Section 2 : La sélectivité des interventions
des Nations Unies
Toute intervention militaire à l'initiative de la
Communauté Internationale est le fruit d'intenses tractations
menées au sein du Conseil de sécurité. La mise en oeuvre
de la responsabilité de protéger par des moyens armés ne
saurait se passer du concours de la diplomatie de couloir aux issues
incertaines. Il est nécessaire de rallier tous les membres permanents
à la cause de l'intervention projetée pour éviter qu'un
veto ne la bloque au dernier moment. Deux cas contemporains témoignent
de l'ambiguïté de cette démarche qui, selon qu'elle
réussit ou qu'elle échoue, occasionne toujours d'innombrables
interrogations. A-t-on vraiment assisté à une intervention
protectrice en Libye ? (Paragraphe 1) Sommes-nous les
témoins d'une inaction historiquement coupable voire complice en Syrie ?
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'intervention protectrice en Libye
?
L'intervention en Libye revêt une connotation
particulière du fait qu'elle est, pour beaucoup d'auteurs, la
première matérialisation de la responsabilité de
protéger. C'est en effet avec la résolution 1973 (2011) que, pour
la première fois, le Conseil de sécurité autorise une
intervention armée sur la base de la responsabilité de
protéger assumée par la Communauté Internationale. Les
attentes suscitées étaient donc très nourries. La
légalité de l'intervention
74 - DEFARGES, (Ph. M.), op.cit., p.168
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
armée ne souffrait d'aucun doute car celle-ci avait
été avalisée par le Conseil de sécurité S.
Aussi, visait-elle la protection des civils. L'autorisation donnée dans
ce sens était sans ambages et consistait, pour la coalition d'Etats
bénéficiaires, à « prendre toutes les mesures
nécessaires pour protéger les populations et zones civiles
menacées d'attaque en Jamahiriya arabe libyenne (...) tout en excluant
le déploiement d'une force d'occupation étrangère sous
quelque forme que ce soit et sur n'importe quelle partie du territoire
libyen»75. Ainsi, les opérations se devaient
d'être exclusivement aériennes ou navales et uniquement
motivées par des exigences humanitaires.
A l'analyse, force est de constater que cette double exigence
que comportait la résolution 1973 a été violée de
manière flagrante par un changement d'objectif en cours de route. En
effet, en conditionnant l'arrêt des violences au départ du colonel
Kadhafi, le président américain Barack Obama, le Premier ministre
britannique David Cameron et le président français Nicolas
Sarkozy, malgré le fait qu'ils soutenaient mordicus que
l'opération « Protecteur Unifié » n'avait pas
pour but de renverser le régime, ont implicitement visé sa
déchéance. Dès lors, on peut difficilement nier qu'avec
cet objectif non avoué « les Occidentaux ont finalement
donné à la « responsabilité de protéger »
un aspect de légitimation juridique dans le dessein de s'ingérer
dans les affaires intérieures libyennes »76. Un tel
usage de la responsabilité de protéger est évidemment
proscrit, car il ne s'inscrit pas dans la logique de protection propre à
l'esprit du concept. Par ailleurs, il est de nature à augmenter la
frilosité de certains Etats, déjà bien sceptiques, par
rapport à la notion.
Au final, le mandat donné par la résolution 1973
(2011) a été très librement interprété. Au
lieu de se limiter à la mise en place d'une zone d'exclusion
aérienne, les Français et les Anglais ont fini par engager des
hélicoptères de guerre pour se rapprocher du sol libyen. En
outre, les forces de l'OTAN se sont davantage appliquées à
assister militairement les insurgés qu'à protéger les
civils ; ce qui est allé à l'encontre de la résolution
fondant le cadre légal de leur action. Le paroxysme aura cependant
été la livraison d'armes aux rebelles libyens, symbole d'un parti
pris intolérable et vraisemblablement contraire à
l'éthique du droit international. Tout cela a fini par témoigner
d'une interprétation largement extensible de la résolution
autorisatrice.
75 - Résolution 1973 du 17 mars 2011. Document S/RES/1973
(2011).
76 - JASSON, (M.-A.), « L'intervention de l'OTAN en Libye
: `'responsabilité de protéger `' ou ingérence ? »,
IRIS, 18 octobre 2011.
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
En somme, le dévoiement de cette résolution qui
était perçue comme une avancée majeure dans le
fonctionnement du Conseil de sécurité, notamment avec
l'abstention de la Chine et de la Russie à user de leur droit de veto, a
de fortes chances de compromettre l'avenir de la responsabilité de
protéger. L'idée d'un précédent libyen est de
nature à susciter un recours beaucoup plus systémique au droit de
veto de la part du couple sino-russe. Les effets pervers seraient d'ailleurs
déjà perceptibles dans le conflit syrien qui baigne dans
l'impasse et met en plein jour les lacunes du Conseil de
sécurité.
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