Le texte promotionnel culturel( Télécharger le fichier original )par David LEGOUPIL Université Paris V René Descartes - Master pro 2 expertise en sémiologie et communication 2007 |
11. Combinaison de la fonction poétique du langage et de séquences descriptives d'« ambiance » (avec essai d'étude quantitative)Dans la plupart des TPC de l'ODC, on relève des descriptions qui, contrairement à d'autres séquences descriptives, ne mettent en avant ni des informations (Pinocchio), ni des commentaires (Denis Monfleur) ni, comme on le verra dans les deux derniers chapitres, des bribes d'histoire. Ces séquences descriptives ont principalement pour but de camper, ce que l'on choisit d'appeler, une atmosphère ou une ambiance. Dans ces textes ou séquences dits d' « ambiance », la description passe souvent par l'usage de ce que la linguistique nomme la fonction poétique du langage: un mode d'écriture complexe obtenu par un agencement des différentes potentialités du signe, qu'il s'agisse des ressources du signifié (dénotation, connotation, implicite) ou du signifiant (sonorité, rythme, graphème105(*)), dans le but de s'adresser à l'imaginaire du destinataire, de susciter chez lui des émotions ou des sentiments. Tel est le cas dans le texte jeune public Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu : « Un canapé, la lumière douce d'une veilleuse. C'est sans doute une chambre d'enfant mais une chambre imaginaire, celle que s'invente, à la faveur de la nuit, une petite fille. Une petite fille qui, en un clin d'oeil, devient une vieille dame... Et que l'on retrouve bien vite sans que... ne disparaisse la vieille dame... Une petite fille qui recherche une présence : celle de la lumière, parce que la nuit, avec son cortège de peurs, est à apprivoiser ; celle de la vieille dame, surtout, parce que la féerie du monde nocturne est aussi un bonheur à partager. » (David, Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu, j. p., annexe n° 2) Le texte, qui s'apparente à la situation initiale d'un récit, décrit le cadre de l'histoire (« canapé », « lumière douce d'une veilleuse », « chambre d'enfant ») en adoptant le point de vue du spectateur au lever de rideau. Ce point de vue est nécessairement restreint (ignorant, serait-on tenté de dire) puisque, dans les toutes premières secondes de la pièce, ni le décor ni « le » personnage ne font encore sens pour lui. Ainsi la focalisation interne décrit mais en affectant l'incertitude : au moyen d'un marqueur modal indiquant la probabilité (« C'est sans doute une chambre d'enfant ») ; au moyen, aussi, des nombreux points de suspension qui suggèrent l'étonnement voire l'incompréhension du spectateur face à cette curieuse entrée en matière théâtrale où le lieu (la chambre) est en fait imaginaire, où le personnage principal, « la petite fille », se métamorphose en « vieille dame » mais continue d'endosser, par ubiquité, les deux identités. Ainsi l'écriture du mystère prévaut ici. Avec un style fait d'indétermination (on peut relever l'usage de groupes nominaux déterminés par l'article indéfini : « une petite fille », « une vieille dame », « une présence »). Avec aussi un style qui cherche à représenter poétiquement la nuit, notamment par une série d'oppositions entre l'obscurité et la lumière et par l'emploi d'un vocabulaire de l'étrangeté (« féerie du monde nocturne ») ou de la peur (« parce que la nuit, avec son cortège de peurs, est à apprivoiser »). Une étude détaillée des textes (pléthoriques) usant de la fonction poétique du langage106(*) pour donner un aperçu de l'« ambiance » du spectacle n'apporterait rien de plus à la démonstration. C'est pourquoi nous lui préférons (une fois n'est pas coutume) un parcours quantitatif qui, s'il ne se prétend pas infaillible, nous a étonné par la constance de ses résultats. Ainsi, dans des proportions séquentielles variables allant du syntagme jusqu'au au texte, 9 des 18 textes jeune public que j'ai écrits, sont nettement marqués par cette orientation rédactionnelle prépondérante pour le genre. C'est le cas de « Pepe et Stella » (annexe n° 14), « Là-haut la lune » (annexe n° 9), « Veille au grain, il fera beau demain » (annexe n° 17), « Loin de mon doudou » (annexe n° 11), « Félix et Filomène » (annexe n° 5), « Le Petit bonhomme à modeler » (annexe n° 8), « Les Pieds dans les nuages » (annexe n°8 bis)107(*), Le Berce-Oreille (annexe n° 6) et « Dégage, petit » (annexe n° 3), textes dont les passages donnant à voir une atmosphère de manière poétique seront signalés en annexe par des caractères gras. Aux 18 TPC jeune public se sont ajouté trois textes, publiés sur le site Internet de l'ODC108(*), écrits par Jacques : « Petite migration », « Monsieur Nô » et « La Balle rouge ». Ce dernier allie, de manière fragmentaire (première phrase), description d'ambiance et poésie, alors que cet angle d'écriture est, selon nous, absent dans « Monsieur Nô ». En revanche, « Petite migration », que nous citons ici intégralement, est totalement traversé par ce type de séquence descriptive relevant de la modalisation persuasive : « Un petit personnage s'éveille d'une mauvaise nuit et enfile ses bottes beaucoup trop grandes pour lui. Dans la cour de l'école les moqueries des autres enfants le poussent à se réfugier sous le grand arbre. Mais voilà qu'une larme lui échappe. Sans la perdre de vue il s'aventure à la suivre sous la terre, dans le ciel, jusqu'à l'océan et même au- delà, tout près de l'horizon où le soleil se couche...Autant de découvertes et de rencontres qui l'aideront à se tenir enfin, bien d'aplomb dans ses bottes. » (Jacques, Petites migrations, j. p., site Internet de l'ODC) Ainsi le bilan quantitatif des textes jeune public combinant séquence descriptive et fonction poétique du langage s'élève, à notre avis, à 11 TPC sur un total de 21, ce qui semble bien en faire une tendance forte du genre. En ce qui concerne les textes tout public, nous choisissons de poursuivre l'analyse quantitative au moyen d'un tableau. Celui-ci, dépourvu de toute citation et de tout commentaire, puisque tel n'est pas notre objet, permettra, en outre, au lecteur (et en particulier aux rédacteurs de l'ODC) de cibler, s'il le souhaite, ces séquences descriptives que l'on trouve marquées par la fonction poétique du langage. La plaquette tout public est composée de 45 TPC109(*). Dans ce corpus, 22 textes correspondent à la combinaison textuelle recherchée :
Ainsi, alors que légèrement plus de 50% des textes jeunes public combinent fonction poétique du langage et description d'ambiance (11/21), on constate, avec étonnement, que 23 TPC sur 45 choisissent de promouvoir par le même biais, soit un pourcentage identique à celui de jeune public. Deux enseignements peuvent être tirés à la lumière de ces chiffres. Le fait, d'abord, que la combinaison de la fonction poétique du langage et de la description d'ambiance s'avère une ressource stylistique de premier plan pour promouvoir une manifestation culturelle. Plus généralement, ensuite, on peut affirmer que la modalisation persuasive, ou ce que l'on pourrait appeler le littéraire, apparaît bien comme une partie intégrante de l'écriture du texte promotionnel culturel. * 105 C'est ainsi que l'on peut constater dans Toc-Toque (annexe n° 16), l'écriture d'une phrase qui repose à la fois sur les potentialités phoniques du signifiant (onomatopée) et sur ses potentialités graphiques : «Mais soudain : bing ! zing ! TOC ! tout un monde de cuillères et de faitouts s'anime [...] ». La discrimination volontaire entre lettres majuscules et lettres minuscules a été réalisée afin d'introduire un décalage dans le régime descriptif et de renvoyer, comme un clin d'oeil, à un « au-delà » du texte qui lui est proche : le titre même du spectacle. Nous sommes ici en présence d'un cas de modalisation autonymique ainsi définie par Dominique MAINGUENAU: « Ensemble des procédés par lesquels l'énonciateur dédouble en quelque sorte son discours pour commenter sa parole en train de se faire » (MAINGUENAU, 2005, chap. 14, « Modalisation autonymique, guillemets, italique ») * 106 Nous sommes conscient de ce que la combinaison textuelle « fonction poétique du langage » + « description d'ambiance » puisse faire problème. En effet, elle tend à amalgamer une catégorie de la linguistique (la fonction poétique parmi les autres fonctions du langage) et une catégorie du littéraire, « la poésie » (déclinables en multiples formes comme le poème en vers, le poème en vers libre, le poème en prose ou la prose poétique). « La poésie », cette catégorie littéraire (d'avantage qu'un genre, à notre avis) dont la fonction, pour simplifier grâce à Baudelaire, serait, avant tout, dans un acception classique, la recherche du Beau (« bizarre », dissonant ou plus académique - disons, classique). Or, si dans les TPC étudiés dans ce chapitre, « fonction poétique du langage » et « poésie » se recouvrent souvent, d'autres avatars de la combinaison existent avec une acception du terme « poétique » qui nous semble plutôt tendre vers la linguistique ou du moins, concerner le littéraire mais dans un sens non classique. On peut d'abord prendre l'exemple de « Cité Babel » (t. p., p. 49) et de « Même pas seul », tous les deux inclus dans notre parcours quantitatif. Ce sont des TPC qui rejettent les marques stylistiques classiques du littéraire mais sont inspirés par une tendance romanesque contemporaine. Dans ces deux textes, la description d'ambiance est en effet obtenue par une écriture à tour populaire. Une écriture, dans un « style parlé », non poétique au sens littéraire classique mais poétique au sens contemporain puisqu'il est impossible aujourd'hui, dans l'analyse de discours, de ne pas tenir compte de l'émancipation vis-à-vis du beau langage de la littérature du XXème siècle (Céline, Prévert, Duras, le Nouveau roman, l'Oulipo, les romans policiers, l'autofiction) « L'araignée du soir » (annexe n°10) est, en revanche, un TPC qui nous laisse perplexe et qui nous place devant nos contradictions terminologiques. Une ambiance y est décrite grâce à la fonction poétique du langage, à notre avis, sans poésie au sens littéraire, que l'on pense en termes classiques ou contemporains. Le texte adopte un style humoristique et désinvolte donnant à voir une atmosphère drôle, décontractée. Nous l'avons exclu de notre étude quantitative, sans doute parce que, pour le littéraire que je suis, son humour un peu potache (n'est pas Desproges qui veut !) est un frein, une résistance qui m'empêche de le ranger sous la bannière « fonction poétique du langage ». On s'aperçoit ici qu'il m'est, en définitive, difficile de séparer cette catégorie linguistique de la catégorie littéraire « poésie ». Le rire a souvent (à tort) mauvaise presse et la lutte est, on le voit, âpre entre le littéraire et l'apprenti linguiste... * 107 Si 17 textes figurent sur le poster alors que l'étude quantitative porte sur 18 TPC, c'est notamment parce qu'un changement est intervenu dans la programmation. Initialement la compagnie (Le Théâtre de Romette) devait venir jouer dans l'Orne « Les Pieds dans les nuages », spectacle qui a été remplacé par « Le Petit Bonhomme à modeler ». * 108 Le poster, pour des raisons formelles, relatives au type de support, à son format et au « pliage », ne pouvait compter que 17 TPC correspondant chacun (photo et graphisme inclus) à une « face » du verso de l'affiche. * 109 Ce recensement inclut aussi les TPC promouvant un festival, à savoir les p. 29-30 (que nous considérons comme un seul texte) sur Le Printemps de la chanson (Vincent), la p. 51 sur Les Vibrations de Flers (Jacques) et la p. 56 sur le Festival Autour d'un piano de Carrouges (Martine). En revanche, notre parcours quantitatif ne tient pas compte des textes publiés uniquement sur le site de l'ODC et/ou ultérieurement à la durée de notre stage (voir notamment les TPC promouvant, individuellement, les groupes et chanteurs participant au festival Le Printemps de la chanson). |
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