2. ADAPTATIONS ET « MÉCANISMES DE
DÉBROUILLE »
En réponse à la première partie de notre
analyse, nous signifierons à présent du caractère complexe
des moyens déployés par les CS pour répondre aux objectifs
qui leur furent assignés a priori.
Les CS parviennent dans une certain mesure, à assurer
une forme de continuité au « Projet Intégré de
santé dans la région des Savanes », malgré tout les
aspects abordés ci-dessus. Les CS développent, dans certains cas
des procédés ou stratégies, dont 3ASC ne semble
pas toujours informé. En ce sens, ce deuxième aspect
reflète ce qu'Olivier de Sardan nomme une « dérive
»163, autrement dit un décalage entre
les buts assignés et les réalisations
effectuées.
Ceci résulte d'une forme d' « adaptation »
à la conjoncture en présence. « C'est en effet dans le cadre
cognitif et normé du populisme bureaucratique que les acteurs
construisent leurs intérêts et élaborent alors des
stratégies pour les promouvoir. Ces stratégies sont alors
dépendantes de variables telles que la conjoncture, l'organisation
hierarchique des organisations de développement, les
particularités nationales ou la « culture d'organisation »
»164.
Ceci étant, nous nous appuierons, sur notre
deuxième hypothèse, de façon à orienter le canevas
de notre analyse. Celle-ci fut formulée dans les termes suivants (voir
I. 2.3. Hypothèses) :
162 Chauveau, J.-P., op. cit., pp. 45-46.
163 Olivier de Sardan, 1995a, op. cit., p. 140
164 Chauveau, J.-P., Ibid., p. 50.
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« En réponse aux dysfonctionnements
relevés, les Commissions Santé s'adaptent à la situation
et développent des initiatives dans le souci d'assumer leur
responsabilité sur la scène sanitaire locale »
Certains comportements innovants, permettent de faire face aux
difficultés survenant dans l'exercice de leur fonction. Malgré
les entraves du dispositif actuel, ces acteurs tendent à
affirmer leur « capacité de résilience »165.
Pour ce faire, nous rendrons compte de ces « mécanismes de
débrouille » qui furent portés à notre attention. Il
s'agit principalement de cas particuliers rencontrés au cours de nos
entretiens qui méritent, à notre sens, d'être mis en
lumière.
2.1.Autofinancement
Il fut décidé au sein de la CS de Bougou,
Tône, que lors de chaque réunion, l'ensemble des membres reversait
une somme convenue à la collectivité pour subvenir aux
dépenses relatives à leur groupement. De plus, une forme de
pénalité fut imposée aux retardataires. De ce fait, afin
de récolter et conserver les fonds sans difficulté, ils
décidèrent de choisir en interne un trésorier. Cette
initiative permit de pallier un autre problème majeur : la
dépendance financière vis-à-vis des bailleurs de fonds et
de l'ONG 3ASC.
« On a dit que pendant les réunions, c'est
important que tout le monde soit à l'heure, parce que quand on arrive
pas à l'heure on peut pas parler. Et on avait dit que celui qui vient en
retard, il doit payer 50 francs, parce que les autres, ils ont laissé
leurs travaux, ils sont à l'heure, et toi tu es dans tes travaux, tu
n'arrives pas à l'heure. Donc on fait ça. Les gens, ils viennent
à l'heure maintenant. Bon et sinon on avait dit que à chaque
réunion, chacun doit donner cent francs, parce que des fois, il y a des
déplacements, on peut payer comme ça vers Dapaong ou là,
parce que des fois, on te demande, comment on va aller ? Il faut se
déplacer. Bon pour les déplacements, où il faut trouver
ça ? La personne ici n'en a pas dans sa poche, donc il est obligé
puisque sinon il ne peut pas aller. On a choisi un trésorier, chaque
réunion, chacun donne 100 francs, 100 francs, on note, on donne au
trésorier, il garde ça. À chaque réunion, 700
francs pour la Commission et on garde. Mais bon, celui qui arrive en retard, il
peut donner 150 francs, donc ça peut monter » [Président de
la CS de Bougou, Tône].
Par ailleurs, la CS de Nanergou, Tône a
décidé récemment d'appliquer le même système
:
165 Chauveau, J.-P., op. cit., p. 52.
103
À chaque réunion, tous les deux mois, nous
mettons maintenant de l'argent dans une cagnotte, cent francs, deux cents
francs par personne, selon les moyens, le 20 de chaque deux mois nous
récoltons des petits fonds. Comme ça en cas de problème,
nous pouvons utiliser cet argent, avec ça maintenant on peut
démarrer. C'est de l'argent de notre poche, mais on considère que
ce n'est pas grand chose. Comme on n'a pas de moyens, on doit faire quelque
chose, chaque deux mois, on met quelque chose. Comme ça, si on vous
appelle à une réunion très urgente, et il doit venir, avec
quoi maintenant il va aller ? Si il y a l'argent maintenant, on peut prendre
dedans, mille francs ou mille cinq-cents francs pour lui remettre, il va
prendre un zem [moto-taxi], aller-retour, c'est bon » [Membre de la CS de
Nanergou, Tône].
Il continue son explication par rapport au manque de moyens
pour superviser correctement le travail des ASC.
« Concernant les fiches de rapport des ASC. On nous remet
une fiche et nous on va photocopier ça à nos frais et puis
partager ça aux ASC, or il y a une photocopieuse à 3ASC. Vous
voyez, ce n'est pas normal. On ne nous donne pas l'argent pour aller faire
ça. On doit toujours mettre la main à la poche, alors qu'il y a
des moyens. C'est pour ça, par exemple, qu'on a mis en place ce
système de cagnotte » [Membre de la CS de Nanergou].
La CS de Namoudjoga, Kpendjal, tente quant à elle, de
mettre en place des initiatives génératrices de revenus, en
partenariat avec les populations de son aire sanitaire afin d'utiliser ces
ressources financières a posteriori pour se rendre vers le
centre de santé et augmenter les adhésions à la mutuelle
de santé, et ainsi bénéficier de soins de santé de
plus ample qualité.
« Il dit, c'est toujours le même problème de
moyens financiers que la population rencontre, mais quand même il arrive
souvent qu'ils appuient la population à mener des activités
génératrices de revenus afin de pouvoir subvenir à leurs
besoins, ils leurs donnent des conseils sur le jardinage, sur les
activités champêtres, qui peuvent leur permettre d'avoir un peu de
sous pour pouvoir s'adhérer à la mutuelle et venir plus vite vers
le centre. C'est aussi un rôle qu'ils mènent et ils auraient bien
besoin de l'appui pour faire la promotion de cette initiative, de ces
activités génératrices de revenus. Ceci pourrait augmenter
les revenus de la population et par conséquent augmenter le taux de
pénétration de la mutuelle de santé » [Traduction
d'un membre de la CS de Namoudjoga, Kpendjal].
Par ailleurs, un membre de la CS de Sanfatoute, Tône a
effectué un plaidoyer pour détourner une certaine somme d'argent
destinée à un autre effet pour améliorer les conditions
matérielles du centre.
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« Moi j'ai fait aussi un plaidoyer au niveau de Bonfonden
la semaine passé et que, ça a marché quand même.
Parce que chez nous à Bonfonden là-bas, chaque mois il y a le
parrainage des enfants qui arrive. Bon, et moi j'avais dit, les mois
passés, on a acheté les nattes et tout pour le jardin d'enfants
qui nous entoure, cette fois-ci on a eu aussi un parrainage, mais l'argent
n'était pas beaucoup, c'était 28.000 [42 €] comme ça.
Mais au cours des propositions, j'ai dit bon, est-ce qu'il ne pourrait pas
appuyer l'USP avec quelque matériel pour que ça nous aide. Les
gens ont compris la proposition, et on a décidé d'acheter 20
litres de pétrole pour la chaîne de froid pour garder bien les
produits, on a proposé d'acheter aussi 10 litres d'alcool au moins pour
déposer à la salle de pansements, comme ça quand les gens
ils viennent on peut essayer de nettoyer aussi leurs plaies, ensuite le coton
et les bandes. Donc aujourd'hui le président du COGES est parti
là-bas, il est membre aussi de la Commission, ils vont acheter ça
demain matin pour l'USP, bon c'est un pas, une petite chose. Ça peut
aller » [Membre de la CS de Sanfatoute].
Ces différentes mesures mentionnées ci-dessus
témoignent d'une volonté propre de la part des CS de subvenir
à leurs propres besoins de commissionnaires face aux problèmes
financiers qui les touchent. De telles initiatives permettent une forme de
continuité, du moins tendent-elles à résoudre certaines
difficultés quotidiennes et ainsi à répondre à
quelques unes des tâches qui leur incombent.
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