4. Un cas de connivence culturelle qui repose sur la
connaissance du monde contemporain
Jacques, dans son TPC sur Giordano Bruno, joue
sensiblement de la même connivence culturelle. Toutefois, la
supposée conjonction de point de vue entre scripteur et lecteur fait ici
l'économie d'un pronom. L'objectif est d'insister sur la
contemporanéité de la pièce promue (et donc de son
intérêt) en faisant allusion, de manière
implicite et peu précise, non au domaine artistique mais
à certains aspects de la situation politique
mondiale :
«En ce début de
millénaire, plus de quatre siècles après
la mort de Giordano Bruno (1548-1600), face à toutes les
dérives de ce nouveau siècle, il n'est pas inutile de se
pencher sur la vie de cet homme hors du commun. Quand débute notre
pièce, nous sommes en 1599, Giordano Bruno est enfermé depuis six
ans dans la forteresse Saint-Ange, sur les bords du Tibre, à
Rome ». (Jacques, Giordano Bruno, t. p., p. 38)
Ici, nous pensons que Jacques cherche habilement à ce
que son lecteur fasse le lien entre l'intolérance religieuse dont a
été victime l'humaniste Giordano Bruno au XVI ème
siècle et celles dont, par exemple, peuvent être victimes
aujourd'hui les religieux modérés ou les libres penseurs face aux
fanatismes, notamment islamiques. Cependant, le clin d'oeil culturel
n'étant pas appuyé, l'émetteur laisse
à son lecteur une grande liberté
d'interprétation. L'allusion, aux accents quelque peu
teintés de « déclinologie » (« face
à toutes les dérives de ce nouveau siècle »),
offre au destinataire la possibilité de choisir parmi les vertus
cardinales que l'on prête au grand homme (le courage, la bonté, le
don de soi, le combat pour la vérité et contre l'obscurantisme,
etc.) et dont notre époque (les années 2000) se serait
détournée. L'indétermination, outre qu'elle permet au
scripteur de préserver sa face positive en ne désignant pas, dans
un contexte polémique, d'ennemis précis, d'anti-Bruno moderne,
inscrit bien l'extrait dans la modalisation persuasive : elle suppose en
effet un lecteur complice et actif qui ne fait pas
qu'ingérer, que consommer de l'information. Celui-ci doit
décrypter l'implicite, se faire une idée
du spectacle en mobilisant ses connaissances. Schématiquement,
on pourrait dire que contrairement à ce qui se passe avec les
modalisations prescriptives et mélioratives, le destinataire
développe, lorsque la modalisation persuasive est dominante, de
véritables compétences de lecteur, son attention étant
sollicitée par des contenus et des formes qui dépassent
l'informatif et impliquent, à l'instar de la lecture littéraire,
une lecture fine, « entre les lignes », en
deçà ou au delà du texte.
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