Titre Premier : Le droit de veto, un obstacle à
la responsabilité de protéger
Le droit de veto et la responsabilité de
protéger obéissent à des logiques différentes voire
paradoxales. En effet, si le droit de veto reste un privilège unique des
membres permanents du Conseil de sécurité dont il sert les
intérêts, la responsabilité de protéger se veut
universelle et progressiste. Seulement, la mise en oeuvre de cette
dernière dans le cadre des Nations Unies nécessite le
consentement des membres permanents, détenteurs du droit de veto. Cette
dépendance de la responsabilité de protéger au veto en
fait deux principes qui entrent souvent en conflit. Tout porte ainsi à
croire que ces deux notions essentielles du système onusien moderne
n'ont ni la même dynamique (Chapitre I) ni la même
finalité (Chapitre II).
Chapitre I : L'antinomie de leur dynamique
Si le droit de veto est plus enclin à la défense
des intérêts des membres permanents du Conseil de
sécurité, la responsabilité de protéger est
censée assurée la paix et la sécurité à tous
les êtres humains où qu'ils se trouvent. Cela fait que le droit de
veto favorise le statu quo (Section 1) tandis que la
responsabilité se présente tel un gage d'humanisme dans les
relations internationales (Section 2).
Section 1 : Le droit de veto, reflet d'un statu quo
injustifié
Le statu quo à l'ONU favorise le maintien du
droit de veto qui se présente comme un anachronisme du système
onusien (Paragraphe 1) prompt à entraver la
capacité de décision du Conseil de sécurité
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Un anachronisme du système
onusien
Un esprit averti comme BOUTROS-GHALI a pu constater que
« l'ONU est restée inchangée dans ses structures et dans
ses modes de fonctionnement depuis cinquante ans, alors qu'on assistait, dans
le même temps, à la fin de la Guerre froide et à une
redistribution des pouvoirs au sein de la famille des nations sur fond de
mondialisation »24. Ce constat reste d'actualité
surtout en ce qui concerne le privilège du droit de veto qui est
diversement apprécié. En effet, si historiquement sa
consécration pouvait valablement se justifier, aujourd'hui cela semble
être de moins en moins évident.
Sur le plan historique, la deuxième guerre mondiale
avait fini de dévoiler les limites du système de
sécurité collective mis en place par le Pacte de la
Société des
24 - Ibid.
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
nations. La consécration du droit de veto devait alors
permettre aux vainqueurs de maintenir cette paix pour le moins fragile. Pour
ces puissances, le veto était surtout un « moyen de
circonscrire le champ du système de sécurité collective en
fonction des grandes orientations de leurs politiques»25.
Il matérialisait ainsi l'entente tacite et la promesse mutuelle
entre les Grands qui ne pouvaient agir les uns contre les intérêts
des autres. Pour Serge SUR, l'histoire de l'ONU montre que « (...) le
droit de veto est à l'origine même de Charte. A Yalta, c'est la
seule question relative à la future organisation qui ait vraiment
intéressé les Trois Grands- en d'autres termes, pas d'ONU sans
droit de veto »26. Tout cela prouve à juste titre
la valeur historique du droit de veto qui apparait ainsi tel un principe
fondateur du système onusien.
Cependant, il faut bien dire que le monde a
évolué depuis. Les équilibres aussi. Les Grands d'hier ne
sont pas forcément les puissances d'aujourd'hui. Pour illustrer ce
propos, CHAPENTIER écrit : « la qualité de grande
puissance, attribuée nommément par la Charte aux vainqueurs de la
seconde Guerre Mondiale ; ne correspond plus nécessairement à la
situation du monde contemporain, mais reste figée par les conditions de
la procédure de révision »27. La nature et
l'ampleur des menaces aussi ont connu des mutations notoires. Ce qui
était nécessaire, il y a plus d'un demi-siècle, ne l'est
forcément plus aujourd'hui. Les arguments en faveur du privilège
du droit de veto semblent emportés dans ce tourbillon de mutations
internationales continues et perdent progressivement leur force.
Par ailleurs, le caractère « vieillot »
du droit de veto est maintenant largement admis et dénoncé
par des certaines voix bien autorisées. Déjà, le
Rapport du Groupe des personnalités de haut niveau sur les menaces,
les défis et le changement intervenu en décembre 2004
faisait remarquer à son propos : « Il reste que cet
élément a un côté anachronique qui sied mal à
l'institution, étant donné l'avancée de la
démocratie(...) » 28 . Le veto serait donc devenu
antidémocratique. Il existe, en effet, un déphasage entre
l'exigence de démocratisation de tous
25 - Rapport des Facilitateurs à la Présidente
de l'Assemblée générale sur la concertation sur la
« Question de la représentation équitable au Conseil de
sécurité et de l'augmentation du nombre de ses membres ainsi que
d'autres
questions relatives au Conseil de sécurité
», Nations Unies, New York 19 avril 2007.
26 - SUR, (S.), op.cit.
27 - CHARPENTIER (J.), Institutions internationales,
Paris, Editions Dalloz, 2009, p.56
28 - Paragraphe 256 du Rapport du GPHN, op. cit.
Cheikh Kalidou NDAW, Mémoire de Maîtrise Droit
Public, option Droit des Collectivités Locales, UFR SJP, UGB,
2012-2013.
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Le droit de veto et la responsabilité de protéger
des Nations Unies
les Etats du monde incarnée par le Conseil de
sécurité et l'apparent manque de démocratie que
reflète le droit de veto. On note ainsi un fonctionnement par
intermittence de l'organisation mondiale qui contraste fortement avec le besoin
croissant d'une capacité de réaction rapide afin de
répondre à des urgences causées par des violations
massives des droits humains fondamentaux. Cette situation fait d'ailleurs que
ZAMBELLI n'ait pas hésité à qualifier le droit de veto de
« vestige d'une époque révolue » qui n'a que
« déjà trop longtemps survécu au coeur même
de l'architecture institutionnelle de l'ONU »29.
Il convient cependant de remarquer que l'anachronisme du veto
est encore plus insupportable si l'on songe à ses conséquences
fâcheuses sur la capacité de décision du Conseil de
sécurité.
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