1.1.2. Les compétences et formations
Les CS ont été dotées d'un statut
particulier, se trouvant en interface avec deux mondes distincts qui
éprouvent, non sans peine, des difficultés de
compréhension mutuelle. Elles sont pourvues, a priori, d'une «
double fonction de « porte-parole » des savoirs
technico-scientifiques et de médiateur entre ces savoirs
technico-scientifiques et les savoirs populaires.
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Ce double rôle n'est pas sans relever de l' «
injonction contradictoire » (double bind) : d'un
côté l'agent de développement doit prôner les savoirs
technico-scientifiques contre les savoirs populaires, de l'autre il doit les
« marier » l'un à l'autre »138. Le
problème étant que les agents n'ont pas toujours les
compétences requises pour prétendre à exercer cette
fonction. Davantage, ils n'ont jamais été formés
correctement par 3ASC à cet effet. Ainsi, certains CS ne
perçoivent pas l'utilité réelle de leurs agissements et
finissent par se sentir inutiles, d'autant plus qu'elles se trouvent sous
l'emprise de 3ASC ; les RFS, n'ayant au final, qu'une existence fort
abstraite.
La multiplication des rôles qui leurs ont
été attribués, à l'aune de différents
savoirs, les soumet à des pratiques qui sont concrètement,
difficilement réalisables. De ce fait, « tout « message
technique », tout projet de développement, toute intervention sont
des packages, des ensembles de mesures coordonnées et prétendent
à la cohérence. Aucun ensemble proposé n'est jamais
adopté « en bloc » par ses destinataires : il est toujours
plus ou moins désarticulé par la sélection que ceux-ci
opèrent en son sein »139. Dans ce cadre, les CS, bien
que sollicitées pour des brèves formations, peinent à
s'intégrer au monde de la conception bureaucratique - qui n'est pas le
leur - et à remplir les attentes escomptées par les intervenants
externes. « On voit mal par ailleurs comment les cultures professionnelles
locales pourraient être modifiées « par en haut » de
façon technocratique : on sait les échecs des réformes
multiples qui ont été mises en place en Afrique depuis vingt ans,
à travers les administrations de la santé ou à travers les
« projets » »140.
Toutefois, en 2008, après la mise en place des CS, la
validation des enquêtes et sondages, l'identification des
problèmes de santé des aires sanitaires et l'élaboration
des plans d'actions de résolution de ces problèmes, les CS ont
été formées quelque peu à leurs fonctions. Il
s'agissait de leurs enseigner différents aspects concernant la
qualité des soins et à leur nouveau « rôle » de
« représentants » des populations villageoises. Depuis, 3ASC
organise chaque année un « atelier de recyclage » de deux
jours à destination des CS dans le but de renouveler leurs
connaissances, notons toutefois que les thématiques abordées sont
identiques chaque année. La première journée se
résume en un « brainstorming-exposé »141, se
voulant participatif, consistant à rappeler les attributions des CS et
« les différents aspects de la qualité des soins
»142. La deuxième journée, quant à elle,
se déroule autrement : chaque CS se regroupe, formule en interne le
bilan annuel des activités menées et élabore le «
plan d'actions » pour l'année à venir. Elles consignent
l'ensemble des faits sur une simple feuille
138 Olivier de Sardan, 1995a, op. cit., pp. 155-156.
139 Olivier de Sardan, 1995a, Ibid., p. 133.
140 Olivier de Sardan, 2003, op. cit., p. 293.
141 Document 3ASC, 2008, Recyclage des membres des
Commissions Santé et des ICP, Termes de
références.
142 Document 3ASC, 2008, Ibid.
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A4. Le caractère réducteur de ce processus est
de mise. À la fin de cet atelier, chacun vient prendre son dû et
rentre dans son village respectif ; le cycle peut recommencer pour les CS.
Les accomplissements ne sont pas récompensés, les
échecs ne sont pas sanctionnés. Aucune
répercussion n'est à mentionner ; les activités sont
simplement reprogrammées pour l'année suivante. Face à ce
constat, 3ASC devrait impérativement fixer « des objectifs et non
pas seulement (É) des actions »143.
Un des problèmes majeurs de ces formations est qu'elles
se cantonnent à une vision « vulgarisatrice ». En d'autres
termes, elles n'intègrent aucunement « la culture professionnelle
locale (É). Les formations apparaissent alors comme des «
parenthèses » où l'on discourt gentiment des normes
officielles, avant de revenir aux routines habituelles de la vie
professionnelle réelle »144. À notre demande, un
tour de parole recensant les difficultés que les CS sont amenées
à rencontrer fur opéré. En l'absence de ce dernier, cette
formation n'eut été que la simple transmission d'un message sous
sa forme la plus passive.
Il convient également de se pencher sur le
fonctionnement effectif de ces formations. Il paraît nécessaire de
rendre compte du langage qui y est déployé. L'exposé
PowerPoint est exclusivement en français. Cependant, un nombre
important de personnes présentes ne pratique pas l'usage de cette
langue, d'autres sont illettrées. Malgré tout, ces séances
se font conjointement en français et en moba. Mais par delà la
simple traduction, nous sommes face à une « mise en rapport de
champs sémantiques différents, de différentes
façons de découper ou penser la réalité
»145. Nous sommes résolument en présence d'un
« langage-projet »146 qui valorise les bienfaits de son
dispositif. De ce fait, « le problème de la transmission
d'un « message technique » aboutit toujours à cette fameuse
confrontation de deux systèmes de sens, au coeur de laquelle l'agent de
développement se trouve placé »147. Autrement
dit, le « langage-projet » ne trouve résolument pas sa place
en interne. Cependant, il « est indispensable à la reproduction du
projet et à la perpétuation des flux de financement : c'est lui
qui définit à l'intention des bailleurs de fond la «
personnalité » du projet (É). [Le « langage-projet
»] est également une des composantes de l'identité
professionnelle des cadres du projet, qui affirment en l'utilisant
régulièrement leur position propre dans la configuration
développementiste locale, et légitiment grâce à lui
leur compétence et leur utilité sociale »148.
143 Muller, J-D., 1989, Les ONG ambiguës. Aides aux
Etats, aides aux populations ?, L'Harmattan, Logiques sociales, Paris, p.
197.
144 Olivier de Sardan, 2003, op. cit., p. 293.
145 Olivier de Sardan, 1995a, op. cit., p. 158.
146 Olivier de Sardan, 1995a, Ibid., p. 166.
147 Olivier de Sardan, 1995a, Ibid., p. 158.
148 Olivier de Sardan, 1995a, Ibid., p. 169.
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Il faut admettre que les critères de sélection
qui furent mis en avant lors du processus de mise en place des CS
n'étaient pas suffisamment stricts. Le niveau d'instruction ne fut pas
retenu comme un élément décisif. En conséquence,
nonobstant le fait que les formations se déroulent en «
langage-projet », le contenu ne peut-être que foncièrement
basique. En ce sens, les formations ne peuvent porter sur la
présentation de programmes trop spécialisés ou
l'étude de maladies spécifiques ; ce qui - suivant une
perspective projet - aurait été nécessaire pour un travail
de sensibilisation pointilleux et ciblé.
Mais que les choses soient claires, « si on n'a pas
« appris » aux agents de développement à être des
médiateurs, cela ne signifie en rien qu'un tel rôle n'existe pas,
ou qu'il ne soit pas indispensable : cela signifie simplement qu'il est mal ou
très mal rempli (É). Ne disposant pas des compétences
nécessaires à la médiation entre savoirs, les agents de
développement assurent cette médiation de façon
inappropriée ou unilatérale »149.
De ce fait, ces CS sont résolument en présence
de ce qu'Olivier de Sardan nomme une « triple fonction
»150, remplie d'antinomies et d'incohérences, qui
s'avère à bien des égards, difficile à
réaliser :
- « la défense de leurs propres
intérêts personnels,
- la défense des intérêts
de l'institution,
- la médiation entre les divers
intérêts des autres acteurs et des factions locales
»151.
De ce fait, devant une situation si équivoque, les
nouveaux « représentants » éprouvent bien des
difficultés à s'insérer véritablement dans le
décor sanitaire.
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