âge maximum n'a
d'intérêt en soi que dans la mesure où il permet de
constituer une barrière à la rééligibilité
infinie de certains chefs d'État vieillissant au pouvoir, à force
d'accumulation de mandats.
On constate que la question de l'âge, en matière
d'éligibilité, est délicate, et que celle-ci
soulève de nombreux questionnements et renferme de nombreuses
considérations d'ordre idéologique. La raison la plus plausible
de l'existence d'un âge minimum, c'est la volonté de s'assurer de
la bonne gouvernance par l'assurance de la
41 Respectivement article 62 de la Constitution du
14 avril 1996, article 44 de la Constitution du 4 décembre 2004, article
58 de la Constitution du 20 janvier 2002 et article 35 de la Constitution du 23
juillet 2000.
42 Né le 29 mai 1926, son âge
était alors de 85 ans, sachant qu'un mandat dure sept ans. Il aurait
été au pouvoir jusqu'à 92 ans s'il avait été
réélu.
43 L'article a été
rédigé peu de temps avant les élections
présidentielles sénégalaises de mars 2012. Celles-ci
opposèrent, au second tour, le président Abdoulaye Wade (86 ans)
à Macky Sall (52 ans), ce dernier incarnant le renouvellement des
générations au sommet de l'État. Macky Sall remporta les
élections.
44 Béchir Ben Yahmed, « L'âge du
capitaine », Jeune Afrique, n° 2669, 2012, p. 3.
20
maturité du candidat à la présidentielle.
L'âge maximal, quant à lui, sert à la fois à
s'assurer qu'un âge trop avancé ne nuise pas à la
capacité de tenir la fonction, et permet également, du même
coup, d'éviter le problème de la présidence à
vie.
On a pu voir que bien que qualifiables de classiques, les
conditions d'éligibilité précédemment citées
ne sont pas sans soulever quelques interrogations. Dans le cas des conditions
d'éligibilité de bonne gouvernance, les interrogations demeurent,
mais sont spécifiques d'un État à un autre. En effet, ces
conditions sont moins systématiques, variant d'un État à
un autre et répondant à des objectifs précis.
Section 2 : Des conditions d'éligibilité
de bonne gouvernance encadrant fermement la personne du candidat
L'élaboration du néo-constitutionnalisme
africain a été l'occasion de l'introduction, dans le
constitutionnalisme africain, de dispositions de moralisation de la vie
politique et de démocratisation de l'accès au pouvoir. Dans un
souci de voir avancer la démocratie, de nombreux constituants ont
adopté des dispositions tendant à favoriser la « bonne
gouvernance » au plus haut niveau de l'État. Les conditions
d'éligibilité sont apparues comme un bon outil pour
connaître à l'avance certains éléments de la vie
personnelle et professionnelle des futurs candidats, afin de s'assurer que la
personne élue serait apte à épouser la fonction. On
distingue deux types de conditions d'éligibilité de « bonne
gouvernance ». Il y a, d'une part, les conditions attachées aux
qualités personnelles nécessaires au candidat pour devenir un bon
gouvernant (I) ; puis il y a, d'autre part, les conditions
d'éligibilités liées à l'environnement de celui-ci,
lui permettant de gouverner au mieux une fois élu (II).
I) Les conditions d'éligibilité relatives aux
qualités personnelles de
gouvernant
Dans la catégorie des conditions
d'éligibilité qui ont pour but de garantir la bonne gouvernance,
celles qui touchent aux qualités personnelles requises pour être
candidat nous permettent d'avoir une idée de la vision qu'a un
État de ce qu'est un bon gouvernant. En effet, par l'étude des
qualités demandées aux futurs candidats à la
présidentielle, on peut percevoir ce qui est considéré,
dans une société donnée, comme le gage nécessaire
à l'accession au pouvoir.
21
Celles qui paraissent les plus importantes sont celles
relatives aux compétences que doit posséder un candidat à
l'élection présidentielle. Il peut s'agir de compétences
élémentaires, comme savoir lire et écrire. C'est ce
qu'exige, par exemple, l'article 98 de la Constitution transitionnelle de 2011
du Soudan du Sud. Cette exigence a été apportée
également au Sénégal par la Constitution du 22 janvier
2001, avec comme particularité d'exiger la maîtrise de la langue
officielle. La langue officielle étant le français, cette
disposition amène à s'interroger sur la place à laisser
à un candidat lettré, mais ne maîtrisant que
l'arabe45. En effet, le Sénégal étant un pays
où la quasi-totalité de la population est musulmane, l'arabe
occupe de ce fait une place importante. Mais on peut aussi se demander quelle
place laisser au wolof, la langue véhiculaire du pays, qui prend de plus
en plus le pas sur le français46, et qui est parlée
par l'ensemble de la population. Dans ces conditions, on ne peut
s'empêcher de faire une corrélation entre l'absence de
popularité de Karim Wade, le fils de l'ancien président Abdoulaye
Wade, et le fait que ce dernier ne parle pas le wolof. Aujourd'hui, faut-il
parler wolof pour répondre aux aspirations de la société
sénégalaise ? La langue n'est-elle pas l'âme d'un peuple ?
Ainsi, il serait donc bon de poser comme exigence à la candidature
présidentielle la maîtrise d'au moins une langue nationale du
pays, afin de mettre le candidat en adéquation avec la population du
pays qu'il ambitionne de diriger, ne serait-ce que pour pallier la crise de
légitimité dont souffrent les institutions étatiques.
Si l'on reste dans le domaine des compétences requises
pour être candidat aux fonctions présidentielles, le Congo
(Brazzaville) fait preuve d'originalité en allant plus loin dans
l'exigence, déclarant que nul ne peut être candidat «
s'il n'atteste d'une expérience professionnelle de quinze ans au
mois47 ». On peut également citer la curieuse
disposition de l'article 33 (d) de la Constitution équatorienne du 17
novembre 1991, selon laquelle pour être candidat, il faut savoir
interpréter la loi fondamentale. Dans ce cas, on peut être
sceptique quant à la possibilité de vérifier la
réalisation de la condition. Dans la catégorie des
qualités personnelles inhérentes à la personne du
candidat, on trouve la condition de bonne moralité et de probité,
qui est notamment
45 Ismaïla Madior Fall, Évolution
constitutionnelle du Sénégal, de la veille de
l'indépendance aux élections de 2007, Dakar, CREDILA-CREPOS,
2009, p. 109.
46 Pierre Cherruau, « Le Sénégal
est-il encore un pays francophone ? », Slate Afrique, 2012, non
paginé. Selon l'article, l'ensemble des programmes
télévisés, qu'ils soient politiques, sociétaux ou
culturels, se déroulent en wolof. À l'école
également, certains enseignants s'expriment dorénavant en wolof
et il semblerait que le phénomène touche également les
milieux intellectuels traditionnellement dominés par le
français.
47 Article 58 de la Constitution du 20 janvier
2002.
22
commune au Bénin, à la Côte d'Ivoire et au
Rwanda48. La condition de moralité a le désavantage de
reposer sur une analyse subjective de la bonne moralité et, en la
matière, l'objectif de garantie de bonne gouvernance est difficilement
atteint. Néanmoins, cette condition de bonne moralité
s'accompagne souvent d'autres dispositions, telles que l'obligation faite au
futur candidat de déclarer et de justifier de son patrimoine, ou la
sanction d'inéligibilité pour une personne ayant
été condamnée à une peine de prison pour une cause
impliquant la malhonnête ou la turpitude. On trouve respectivement ces
conditions dans la Constitution ivoirienne et dans la Constitution
malawite49. Enfin, il faut citer une condition non
négligeable ; il s'agit de celle obligeant tout candidat à
l'élection à prouver l'existence d'une bonne santé
physique et mentale, exigence qui, dans certains pays comme le Bénin,
s'accompagne de l'obligation d'être examiné par un collège
de médecins désignés par la Cour constitutionnelle.
Ces conditions de bonne gouvernance liées à la
personne du candidat sont complétées par des dispositions tenant
à l'environnement de celui-ci.
II) Les conditions d'éligibilité relatives
à l'environnement du futur candidat
Cette catégorie comprend l'ensemble des autres
conditions qui sont demandées à un candidat. Ces conditions ont
en commun de ne pas toucher directement la personne du candidat, mais le cadre
dans lequel il s'insère. Ainsi, par exemple, certaines Constitutions
obligent le candidat à être membre d'un parti politique, faute de
quoi il ne pourra se présenter à l'élection. C'est le cas
notamment en Zambie50, où il est fait obligation aux
candidats d'être membres d'un parti politique ou sponsorisés par
un parti politique. Néanmoins, lorsque les candidatures
indépendantes ne sont pas rejetées, elles sont encadrées
par l'obligation d'être supportées par un certain nombre
d'électeurs. Les Constitutions mozambicaine et
sénégalaise51 exigent toutes deux que le candidat
indépendant ait été proposé par au moins 10 000
électeurs. Ces conditions d'éligibilité sont
considérées comme servant de rempart aux candidatures
fantaisistes52, lesquelles peuvent polluer le jeu politique. Elles
permettent aussi de lutter contre l'inflation des
48 Respectivement article 44 de la Constitution du
11 décembre 1990, article 35 de la Constitution du 23 juillet 2000 et
article 99 de la Constitution du 4 juin 2003.
49 Respectivement article 35 de la Constitution du
23 juillet 2000 et article 80 de la Constitution du 18 mai 1994.
50Article 34 (3) de la Constitution du 30 août
1991.
51 Respectivement article 147 de la Constitution du
16 novembre 2004 et article 29 de la Constitution du 22 janvier 2001.
52 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
op. cit., p. 53.
23
candidatures, qui ne favorisent pas une bonne
compréhension pour les électeurs des différents programmes
proposés. L'obligation de cautionnement généralement
contenue dans les codes électoraux, dans la mesure où elle impose
le dépôt d'une somme d'argent conséquente, répond
aux mêmes objectifs53.
Parmi les conditions d'éligibilité tenant
à l'environnement du candidat, on trouve une condition importante qui
est celle de la résidence. En effet, il est très largement
considéré, à travers la condition de résidence,
l'idée que pour gouverner un pays, il faut bien connaître les
réalités de celui-ci et, ainsi, y avoir vécu un certain
temps et ou y vivre au moment du dépôt de sa candidature. Il
existe une graduation dans l'obligation de résidence. Certains
États, comme le Rwanda54, exigent uniquement que le candidat
à l'élection réside dans le pays au moment du
dépôt de sa candidature. La Constitution malgache, en revanche,
demande que chaque candidat à l'élection réside dans le
pays « depuis au moins six mois avant le jour de la date limite
fixée pour le dépôt des candidatures55
». Il existe une grande diversité dans les durées de
résidence exigées. Celles-ci peuvent être de vingt-quatre
mois56, de cinq ans57 ou, dans un cas extrême, de
vingt ans, comme l'exige la Constitution zambienne58. De
façon plus originale, la Constitution centrafricaine exige que tout
candidat ait une propriété bâtie sur le territoire
national59.
On trouve également, dans le constitutionnalisme
africain, des cas d'incompatibilité qui veulent que pour être
candidat, il ne faille pas faire partie du corps militaire, ou en faire partie
mais être en position de disponibilité, une condition dont
l'origine serait la « phobie des régimes
militaires60 ». On la retrouve notamment à
l'article 62 de la Constitution tchadienne du 14 avril 1996.
L'abondance des conditions d'éligibilité en
Afrique témoigne d'une volonté de voir celles-ci jouer un
rôle actif dans la prédétermination de ce que l'on estime
être un « bon candidat », surtout à une
époque où l'on prône l'importance de la bonne
gouvernance.
53 Aux dernières élections
présidentielles au Cameroun, on dénombrait 51 prétendants
à la candidature, dont, finalement, 21 furent retenus. Dans le nouveau
code électoral, le cautionnement a été augmenté de
6 fois le montant précédemment demandé.
54 Article 99 de la Constitution du 4 juin 2003.
55 Article 46 de la Constitution du 11 décembre
2010.
56 Article 58 de la Constitution congolaise
(Brazzaville) du 20 janvier 2002.
57 Article 35 de la Constitution ivoirienne du 23
juillet 2000.
58 Article 34 (3) de la Constitution du 30 août
1991.
59 Article 24 de la Constitution du 5 décembre
2004.
60 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
op. cit., p. 52.
24
Cependant, les conditions d'éligibilité ne
trouvent pas toutes un succès égal dans la réalisation de
cette tâche. Attention, donc, à ne pas les multiplier de
façon excessive, au risque de voir trop restreint l'accès
à la compétition politique. Une telle restriction se ferait au
détriment de l'intérêt collectif.
La fonction des conditions d'éligibilité est
complétée par celle d'une condition d'éligibilité
particulière : il s'agit de la limitation de mandat. En effet, cette
condition d'éligibilité remplit, quant à elle, un
rôle de bornage du pouvoir présidentiel.
25
Chapitre 2 : La limitation du nombre de mandats,
instrument de la
volonté de limitation du pouvoir
Lorsque l'on parle de mandat, on parle d'une période
durant laquelle une personne va exercer une fonction. Cette fonction est
nécessairement enfermée dans le temps. Néanmoins, la
limitation du nombre de mandats n'est pas une idée qui va de soi et,
surtout en matière de mandat électif, il y a une idée
selon laquelle la limite que devrait trouver l'exercice du pouvoir est la
volonté des électeurs. Néanmoins, la limitation de mandat
instituée au moment des conférences nationales marque la sortie
d'un long cycle de monopartisme, marqué fortement par la concentration
du pouvoir et la pérennisation de celui-ci dans les mains d'un groupe,
voire d'un seul homme.
La limitation de mandat possède, selon nous, trois
caractéristiques essentielles la distinguant des conditions
d'éligibilité précédemment évoquées.
Pour commencer, elle a la particularité de ne s'appliquer qu'aux
personnes ayant déjà accédé au pouvoir à
travers le mandat présidentiel. De plus, la limitation de mandat
présente également une particularité dans sa localisation
dans le corps des Constitutions africaines. En effet, cette disposition se
trouve généralement dans un article distinct et antérieur
à celui des conditions d'éligibilité61, un
article dans lequel elle est accolée aux dispositions indiquant le mode
d'élection du président de la République62.
Peut-être cela donne-t-il une idée de l'importance de la
disposition pour le constituant africain. Enfin, la limitation de mandat fait
souvent l'objet d'une protection plus importante que les autres conditions
d'éligibilité, et est donc plus souvent accompagnée de
dispositions de supraconstitutionnalité. Nous inclurons les États
du Maghreb à notre analyse afin d'avoir une perspective plus large,
englobant ainsi des États dans lesquels les variations
constitutionnelles, en matière de limitation de mandat, sont
importantes.
Il semblerait que le principe de limitation du pouvoir,
à travers la disposition de limitation de mandat, s'impose sur le
continent comme principe incontournable dans le cadre de la lutte pour le
maintien d'un régime démocratique. Néanmoins, cette norme
est confrontée à de nombreux obstacles quant à son
application dans les États où elle a été
originairement adoptée (Section 1). À l'opposé il faut
également étudier la
61 L'antériorité par rapport aux
autres conditions d'éligibilité concerne surtout les
Constitutions francophones.
62 Le mode d'élection étant
généralement le suffrage universel direct dans les pays
francophones, et le suffrage indirect dans les pays anglophones.
26
possibilité pour un Président de la
République de faire plus de deux mandats, bien que cette option soit
plus marginale, elle fait l'objet d'une progression croissante ces
dernières années. (Section 2).
Section 1 : La tendance majoritaire de la limitation du
nombre de mandats à deux, une volonté d'encadrement du pouvoir
difficile d'application
L'objet de notre étude porte ici sur la limitation de
mandat prévoyant qu'une même personne ne pourra pas exercer plus
de deux mandats. Il s'agit du type de clause limitative de mandat le plus
restrictif que l'on trouve dans les Constitutions africaines contemporaines. Il
semblerait qu'au vu du contexte d'élaboration de la limitation à
deux mandats, un contexte de méfiance à l'égard du pouvoir
en place, cette disposition vise à verrouiller à l'avance, par
une disposition inscrite dans la Constitution, le nombre de mandats que pourra
exercer n'importe quel individu. Et cela, peu importe qu'il jouisse d'une
légitimité incontestée au sein de la population
chargée de l'élire. En effet, la vague de démocratisation
qui a touché l'Afrique dans les années quatre-vingt-dix a
amené un rejet total des régimes de présidence à
vie, institutionnalisés ou de fait, qu'avaient pu connaître de
nombreux États. C'est ce passé lourd qui explique cette
volonté radicale de rompre avec la possibilité, pour un candidat
à l'élection présidentielle, d'excéder l'exercice
de deux mandats. Néanmoins, la rédaction de cette clause dans
chaque État n'est pas toujours sans soulever quelques interrogations,
notamment sur l'interprétation exacte à donner à celle-ci.
Ainsi, la clause de limitation à deux mandats contenue dans le
constitutionnalisme africain paraît parfois sujette à diverses
interprétations quant à son sens (I), ainsi qu'au processus qui
l'a amenée à être présente aujourd'hui dans la
grande majorité des constitutions africaines (II).
I) Un droit positif laissant subsister une limitation
à deux mandats au sens
ambigu
Comme il a été précédemment dit,
le choix de recourir à une limitation de mandat et de retenir le nombre
de deux mandats comme limite a été effectué par la grande
majorité des États du continent, et cela, que ce soit en Afriques
de l'Ouest, centrale, de l'Est ou du Sud. C'est la clause qui limite les
mandats à deux qui est la plus présente.
27
On observe, pour chaque zone, quelques exceptions seulement.
Ainsi, par exemple, en Afrique de l'Ouest, le Togo et le Gabon font partie des
rares exceptions qui ne prévoient pas de limitation du mandat
présidentiel. En revanche, les pays arabes du continent ne connaissent
pas actuellement une limitation de mandat
généralisée63. Cependant, depuis la vague de
« la révolution arabe », le constitutionnalisme de ces
États est en phase de mutation et l'avenir dira s'ils optent finalement
pour ce choix64.
Si l'on observe la clause en question, on peut faire plusieurs
observations. Tout d'abord, l'énoncé de celle-ci diffère
généralement très légèrement d'un
État à un autre. Ainsi, les États francophones optent plus
généralement pour deux types de formule, selon lesquels le
président de la République « est
rééligible une fois65 », ou le mandat
présidentiel « est renouvelable une fois66
». Or, chez les États non francophones, on retrouve souvent la
formule qui veut que « Nul ne peut occuper le poste de
Président de la République pendant plus de deux
mandats67 ». Il n'y a pas d'observation
particulière à faire sur le fait que les États ayant un
colonisateur commun aient fait un choix similaire dans la rédaction,
puisqu'en la matière, on ne peut pas dire pour les États
francophones, par exemple, qu'ils se soient inspirés de la Constitution
française, puisque la disposition n'est apparue en droit français
qu'au moment de la réforme de 200868. Or, la disposition
existait déjà dans les premières Constitutions africaines,
avant d'être supprimée sous le monopartisme, puis
réintroduite dans les années quatre-vingt-dix69.
On peut cependant observer le fait que la formule «
Nul ne peut occuper le poste de Président de la République
pendant plus de deux mandats » a l'avantage d'empêcher toute
équivoque sur le fait qu'une personne ne peut exercer que deux mandats
en tout. Or, dans les formules touchant à l'absence de renouvellement du
mandat ou prévoyant la rééligibilité plus d'une
fois, des précisions manquent souvent. En effet, lorsque l'on
63 En effet, de nombreux chefs d'État ont
fait supprimer la clause de la Constitution. C'est le cas, par exemple, en
Algérie.
64 Une nouvelle Constitution est, par exemple,
à l'étude en Tunisie.
65 Il en est ainsi à l'article 37 de la
Constitution du Burkina Faso.
66 Il en est ainsi dans l'article 42 de la
Constitution du Bénin.
67 Il en est ainsi à l'article 46 de la
Constitution de Sierra Leone, et l'article 41 de la Constitution
érythréenne.
68 La réforme est issue de la loi
constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation
des institutions de la Ve République.
69 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
op. cit., p. 169. Selon l'auteur, la clause se trouvait dans les
Constitutions sénégalaise et malienne, respectivement en 1970 et
1974. Le Bénin sera le premier État francophone à
réintroduire la clause après le monopartisme, le 11
décembre 1990.
28
se cantonne à ces affirmations, la disposition peut
être interprétée dans le sens d'une impossibilité de
faire plus de deux mandats successifs, mais n'empêchant pas un cumul
supérieur à ce nombre pour les mandats non successifs.
D'où cette interrogation : « la clause de
rééligibilité limitée à une seule fois
est-elle immédiate ou définitive ? Son champ d'application
temporel s'inscrit-il dans la continuité ou dans la discontinuité
? Autrement dit encore, celui qui a exercé deux mandats, une fois qu'il
quitte le pouvoir, peut-il revenir plus tard après l'expiration du
mandat de son successeur ou de ses successeurs pour briguer un troisième
mandat voire un quatrième mandat70 ? »
Certaines Constitutions, pour empêcher des erreurs
d'interprétation, ajoutent une précision à la formule. La
Constitution béninoise du 11 décembre 1990, à
l'alinéa 2 de son article 42, après avoir dit que le mandat
n'était renouvelable qu'une fois, ajoute qu'« En aucun cas, nul
ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels71
». Cette précision a le mérite de clarifier les choses et
d'éviter toute interprétation divergente.
Néanmoins, même en l'absence de cette
précision, une interprétation de la disposition tendant à
dire qu'elle ne s'applique qu'aux mandats successifs, et donc qu'elle
n'empêche pas l'exercice de plus de deux mandats non successifs, nous
semble erronée. En effet, cela tout d'abord au vu du contexte
d'élaboration de ces dispositions, qui correspond, pour la plupart des
États, au moment des conférences nationales, lesquelles visaient
clairement la stricte limitation du pouvoir du président de la
République. Ainsi, on peut percevoir les précisions en la
matière comme des redondances.
Si l'on peut faire une interprétation globale de ce
type de clause sans précision, le passage d'une période sans
limitation de mandat à une période de limitation à deux
mandats est le fruit également le fruit d'un processus
généralisé sur le continent africain.
II) Le difficile processus de maintien de la limitation
à deux mandats dans
le constitutionnalisme africain
70 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
op. cit., p. 170.
71 Ibid., p. 170.
29
La clause de limitation à deux mandats existant
aujourd'hui dans les Constitutions africaines coïncide avec
l'arrivée de deux périodes majeures pour les États
africains. Il s'agit de la période succédant aux
indépendances, et de celle des conférences nationales.
Dans un premier temps, les États africains
fraîchement sortis de la colonisation se sont dotés de leurs
premières Constitutions et ont fait, pour beaucoup dans les
années soixante et soixante-dix, le choix de limiter le nombre de
mandats. Cependant, on peut dire que les États n'étaient pas
encore nécessairement attachés à une limitation
portée au nombre de deux mandats. Il existait une diversité dans
le choix du nombre de mandats admis. Ainsi, en 1963, le Togo et le Congo
(Brazzaville) prévoyaient la limitation à un seul mandat. C'est
la position qui sera également adoptée par le
Sénégal en 1970. Néanmoins, le Mali, quant à lui,
optera en 1974 pour la limitation à deux mandats. Et, enfin, on peut
citer le Rwanda qui, en 1963, était allé jusqu'à une
limitation à trois mandats72. Charles Cadoux, s'il a
estimé que ces dispositions traduisaient « la
préoccupation certaine de limiter le «pouvoir personnel»
», ne manqua pas de rappeler également « la
fragilité de cette expérience, qui risque toujours d'être
remise en cause par une révision constitutionnelle à la veille du
renouvellement du mandat présidentiel73 ». La
méfiance est fondée puisqu'il est vite arrivé, dans les
États où le mandat était limité, une série
de modifications permettant au chef du parti unique de se présenter
indéfiniment. Ainsi, au Sénégal, par exemple, la
réforme intervint en 1976.
Dans un second temps, une fois les régimes
antérieurs contestés par les conférences nationales, la
limitation de mandat a fait sa réapparition et est venue
compléter le cortège de dispositions tendant à limiter le
pouvoir se trouvant entre les mains du président de la
République. Un choix massif a été fait en faveur de la
limitation à deux mandats, certainement par référence
à ce qui était déjà mis en place aux
États-Unis, pays où la limitation à deux mandats a d'abord
été le fait de la pratique avant d'être
institutionnalisée74. Ainsi, en Algérie, la
réforme de 1996 prévoit la limitation de mandat à
l'article 74 al. 2. Malheureusement, une nouvelle vague de retour en
arrière est intervenue dans les années 2000, encore une fois peu
de temps avant la fin des mandats des présidents en Place, lesquels,
selon leur Constitution, ne pouvaient plus se
72 Charles Cadoux, « Le statut et les pouvoirs
des Chefs d'État et des gouvernements », in Gérard
Conac (dir.), Les institutions constitutionnelles des États
d'Afrique francophone et de la République malgache, Paris,
Economica, 1979, p. 87.
73 Ibid., p. 71.
74 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
op. cit., p. 166.
30
représenter. Ainsi, l'actuel président
algérien Abdelaziz Bouteflika a usé de la révision
constitutionnelle, en 2008, afin de supprimer la clause limitative de mandat.
Ce fut également le cas au Togo en 2002 et au Gabon en 2003.
On observe en Afrique un schéma cyclique dans lequel se
succèdent des périodes d'avancée démocratique,
marquées par la recherche de la limitation de l'exercice du pouvoir,
puis des périodes de recul démocratique, durant lesquelles les
efforts réalisés précédemment se trouvent
anéantis, au profit du maintien au pouvoir des présidents en
place. Cependant, tout espoir de sortir de ce cercle vicieux n'est pas à
bannir. En effet, on peut saluer la décision de l'ancien
président de la République du Cap-Vert, Pedro Pires, de ne pas
modifier la Constitution, en dépit de l'avis de ses proches, et de
quitter le pouvoir après avoir réalisé deux
mandats75. Ce type de comportement doit constituer un exemple et un
espoir en faveur du respect du constitutionnalisme en Afrique.
Bien que la limitation de mandat soit devenue une norme dans
le constitutionnalisme africain et qu'elle soit considérée comme
une garantie du renouvellement politique, on observe l'existence, à
titre exceptionnel, de l'admission d'un renouvellement de mandat allant
au-delà des deux mandats pour un même individu.
Section 2 : La tendance minoritaire de l'exercice de
plus de deux mandats, une volonté de limiter le pouvoir sous
contrôle
La clause de limitation de mandat précédemment
citée enferme l'exercice du pouvoir dans un nombre très
limité de mandats par individu. Il existe des configurations
différentes dans le constitutionalisme des États africains. En
effet, s'il y est généralement admis que l'exercice de deux
mandats successifs est une limite de bon sens qui fournit des garanties
démocratiques à l'État dans lequel elle est
instituée, rien n'empêche certains États de trancher en
faveur de la possibilité, pour un individu, de briguer plus de deux
mandats, sans pouvoir pour autant enchaîner trois mandats
75 Cet ancien président s'est d'ailleurs vu
remettre, en 2011, le prix Mo Ibrahim, qui récompense les chefs
d'État respectant les règles de la bonne gouvernance.
31
successifs. C'est donc ici le caractère successif du
mandat qui est limité (I). À l'opposé de ce schéma
de limitation, on trouve, en nette progression, les Constitutions africaines
qui ouvrent le champ à une possibilité de
rééligibilité infinie (II).
I) La recherche du compromis par la clause limitant
uniquement les seuls mandats successifs
À mi-chemin entre le principe de limitation absolu du
mandat et l'absence de limitation de celui-ci, on trouve la limitation à
deux mandats d'application immédiate. Il s'agit d'une clause de
limitation de mandat qui ne vise à réglementer en
réalité que le caractère successif du mandat. En effet,
c'est le nombre de renouvellement successif qui est limité à un.
Ainsi, le président de la République ayant réalisé
deux mandats successifs ne pourra immédiatement se représenter,
mais pourra cependant laisser la place à un successeur pour, par la
suite, une fois le mandat de celui-ci passé, revenir au pouvoir.
On ne recense pas beaucoup d'États ayant opté
pour ce type de clause. On peut néanmoins citer le cas du Cap-Vert,
où la Constitution actuelle76 prévoit à son
article 146 alinéa 1 que « le président de la
République ne peut se porter candidat à un troisième
mandat dans les cinq ans suivant immédiatement le terme de son second
mandat consécutif ». On retrouve également ce type de
clause de limitation de mandat au Mozambique. En effet, l'article 147
prévoit à son alinéa 4 que « le Président
de la République n'est rééligible qu'une fois »,
puis ajoute à l'alinéa 5 : « le Président de la
République qui a été élu deux fois
consécutives peut se représenter à l'élection
présidentielle seulement cinq ans après son dernier
mandat77 », les cinq ans mentionnés correspondant
à la durée d'un mandat présidentiel.
L'avantage que confère ce type de clause réside
dans le compromis qu'elle permet de réaliser entre la limitation stricte
du mandat, qui, on le verra plus tard, n'est pas exempte de toute critique, et
la possibilité donnée par une Constitution de renouveler des
mandats indéfiniment. De plus, cette clause, par la souplesse qu'elle
apporte, permet d'inciter à la patience les chefs d'État qui
seraient tentés de se maintenir au pouvoir, en
76 Constitution du 14 février 1981
(révisée en 1992).
77 Nous traduisons les alinéas 4 et 5 :
« O Presidente da República só pode ser reeleito uma vez
», « O Presidente da República que tenha sido eleito duas
vezes consecutivas só pode candidatar-se a eleições
presidenciais cinco anos após o último mandato ».
32
leur offrant la possibilité de briguer à nouveau
les fonctions présidentielles en cas d'échec aux
élections.
Néanmoins, on peut nuancer les avantages
conférés par une telle disposition lorsque l'on prend le temps
d'observer un exemple contemporain en la matière. Cet exemple ne nous
vient pas d'un État situé sur le continent africain, mais de la
Fédération de Russie. En effet, Vladimir Poutine vient
d'être reconduit aux fonctions présidentielles aux
élections de 2012, après avoir précédemment
laissé le pouvoir à Dmitri Medvedev en 2008, faute de pouvoir se
présenter à l'époque. En effet, l'article 81 alinéa
3 de la Constitution russe78 empêchait ce dernier de
renouveler son mandat alors qu'il avait déjà effectué deux
mandats précédemment. Malgré l'apparente
légalité du processus, l'analyse politique vient mettre en
lumière un processus de détournement des dispositions
constitutionnelles. Vladimir Poutine a, en effet, en 2008, en plus d'avoir
obtenu le poste de Premier ministre et de chef du parti Russie unie,
été considéré comme détenant effectivement
le pouvoir, et Dmitri Medvedev ne constituait qu'un moyen pour lui de respecter
en apparence les règles constitutionnelles, tout en restant aux
commandes. Si l'on estime que l'esprit d'une telle disposition est de permettre
un renouvellement régulier des élites au pouvoir, afin
d'éviter le phénomène de la personnalisation du pouvoir et
de sa concentration, en l'espèce, la disposition ne remplit pas la
fonction qui lui est assignée. C'est cette faiblesse que l'on peut
craindre dans le cas des États africains ayant adopté une telle
disposition.
À l'opposé des mesures de limitation du nombre
de mandats, on trouve des Constitutions qui, bien plus que de permettre la
réalisation de plus de deux mandats pour une seule et même
personne, ignorent le principe de limitation.
II) Le phénomène de progression croissante de
l'absence de limitation du
nombre de mandats
Les Constitutions africaines actuelles qui ne connaissent pas
la limitation de mandat sont très largement minoritaires.
Néanmoins, leur nombre a connu une inflation importante depuis les
années 2000. On peut distinguer deux types de Constitutions ne
connaissant pas la limitation de mandat. En effet, il y a, d'une part, les
Constitutions qui n'ont jamais connu cette dernière, puis on trouve,
d'autre part, les Constitutions qui
78 Constitution du 25 décembre 1993.
33
contenaient bien une clause de limitation de mandat, mais dont
celle-ci a été supprimée à l'occasion d'une
modification constitutionnelle.
La première catégorie est celle qui regroupe un
nombre infime de Constitutions sur le continent. Cela montre bien l'ampleur du
phénomène de la limitation de mandat, qui n'a
épargné que très peu de Constitutions. Parmi ces
Constitutions, on trouve la toute jeune Constitution de transition du Soudan du
Sud, datée du 7 juillet 2011. La Guinée Équatoriale a
très récemment, en 2011, quitté le groupe très
fermé des Constitutions n'ayant jamais connu la limitation de mandat,
puisque la limitation a été introduite par voie
référendaire.
A contrario, la catégorie des Constitutions
prévoyant une limitation de mandat et ayant été
modifiées dans le sens d'une absence de limitation est beaucoup plus
importante que les précédentes. En effet, comme il a
déjà été dit depuis 2000, se sont
succédé une série de modifications constitutionnelles
à la veille de l'activation des dispositions empêchant les
dirigeants en place de se représenter. Ces modifications ont souvent
été opérées par la voie parlementaire, comme ce fut
le cas notamment en 2008 en Algérie et au Cameroun. Cependant, la
consultation référendaire a également permis de
réaliser ce type de modification constitutionnelle ; ainsi, les
référendums tchadien et tunisien l'ont permis respectivement en
2005 et 2002.
Malgré l'existence de ces Constitutions ne limitant pas
le mandat du président de la République en Afrique, on peut
néanmoins estimer qu'il s'agit d'une position toujours marginale. Et
même s'il est possible que de nouvelles modifications constitutionnelles
interviennent dans ce sens, on constate aujourd'hui l'augmentation des
déclarations de bonne volonté, émanant de dirigeants
promettant de ne pas modifier la Constitution afin de briguer un nouveau
mandat, ces comportements ayant pour avantage de permettre d'ancrer dans la
pratique constitutionnelle le respect de la disposition limitative de mandat.
Ainsi, on peut faire référence à l'ancien président
malien Amadou Toumani Touré, qui, en cette année 2012, n'a pas eu
l'occasion de terminer son second mandat sur les déclarations qu'il
avait faites en faveur de la non-modification de la Constitution, puisqu'il a
été renversé récemment par un putsch militaire
à quelques mois seulement de la fin de son mandat.
Il semblerait que, sur le plan constitutionnel, il existe un
consensus sur le continent africain en faveur de la limitation du mandat.
Cependant, le recours trop fréquent à la révision
constitutionnelle vient remettre en cause ce consensus. Il s'agit là
d'un exemple de limites posées à la mission de garantie du
respect de la démocratie qui a été
conférée
34
aux conditions d'éligibilité par le constituant
africain. On peut regrouper l'ensemble de ces limites dans la
problématique de l'instrumentalisation des conditions
d'éligibilité.
35
PARTIE II : Des conditions d'éligibilité
limitées dans leur
mission par le problème de leur
instrumentalisation
L'exposé du droit positif en matière de
condition d'éligibilité, même s'il permet de comprendre les
raisons du choix pour telle ou telle condition d'éligibilité, ne
permet pas toujours de démontrer l'impact des conditions
d'éligibilité sur le constitutionnalisme des États. Si
l'on perçoit le caractère décisif de l'élection
présidentielle et du choix qu'elle va porter pour la nation, on a plus
de mal à percevoir quels impacts les conditions
d'éligibilité peuvent avoir sur le caractère
démocratique de l'État. C'est la recherche des limites à
l'expression de ce rôle démocratique qui permettra d'en
dégager toute l'essence. La limite la plus importante constatée
dans le constitutionnalisme africain est l'instrumentalisation.
L'instrumentalisation des conditions d'éligibilité se
définit comme étant l'utilisation de celles-ci dans un but
anormal ; ce but est inconstitutionnel et relève très souvent des
intérêts personnels des individus la mettant en jeu.
L'étude de ce phénomène sur le long terme permettra d'en
connaître les mécanismes et donc de lutter contre son
développement. Il faut d'abord préciser que les conditions
d'éligibilité du président de la République
n'étaient pas absentes des Constitutions sous le monopartisme, bien
qu'alors les élections se déroulassent à l'époque
sans choix pour les électeurs, qui ne se voyaient souvent
présenter qu'un seul candidat. Les conditions
d'éligibilité, dans ces Constitutions, faisaient l'objet d'un
détournement dans le but de fermer l'accès à la
compétition politique, là où normalement elles ne sont
censées que l'encadrer. Après la vague de démocratisation,
l'instrumentalisation des conditions d'éligibilité est devenue
moins radicale pour la compétition politique, mais n'a pas disparu. Il
est donc important de faire une étude portant sur les formes anciennes,
du temps du monopartisme, et les formes nouvelles de la pratique de
l'instrumentalisation des conditions d'éligibilité (Chapitre 1).
Une telle étude ne peut être efficace que si elle est
complétée d'une étude sur les éléments du
constitutionnalisme favorisant la pratique de l'instrumentalisation. Il s'agit
des failles du constitutionnalisme africain (Chapitre 2).
36
Chapitre 1 : Les formes anciennes et nouvelles de
l'instrumentalisation des conditions
d'éligibilité
On va observer que les conditions d'éligibilité
peuvent avoir des incidences sur les institutions et la nature du régime
; lorsqu'on en fait un mauvais usage, elles peuvent servir à asseoir un
régime non démocratique. Pour ce faire, nous prendrons le cas des
conditions d'éligibilité sous le monopartisme, sous lequel les
conditions d'éligibilité ont été
détournées de leur objectif originel (Section 1). Aujourd'hui, la
technique de l'instrumentalisation existe toujours. Cependant, celle-ci a pris
une nouvelle forme, plus subtile, c'est ce que Karim Dosso appelle «
l'instrumentalisation de l'argument juridique79 ».
Cela résulte du fait que « certains gouvernants ont en effet
réalisé le profit qu'ils pouvaient tirer de la
légalité. Ils ne s'en privent d'ailleurs pas. Finies les
manipulations inélégantes de la Constitution. La stratégie
est plus ingénieuse car résultant de l'utilisation du texte
constitutionnel80 ». Cette nouvelle forme
d'instrumentalisation épouse le manteau de la légalité
afin de mieux détourner les conditions d'éligibilité de
leur but légal. Cette pratique sera qualifiée de fraude à
la Constitution, il faudra alors en identifier le concept (Section 2).
Section 1 : L'exemple de l'instrumentalisation des
conditions d'éligibilité sous le monopartisme
Après les indépendances et l'accès
à la souveraineté internationale pour les États africains,
ceux-ci ont connu de très rapides passages vers le monopartisme de fait
ou de droit. El Hadj Omar Diop a dit à ce sujet que « la
consolidation de l'État nécessite un parti unique qui mobilise
tous les citoyens et concentre l'essentiel des pouvoirs81
». C'est du moins les motifs invoqués à l'époque, le
parti unique étant présenté comme l'outil indispensable
à l'unité nationale, à la construction de l'État et
à la lutte contre le tribalisme. Il exista deux formes de monopartisme,
un de droit et un de fait. Le monopartisme de droit introduit le parti unique
au coeur des institutions de l'État : en
79 Karim Dosso, « Les pratiques
constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone :
cohérences et incohérences », Revue française de
droit constitutionnel, n° 90, 2012, p. 23.
80 Ibid., p. 23.
81 El Hadj Omar Diop, Partis politiques et
processus de transition démocratique en Afrique noire, Paris,
Publibook, 2006, p. 30.
37
réalité, le parti unique devient l'État.
Puis il y a le monopartisme de fait, dans lequel, bien que la Constitution
institue un multipartisme, les autorités en place prennent dans les
faits, des dispositions légales d'interdiction de tout parti autre que
le parti unique82. Au coeur de ces différents
systèmes, les conditions d'éligibilité vont avoir des
spécificités différentes, quasi inopérantes dans un
cas et instrumentalisées dans un autre.
De ce fait, il sera intéressant d'analyser la place
laissée aux conditions d'éligibilité dans les
régimes de parti unique lorsque le monopartisme est de fait (I), mais
également lorsque celui-ci est de droit (II).
I) Détournement des conditions
d'éligibilité sous le monopartisme de fait
Le monopartisme de fait a cette particularité
d'opérer une forte distorsion entre le texte fondamental qu'est la
Constitution et la réalité du régime. En effet, dans les
États où le monopartisme n'est pas institutionnalisé, la
Constitution prévoit et exalte même le droit pour les citoyens de
s'organiser en partis politiques et, à travers ceux-ci, de participer
à la compétition électorale. Pour illustrer ce
phénomène de monopartisme particulier, nous prendrons un exemple
très éloquent : l'exemple sénégalais.
Le Sénégal n'a pas connu d'élections
multipartites de 1960 à 1978. Durant cette période, se sont
succédé deux Constitutions, la Constitution du 26 août 1960
et la Constitution du 7 mars 196383. La Constitution de 1963
s'inscrit dans la continuité de la précédente et inscrit,
comme la première, à l'article 3 l'idée que « les
partis politiques concourent à l'expression du suffrage » et
« cet article sera la base juridique de toutes les revendications
d'instauration du pluralisme politique84 ».
Néanmoins, l'article ajoute également à son dernier
alinéa que « les conditions dans lesquelles les partis
politiques sont formés, exercent et cessent leurs activités, sont
déterminées par la loi ». Cette disposition laissait
donc aisément la possibilité au pouvoir de reconnaître ou
non la liberté d'exercice aux différents partis existants, sans
toucher au texte fondamental. Les articles 23 et 24 de la Constitution de 1963
déterminaient les conditions d'éligibilité du
président de la République. L'article 23 ne soulève pas de
problème particulier85 en
82 Ibid., p. 31.
83 Il s'agit de Constitutions anciennes, la
dernière en date est celle du 22 janvier 2001.
84 Ismaïla Madior Fall, Évolution
constitutionnelle du Sénégal, de la veille de
l'indépendance aux élections de 2007, Dakar, CREDILA-CREPOS,
2009, p. 29.
85 Article 23 : « Tout candidat à la
présidence de la République doit être exclusivement de
nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et
politiques et être âgé de trente-cinq ans au moins
».
38
la matière, mais c'est l'article 2486 qui,
parce qu'il dispose qu'« Aucune candidature n'est recevable si elle
n'est pas présentée par un parti politique légalement
constitué ou si elle n'est pas accompagnée de la signature de
cinquante électeurs dont dix députés au
moins87 », pose problème. En effet, dans un premier
temps, la référence à la présentation par un parti
politique ne suffit pas à garantir le caractère pluraliste de la
compétition politique, puisque le code électoral
prévoyait, durant la période, l'autorisation d'un seul parti
politique, le parti de l'Union progressiste sénégalaise de
Léopold Sédar Senghor88. Dans un second temps,
l'option du parrainage de la candidature par cinquante électeurs fermait
également la porte à toute autre candidature, puisque le texte
impose que parmi eux il y ait dix députés. En effet, «
le parrainage de 10 députés revient à exiger la
même condition que la présentation par un parti légalement
constitué, puisque L.88 du Code électoral, modifié sur ce
point par la loi n° 77-57 du 27 mai 1977, dispose que les
députés à l'Assemblée nationale sont élus au
scrutin de liste proportionnelle à un tour sur une liste nationale
déposée par les partis légalement
constitués89 ». En l'occurrence, un seul parti
pouvait présenter des candidats à la députation.
On constate donc que sous le monopartisme de fait, la
particularité des conditions d'éligibilité, c'est cette
instrumentalisation qui en est faite. En effet, il s'agit de cette
capacité pour le pouvoir d'utiliser comme outil ces conditions
d'éligibilité afin qu'elles permettent de fermer l'accès
à la compétition politique et, avec lui, le choix des
électeurs. Dans ce cas précis, conditionner la candidature
indépendante au recueil de signatures de députés va
conduire à couper de leur essence même les conditions
d'éligibilité, lesquelles consistent à permettre
d'encadrer le choix des électeurs et à le mettre en
conformité avec les exigences démocratiques posées par la
Constitution.
Plusieurs régimes ont connu le monopartisme de fait
avant de se tourner vers l'institutionnalisation du régime du parti
unique, une affirmation institutionnelle qui a le mérite d'être
plus honnête quant à la nature du régime.
86 Il s'agit de l'article 24, antérieur
à la réforme constitutionnelle de la loi n° 76-01 du 19 mars
1976, permettant une première ouverture démocratique en
autorisant trois partis politiques représentant trois courants de
pensée.
87 La réforme constitutionnelle de la loi
n° 67-32 du 20 juin 1967 était venue ajouter la possibilité
de la présentation par un parti politique.
88 Le Parti du regroupement africain (PRA) fut
autorisé pendant une courte période, mais fusionna rapidement
avec l'UPS. Voir La Documentation Française, Les Constitutions
africaines, publiées en langues française, t. 2, Bruxelles,
Bruylant, 1998, p. 313.
89 Ismaïla Madior Fall, Textes
constitutionnels du Sénégal, du 24 janvier 1959 au 15 mai
2007, Dakar, CREDILA-CREPOS, 2007, p. 90.
39
II) Neutralisation des conditions
d'éligibilité sous le monopartisme de droit
À la différence du monopartisme de fait, le
monopartisme de droit présente une fermeture à la concurrence
électorale affichée. En effet, le texte fondamental va instituer
le parti unique comme seule instance dirigeante de l'État, et c'est
l'instance de laquelle doit émaner le président de la
République.
Il semble que durant cette période, les dispositions
d'éligibilité aient été complètement
neutralisées. Ainsi, Gérard Conac dira par exemple qu'au
Bénin, « la règle de l'élection du
Président au suffrage universel direct (Constitution 1970, art. 3 et 4)
est en fait « retenue » par le parti unique qui détient
l'exclusivité de la représentation nationale : le Chef
d'État, qui est d'abord et aussi Président du parti, étant
élu directement par le congrès du Parti (Constitution de 1970,
art. 37)90 ». On retrouve la même situation au Congo
(Brazzaville), où le chef du Parti congolais du travail est
automatiquement investi comme président de la
République91. On voit bien ici que la confiscation au peuple
de son pouvoir de choix coïncide avec l'extinction de la
nécessité des conditions d'éligibilité.
Les conditions d'éligibilité deviennent
inexistantes, ou du moins elles se résument à exprimer la
volonté du parti unique. Ainsi, par exemple, la naissance du Parti
démocratique gabonais, en 1968, va marquer le passage d'un monopartisme
de fait à un monopartisme de droit, dans lequel le parti unique sera
érigé en institution d'État92. La
révision constitutionnelle intervenue le 29 juillet 1972 a
modifié l'article 4 de la Constitution du 17 février 1961,
établissant que « nul ne peut se voir confier un mandat public
électif, s'il n'est pas investi par le parti ». L'affirmation
du seul choix laissé au parti unique est ici claire.
L'intérêt que suscite l'analyse de ces
régimes passés réside dans l'enseignement qu'ils peuvent
nous fournir quant aux risques liés à une mauvaise utilisation
des conditions d'éligibilité. On constate qu'il est aisé
d'utiliser les conditions d'éligibilité comme outil
antidémocratique, pouvant aboutir à fausser
considérablement le jeu
90 Gérard Conac, « Les
procédures de révision constitutionnelle », in
Gérard Conac (dir.), Les institutions constitutionnelles des
États d'Afrique francophone et de la République malgache,
Paris, Economica, 1979, p. 71.
91 Selon l'article 36 de la Constitution du 12
juillet 1973 : « Le Président du Parti congolais du travail est
Président de la République et Chef de l'État ». Voir
Dimitri-Georges Lavroff, Les systèmes constitutionnels en Afrique
noire : les États francophones, Paris, Pedone, 1976, 438 p.
92 Frédéric Joël Aivo, Le
président de la République en Afrique noire francophone :
genèse, mutation et avenir de la fonction, Paris, L'Harmattan,
2007, p. 244.
40
politique et, donc, à les écarter du but moderne
qui leur a été assigné depuis la vague de
démocratisation des années quatre-vingt-dix. Ce
détournement des conditions d'éligibilité a pris, ces
dernières années, une forme moins aisément contestable car
ayant l'apparence de la légalité.
Section 2 : Typologie de la pratique de
l'instrumentalisation dans le néo-constitutionnalisme africain
Contrairement à la période antérieure,
à propos de laquelle Albert Bourgi dira que « très vite,
les Constitutions furent mises en sommeil, quand les gouvernants civils
n'étaient pas tout simplement renversés par des coups
d'États. Le parti unique s'est finalement imposé
partout93... », la période
postérieure à la chute du parti unique réactiva le
dynamisme du constitutionnalisme africain. Les Constitutions devinrent plus
complètes et eurent vocation à être appliquées
pleinement. En réalité, ce fut le début d'une nouvelle
ère d'instrumentalisation de la Constitution. La donne ayant alors
changé, il n'était plus possible aux chefs d'État
africains désireux de violer les règles constitutionnelles de le
faire ostensiblement. La pratique de l'instrumentalisation, dans le
néo-constitutionalisme africain, prend essentiellement deux formes qu'il
faut décrire : la pratique des révisions constitutionnelles
antidémocratique (I), et la pratique de l'interprétation
biaisée de la norme constitutionnelle (II). L'usage de telles pratiques
se fait sous l'habit de la légalité, et les normes juridiques
sont mises à la disposition d'intérêts personnels. Selon
Karim Dosso, « Cette ingénierie constitutionnelle,
d'après l'expression à la mode, est en réalité au
service de la conservation et de la pérennisation du
pouvoir94 ». On peut donc dire que c'est le système
institutionnel actuel qui donne les moyens aux dirigeants de se maintenir au
pouvoir contre l'intérêt de leur peuple. L'instrumentalisation des
conditions d'éligibilité devient un formidable outil dans cette
entreprise.
93 Albert Bourgi, « Lecture et relecture de la
Constitution de la Ve République », colloque du
40e anniversaire de la Constitution
française, 7-8-9 octobre 1998, p. 2. Cité par Karim Dosso, «
Les pratiques constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone :
cohérences et incohérences », art. cité, p. 2.
94 Karim Dosso, « Les pratiques
constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone :
cohérences et incohérences », art. cité, p. 23.
41
I) La pratique des révisions constitutionnelles
antidémocratiques
Comme l'écrit justement Karim Dosso, ce n'est pas la
question de la révision constitutionnelle qui pose problème en
elle-même. En effet, « il ne s'agit pas ici de revenir sur la
possibilité et la nécessité de réviser la
Constitution95 » ; « ce qui est utile à la
réflexion et qui accrédite l'idée de la manipulation ou de
l'instrumentalisation constitutionnelle, c'est l'enjeu et l'objet qui sous-tend
ces révisions96 ». Ce que l'on qualifiera donc de
révisions constitutionnelles, ce sont toutes ces révisions qui
ont un « enjeu et objet » antidémocratiques. Est
antidémocratique tout ce qui vise à usurper le pouvoir du peuple
au profit d'un groupe ou d'un individu. C'est donc la finalité de la
révision qui, lorsqu'elle viole l'esprit du texte, va conférer
à celle-ci son caractère antidémocratique. La pratique
d'instrumentalisation constitutionnelle par le biais de la révision
antidémocratique de la Constitution prend essentiellement deux formes,
mais n'a qu'une et même finalité : le maintien au pouvoir et la
confiscation de celui-ci au peuple.
La première forme est celle qui opère une
révision de la Constitution avec le dessein de contourner une
restriction du maintien au pouvoir. Il peut s'agir de supprimer la clause
limitative de mandat ou une condition d'éligibilité
empêchant la nouvelle candidature. Ainsi, en 2008, au Cameroun, le
président Paul Biya a fait supprimer la clause limitative de mandat.
Parfois, la volonté de contourner une restriction à
l'éligibilité va tellement loin qu'elle conduit à
réformer le texte constitutionnel complètement. Ce fut le cas
notamment au Niger, lorsque le président Tandja, soumis à une
clause de limitation de mandat ne pouvant être modifiée du fait de
son caractère de supra-constitutionnalité97, dut, pour
se représenter, faire disparaître complètement la
Constitution au profit d'une nouvelle. À Madagascar, on a connu
également la situation de remplacement d'une Constitution par une autre.
Le président actuel, qui est arrivé au pouvoir dans des
conditions extraconstitutionnelles, ne remplissait pas la condition d'âge
prévue par la Constitution du 19 août 1992, en vigueur au moment
de son arrivée. Cette dernière fut remplacée par la
Constitution de la IVe République98 qui, elle,
abaissa
95 Ibid., p. 23.
96 Ibid., p. 23.
97 La supraconstitutionnalité concerne des
dispositions constitutionnelles qui, d'après le texte de la Constitution
lui-même, ne sont pas susceptibles d'être modifiées. Elles
apparaissent donc, de ce fait, comme étant supérieures aux autres
dispositions.
98 Constitution du 11 décembre 2010.
42
l'âge minimum pour occuper la fonction suprême,
régularisant ainsi la situation du chef de l'État
déjà en place99.
La seconde forme d'instrumentalisation par la pratique de la
révision vise cette fois, au contraire, à l'ajout de
restrictions, mais à l'encontre des opposants sérieux au pouvoir
en place, afin de leur fermer l'accès à la candidature
présidentielle. L'ajout de telles restrictions se fait par plusieurs
biais, soit par l'introduction directe de celle-ci dans le texte
constitutionnel, comme cela fut le cas, par exemple, à l'article 35 de
la Constitution ivoirienne. En effet, il est largement admis que la
particulière sévérité de l'article 35 de la
Constitution ivoirienne du 23 juillet 2000, quant à la condition de
nationalité100, venait précisément de la
volonté d'exclure une potentielle candidature de l'actuel
président ivoirien, Alassane Ouattara, dont on savait que l'un des
parents n'était pas ivoirien d'origine. Néanmoins, on a pu
constater également la limitation de l'accès à la
compétition présidentielle pour les opposants, par le biais de
l'ajout de restrictions à l'éligibilité, non pas
directement dans le texte constitutionnel, mais par le biais, par exemple, de
la loi organique, censée normalement seulement préciser le texte
constitutionnel. On constate un empiétement réel de certaines
lois, organiques ou ordinaires, sur le domaine de compétence de la
Constitution. Ainsi, au Togo, en 2002, le pouvoir est venu introduire, par le
biais du code électoral, une nouvelle condition
d'éligibilité à l'élection présidentielle :
il s'agissait d'une obligation de résidence de douze mois sur le
territoire de l'État. À l'époque, l'opposition a
condamné ce qu'elle a jugé comme un moyen d'exclure le candidat
d'opposition Gilchrist Olympio de la compétition politique pour les
élections présidentielles de juin 2003. Le problème qui se
pose en l'espèce est un problème de hiérarchie des normes.
En effet, celle-ci implique que les lois organiques et lois ordinaires se
conforment à la Constitution et ne se prononcent, dans les domaines
régis par la Constitution, que pour l'apport de précisions quant
aux dispositions du texte suprême. Or, en l'espèce, il s'agissait
bien de créer de toutes pièces une condition
d'éligibilité que la Constitution ne prévoyait pas. Les
autorités togolaises ont d'ailleurs, quelque mois après,
modifié la Constitution dans le sens de l'introduction de la nouvelle
condition de résidence, ce qui sonne comme une tentative de
régularisation d'une situation juridiquement contestable.
99 L'article 46 de la Constitution du 19 août
1992 imposait que les candidats à la présidence soient
âgés d'au moins quarante ans, la nouvelle constitution quant
à elle dispose également dans un article 46 que tous candidats
à la présidence doivent avoir au moins trente-cinq ans.
100 L'alinéa 3 de l'article 35 impose que le candidat
soit « ivoirien d'origine, né de père et de mère
eux-mêmes Ivoiriens d'origine ».
43
On constate donc que la pratique de l'instrumentalisation de
la révision constitutionnelle oscille entre affaiblissement et
renforcement des mesures conditionnant l'accès à la candidature
au poste présidentiel, et cela en fonction des individus qu'elles sont
susceptibles de viser. Il y a donc bien là un usage à titre
personnel du fait juridique incompatible avec la notion d'État de droit.
De plus, on constate qu'en dépit de l'usage de la révision de la
norme à des fins d'instrumentalisation de celle-ci, il est
fréquent, en Afrique, de rencontrer également des
détournements de l'esprit du texte constitutionnel, fondés sur
une interprétation biaisée de celui-ci.
II) La pratique de l'interprétation biaisée
des conditions d'éligibilité
Cette pratique vise à faire dire au texte
constitutionnel ce que l'on souhaite qu'il dise, sans s'attacher à le
lire au regard de l'objectif attribué à telle ou telle
disposition. Cette pratique constitue donc une violation de l'esprit de la
Constitution, lorsque la lettre de celle-ci permet que soit entretenue une
certaine ambiguïté sur le contenu de l'énoncé
normatif. En réalité, l'interprétation juridique de la
norme ne vise ici qu'à servir un intérêt personnel, encore
une fois, et est donc, de ce fait, non conforme aux principes
démocratiques.
On connaît en Afrique de nombreux cas
d'interprétation du texte constitutionnel déviante de l'esprit de
la norme suprême. À titre d'exemple, au Sénégal, on
a pu suspecter à deux reprises l'ancien président Abdoulaye Wade
d'avoir eu recours à cette pratique.
En effet, tout d'abord en 2001, à l'occasion de la
réforme constitutionnelle donnant naissance à la Constitution du
22 janvier 2001, le président Wade, qui se trouvait en présence
d'un Parlement hostile, ne pouvait avoir recours à la procédure
normale de révision constitutionnelle prévue à l'article
89 de la Constitution du 7 mars 1963, puisque celle-ci impliquait l'adoption du
texte par le vote des députés. Ce dernier eut donc recours
à l'utilisation de l'article 46 de la Constitution afin de
réviser celle-ci par voie référendaire. Le texte en
question permettait au président de la République, sur
proposition du Premier ministre, de soumettre au référendum
« tout projet de loi », une disposition qui n'était
pas contenue dans le chapitre sur la révision constitutionnelle et
44
qui, de l'avis de nombreux spécialistes, ne visait en
réalité que la loi ordinaire101. Une
interprétation très extensive de l'article 46 a donc servi la
volonté présidentielle de réformation du droit.
Par la suite, récemment, à l'approche des
élections présidentielles de février 2012, le
président sénégalais sortant a fait connaître son
intention de briguer un troisième mandat, alors même que la
Constitution du 22 janvier 2001 limite, à son article 27, la
possibilité de réélection à une seule. Le
président Wade a alors fait valoir le fait que l'article posant la
restriction n'ayant été ajouté au texte constitutionnel
qu'en 2008, celui-ci ne s'appliquait pas à son premier mandat, qui
allait de 2000 à 2007. Une telle interprétation est
éloignée de l'esprit de la révision constitutionnelle, qui
consistait à limiter l'exercice du pouvoir dans le temps ;
néanmoins, elle pouvait trouver une justification juridique. Il s'agit
là du point essentiel qui fait que ces interprétations
biaisées sont difficilement combattues, puisqu'elles trouvent, en effet,
toujours une justification juridique minimale.
Il semblerait que les pratiques d'instrumentalisation dont
souffrent les Constitutions africaines reposent sur la négation du
« principe de la généralité et de
l'impersonnalité de la règle de droit102 ».
On peut penser que si de telles manipulations du texte constitutionnel sont
possibles, c'est parce que le système institutionnel et normatif le
permet. Il faut donc rechercher, au sein du constitutionnalisme africain, les
éléments favorisant l'instrumentalisation de la norme
constitutionnelle.
101 Voir Ismaïla Madior Fall, Évolution
constitutionnelle du Sénégal, de la veille de
l'indépendance aux élections de 2007, Dakar, CREDILA-CREPOS,
2009, p. 96.
102 Karim Dosso, « Les pratiques constitutionnelles dans
les pays d'Afrique noire francophone : cohérences et incohérences
», art. cité, p. 29.
45
Chapitre 2 : Les failles du constitutionnalisme
africain favorisant le
détournement des conditions
d'éligibilité
Le choix d'inscrire telle ou telle disposition à la
Constitution n'est pas fait à la légère ; il s'agit de
poursuivre un objectif bien précis. Le recours à la limitation de
mandat, par exemple, manifeste une volonté d'encadrer le pouvoir
présidentiel en l'enfermant dans un temps limité. Cependant, on
constate que de nombreux présidents, soumis à la limitation de
mandat, trouvent des moyens pour se soustraire à celle-ci. Cela signifie
donc que le constitutionnalisme africain ne permet pas de garantir
l'application des normes inscrites à la Constitution. C'est donc qu'il
existe des failles dans le constitutionnalisme. Ces failles se manifestent soit
dans l'incapacité à empêcher les révisions
constitutionnelles antidémocratiques (Section 1), soit dans
l'impossibilité d'interdire les interprétations biaisées
de la norme suprême (Section 2).
Section 1 : Les failles du constitutionnalisme africain
favorisant la pratique de la révision constitutionnelle
antidémocratique
Les buts poursuivis, dans le recours à la
révision constitutionnelle antidémocratique, sont variés.
Néanmoins, on peut estimer que les facteurs favorisant ces
révisions intempestives sont souvent les mêmes. Il y a des
éléments du constitutionnalisme africain qui ne sont pas
adaptés à la prise en compte du caractère très
récent de ce modèle institutionnel en Afrique. En effet, les
normes juridiques et le système institutionnel sont calqués sur
le modèle occidental et leurs applications ne donnent pas autant de
résultats satisfaisants que dans les régions du monde d'où
provient ce modèle. Dans un système de quasi-non-adaptation du
modèle aux réalités africaines, il faut identifier les
failles favorisant la pratique de la révision anticonstitutionnelle (I)
et tenter de présenter des éléments de solution à
celle-ci (II).
I) Les failles favorisant le phénomène
Il faut, pour mettre en évidence les failles du
constitutionnalisme africain, tout d'abord décrire le cadre
procédural dans lequel s'opère la pratique des révisions
constitutionnelles jugées antidémocratiques. Ainsi, il faut
savoir que les procédures
46
africaines de révision constitutionnelle fonctionnent
généralement toutes sur le même modèle.
Pour ce qui est des personnes habilitées à
prendre l'initiative de la révision constitutionnelle, il s'agit, la
plupart du temps, du président de la République et des
députés103. On trouve alors fréquemment la
formule suivante : « l'initiative de la révision de la
Constitution appartient concurremment au Président de la
République et aux députés104 » ; ces
derniers agissent par un vote collégial105. Autant dire que
la décision de réviser la Constitution revient en
réalité quasi systématiquement au chef de l'État,
lequel, en plus d'avoir un droit d'initiative constitutionnellement reconnu, a
très souvent un Parlement entièrement acquis à sa
cause106. Il s'agit là du premier élément
favorisant la pratique de l'instrumentalisation constitutionnelle par le biais
de la révision. En effet, le fait de quasiment réserver
l'initiative de la révision constitutionnelle au président de la
République a pu créer, chez certains d'entre eux, un sentiment de
toute-puissance et favoriser la personnalisation du pouvoir, dès lors
que tout changement constitutionnel doit passer par l'initiative
présidentielle.
Enfin, dans la phase décisive de la procédure
qui consiste en l'adoption de la révision constitutionnelle, deux voies
peuvent être empruntées : celle de l'adoption du projet de
révision par vote des députés et celle de l'adoption par
référendum. La voie parlementaire peut sembler être celle
qui est la plus propice à la réalisation des révisions
constitutionnelles dites « antidémocratiques », puisque, comme
il a été dit plus tôt, elles reposent sur la volonté
des députés africains, que l'on accuse souvent d'être
inféodés au pouvoir. Néanmoins, la procédure
d'adoption de la révision constitutionnelle qui est
privilégiée, et mise en valeur dans le constitutionnalisme
africain, est celle qui repose sur le vote du peuple par
référendum. En effet, cette procédure est
généralement
103 C'est le cas, notamment, à Madagascar (article
162), au Sénégal (article 103), en Côte d'Ivoire (article
124).
104 Article 103 de la Constitution sénégalaise du
22 janvier 2001.
105 Le quorum est généralement
élevé : à Madagascar par exemple, il faut la
majorité des deux tiers (article 162), idem en Côte
d'Ivoire (article 125), mais en Guinée, seule la majorité simple
est demandée (article 152).
106 Voir Kossi Somali, Le Parlement dans le nouveau
constitutionnalisme en Afrique, essai d'analyse comparée à partir
des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, sous la
direction de Vincent Cattoir-Jonville, Lille-2, Sciences juridiques, politiques
et sociales, 2008, n° 2008LIL20004, p. 16. L'auteur résume les
thèses de la faible efficacité des parlements africains en disant
que « certains auteurs assimilent volontiers les nouveaux parlements
africains à des caisses de résonance comparables aux chambres
d'enregistrement des anciens partis uniques bien dociles aux exécutifs
de plus en plus puissants. Les plus radicaux concluent tout simplement à
la vacuité de ces institutions et appellent à leur suppression
pure et simple ».
47
possible pour tout projet de révision
constitutionnelle, alors que la simple adoption par voie parlementaire, elle,
est souvent exclue dans certains domaines107 ou doit faire l'objet
d'une décision expresse du président de la République,
écartant l'option du référendum108. En
pratique, le recours au référendum est très
fréquent car il confère un sentiment de légitimité
à la révision, même lorsque celle-ci contredit l'esprit de
la Constitution. Concernant le recours fréquent au
référendum par les chefs d'État afin de légitimer
une révision constitutionnelle controversée, Séni
Mahamadou Ouédraogo met en garde contre le risque de manipulation du
peuple et indique que ce dernier « peut être sollicité
pour donner son arbitrage sur des questions politiques très
controversées sans que les conditions d'une telle consultation soient
démocratiquement garanties109 ». Ainsi donc, la
procédure d'adoption de la révision constitutionnelle semble
insuffisante à garantir l'expression de la volonté populaire.
L'absence de réels contre-pouvoirs au sein des
institutions étatiques, couplée à la remise de
l'initiative de la révision entre les mains du président de la
République, semble conférer à ce dernier un sentiment de
toute-puissance. Il est donc urgent de trouver des éléments de
solution permettant de remédier à cet état de fait
préjudiciable pour les démocraties africaines.
II) Éléments de solution
Le recours trop fréquent, en Afrique, à la
révision constitutionnelle implique en effet que soient prises des
mesures spécifiques tendant à accroître fortement la
difficulté de réviser la norme suprême. Car ce qui
distingue une norme ordinaire d'une norme constitutionnelle, c'est la
complexité résidant dans la procédure de révision
de la seconde. En effet, la norme constitutionnelle perd de sa
supériorité lorsqu'elle est l'objet de modifications trop
fréquentes et aisées, comme cela pourrait être le cas pour
une simple loi ordinaire. Peut-être que le choix d'instituer des modes de
procédure de révision constitutionnelle calqués sur le
modèle des États du Nord n'est pas la chose à
107 Ainsi, l'article 193 de la Constitution rwandaise du 4
juin 2003 impose que les révisions portant sur « le mandat du
président de la République, sur la démocratie pluraliste
ou sur la nature du régime constitutionnel, notamment la forme
républicaine de l'État et l'intégrité du territoire
national » fassent l'objet d'une ratification impérative par
référendum.
108 Ainsi, par exemple, les alinéas 3 et 4 de l'article
103 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001
prévoient que « La révision est définitive
après avoir été approuvée par
référendum. Toutefois, le projet ou la proposition n'est pas
présenté au référendum lorsque le président
de la République décide de le soumettre au Parlement
convoqué en Congrès ».
109 Séni Mahamadou Ouédraogo, La lutte
contre la fraude à la Constitution en Afrique noire francophone,
op. cit., p. 391.
48
faire, et qu'il faut, en la matière, prendre en compte
plus fortement les spécificités liées au continent
africain. C'est donc ces spécificités qui nécessitent une
complexification110 de la procédure de révision
constitutionnelle. Celle-ci permettra ainsi une meilleure protection, par
exemple, des dispositions de limitation de mandat.
Tout d'abord, il a été identifié un
problème dans l'initiative de la révision constitutionnelle. En
effet, celle-ci est particulièrement restreinte et, comme il a
été dit plus tôt, elle revient généralement
dans les faits exclusivement au président de la République. Il
faut donc envisager, dans un premier temps, un élargissement du champ
des personnes habilitées à proposer une révision
constitutionnelle et ne pas limiter celle-ci au bon vouloir
présidentiel. On connaît des cas de prise en compte d'une telle
nécessité sur le continent africain. Ainsi, dans la Constitution
burkinabée111, une place est laissée à
l'initiative de révision constitutionnelle émanant du peuple.
L'article 161 prévoit l'exercice de ce pouvoir d'initiative par
pétition, « une fraction d'au moins trente mille personnes
ayant le droit de vote, introduit devant l'Assemblée des
députés du peuple une pétition constituant une proposition
rédigée et signée ». Il s'agit d'une solution
qui peut s'avérer intéressante dans un État qui
bénéficie d'une société civile et d'une opposition
active et capable de s'exprimer. La réelle ouverture de l'initiative de
révision constitutionnelle permettrait de constituer une source
initiatrice concurrente à celle du président. Dans ce sens, on
peut envisager également une réduction du quorum exigé
pour le vote de la proposition de révision par les
députés, afin d'ouvrir des possibilités aux
députés n'appartenant pas à la majorité.
En revanche, pour ce qui est de la procédure d'adoption
de la révision constitutionnelle, on a déploré une
manipulation du peuple à l'occasion du référendum. Il
faudra, en tout premier lieu, s'assurer que l'adoption de la révision ne
puisse se faire qu'à partir d'un certain seuil de participation. De
plus, Séni Mahamadou Ouédraogo propose, quant à lui, que
« les réformes politiques et institutionnelles qui occasionnent
très souvent en Afrique les fraudes à la Constitution se
déroulent conformément à un code de bonne conduite et aux
recours systématiques au consensus qui doit être recherché
dans des phases de négociations assez longues112
».
110 On entend par là la nécessité de
rendre la procédure plus longue et complexe, afin que toute
révision implique tous les acteurs de la société et
qu'aucune ne puisse passer inaperçue.
111 Constitution du 11 juin 1991 (la dernière en date).
112 Séni Mahamadou Ouédraogo, La lutte
contre la fraude à la Constitution en Afrique noire francophone,
op. cit., p. 421.
49
On réalise à quel point le problème de la
révision constitutionnelle à des fins non démocratiques
peut s'avérer dangereux pour un État et créer de la
division au sein de celui-ci113. C'est pourquoi il est essentiel que
chaque modification du texte constitutionnel se fasse avec le concours de tous
les acteurs de la société concernée, cela à l'image
des rassemblements des conférences nationales des années
quatre-vingt-dix. Cependant, une fois les normes élaborées selon
la volonté populaire, il faut s'assurer que leur mise en application ne
fasse pas l'objet de détournement par le biais d'une
interprétation faussée du texte. Les textes constitutionnels
africains étant souvent en proie à une interprétation
orientée vers la recherche des intérêts personnels des
dirigeants, il faudra également rechercher les failles du
constitutionnalisme africain pouvant favoriser une telle pratique.
Section 2 : Les failles du constitutionnalisme africain
favorisant la pratique de l'interprétation biaisée des conditions
d'éligibilité
Dans un contexte où la norme juridique appliquée
à une société n'a pas d'origine ancienne et d'assise
profonde, il est très aisé de modifier l'orientation de la norme
dans un sens contraire à celui voulu par rédacteurs originels.
Ainsi, dans le contexte africain, il est très fréquent de se
retrouver dans des situations de manipulation des normes sur
l'éligibilité. Il est donc important de rechercher les
éléments du constitutionnalisme susceptibles de favoriser de
telles manipulations de la lettre du texte constitutionnel (I) et, ainsi,
proposer des éléments de solution au problème (II).
I) Les failles favorisant le phénomène
On constate, dans le constitutionnalisme africain, des
faiblesses majeures laissant la place à de possibles manipulations du
sens de la norme.
Il s'agit tout d'abord du manque de précision
apportée aux dispositions constitutionnelles. L'importance de la
précision, dans l'élaboration de la norme, prend une dimension
primordiale dans le constitutionnalisme africain. En effet, il est
impératif, dans un souci d'assujettissement des individus et des
pouvoirs publics à la norme, que le constituant africain prévoie
l'ensemble des modalités d'application des
113 La division peut émaner de la mise à
l'écart d'une partie de la population ou d'un acteur politique dans la
vie des affaires publiques. On connaît les conséquences
désastreuses que cela a pu avoir, notamment en Côte d'Ivoire, par
la division du pays entre nord et sud, à cause de
l'inéligibilité du candidat Alassane Ouattara suite à la
réforme de la loi électorale.
50
dispositions constitutionnelles. Ainsi, par exemple, il est
important de prévoir les modalités d'application de la loi dans
le temps dans le cas d'une révision constitutionnelle introduisant une
limitation dans l'éligibilité. De nombreux problèmes
d'interprétation se sont notamment posés pour savoir si
l'introduction d'une disposition de limitation de mandat dans la Constitution,
en cours de mandat d'un président, s'appliquait également au
mandat en cours, ou si elle prenait effet seulement à partir du mandat
suivant. En d'autres termes, il s'agissait de savoir si la disposition
était d'application immédiate, auquel cas elle ne s'appliquait
pas au mandat commencé sous l'égide du droit antérieur, ou
si la disposition était rétroactive, et donc applicable au mandat
antérieur. Cette question a notamment suscité de graves troubles
au Sénégal, à l'annonce, par Abdoulaye Wade, de sa
volonté de se présenter à un troisième mandat,
alors que la Constitution limitait le nombre de mandats à
deux114.
On peut également donner en exemple un autre cas,
touchant à nouveau à la question épineuse de l'application
de la limitation de mandat. Il s'agit du cas burundais, où la
Constitution a prévu des mesures transitoires après la situation
de crise connue par le pays, sans indiquer néanmoins si la limitation de
mandat était applicable pendant cette période de transition.
Ainsi, Stef Vandeginste met en évidence le problème
d'interprétation qui se posera en 2015 quant à
l'éligibilité de l'actuel président burundais Pierre
Nkurunziza, si celui-ci décidait de se représenter115.
Il est établi, d'une part, que l'article 96 de la Constitution du 18
mars 2005 prévoit que « Le président de la
République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de
cinq ans renouvelable une fois ». L'article 102, quant à lui,
prévoit le mode de scrutin de l'élection ; il s'agit d'un scrutin
à deux tours. Néanmoins, la disposition qui complique les choses
est l'article 302, qui se trouve dans le titre XV de la Constitution et qui
concerne les « dispositions particulières pour la
première période post-transition ». Cet article
prévoit qu'« à titre exceptionnel, le premier
président de la République de la période post-transition
est élu par l'Assemblée nationale et le Sénat
réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers des
membres du Parlement ». Ainsi, la question que l'on se pose est de
savoir si l'article 302 constitue une exception aux articles 96 et 102
114 L'introduction de la réforme constitutionnelle
venant limiter le mandat étant intervenue en 2001, donc
postérieurement à son élection en 2000, l'ancien
président Wade arguait que la réforme ne pouvait s'appliquer
à son premier mandat puisque celui-ci avait débuté sous
l'égide de la loi ancienne.
115 Stef Vandeginste, « L'éligibilité de
l'actuel président de la République du Burundi aux
élections présidentielles de 2015 : une analyse juridique »,
La Constitution en Afrique, 2012, p. 10.
[Réf. du 30 avril 2012].
Format pdf. Disponible sur :
http://www.la-constitution-en-afrique.org/categorie-10541523.html.
51
uniquement pour les dispositions tenant aux modalités
habituelles des élections présidentielles, à savoir le
suffrage universel et le scrutin à deux tours, ou si l'article 302, pour
la période où il est applicable, rend inopérants les deux
articles susvisés. Dans le premier cas, le président Nkurunziza,
qui a déjà été élu une fois au suffrage
indirect en 2005, puis au suffrage universel direct en 2010, ne sera pas
rééligible en 2015, puisque la disposition limitant le mandat
sera considérée comme applicable dès la première
élection. Dans le second cas, seul le mandat obtenu par le suffrage
universel direct sera comptabilisé, et il sera donc autorisé
à soumettre une nouvelle candidature. Voilà le type de situation
d'imprécision constitutionnelle susceptible de générer des
conflits juridiques, mais également politiques, voire même, dans
les cas les plus graves, des conflits armés au sein d'un État.
C'est pourquoi les Constitutions africaines doivent prévoir l'ensemble
des modalités d'application des dispositions, du moins des dispositions
les plus délicates, comme celles qui régissent
l'éligibilité.
Bien que soumise au danger de l'interprétation
faussée de son sens, la norme, dans le système juridique tel
qu'adopté par les États africains, fait l'objet de la protection
d'une institution : le juge. Celui-ci est le garant du sens véritable de
la norme et se doit, en tant que garant, de restituer le sens originel de
celle-ci. En quelque sorte, on peut dire, en exagérant un peu, que si la
loi constitutionnelle fait parfois, en Afrique, l'objet d'une
interprétation erronée, éloignée de son objectif
normal, c'est parce que le juge le permet. En effet, en tant
qu'interprète ultime de ce que dit la loi, ce dernier va jouer un
rôle clef dans ce qui favorisera ou non l'interprétation
biaisée de la norme. Néanmoins, on le verra plus tard, le juge
africain peut se faire le complice des manipulations constitutionnelles
initiées par les dirigeants lorsqu'il manque de l'assurance
nécessaire à la remise en cause de telles pratiques.
On s'aperçoit que l'élaboration de normes justes
et démocratiques ne suffit pas à faire une société
juste et démocratique. Il faut pouvoir assurer la protection de ces
dernières et des valeurs qu'elles supportent. Face à de telles
attaques portées à la norme constitutionnelle, il faut
nécessairement rechercher des éléments de solution
susceptibles d'endiguer le problème, en attendant d'avoir un
environnement institutionnel sain et équilibré.
52
II) Éléments de solution
Il a été reproché au constitutionnalisme
africain de ne pas posséder de mécanismes suffisants pour
permettre de garantir l'application de ces dispositions, ainsi que, notamment,
l'intangibilité du principe de limitation de mandat, en donnant au
principe un caractère d'« inviolabilité et
[d']immuabilité116 ». Il
semblerait que les solutions en la matière restent classiques : pas de
solution miraculeuse.
Il faut tout d'abord apporter un soin particulier à la
rédaction des dispositions constitutionnelles, et notamment celles qui
sont habituellement sujettes à controverse. On peut même aller
jusqu'à organiser des débats publics pour que soient
tranchés à l'avance tous les aspects d'interprétation de
la norme au moment de son élaboration. Cette solution est la même
qu'en matière de lutte contre la révision constitutionnelle
abusive car, en réalité, tout se tient, c'est l'implication
concrète des populations qui permettra de conférer une
réelle légitimité à la norme constitutionnelle.
Sur le plan institutionnel, il faut impérativement
arriver à garantir une réelle indépendance des juges par
rapport au pouvoir. Pour cela, il faut envisager une meilleure
rémunération des juges, l'impossibilité pour ces derniers
de briguer des mandats électifs ou tout simplement tout poste
politique.
Il n'existe pas, en réalité, de solution miracle
en la matière. Les choses seront susceptibles d'évoluer
uniquement si une dynamique émanant des sociétés
africaines elles-mêmes se crée, une dynamique dans le sens de la
politisation des individus et de la responsabilisation des dirigeants. Pour
cela, il faut un État qui ne se contente pas d'exister sur le papier,
mais qui ait un impact bénéfique réel sur la vie des
populations - dans de nombreux endroits, l'État est en effet inexistant.
Il faut également que les institutions étatiques se rapprochent
des coutumes et traditions africaines et ne se contentent pas de calquer un
modèle étranger supposé être meilleur, alors
même qu'il existe un droit que l'on pourra qualifier de réellement
africain et susceptible de fournir des solutions aux problèmes des
Africains.
On perçoit les enjeux importants attachés
à l'existence d'un constitutionnalisme protecteur des conditions
d'éligibilité en Afrique. Il en va du respect de la
liberté de participer aux affaires publiques, de la
nécessité du renouvellement des élites et de la
nécessaire sortie de l'oligarchie en place aujourd'hui.
Néanmoins, l'existence du problème de l'instrumentalisation des
conditions d'éligibilité ne constitue pas une
116 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des États d'Afrique, op. cit.,
p. 175.
53
fatalité et on se doit même, dans la
configuration actuelle, de s'interroger sur l'existence
d'éléments présents dans le constitutionnalisme des
États africains et en dehors de celui-ci, et susceptibles d'endiguer le
problème de l'instrumentalisation afin de favoriser l'implantation de la
démocratie. C'est pourquoi il est nécessaire de rechercher
l'existence de freins à une telle instrumentalisation des conditions
d'éligibilité.
54
PARTIE III : L'existence de freins à
l'instrumentalisation
des conditions d'éligibilité ?
Dans l'analyse du contexte africain, on a
réalisé que celui-ci se caractérise par une carence en
contre-pouvoirs effectifs face au pouvoir du chef de l'État. Même
si les Constitutions créent des institutions censées
bénéficier de la division du pouvoir, on se rend compte, dans la
réalité, que celui-ci est souvent détenu en
quasi-totalité par le président de la République. Les
parlements africains font très souvent office de chambres
d'enregistrement plutôt que d'organes décisionnels. De ce fait,
l'action du chef de l'État est soumise à peu de contraintes. Par
la recherche de freins aux actions des autorités en place, qui
chercheraient, par l'instrumentalisation, à se maintenir au pouvoir, on
vise les institutions et dispositions internes ou externes au pays permettant
de dissuader ou d'annuler de tels agissements. De forts espoirs sont
suscités par le rôle important de garant démocratique que
peut jouer le juge dans la lutte contre le détournement des conditions
d'éligibilité. En effet, il conviendra de déterminer
l'étendue de la fonction du juge117, dans sa fonction de
contrôle de la révision et de l'application des conditions
d'éligibilité, dans le cadre de la lutte contre
l'instrumentalisation (Chapitre 1). À côté du
contrôle du juge, vient se poser la question de la sanction, en cas de
constatation de l'instrumentalisation des conditions
d'éligibilité. Sans sanction, on ne peut, en effet, que
difficilement garantir l'application d'une règle de droit. Ainsi,
celle-ci aurait à jouer un rôle capital. Nous verrons ce qu'il en
est dans le constitutionnalisme des États africains (Chapitre 2).
117 Il existe deux types de juge de la
constitutionnalité et de l'éligibilité en fonction des
États : une cour constitutionnelle, qui constitue une juridiction
séparée, ou une cour suprême, qui fait office de derniers
degrés de juridiction.
55
Chapitre 1 : Le contrôle du juge constitutionnel
dans l'élaboration
et l'application des conditions
d'éligibilité
L'action du juge constitutionnel est considérée
comme « une garantie dans le processus électif ; une garantie
pour la régularité des procédures électorales, une
garantie quant au respect de la sincérité du scrutin et cela dans
le cadre strict des dispositions constitutionnelles118 ».
Le juge constitutionnel semble être l'acteur privilégié de
la lutte contre le détournement des conditions
d'éligibilité, puisque cette fraude, comme on l'a
déjà dit, se concentre autour du détournement des
règles constitutionnelles par l'outil de la révision
constitutionnelle, ou celui de l'interprétation de la norme de
façon déviante de l'esprit de la Constitution. En effet, celui-ci
tient un rôle primordial dans le contrôle de l'action des pouvoirs
publics. Par son contrôle de la révision constitutionnelle, il
pourrait s'avérer être un frein à l'instrumentalisation de
la Constitution, qu'il est chargé de protéger (Section 1). Le
juge, dans sa fonction de juge de l'élection, a également un
rôle à jouer dans la lutte contre l'instrumentalisation des
conditions d'éligibilité, puisqu'il est chargé de mettre
en application les dispositions régissant l'éligibilité et
peut donc, par leur interprétation, avoir un impact sur l'accès
à la candidature présidentielle (Section 2).
Section 1 : Le contentieux de la révision
constitutionnelle
Il a été précédemment
démontré l'importance du régime juridique des conditions
d'éligibilité dans la mise en place d'un jeu politique
démocratique. C'est pourquoi les conditions d'éligibilité
sont exposées à de nombreuses modifications, allant souvent dans
le sens de leur durcissement, du moins à l'encontre des candidats
potentiels opposés au président au pouvoir. Face au danger des
révisions constitutionnelles antidémocratiques, le juge
constitutionnel, qui est, comme l'indique l'article 114 de la Constitution
béninoise du 11 décembre 1990, « l'organe
régulateur du fonctionnement des institutions et de l'activité
des pouvoirs publics », suscite de nombreux espoirs. C'est son
contrôle de la loi de révision constitutionnelle qui lui
permettrait de freiner le phénomène de la révision
effrénée. Cependant, dans la plupart des cas, ce contrôle
ne
118 Marie-Madeleine Mborantsuo, La contribution des Cours
constitutionnelles à l'État de droit en Afrique, Paris,
Economica, 2007, p. 210.
56
peut avoir lieu que sur saisine du juge constitutionnel,
lequel, dans le constitutionnalisme africain, ne peut que rarement
s'autosaisir. D'où l'importance de promouvoir l'ouverture de la saisine
du juge constitutionnel au plus grand nombre de sujets. Bien que la question de
la révision constitutionnelle soit une question primordiale dans le
constitutionnalisme africain, le contrôle de cette révision ne va
pas de soi et la question même de son existence est parfois l'objet de
vifs débats doctrinaux. On se pose la question de savoir de quels types
sont les limites portées au pouvoir constituant en Afrique ? Pour
répondre à cette question, il faut opérer une distinction
entre contrôle de la forme, généralement admis par les
Constitutions africaines (I), et contrôle du fond de la révision
constitutionnelle, qui, lui, est sujet à des questionnements plus larges
(II). Le contrôle de la forme repose sur le contrôle du respect des
procédures de révision prévues par la Constitution, et
celui du fond concerne le contrôle de la conformité du contenu
à la norme constitutionnelle.
I) Le contrôle de la forme
Lorsque le juge constitutionnel est amené à
opérer un contrôle du respect de la procédure de
révision constitutionnelle, il contrôle en réalité
le respect de deux types de procédures : dans un premier temps, le
respect des règles de prise d'initiative et d'élaboration du
projet de révision constitutionnelle ; dans un second temps, le respect
de la procédure d'adoption du projet de révision
constitutionnelle.
Dans le constitutionnalisme africain, l'initiative de la
révision constitutionnelle est, comme il a été dit,
donnée concurremment au président de la République et
à l'Assemblée nationale. L'initiative doit, la plupart du temps,
être votée par le Parlement ou l'Assemblée nationale pour
acquérir le statut de projet constitutionnel. Néanmoins, ces
règles sont en pratique peu contraignantes pour le président de
la République lorsque celui-ci jouit d'une majorité favorable
à l'Assemblée nationale. Le contrôle du juge
constitutionnel n'a donc pas beaucoup de portée sur ce point. Il peut,
tout au mieux, lorsque la Constitution le prévoit, vérifier, par
exemple, que la décision présidentielle a bien été
prise en Conseil des ministres, comme l'exige, par exemple, l'article 162 de la
Constitution malgache119. Lorsque l'initiative émane de
l'Assemblée nationale ou du Parlement, le juge constitutionnel se
contente de vérifier que le vote de l'organe collégial en faveur
de l'initiative de révision a bien été pris dans le
quorum
119 Constitution du 11 décembre 2010.
57
exigé par la Constitution. Le juge constitutionnel n'a,
a priori, pas à exercer de contrôle d'opportunité
sur l'initiative de révision constitutionnelle. À ce sujet,
Marie-Madeleine Mborantsuo nous dit, en parlant du contrôle de
constitutionnalité des lois ordinaires, que « la question de
l'opportunité est intimement liée au pouvoir
discrétionnaire dont dispose une autorité dans l'exercice de son
pouvoir décisionnel, pouvoir discrétionnaire auquel il
n'appartient pas aux Cours constitutionnelles de se
substituer120 ». Admettre un contrôle
d'opportunité est perçu comme une confiscation, par le juge, du
pouvoir constituant donné à des institutions légitimement
élues. Néanmoins, une sorte de contrôle
d'opportunité est parfois introduite lorsque la Constitution
prévoit une forte limitation de l'initiative de révision
constitutionnelle. C'est, par exemple, le cas de la Constitution malgache, qui
dispose qu'« Aucune révision de la Constitution ne peut
être initiée, sauf en cas de nécessité jugée
impérieuse121 ». Dans ce cas-là, on peut
dire qu'une forme de contrôle de l'opportunité de l'initiative est
admise, mais uniquement parce qu'il est clairement stipulé par la
Constitution, la seule chose devant motiver la réforme constitutionnelle
étant non seulement la nécessité, mais une
nécessité « jugée impérieuse ».
En dehors de ce cas de figure, le contrôle du respect de la
procédure de création du projet de révision
constitutionnelle laisse peu de marge d'appréciation au juge
constitutionnel.
La seconde étape de la procédure de
révision qu'est l'adoption du projet a fait, quant à elle, couler
plus d'encre. En effet, des questionnements sont arrivés en même
temps que la pratique présidentielle consistant à contourner la
procédure de révision constitutionnelle normale, en recourant au
référendum, alors même qu'il n'est pas prévu comme
mode de révision constitutionnelle. Aujourd'hui, dans le
constitutionnalisme des États africains, ce cas de figure est plus
difficile à rencontrer puisque la majorité des Constitutions
africaines place le référendum comme mode
privilégié d'adoption de la réforme constitutionnelle,
loin devant l'adoption classique par vote de l'Assemblée nationale.
Néanmoins, les décisions jurisprudentielles statuant sur la
possibilité, pour le président de la République, de
recourir au référendum pour modifier la Constitution, alors
même qu'il existait une autre procédure dédiée
à la révision, auront permis de préciser les contours du
champ de compétence du juge constitutionnel. Ainsi, comme il a
été vu précédemment, en 2001, au
Sénégal, sous l'égide de la Constitution du 7 mars
120 Marie-Madeleine Mborantsuo, La contribution des Cours
constitutionnelles à l'État de droit en Afrique, Paris,
Economica, 2007, p. 171.
121 Article 161 de la Constitution malgache du 11 décembre
2010.
58
1963, le président Abdoulaye Wade a utilisé
l'article 46 de la Constitution afin de faire adopter une nouvelle
Constitution. L'article prévoyait que « Le Président de
la République peut, sur la proposition du Premier ministre et
après avoir consulté les présidents des assemblées
et recueilli l'avis du Conseil constitutionnel soumettre tout projet de loi au
référendum ». Néanmoins, plusieurs observateurs
ont estimé qu'il s'agissait là d'un détournement de
l'application normale de l'article, lequel ne visait que la loi ordinaire et ne
devait nullement être utilisé comme moyen de révision
constitutionnelle. En effet, il existait un article 89 prévoyant la
procédure de révision et se trouvant d'ailleurs dans le titre X
sur la révision constitutionnelle, contrairement à l'article 46
qui, lui, se trouvait au titre III concernant le président de la
République et le gouvernement. Cette procédure obligeait le
président à obtenir le vote des assemblées, qui lui
étaient, à l'époque des faits, hostiles122. Le
Conseil constitutionnel de l'époque a été saisi par un
groupe de seize députés afin que celui-ci juge de
l'inapplicabilité de l'article 46. La réponse du Conseil sur ce
point a été de se déclarer incompétent pour
opérer un contrôle de la loi référendaire. Le juge
constitutionnel s'est cantonné à une interprétation
stricte de sa compétence d'attribution issue de l'article 82 de la
Constitution. L'alinéa 1 de l'article 82 établit ainsi qu'il est
compétent pour connaître « de la
constitutionnalité des lois et des engagements internationaux
», et, selon la Cour, cet article ne viserait pas la loi
référendaire123. Le Conseil constitutionnel ira encore
plus loin, dans sa décision du 9 octobre 1998, où il affirmera ne
pas être compétent pour contrôler la conformité
à la Constitution de toute révision constitutionnelle. Il
s'agissait cette fois d'une révision adoptée par
l'Assemblée nationale et donc par voie non
référendaire124. Le Conseil confirmera cette position
en 2003125, puis en 2006, où il aura l'occasion de dire qu'il
« ne saurait être appelé à se prononcer dans
d'autres cas que ceux limitativement prévus par les
textes126 ». Ainsi, il se contente de vérifier que
la révision constitutionnelle ne porte pas sur le domaine pour lequel la
Constitution exclut la révision127. Ces décisions
s'analysent en une autolimitation de son champ de compétence. Cette
restriction du contrôle n'est pas
122 Voir Ismaïla Madior Fall, Évolution
constitutionnelle du Sénégal, de la veille de
l'indépendance aux élections de 2007, op. cit., p.
92.
123 Décision n° 77-Affaire n° 6/C/2000 du 2
janvier 2001.
124 Décision n° 44/98-Affaire n° 9/C/98 du 9
octobre 1998.
125 Décision n° 90/2003-Affaire n° 1/C/2003 du
1er juin 2003.
126 Décision n° 92/2005-Affaire 3/C/2005 du 18
janvier 2006.
127 L'article 103 prévoit que « La forme
républicaine de l'État ne peut faire l'objet d'une
révision ».
59
favorable à la mise en place d'un pouvoir
juridictionnel permettant de lutter contre les détournements des
conditions d'éligibilité par la voie de la révision
constitutionnelle128.
Néanmoins, on peut citer un contre-exemple à la
situation sénégalaise. Il s'agit de celui de la Cour
constitutionnelle du Niger, laquelle s'est dressée courageusement, en
2009, contre le projet de révision anticonstitutionnelle initié
par le président Tandja. La nouvelle Constitution proposée par le
président ne comportait pas de limitation de mandat qui l'aurait
empêché de se représenter. La Cour, dans un arrêt du
12 juin 2009129, s'est non seulement déclarée
compétente pour statuer de la conformité de la procédure
d'adoption de la révision constitutionnelle au texte fondamental, mais a
également prononcé l'annulation du décret
présidentiel prévoyant l'organisation du
référendum, car la Constitution interdisait formellement le
recours à l'article 49 pour réformer la
Constitution130.
Au regard des observations précédentes, le seul
contrôle de la forme de la révision constitutionnelle nous
apparaît comme insuffisant à garantir le respect des principes
démocratiques prévus par la Constitution, dès lors que
celle-ci ne prévoit pas une procédure de révision
suffisamment contraignante ou qu'elle n'est pas très précise sur
ce qui est autorisé ou non en matière de procédure. Par
conséquent, la marge de manoeuvre du juge constitutionnel est
limitée en la matière et il semble que seul le contrôle du
fond permet au juge constitutionnel de s'exprimer.
II) Le contrôle du fond
La question du contrôle du fond, qui touche au contenu
de la révision constitutionnelle, n'est pas sans soulever des
questionnements sur le plan théorique. En effet, ces questionnements
tiennent au rôle du juge constitutionnel, qui ne peut supplanter le
pouvoir constituant dérivé, seul habilité
constitutionnellement et du point de vue de la légitimité
électorale, à modifier la Constitution. Ainsi, par exemple, dans
le commentaire que le Conseil constitutionnel français fait de sa
décision n° 2003-469 DC du 26 mars 2003, il rappelle que «
Le Conseil constitutionnel doit se montrer d'autant plus respectueux de la
souveraineté du pouvoir constituant que, comme l'a rappelé
le
128 Séni Mahamadou Ouédraogo, La lutte
contre la fraude à la Constitution en Afrique noire francophone,
op. cit., p. 296.
129 Décision n° 04/CC/ME du 12 juin 2009.
130 Article 49 de la Constitution du 18 juillet 1999 : «
Le président de la République peut, après avis de
l'Assemblée nationale et du président de la Cour
constitutionnelle, soumettre au référendum tout texte qui lui
paraît devoir exiger la consultation directe du peuple à
l'exception de toute révision de la présente Constitution qui
reste régie par la procédure prévue au titre XII
».
60
doyen Vedel [...], c'est elle qui fonde la
légitimité du contrôle de constitutionnalité et
interdit que l'on puisse parler, à propos de l'institution de la rue de
Montpensier, de «gouvernement des juges»131
». Il serait effectivement dangereux que le juge constitutionnel soit
accusé de confisquer le pouvoir normalement dévolu au pouvoir
constituant dérivé. Néanmoins, un tel risque ne doit pas
occulter l'idée que le juge constitutionnel a également un
rôle moteur à jouer dans les avancées démocratiques
prescrites par les Constitutions africaines. Le contrôle de la
révision constitutionnelle s'articule autour du contrôle du
respect des limites posées par la Constitution à la
révision constitutionnelle. Séni Mahamadou Ouédraogo
opère une distinction entre limites explicites et limites
implicites132. Toutes deux permettent de justifier un contrôle
du fond par le juge.
Les limites explicites sont celles qui sont clairement
inscrites dans la Constitution et qui prennent la forme de limites
matérielles ou circonstancielles. L'article 220 de la Constitution de la
République démocratique du Congo133 prévoit une
série de limites matérielles parmi lesquelles il y a le nombre et
la durée des mandats du président de la République, ainsi
que des limites circonstancielles, telles que l'interdiction de la
révision pendant l'intérim à la présidence. Le
contrôle du respect des limites matérielles permet au juge
constitutionnel de s'introduire dans le contenu du texte de révision et
d'y rechercher les éléments qui seraient susceptibles
d'empiéter sur les domaines interdits à la révision. Cette
disposition constitutionnelle est une disposition de
supraconstitutionnalité, car les matières qu'elle vise ne sont
pas mises sur le même plan que les autres. Même si la disposition a
le mérite de protéger des matières sensibles de
révisions intempestives, elle ne donne que peu de marge de manoeuvre au
juge constitutionnel dans le cas où il serait confronté à
une révision constitutionnelle violant des droits et libertés
garanties par d'autres dispositions constitutionnelles. Certainement dans le
but de pallier cette difficulté, l'article 313 de la Constitution
cap-verdienne prévoit de façon judicieuse, après
l'énumération des limites matérielles en alinéa 1,
un alinéa 2 selon lequel « les lois de révision ne
peuvent restreindre ou limiter les droits,
131 Le Conseil constitutionnel, « Commentaire de
la décision n° 2003-469 DC du 26 mars 2003 », Les Cahiers
du Conseil constitutionnel, Cahier n° 15, 2003, 5 p.
[Réf. du 30 mai 2012]. Format pdf. Disponible sur :
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2003469DCccc_469dc.pdf.
132 Séni Mahamadou Ouédraogo, La lutte
contre la fraude à la Constitution en Afrique noire francophone,
sous la direction de Jean du Bois de Gaudusson, op. cit., p. 240.
133 Constitution du 18 février 2006.
61
les libertés et les garanties établis dans
la Constitution134 ». Cette disposition a le mérite
de permettre d'étendre le champ de compétence du juge
constitutionnel et, ainsi, de lui permettre d'empêcher la mise en place
de révisions allant, par exemple, à l'encontre du droit de
participer aux affaires publiques de l'État. La disposition
cap-verdienne entraîne d'ailleurs des effets proches de ceux que produit
le contrôle, par le juge constitutionnel, des limites implicites
posées par la Constitution.
Les limites implicites sont définies par Séni
Mahamadou Ouédraogo comme étant « associée en
droit constitutionnel à l'idée de l'esprit ou du sens profond de
la constitution ». Il s'agit donc de limites tacites empêchant
la violation de certains principes primordiaux dégagés de
l'esprit de la Constitution. Le doyen Vedel estime qu'elles « sont
tellement fondamentales que le pouvoir constituant a nécessairement
dû lui conférer l'immutabilité, car son altération
priverait la Constitution de toute base135 ». On constate
néanmoins, dans le constitutionnalisme africain, un refus
généralisé d'utiliser ce mécanisme consistant
à opérer un contrôle plus large par la découverte de
principes intangibles issus de l'esprit de la Constitution.
On peut néanmoins donner des exemples de la mise en
application de ce mécanisme, ainsi la décision du juge
constitutionnel béninois, en 2006, qui a rejeté un projet de
révision constitutionnelle en établissant que « la
sécurité juridique et la cohésion nationale commandent que
toute révision tienne compte des idéaux qui ont
présidé à l'adoption de la Constitution136
». Dans le même sens, il faut saluer la récente
décision constitutionnelle burkinabée qui, en date du 26 avril
2012, est venue opérer un changement d'orientation de la
jurisprudence137. Cette décision a accepté
d'opérer le contrôle matériel de la révision
constitutionnelle et est venue annuler la loi constitutionnelle en se fondant
sur son incompatibilité avec une norme constitutionnelle non
écrite. Stéphane Bolle a estimé qu'il fallait saluer une
telle jurisprudence, qui sanctionne « ces révisions dangereuses
qui déstabilisent la Constitution, qui la décrédibilisent,
qui en font une source majeure d'insécurité
juridique138 ».
134 Constitution du 14 février 1981.
135 Georges Vedel, « Souveraineté et
supra-constitutionnalité », Pouvoir, n° 67, p. 89.
Cité par Séni Mahamadou Ouédraogo, La lutte contre la
fraude à la Constitution en Afrique noire francophone, op.
cit., p. 241.
136 Décision n° 06-074 du 13 juillet 2006.
137 Décision n° 2012-008/CC du 26 avril 2012.
138 Stéphane Bolle, « Les révisions
dangereuses. Sur l'insécurité constitutionnelle en Afrique
», in Constitution et Risque(s), Paris, L'Harmattan, 2010, p.
253.
62
En revanche, l'usage de normes ou de principes internationaux,
afin de limiter la révision constitutionnelle antidémocratique,
n'est pas présent dans le constitutionnalisme africain, faute de
reconnaissance interne de la supériorité des normes
internationales sur la Constitution. Une telle reconnaissance permettrait, par
exemple, de rejeter des révisions constitutionnelles qui s'opposeraient
aux principes reconnus par la Charte africaine de la démocratie, des
élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007. Cette charte, prise
dans le cadre de l'Union africaine, impose aux États membres d'appliquer
des principes tels que celui de l'alinéa 11 de l'article 3, selon lequel
il faut garantir « Le renforcement du pluralisme politique, notamment
par la reconnaissance du rôle, des droits et des obligations des partis
politiques légalement constitués, y compris les partis politiques
d'opposition qui doivent bénéficier d'un statut sous la loi
nationale ».
Ainsi, on observe que les outils constitutionnels mis à
la disposition du juge sont très souvent insuffisants. En effet, puisque
celui-ci agit dans le cadre de sa compétence d'attribution, celle-ci se
doit d'être étendue afin qu'il puisse remplir un rôle
réel de garant des principes et libertés prévus par la
Constitution. Le contrôle du respect des règles de forme en
matière de révision constitutionnelle est largement reconnu, mais
soumis parfois à des restrictions importantes, notamment lorsque le juge
constitutionnel refuse d'opérer le contrôle de la révision
constitutionnelle. En revanche, le contrôle du fond de la révision
constitutionnelle, quant à lui, est beaucoup plus controversé, et
là où l'outil Constitution s'avère insuffisant, on
constate que l'outil conceptuel, lui, par l'invocation de l'esprit de la
Constitution, serait utile à combler les lacunes en la matière.
Néanmoins, le juge constitutionnel africain est encore largement hostile
à son utilisation.
En conséquence, dans le cadre de la lutte contre la
fraude à la Constitution, on ne peut que constater la faiblesse du juge
constitutionnel dans la protection de la Constitution contre les
révisions intempestives. D'ailleurs, dans les faits, on constate que le
juge constitutionnel africain ne s'est que très rarement opposé
à ces révisions, lesquelles permettaient, par exemple, de lever
la limitation de mandat. Néanmoins, on peut espérer une
évolution allant dans le sens des jurisprudences nigérienne,
béninoise et burkinabée. Qu'en est-il cependant du rôle
protecteur du juge constitutionnel dans le cadre de son statut de juge
électoral, et cela plus précisément dans sa fonction de
juge de l'éligibilité ?
63
Section 2 : Le contrôle du contentieux de
l'éligibilité aux élections présidentielles
Le contrôle de l'éligibilité est le second
domaine d'action du juge constitutionnel contre l'instrumentalisation des
conditions d'éligibilité constitutionnelle. Ce contrôle
intervient en en second temps, lorsque le contrôle de la révision
s'est avéré insuffisant à permettre que les modifications
constitutionnelles ne se fassent pas au détriment de la libre
compétition électorale. Le juge de l'éligibilité,
parce qu'il apprécie l'application de la Constitution en matière
de réalisation des conditions d'éligibilité pour un
candidat, a un impact certain sur l'ouverture ou non du jeu démocratique
et peut, s'il le souhaite, constituer un frein à la volonté
antidémocratique d'un gouvernement en place.
C'est ici la fonction de juge électoral des
institutions, chargé de contrôler le respect de la Constitution
qui est invoquée. Il s'agit d'une fonction qui, bien souvent, est
partagée avec les commissions électorales indépendantes,
mises en place dans les États africains au lendemain des
conférences nationales afin de garantir la régularité et
la transparence des élections. Bien que ces dernières aient un
rôle dans le contrôle de la recevabilité des candidatures
électorales, c'est bien souvent le juge constitutionnel ou à la
Cour suprême qui a le dernier mot, par le biais du recours formé
devant lui pour contester les décisions des commissions
électorales. Ainsi, notre étude portera uniquement sur la
jurisprudence des juridictions constitutionnelles des États dans le
cadre, d'une part, du contentieux de la réalisation des conditions
d'éligibilité (I) et, d'autre part, dans le contentieux de
l'éligibilité impliquant l'application d'une disposition de
limitation de mandat (II).
I) Le contentieux de la réalisation des conditions
d'éligibilité
Le juge constitutionnel africain est chargé par la
Constitution de statuer sur la régularité des élections.
C'est ce qu'indique l'alinéa 1 de l'article 84 de la Constitution
gabonaise du 26 mars 1991, par la disposition selon laquelle la Cour
constitutionnelle se doit de contrôler « la
régularité des élections présidentielles,
parlementaires, des collectivités locales et des opérations de
référendum dont elle proclame les résultats ».
Dans le cadre du contrôle de la régularité des
élections présidentielles, le juge constitutionnel est
amené à statuer sur la recevabilité des candidatures.
Cependant, les personnes ayant qualité pour agir peuvent formuler des
réclamations motivées contre la liste des candidats. Ces
personnes sont celles qui ont un intérêt à agir : il
s'agit
64
essentiellement des autres candidats. Pour se prononcer sur la
recevabilité d'une candidature, le juge va vérifier que celle-ci
remplit bien toutes les conditions posées par la Constitution et le code
électoral.
L'appréciation qui sera faite des conditions
d'éligibilité par le juge conduira à restreindre ou non le
nombre des personnes amenées à participer à
l'élection présidentielle. Selon Ismaïla Madior Fall, le
juge de l'éligibilité en Afrique fait une application stricte de
la loi électorale139 et interprète ces dispositions de
façon restrictives.
Pour illustrer ce propos, on peut observer
l'interprétation de la condition de domicile par le juge
béninois. Lorsque la disposition ne donne pas de précision sur ce
qui est entendu par « domicile », l'interprétation revient au
juge de l'éligibilité, et celui-ci semble être exigeant en
la matière. Ainsi la Cour constitutionnelle béninoise, dans une
décision EL 95-092 du 19 mai 1995, a établit que « la
notion de domicile retenue par le législateur en matière
électorale coïncide avec celle de résidence effective sur le
territoire national », ce qui l'a conduite à rendre
irrecevable la candidature du candidat Baba-Moussa au motif que celui-ci
occupait les fonctions de président de la BOAD, dont le siège se
trouve au Togo et que, par conséquent, comme ses fonctions «
exigeaient sa présence constante au siège de l'institution
à Lomé et ne lui laissaient, comme il l'écrit
lui-même, que les fins de semaine pour se rendre au Bénin
», il n'était pas considéré comme ayant
résidé effectivement sur le territoire béninois pendant la
période antérieure aux élections. On en déduit donc
qu'une présence régulière sur le territoire se limitant
à des fins de semaines n'est pas suffisante pour constituer le domicile
du candidat, ici entendu par la Cour comme synonyme de résidence
effective. Bien que la décision porte sur l'éligibilité
d'un candidat aux élections législatives, on peut penser que
cette jurisprudence est extensible aux élections
présidentielles.
Il faut rappeler également que les décisions
prises par le juge de l'éligibilité africain sont très
fréquemment non susceptibles de recours dans le constitutionnalisme
africain. À titre d'exemple, on peut citer l'article 92 alinéa 2
de la Constitution sénégalaise140, qui renferme une
disposition que l'on retrouve dans les constitutions francophones de
façon quasi-identique : « Les décisions du Conseil
constitutionnel ne sont susceptibles d'aucune voie de recours. Elles s'imposent
aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
139 FALL Ismaïla Madior, le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des États d'Afrique, Paris,
L'Harmattan, op. cit., p. 131.
140 Constitution du 22 janvier 2001.
65
administratives et juridictionnelles ». Ainsi,
le Conseil constitutionnel sénégalais a toujours refusé
d'accueillir les réclamations des candidats indépendants contre
sa propre décision de rejeter leur candidature141, leur
opposant l'article 92 alinéa 2 suscité. La décision du
Conseil était fondée sur le fait que ceux-ci avaient fourni un
nombre de signatures d'électeurs inférieur aux 10 000
exigées par la Constitution, toutes leurs signatures n'étant pas
vérifiables.
De plus, on constate que, dans le cadre du contrôle de
la recevabilité des candidatures à l'élection
présidentielle, les décisions rendues par le juge de
l'éligibilité sont généralement très peu,
voire pas du tout motivées. Ainsi, avant 2006, la Cour constitutionnelle
du Bénin se contentait de dresser la liste des candidats dont la
candidature était jugée irrecevable, sans plus d'explications.
Depuis la décision EL-P 06-004 du 27 janvier 2006, la Cour accepte de
déclarer les motifs de l'irrecevabilité des candidatures
présentées. La jonction du phénomène de la faible
motivation des décisions d'irrecevabilité de candidature et du
principe d'absence de voie de recours des décisions du juge
constitutionnel conduit à faire de ce contentieux un contentieux
sensible, laissant peu de marge de manoeuvre aux candidats recalés.
Selon Ismaïla Madior Fall « lorsque le juge des
candidatures a été saisi pour statuer sur des cas de
recevabilité de candidature, il a une inclination normale à
appliquer les dispositions constitutionnelles et législatives
régissant la candidature. Concrètement, cette attitude
juridictionnelle peut être problématique lorsqu'elle a pour effet
de rejeter des candidatures sérieuses de la compétition pour le
pouvoir, et que ce rejet puisse générer des tensions pernicieuses
pour la stabilité politique du pays142 ». L'auteur
estime que le juge constitutionnel africain, dans ce type de contentieux,
devrait, plutôt que d'appliquer strictement la Constitution et la loi
électorale, faire preuve de plus de libéralisme dans ses
décisions. Il reprend une proposition, faite par Jean-Claude Masclet
dans son rapport de synthèse au Colloque de Cotonou sur les aspects du
contentieux en Afrique, selon laquelle le juge devrait avoir recours à
des textes de droit électoral internationaux que les États ont
ratifiés, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques du 19 décembre 1966 ou la Charte africaine des droits de
l'homme et
141 Décision N° 98/2007 Affaire N° 2/E/2007 :
réclamation de Yoro Fall C/ le rejet de sa candidature à
l'élection présidentielle et Décision N° 1/E/2012
Affaire 2/E/2012, 11/E/2012 et 15/E/2012 : réclamation de Abdourahmane
Sarr, Youssou Ndour, Keba Keinde C/ le rejet de leur candidature à
l'élection présidentielle.
142 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des États d'Afrique, op. cit.,
p. 64.
66
des peuples. Ainsi, l'article 25 du Pacte prévoit que :
« tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des
discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions
déraisonnables : a) de prendre part à la direction des affaires
publiques, soit directement soit par l'intermédiaire des
représentants librement choisis ; b) de voter et d'être
élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au
suffrage universel et égal au scrutin secret, assurant l'expression
libre de la volonté des électeurs ; c) d'accéder, dans des
conditions générales d'égalité aux fonctions
publiques de son pays ». La reconnaissance de la
supériorité de la norme internationale sur la Constitution
permettrait alors au juge d'« interpréter les dispositions
pertinentes en matière de liberté de candidature en ayant
à l'esprit la préoccupation de sauvegarder la liberté de
candidature et l'égalité des chances de tous d'accéder aux
fonctions politiques, notamment à la Présidence de la
République143 ».
Si on a pu caractériser la jurisprudence du juge de
l'éligibilité comme restrictive en matière de contentieux
de la candidature, il est important d'analyser celui touchant à
l'application de la limitation de mandat, afin d'apprécier au mieux la
capacité du juge à garantir le respect de la Constitution et
à promouvoir la démocratie.
II) Contentieux de l'éligibilité par rapport
à la limitation de mandat
Le contentieux de l'application à un candidat de la
limitation de mandat est en réalité le même que le
contentieux évoqué précédemment. Néanmoins,
celui-ci appelle l'application d'une disposition constitutionnelle
particulière ; il s'agit de la limitation de mandat. Cette disposition
ne s'applique donc qu'au candidat ayant déjà exercé un ou
plusieurs mandats, et, dans les faits, il s'agit très souvent du
président sortant. C'est à travers l'étude de ce
contentieux que l'on peut au mieux estimer la capacité du juge à
protéger les idéaux démocratiques défendus par la
Constitution, à travers la mise en place de freins au maintien
anticonstitutionnel des présidents africains. Il y a une question
juridique précise qui concentre l'essentiel du contentieux en la
matière. Il s'agit de la question de savoir si la loi nouvelle
introduisant la limitation de mandat dans le constitutionnalisme s'applique au
mandat en cours du président en place. Autrement dit, il s'agit de
savoir si la loi nouvelle est d'application immédiate ou si elle est
rétroactive. Les deux cas emblématiques dans lesquels la question
a été soumise au juge de l'éligibilité sont ceux du
Sénégal et du Burkina Faso. Les juges sénégalais
et
143 Ibid., p. 67.
67
burkinabé ont tranché dans le même sens,
au profit de l'application immédiate et uniquement pour l'avenir de la
loi nouvelle, et donc au profit de la possibilité pour le
président en place de se représenter. L'étude des deux
décisions permettra de dégager les enseignements à en
tirer.
Le Conseil constitutionnel burkinabé a
été saisi de plusieurs requêtes tendant à faire
annuler sa décision administrative en date du 2 octobre
2005144, par laquelle il avait inscrit le président et
candidat Blaise Compaoré à la liste des candidats recevables
à l'élection présidentielle de la même année.
Les requérants faisaient valoir essentiellement l'idée que la
candidature de ce dernier, qui avait déjà fait deux mandats,
violait l'esprit de l'article 37 de la Constitution limitant à une fois
la rééligibilité du président de la
République. Il faut rappeler que la particularité de l'article 37
supportant la limitation de mandat est qu'il a été
révisé à deux reprises, dans un premier temps en 1997,
dans le sens de la levée de la limitation de mandat prévue par la
Constitution de 1991, puis en 2000, dans le sens du retour de la limitation de
mandat. Ainsi, les requérants invoquaient l'idée d'une erreur
commise par le constituant en 1997, sur laquelle il serait revenu en 2000 pour
rétablir la volonté du constituant originaire. La
parenthèse de 1997 ayant été effacée par la
révision de 2000, il fallait nécessairement comprendre une telle
révision comme une restauration de ce qui aurait dû être,
et, ainsi, la loi nouvelle était nécessairement
rétroactive. Cependant, aucun élément de la Constitution
du 11 juin 1991 ne permettait de valider cet argument jusnaturaliste, mais
aucun élément ne permettait non plus de l'invalider. Le Conseil
constitutionnel a, quant à lui, recouru à une
interprétation de l'esprit de la révision constitutionnelle
aboutissant au raisonnement contraire, le Conseil se fondant notamment sur la
lecture du rapport de la Commission des réformes politiques,
préconisant une application immédiate de la loi nouvelle. De
plus, le Conseil a érigé en « principe de base
» l'application immédiate de la loi, et établi
l'idée que si le constituant avait voulu y déroger, il l'aurait
fait expressément. Ce que l'on peut retenir de la décision,
c'est, d'une part, le fait que le texte constitutionnel lui-même ne
fournissait aucun élément susceptible d'indiquer la solution
à donner au conflit de la loi dans le temps, puisque la révision
constitutionnelle de 2000 n'abordait pas du tout la question de la
rétroactivité ou non de la loi nouvelle ; d'autre part, sur le
plan juridique, que la décision paraît parfaitement justifiable,
même si la solution inverse aurait pu également se justifier.
C'est sur le terrain politique que le
144 Décision n° 2005-003/CC/EPF du 2 octobre 2005.
68
Conseil peut être critiqué, car cette
décision favorise l'impression de la confiscation du pouvoir par le clan
présidentiel145.
Le Conseil constitutionnel sénégalais a
été confronté à la même question, à
savoir si la limitation de mandat contenue dans la nouvelle Constitution
sénégalaise du 22 janvier 2001 était applicable au premier
mandat du président Abdoulaye Wade, alors en cours au moment de
l'introduction de celle-ci. Le Conseil constitutionnel a, dans un premier
temps, admis la recevabilité de la candidature du président
Abdoulaye Wade dans une décision146 dressant la liste des
candidats à l'élection présidentielle de 2012. Il fut, par
la suite, amené à confirmer et motiver une telle décision
à l'occasion de la réclamation formulée contre la
candidature du président sortant147. Nous nous attacherons
à analyser uniquement la réponse du Conseil sur le moyen
principal des requérants, à savoir que la candidature d'Abdoulaye
Wade violait les articles 27 et 104 de la Constitution du 22 janvier 2001, en
se présentant pour un troisième mandat. L'article 27
prévoit que « la durée du mandat du président de
la République est de sept ans. Le mandat est renouvelable une seule
fois148 ». L'article 104, quant à lui, dispose que
« le président de la République en fonction poursuit son
mandat jusqu'à son terme. Toutes les autres dispositions de la
présente Constitution lui sont applicables ». Ainsi, selon les
requérants, une lecture correcte de l'article 104 alinéa 1
voudrait que la disposition selon laquelle « le président de la
République en fonction poursuit son mandat jusqu'à son terme
» ne s'applique qu'à la durée du mandat
présidentiel, puisque la nouvelle Constitution, au moment de son
entrée en vigueur, avait abaissé la durée du mandat de
sept à cinq ans. Le constituant entendait laisser le président
poursuivre son mandat jusqu'au terme des sept années pour lesquelles il
avait été élu. Et, donc, l'alinéa 2 de l'article
104 - « Toutes les autres dispositions de la présente
Constitution lui sont applicables » - témoignait de la
volonté du constituant de voir rétroagir la Constitution nouvelle
pour toutes les autres dispositions, y compris la limitation de mandat contenue
dans l'article 27. Néanmoins, le Conseil constitutionnel n'a pas
adhéré à un tel raisonnement et a confirmé
logiquement sa première décision. Le raisonnement
adopté
145 Voir le commentaire de Stéphane Bolle, « La
Constitution Compaoré ? Sur la décision n° 2005-007/EPF du
14 octobre 2005 du Conseil Constitutionnel du Burkina Faso »,
Afrilex, n° 05, 2006, 14 p.
[Réf. du 6 juin 2012]. Format html.
Disponible sur :
http://afrilex.u-bordeaux4.fr/la-constitution-compaore-note-sous.html.
146 Conseil constitutionnel du Sénégal, Affaire
n° 1/E/2012 du 27 janvier 2012.
147 Conseil constitutionnel du Sénégal, Affaire
n° 3/E/2012 à n° 14/E/2012 du 29 janvier 2012.
148 Le mandat a été porté de cinq à
sept ans lors de la réforme de 2008.
69
par le juge a consisté à dire que
l'alinéa 1 de l'article 104 ne visait pas seulement la durée du
mandat du président en cours, mais le mandat dans son ensemble, puisque,
selon lui, la durée « ne peut en être dissociée
», le mandat échappant donc dans son ensemble à
l'application de la loi nouvelle. Un raisonnement logique issu de la doctrine
met ici en évidence le caractère farfelu de
l'interprétation du juge sénégalais149. En
effet, comment l'article 104 pourrait-il, dans son alinéa
1er, exclure du champ d'application de la Constitution nouvelle le
premier mandat du président dans son entier, puis le soumettre au
respect de cette même Constitution dans son second alinéa ? La
solution du Conseil constitutionnel semblait donc incohérente et non
fondée juridiquement.
Nous voilà donc en présence de deux
décisions allant dans le sens du maintien du président sortant,
au pouvoir, une première qui trouve un fondement juridique difficilement
critiquable mais politiquement regrettable, et une seconde qui paraît,
quant à elle, tout bonnement infondée en droit, ou du moins
relevant d'une erreur d'interprétation. On constate que, contrairement
au contentieux touchant à la validité des candidatures des
opposants au président sortant, qui se caractérise par une
rigueur dans l'interprétation des conditions
d'éligibilité, le président sortant, quant à lui,
fait l'objet de plus de clémence lorsqu'il s'agit de faire juger de sa
possibilité de se représenter. Une telle analyse conduit à
accentuer les doutes quant à la réelle indépendance des
juges constitutionnels africains, et relance le débat sur la
nécessité de revoir leur mode de désignation. Un tel
constat n'empêche pas de formuler des voeux de changement à
l'intention des juges de la constitutionnalité et de
l'éligibilité actuels, et c'est ce que fait très justement
Alioune Sall à l'égard du Conseil constitutionnel
sénégalais, mais qui ont vocation à s'appliquer aux autres
juridictions africaines : « Ce que nous sommes en droit d'attendre
[...] du Conseil constitutionnel, c'est qu'il soit une institution de
son temps. Dans la trajectoire des juridictions, il se produit des moments
décisifs, des périodes cathartiques, où la manière
de rendre la justice change, non sous le poids de la pression d'acteurs, mais
sous l'aiguillon d'un nouveau contexte social ou
149 Moussa Samb, « De l'art de (mal) juger, Propos d'un
juriste privatiste sur l'arrêt du Conseil constitutionnel du 29 janvier
2012 », El Hadj Mbodj blog, 2012, non paginé.
[Réf du 6 juin 2012]. Format html.
Disponible sur :
http://www.elhadjmbodj.net/index.php?option=com_content&view=article&id=120:apres-la-validation-de-la-candidature-de-wade-propos-dun-juriste-privatiste-sur-larret-du-conseil-constitutionnel-du-29-janvier-2012.
70
politique. Par excellence et par vocation pourrait-on
dire, c'est le juge constitutionnel, d'entre tous, qui est
préposé à ce travail pionnier150
».
Néanmoins, lorsque l'office du juge s'est
avéré insuffisant à garantir le respect des principes
constitutionnels, il faut s'en remettre au texte fondamental afin de rechercher
s'il a mis en place des mécanismes préventifs contre la
volonté d'instrumentalisation de ses dispositions. Contre la
transgression de la norme, cependant, rien de plus efficace que la sanction,
celle-ci remplissant à la fois une fonction de justice et une fonction
de prévention. Il faudra alors rechercher l'existence de la sanction
dans le dispositif juridique à la fois des États africains, mais
également de l'ordre international. Le constitutionnalisme africain se
caractérisant par l'existence d'un hyperprésidentialisme
récurrent, nos recherches se concentreront sur les sanctions à
l'encontre de la personne du président de la République.
150 Alioune Sall, « Interprétation normative et
norme interprétative : à propos des décisions du Conseil
constitutionnel », La constitution en Afrique, 2012, non paginé.
[Réf du 6 juin 2012]. Format html.
Disponible :
http://www.la-constitution-en-afrique.org/categorie-10197864.html.
71
Chapitre 2 : L'existence de sanctions des
détournements des
conditions d'éligibilité ?
La faiblesse de l'État de droit en Afrique,
corrélée à l'hyperprésidentialisme existant dans de
très nombreux États nous amène souvent à avoir
l'impression d'une impunité totale à l'égard des
dirigeants sur le continent. Néanmoins, au-delà des impressions
et des apparences, il serait intéressant de s'interroger sur l'existence
de mécanismes institutionnels, sociaux ou politiques permettant de
lutter contre ce problème d'impunité. Il faut, dans un premier
temps, s'interroger sur l'existence de ces mécanismes et leur
efficacité en interne, c'est-à-dire à l'échelon
étatique, car il s'agit de l'échelon le plus proche du chef de
l'État (Section 1), puis s'interroger sur leur existence et leurs
influences au plan international, un échelon incontournable à
notre ère de mondialisation (Section 2).
Section 1 : La recherche de sanctions internes aux
États
La question des sanctions doit être abordée
largement et, ainsi, englober à la fois les sanctions juridiques et les
sanctions politiques. Lorsque l'on parle de sanctions juridiques, il faut
nécessairement aborder la question de la responsabilité de
l'individu susceptible de faire l'objet de sanctions. En effet, sans
responsabilité, il n'y a pas de sanction et vice-versa.
Néanmoins, la question de la responsabilité du président
de la République ne va pas de soi en droit constitutionnel, puisque, par
exemple, la Constitution française de la ye
République, qui a servi de modèle à de nombreuses
Constitutions africaines, consacre l'irresponsabilité comme règle
de principe. Aujourd'hui, l'option pour la responsabilité juridique du
président de la République est largement partagée par les
États du continent. Il faut donc étudier la forme que prend cette
responsabilité, ainsi que son effectivité (I), le politique
n'étant pas non plus à négliger, puisque dans le contexte
des États africains, il faut rappeler que de nombreuses
évolutions institutionnelles ont été initiées non
pas par des actes juridiques, mais par des actes politiques. Ces actes
politiques prennent diverses formes : coup d'État, soulèvements
populaires, réprobations par les urnes, etc., et il faudra s'interroger
sur l'efficacité des sanctions non juridiques en interne (II).
72
I) La sanction juridique : la question de la
responsabilité du président de la République
La responsabilité du président de la
République, en Afrique francophone, est fortement tributaire du legs de
la Constitution française de 1958, par la référence quasi
unanime à la haute trahison. En effet, dans de nombreux États, la
« haute trahison » est la seule cause permettant d'engager la
responsabilité du chef de l'État. Dans cette mesure, on peut se
demander si cette cause d'engagement de la responsabilité permet de
mettre en accusation un président dans le cas où il aurait
porté atteinte à la Constitution, par une violation pure et
simple du texte ou une instrumentalisation de celui-ci à des fins
personnelles, par exemple. Néanmoins, on constate que, souvent,
l'expression de « haute trahison » n'est pas définie par les
textes et que ceux-ci ne permettent donc pas de savoir si la violation
constitutionnelle est considérée comme telle. Ce silence
constitutionnel se retrouve au Sénégal, au Togo et en Côte
d'Ivoire. Mais, fort heureusement, il y a des États dans lesquels on
apporte plus de précisions sur la notion. Il s'agit, par exemple, de la
Constitution centrafricaine, laquelle, à son article 96,
énumère une liste non exhaustive d'actes susceptibles
d'être qualifiés de « haute trahison ». Parmi ces actes,
on trouve la violation du serment et, si on examine le serment reproduit
à l'article 25, on constate bien que celui-ci fait promettre au
président investi « de ne jamais exercer les pouvoirs qui
[lui] sont dévolus par la Constitution à des fins
personnelles ».
En revanche, d'autres États ont su s'affranchir de la
simple responsabilité pour haute trahison et proposent, en plus de
celle-ci, d'autres causes d'engagement de la responsabilité, autonomes
et qui, pour certaines, sanctionnent directement la violation
constitutionnelle. Ainsi, la Constitution malgache prévoit, à
l'article 131, trois cas d'engagement de la responsabilité
présidentielle, parmi lesquels le cas de « violation grave, ou
de violations répétées de la Constitution ». On
retrouve également ce type de responsabilité dans les
Constitutions non francophones, comme c'est le cas en Angola, où la
Constitution, à l'article 129, prévoit la destitution du
président de la République pour crime de violation de la
Constitution. Seulement, dans ce cas, seule la violation aboutissant à
la violation de l'État de droit démocratique, la
sûreté de l'État ou le bon fonctionnement des institutions
est incriminée. On pourra estimer que l'État de droit
démocratique est violé lorsqu'un opposant est
empêché de se présenter aux élections, car celui-ci
fait peur au pouvoir en place.
73
La sanction déterminante prévue en cas de
condamnation, suite à l'engagement de la responsabilité du
président de la République, est la révocation. Cependant,
en ce qui concerne l'effectivité des textes en la matière, il
faut faire plusieurs remarques. Tout d'abord, la mise en accusation du
président de la République reste très rare sur le
continent africain. Ainsi, Ismaïla Madior Fall ne manque pas de «
souligner le caractère illusoire et chimérique de la haute
trahison ». Selon lui, ce qui rend difficilement applicable les
textes sont « la rationalisation de la procédure de mise en
oeuvre de la responsabilité combinée avec le
phénomène majoritaire, [et] d'autre part aux
conséquences infamantes de la destitution pour haute
trahison151 ». En effet, il est important de souligner que
les instances chargées de mettre en accusation le président de la
République sont généralement les députés de
l'Assemblée nationale et/ou du Sénat, qui sont, dans la plupart
des cas, dévoués à celui-ci.
L'auteur précédemment cité reprend une
observation intéressante selon laquelle « il est admis en fait
et en doctrine que la seule forme de responsabilité
présidentielle qui vaille est, ainsi que le souligne Claude
Emeri152, celle qui se joue devant le corps électoral
à l'occasion de consultations électorales (nationales) ou
référendaires153 ». La menace de la sanction
politique serait donc la seule à dissuader le président de la
République de frauder la Constitution ? Ce qui est sûr, c'est que
la sanction politique n'est pas la seule à pouvoir être mise en
jeu.
II) Les sanctions non juridiques condamnant la
révision constitutionnelle
Les sanctions non juridiques sont de diverses natures,
légales ou illégales ; elles ont de réels impacts sur le
renversement d'un régime. On peut les classer en trois
catégories.
Il y a, premièrement, la sanction par les urnes. Il
s'agit du vote de la population défavorable au dirigeant, à
l'occasion d'un référendum ou d'une élection. Cette
sanction politique est la sanction privilégiée et naturelle du
système de la démocratie électorale, qu'elle soit directe
ou représentative. La particularité du système en Afrique
veut que cette arme soit difficile à utiliser, car la concentration du
pouvoir, les importants moyens de celui-ci et la pratique des fraudes
électorales empêchent bien souvent
151 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des États d'Afrique, Paris,
L'Harmattan, 2008, p 179.
152 Claude Emeri, « De l'irresponsabilité
présidentielle », in Pouvoirs n° 41, « Le
Président », 1987, p. 139.
153 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des États d'Afrique, op. cit.,
p. 179.
74
l'opposition de se mobiliser suffisamment pour
conquérir le vote massif des électeurs. Néanmoins, on
connaît un contre-exemple récent, qui est celui de la victoire du
candidat Macky Sall aux élections présidentielles
sénégalaise de 2012, contre le président sortant Abdoulaye
Wade.
La seconde sanction qui sera évoquée est une
sanction émanant également du peuple, mais qui s'avérera
nécessaire lorsque la mise en oeuvre de la première sanction est
impossible ou non appropriée. Cette sanction témoigne des limites
du système de la démocratie représentative, mais en est
également un principe correcteur : il s'agit de la contestation par des
manifestations de rue. On connaît de nombreux exemples de
soulèvements populaires depuis les indépendances154.
Ceux-ci ont souvent été fortement réprimés et ont
conduit parfois à un durcissement des régimes, notamment à
l'époque du monopartisme. Cependant, des cas récents ont obtenu
des résultats contraires et les soulèvements populaires ont
permis de sanctionner un chef d'État et d'obtenir son départ. Les
révolutions arabes en sont l'exemple le plus marquant.
Enfin, la sanction la plus controversée - mais qui
n'est pas négligeable en Afrique - est le coup d'État. Il s'agit
du recours à la violence en vue de renverser un régime en place.
Le coup d'État se distingue de la révolution dans la mesure
où il n'est pas populaire. Le continent africain a connu de nombreux
coups d'État, et nombre d'entre eux ont été des putschs,
c'est-à-dire qu'ils ont émané du pouvoir militaire.
Néanmoins, lorsque l'on s'interroge sur la possible survenance d'un coup
d'État comme sanction de l'instrumentalisation de la Constitution par le
président de la République, on est, de prime abord, très
sceptique quant aux bonnes intentions que pourraient avoir les acteurs d'un tel
renversement. Néanmoins, le continent africain regorge de surprises et
c'est le cas du putsch intervenu au Niger en 2010, qui a amené le
départ du président Mamadou Tandja à quitter le pouvoir
afin que celui-ci soit remis à des civils. Le président s'est vu
sanctionner dans sa volonté de contourner la Constitution en faisant
voter une nouvelle Constitution, alors même que sa démarche avait
été jugée inconstitutionnelle par la Cour
constitutionnelle. Néanmoins, on ne peut se réjouir de la
prolifération de ces coups d'État, même dits «
démocratiques », puisque ceux-ci contribuent à la
perpétuation du recours à la violence et s'éloigne des
modes normaux de cessation des fonctions présidentielles, tels que la
démission ou la révocation. Or, les États africains ont
besoin de pacification afin de pouvoir une stabilité.
154 On peut citer, par exemple, les nombreuses manifestations
estudiantines pendant le régime du Parti unique.
75
La sanction politique, lorsqu'elle conduit à enfreindre
la Constitution, a la fâcheuse conséquence de créer du vide
autour d'elle, et donc de déstabiliser durablement l'État.
On voit malheureusement que les sanctions internes permettant
de dissuader un président de la République de recourir à
l'instrumentalisation des conditions d'éligibilité en Afrique
sont généralement soit non appropriées à l'exigence
démocratique, soit d'une efficacité faible. Dans ces conditions,
la recherche de sanctions extérieures à l'État est
déterminante en Afrique.
Section 2 : La recherche de sanctions
extérieures
Lorsque les sanctions internes s'avèrent inefficaces
à empêcher la manipulation des dispositions constitutionnelles
déterminant les conditions d'éligibilité, il est naturel
de se tourner vers d'autres voies susceptibles de régler les
problèmes internes. De plus, que l'on s'en réjouisse ou non,
l'intervention extérieure est fréquente en Afrique, qu'il
s'agisse de l'intervention d'autres États africains ou d'institutions
internationales.
Le principe de souveraineté des États ne permet
pas, normalement, de se voir interférer dans les affaires internes.
Néanmoins, il existe des accords signés par les États
africains et qui prévoient l'établissement de sanctions.
Certaines organisations internationales se donnent également
compétence pour agir dans les affaires internes de l'État. Il est
donc intéressant de rechercher les sanctions internationales à
l'échelle du continent africain (I), puis en dehors du continent
(II).
I) Les sanctions à l'échelle du continent
africain
Dans la lutte contre le détournement des conditions
d'éligibilité, et plus largement contre la fraude à la
Constitution, des mesures ont été prises par l'organisation
régionale du continent qu'est l'Union africaine, ainsi que par les
organisations sous-régionales du continent.
Pour ce qui est de l'Union africaine, l'acte
démonstratif de la volonté de l'organisation de lutter contre les
manquements constitutionnels et, plus largement, démocratiques se
traduit dans la Charte africaine de la démocratie, des élections
et de la gouvernance du 30 janvier 2007. L'article 10 alinéa 2 de la
charte vise précisément la question des révisions abusives
de la Constitution aboutissant à remettre en cause la démocratie,
celui-ci disposant que : « Les États parties doivent s'assurer
que le processus d'amendement ou de révision de leur Constitution repose
sur un consensus
76
national comportant, le cas échéant, le
recours au référendum ». Les principes
énoncés par la charte sont supposés être
protégés par le recours à des sanctions en cas de
manquement. Le chapitre VIII, « Des sanctions en cas de changement
anticonstitutionnel de gouvernement », prévoit une
énumération d'actes susceptibles de tomber sous le coup des
sanctions de l'Union. Ainsi, parmi l'énumération des actes
proscrits par la charte, on trouve, à l'alinéa 5 de l'article 23
: « Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des
instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l'alternance
démocratique ». Les sanctions ne sont pas
énumérées de façon claire ni exhaustive. L'article
24 dispose ainsi qu'« Au cas où il survient, dans un
État partie, une situation susceptible de compromettre
l'évolution de son processus politique et institutionnel
démocratique ou l'exercice légitime du pouvoir, le Conseil de
paix et de sécurité exerce ses responsabilités pour
maintenir l'ordre constitutionnel conformément aux dispositions
pertinentes du Protocole relatif à la création du Conseil de paix
et de sécurité de l'Union africaine, ci-après
dénommé le Protocole ». D'autre part, l'article 25
alinéa premier évoque la possibilité de suspension de
l'État concerné aux activités de l'Union. Enfin, l'article
25 alinéa premier établit que « les auteurs de
changement anticonstitutionnel de gouvernement peuvent être traduits
devant la juridiction compétente de l'Union ». En
réalité, on constate que la mise en pratique des sanctions, dans
le cadre de la fraude à la Constitution, est très faible, l'Union
africaine privilégiant la voie diplomatique en la matière.
L'action des organisations sous-régionales n'est pas
négligeable non plus dans le cadre de la lutte contre
l'instrumentalisation des dispositions électorales et plus
précisément de celles qui touchent à
l'éligibilité. L'action de la Communauté économique
des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), par exemple, est
significative en la matière. Les États membres de la CEDEAO ont
signé le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne
gouvernance du 21 décembre 2001. Ce dernier fait, dans son article
premier, une énumération des principes constitutionnels communs
à tous les États membres de l'organisation, parmi lesquels figure
le principe selon lequel « Tout changement anticonstitutionnel est
interdit de même que tout mode non démocratique d'accession ou de
maintien au pouvoir ». L'article 2, issu de la section II
intitulée « Les élections », pose une obligation
à la charge des États, stipulant qu'« aucune
réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir
dans les six mois précédant les élections, sans le
consentement d'une large majorité des acteurs politiques ». Le
volet des sanctions est prévu par le protocole et se trouve à
l'alinéa 2 de
77
l'article 45. Cet article établit que les sanctions
sont prises par la conférence des chefs d'État et que celles-ci
peuvent être prises par graduation. Ces sanctions sont de l'ordre de
trois : refus de soutenir les candidatures présentées par
l'État membre concerné à des postes électifs de
l'organisation, puis refus de la tenue de toute réunion de
l'organisation dans l'État concerné et, enfin, suspension de
l'État dans toutes les instances de la CEDEAO. Le moins que l'on puisse
dire, c'est que ces sanctions strictement politiques sont bien insuffisantes et
peu dissuasives pour les chefs d'État agissant en marge du respect de la
Constitution. Les sanctions susceptibles de venir de l'extérieur du
continent africain ne sont pas à négliger non plus dans leurs
actions en faveur de la lutte pour le respect des valeurs
démocratiques.
II) Les sanctions en dehors de l'Afrique
Les instances internationales non africaines jouent
également un rôle dans la promotion de la démocratie et du
respect des règles constitutionnelles en Afrique. L'Organisation des
Nations unies est considérée par beaucoup comme « un
rempart important pour la promotion des valeurs constitutionnelles
standardisées155 ». Son action est
complétée par celle des organisations régionales du reste
du monde et par les États individuellement.
Les Nations unies manifestent un intérêt certain
pour la lutte contre les détournements constitutionnels, et notamment
pour ceux qui touchent à la question électorale. L'Organisation
craint que les actes anticonstitutionnels ne déstabilisent un pays et,
du même coup, déstabilisent les États limitrophes. Il y
aurait, en effet, « un rapport dialectique qui existe entre droits de
l'homme, démocratie et sécurité
internationale156 ». L'Organisation n'hésite donc
plus à émettre recommandations, avis et résolutions
à l'encontre des chefs d'État cherchant à se maintenir au
pouvoir par tous les moyens, juridiques et non juridiques. Pour ce qui est de
la prise de sanctions par l'organisation, celle-ci doit se faire
théoriquement uniquement lorsque les agissements du chef de
l'État constituent une cause de déstabilisation de plusieurs
États, puisqu'il faut que la paix internationale soit menacée.
Néanmoins, ces dernières années, on a vu
155 Séni Mahamadou Ouédraogo, La lutte
contre la fraude à la Constitution en Afrique noire francophone,
op. cit., p. 229.
156 Ibid., p. 229 citant Nacer-Edine Ghozali, «
Le droit des peuples à déterminer librement leur système
politique, économique social et culturel », Recueil des cours de
l'Académie internationale de droit constitutionnel, vol. XVI, p. 312.
78
l'Organisation intervenir dans des États où le
conflit était purement interne157. Les sanctions des
agissements d'un chef d'État ne sont pas prises à l'encontre de
sa personne mais de l'État, et c'est le chapitre de la Charte des
Nations unies qui met en place le dispositif de mesures visant à
sanctionner. Il y a une gradation dans les prises de sanctions ; celles-ci
doivent être d'abord économiques ou politiques, le recours
à la force ne se faisant qu'en dernier ressort.
À côté des sanctions possiblement
applicables par des organisations politiques, on trouve les sanctions dans des
politiques de coopération pour le développement entre les
États du Nord et les États du Sud. En effet, ces politiques
intègrent dorénavant des considérations politiques
là où elles n'étaient avant qu'économiques. Ainsi,
on peut citer en exemple les relations de coopération de l'Union
européenne avec les États africains. La CEE avait
déjà posé les bases des règles de la
coopération avec les États du Sud, par le règlement
européen n° 443/92 du Conseil du 25 février 1992,
introduisant l'idée selon laquelle le respect des libertés
fondamentales et principes démocratiques était une condition
préalable au développement économique et social, principe
qui sera réaffirmé dans l'accord de Cotonou du 23 juin 2000, un
accord de partenariat unissant l'UE et les pays d'Afrique, des Caraïbes et
du Pacifique (ACP). Cet accord est accompagné d'un dispositif de
sanctions à l'encontre des manquements à la démocratie.
Ces sanctions doivent être en conformité avec les droits
internationaux et proportionnels à la violation158. Il s'agit
de sanctions d'ordre économique.
On constate que malgré le panel de sanctions
susceptibles d'être portées à l'encontre d'un États,
celles-ci ne permettent pas de remplir leur fonction dissuasive à
l'égard des chefs d'État désireux d'instrumentaliser les
textes fondamentaux de leur État.
157 C'est le cas de la Côte d'Ivoire lors des troubles
postélectoraux de 2011.
158 Séni Mahamadou Ouédraogo, La lutte
contre la fraude à la Constitution en Afrique noire francophone,
op. cit., p. 230-233.
79
CONCLUSION GENERALE
Compte tenu de la place centrale du Président de la
République dans le constitutionnalisme africain, les conditions
d'éligibilité à la fonction, font l'objet de nombreux
enjeux. On a vu que dans un premier temps, au sortir des régimes de
Parti unique, la volonté des mouvements populaires rassemblés
dans les Conférences nationales, était de repenser
l'équilibre des pouvoirs au sein de l'État, ainsi que d'y
redéfinir notamment la place du Président de la
République. Un Président de la République se devant alors
d'être non seulement un bon représentant de la volonté du
peuple, mais également un bon gestionnaire des affaires publiques. Les
efforts mis en place pour faire émerger une nouvelle
génération de dirigeants à la tête des États
africains, à travers l'édiction de nouvelles conditions
d'éligibilité, se heurtent à des difficultés de
poids. On a pu en effet, relever des difficultés liées à
la pratique même des garants des institutions constitutionnelles, face
aux conditions d'éligibilité. Ainsi il existe une pratique de
l'instrumentalisation constitutionnelle et une incapacité manifeste des
juges à garantir l'application et le respect de la norme suprême.
Enfin, c'est avec tristesse que l'on découvre que, les
éléments internes et externes susceptibles de constituer des
obstacles aux pratiques antidémocratiques des dirigeants
s'avèrent manifestement insuffisants.
Où rechercher dès lors la cause d'un tel
échec démocratique ? Cet état de fait conduit
nécessairement à s'interroger sur la pertinence du système
institutionnel appliqué en Afrique. En effet, ce dernier semble
générer des obstacles à la réalisation du but
assigné aux conditions d'éligibilité. On observe tout
d'abord, une tendance des systèmes africains à favoriser la
concentration du pouvoir dans les mains du Président de la
République. Puis dans un second temps, on constate une
inadéquation du modèle démocratique choisi par le
constituant originel, avec les réalités socioculturelles
africaines. En effet, comme il a déjà été dit, on
sait que le modèle démocratique occidental appliqué dans
les États africains, est fortement éloigné des modes de
pensées traditionnels africains. Ces derniers ne connaissent pas, par
exemple, la logique individualiste qui domine largement le modèle
démocratique occidental. De plus, les conditions
d'éligibilités élaborées sur la base de ce
modèle ont pour conséquence, de ne pas favoriser une
adéquation entre les caractéristiques choisies pour pouvoir
occuper le
80
poste de Président de la République et les
aspirations des sociétés africaines elles même. Il
semblerait que ce que veulent les élites dirigeantes ne corresponde pas
à ce que veut le peuple.
Ce sont au contraire les liens étroits entre un
dirigeant et la société qu'il dirige qui permettront de garantir
une bonne gestion des affaires publiques. Une telle proximité passe par
la connaissance pour le dirigeant, des évènements historiques et
des modes de pensée philosophiques, moraux et spirituels qui
caractérisent l'Afrique d'aujourd'hui. Ces divers éléments
constitutifs de la façon de penser africaine, trouve leur source d'une
part dans l'Afrique précoloniale, et sont également issus
d'influences extérieures diverses. Ces influences extérieures
sont essentiellement occidentales, du fait de la colonisation et de la
mondialisation de la pensée occidentale. Cependant, si la pensée
occidentale est bien véhiculée en Afrique à travers des
institutions africaines découlant de son modèle, la pensée
et les systèmes politiques de l'Afrique précoloniale sont peu
étudiés. Néanmoins ces derniers structurent largement
encore la vie des sociétés africaines et constituent un socle de
références commun aux États du continent, qui
permettraient de remettre en adéquation le fait juridique légal
avec la réalité normative africaine. Ainsi les choix politiques
des classes dirigeantes pourront-ils se mettre plus en conformité avec
les réalités socioculturelles du continent.
En tant que points de référence
fondamentaux159, les régimes politiques démocratiques
de l'Afrique précoloniale, nous fournissent de bels exemples de
régime dans lesquels peu de place était laissée à
la possibilité d'abus de pouvoir. Ainsi sur les classes dirigeantes
à l'époque précoloniale Mbog Bassong nous apprend qu'
« en générale, la royauté africaine et la
chefferie sont considérées comme sacrées. Malgré ce
fait majeur, ce droit considéré comme divin en vue de la
régulation harmonieuse de la société ne met pas le chef ou
le roi au dessus de la loi. L'autorité est limitée ici par la
constitution, et sa désignation n'est pas automatique. Très peu
de cas nous montrent un chef tyrannique. Il existe en général un
conseil ou collège de mandataires qui veille au respect des normes
régissant le gouvernement et auxquelles il est bien entendu
assujetti.
159 Fondamentaux d'une part, car à l'origine des
institutions politiques traditionnelles africaines, et d'autre part au regard
du fort intérêt scientifique que doivent susciter ces
régimes hautement démocratiques.
81
Ce conseil est aussi habilité à
désigner le chef selon des critères bien
définis»160. La rigueur avec laquelle
l'équilibre entre pouvoir et responsabilité est respectée
est la clé du succès de ces systèmes passés. En
Afrique précoloniale, il n'est pas de pouvoir sans responsabilité
et le premier principe découle du second. C'est donc en
réalité un déséquilibre entre ces deux notions qui
a été institué dans les États africains
contemporains161. Il faut donc souhaiter à l'avenir un
meilleur respect d'un tel équilibre, dans l'intérêt non
seulement de la progression démocratique africaine, mais
également de la progression démocratique mondiale.
160 BASSONG Mbog, Les fondements de l'État de droit en
Afrique précoloniale, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 83. Les
critères de désignations des chefs ici évoqués
reposent essentiellement sur l'ancienneté, à la fois de la
personne qui a vocation à gouverner, et à la fois à celle
de sa génération.
161 Il existe de nombreuses prérogatives
attachées à la fonction présidentielle dans le
constitutionnalisme africain actuel, alors même que le régime de
responsabilité est quasi-inexistant.
82
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88
Table des matières
REMERCIEMENTS 2
ABRÉVIATIONS 3
SOMMAIRE : 4
INTRODUCTION 5
PARTIE I : LE DROIT POSITIF DES CONDITIONS
D'ÉLIGIBILITÉ ENTRE VISÉES
DÉMOCRATIQUES ET RÉALITÉS
ANTIDÉMOCRATIQUES 13
CHAPITRE 1 : LE DROIT POSITIF DES ÉTATS
AFRICAINS ORIENTÉ VERS LA RECHERCHE QUALITATIVE EN
MATIÈRE DE CANDIDATURE PRÉSIDENTIELLE 14
Section 1 : Des conditions d'éligibilité
classiques opérant une sélection restrictive 14
I) Les raisons de l'option généralisée pour
une condition de nationalité restrictive 15
II) La condition d'âge favorise la maturité au
plus haut niveau de l'État 17 Section 2 : Des conditions
d'éligibilité de bonne gouvernance encadrant fermement la
personne du
candidat 20
I) Les conditions d'éligibilité relatives aux
qualités personnelles de gouvernant 20
II) Les conditions d'éligibilité relatives
à l'environnement du futur candidat 22 CHAPITRE 2 : LA LIMITATION DU
NOMBRE DE MANDATS, INSTRUMENT DE LA VOLONTÉ DE LIMITATION
DU POUVOIR 25
Section 1 : La tendance majoritaire de la limitation du
nombre de mandats à deux, une volonté
d'encadrement du pouvoir difficile d'application 26
I) Un droit positif laissant subsister une limitation à
deux mandats au sens ambigu 26
II) Le difficile processus de maintien de la limitation à
deux mandats dans le constitutionnalisme
africain ... 28 Section 2 : La tendance minoritaire de
l'exercice de plus de deux mandats, une volonté de limiter le
pouvoir sous contrôle 30
I) La recherche du compromis par la clause limitant uniquement
les seuls mandats successifs 31
II) Le phénomène de progression croissante de
l'absence de limitation du nombre de mandats 32
PARTIE II : DES CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ
LIMITÉES DANS LEUR MISSION PAR LE
PROBLÈME DE LEUR INSTRUMENTALISATION
35
CHAPITRE 1 : LES FORMES ANCIENNES ET NOUVELLES DE
L'INSTRUMENTALISATION DES CONDITIONS
D'ÉLIGIBILITÉ 36
Section 1 : L'exemple de l'instrumentalisation des conditions
d'éligibilité sous le monopartisme 36
I) Détournement des conditions
d'éligibilité sous le monopartisme de fait 37
II) Neutralisation des conditions d'éligibilité
sous le monopartisme de droit 39 Section 2 : Typologie de la pratique de
l'instrumentalisation dans le néo-constitutionnalisme
africain 40
I) La pratique des révisions constitutionnelles
antidémocratiques 41
II) La pratique de l'interprétation biaisée des
conditions d'éligibilité 43
89
CHAPITRE 2 : LES FAILLES DU CONSTITUTIONNALISME
AFRICAIN FAVORISANT LE DÉTOURNEMENT DES
CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ 45
Section 1 : Les failles du constitutionnalisme africain
favorisant la pratique de la révision
constitutionnelle antidémocratique 45
I) Les failles favorisant le phénomène 45
II) Éléments de solution 47 Section 2 : Les
failles du constitutionnalisme africain favorisant la pratique de
l'interprétation
biaisée des conditions d'éligibilité
49
I) Les failles favorisant le phénomène 49
II) Éléments de solution 52
PARTIE III : L'EXISTENCE DE FREINS À
L'INSTRUMENTALISATION DES CONDITIONS
D'ÉLIGIBILITÉ ? 54
CHAPITRE 1 : LE CONTRÔLE DU JUGE CONSTITUTIONNEL
DANS L'ÉLABORATION ET L'APPLICATION DES
CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ 55
Section 1 : Le contentieux de la révision
constitutionnelle 55
I) Le contrôle de la forme 56
II) Le contrôle du fond 59
Section 2 : Le contrôle du contentieux de
l'éligibilité aux élections présidentielles
63
I) Le contentieux de la réalisation des conditions
d'éligibilité 63
II) Contentieux de l'éligibilité par rapport
à la limitation de mandat 66
CHAPITRE 2 : L'EXISTENCE DE SANCTIONS DES DÉTOURNEMENTS
DES CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ ? 71
Section 1 : La recherche de sanctions internes aux
États 71
I) La sanction juridique : la question de la
responsabilité du président de la République 72
II) Les sanctions non juridiques condamnant la révision
constitutionnelle 73
Section 2 : La recherche de sanctions extérieures
75
I) Les sanctions à l'échelle du continent africain
75
II) Les sanctions en dehors de l'Afrique 77
CONCLUSION GENERALE 79
BIBLIOGRAPHIE 82
TABLE DES MATIÈRES 88
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